Observatoire international Climat et Opinions Publiques
Observatoire international Climat et Opinions Publiques Comment l’opinion mondiale juge-t-elle les changements climatiques ?
L’IPSOS conduit chaque année, pour le compte d’EDF, une vaste consultation sur la manière dont les opinions publiques considèrent la crise climatique, ses causes et ses remèdes. Cette étude a recueilli les opinions de plus de vingt mille personnes réparties dans trente pays ce qui en fait une base statistique très sérieuse. La méthodologie employée et les résultats bruts sont aussi disponibles. Voici un petit tour de l’édition 2024 (sondages effectués entre août et octobre) avec quelques résultats surprenants et quelques fois contre intuitifs.
Une fausse idée souvent répandue est de croire que la question du changement climatique n’intéresse que les pays riches ou bien que nous, Français serions en pointe sur ces sujets. C’est loin d’être exact comme on va le voir. Je ne vais pas ici résumer tout le rapport mais simplement mettre en évidence quelques résultats qui me semblent surprenants ou instructifs.
Page 5 : Les préoccupations
On peut noter que globalement dans le monde le changement climatique est la deuxième préoccupation des personnes derrière le niveau de vie. C’est même la première préoccupation en Corée (du Sud) et en Inde. Elle est en deuxième place en Chine, au Japon ou à Singapour. En Europe, le changement climatique arrive en deuxième position en Italie, mais seulement en quatrième position en Allemagne, en Espagne et en France (derrière le cout de la vie, la criminalité et la santé). Bien sûr, le positionnement pour chaque pays dépend beaucoup de la situation propre à chaque pays. C’est pourquoi le tableau suivant est indispensable.
Page 6: Le changement climatique est-il préoccupant ?
Ici il est question de juger si le changement climatique est très préoccupant (note de 9 ou 10 /10), moyennement préoccupant (notes 7 et 8) ou bien peu voir pas préoccupant ; note inférieure ou égale à 6). Dans une dizaine de pays, la situation est jugée très préoccupante par plus de la moitié de la population et ce sont essentiellement des pays d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie. L’Italie, le Japon ou l’Espagne ne sont pas loin derrière avec autour de 40% de personnes très préoccupées. Enfin on trouve un gros ventre mou avec beaucoup de pays européens dont les opinions se répartissent plus ou moins en : un petit tiers de très préoccupés, un très gros tiers de moyennement préoccupés , un autre petit tiers de peu ou pas préoccupés. Avec une petite surprise: il y a plus de très préoccupés aux États Unis qu’en France, mais il y a aussi plus de peu préoccupés.
On peut dès à présent noter que l’affirmation que le changement climatique serait préoccupation uniquement de quelques bobos en Europe occidentale est fausse et qu’au contraire, beaucoup de pays dans le monde sont plus voire, beaucoup plus, inquiets que la France
Pages 9 et 10: Est ce que le changement climatique est d’origine humaine ?
Globalement oui et cette affirmation recueille entre 60 et 70 % dans la plupart des pays. Seuls deux des trente pays sont sous la barre des 50%: l’Arabie Saoudite et, un peu plus surprenant, la République tchèque, peut être à cause de la proximité du régime actuel avec la Russie. Au sein des sceptiques, on trouve une majorité de doute ou de croyance à une cause naturelle et ceux qui réfutent les changements climatiques représentent seulement un gros quart de ces sceptiques.
Pages 11 et 12: Influence du changement climatique
Beaucoup plus surprenant: seulement une petite majorité (60%) des personnes pensent que le changement climatique aura des changements négatifs, les autres pensent que cela ne changera pas grand chose … ce qui est presque contradictoire avec la question suivante: avez vous déjà constaté les effets du réchauffement climatique avec une réponse oui (un peu ou beaucoup ) à 77%. Du travail d’explication pour les fresqueurs et les shifters
Page 17 et suivantes: origine du CO2
Ici, pas de grosses surprises quand à l’origine du CO2. La plupart des pays mettent correctement en avant l’industrie, les transports, les centrales à énergie fossiles.
Page 19: L’agriculture comme source de CO2 ?
La question de la page 19 est relative à l’agriculture comme source de CO2. Or l’agriculture produit assez peu de CO2 mais surtout d’autres GES (du méthane et des oxydes d’azotes). Il est donc possible qu’il y ait de la confusion, notamment en fonction des traductions et de la manière dont les questions sont posées. C’est ainsi qu’on trouve en tête des pays qui pensent que l’agriculture émet beaucoup de CO2 la France suivi de l’Italie, l’Angleterre , l’Allemagne …
Page 24: Le rôle des bombes aérosols.
Les bombes aérosols émettent-elles beaucoup, assez, peu ou pas du tout de CO2 ? La question est un peu surprenante car complexe et j’avoue que je n’aurais su d’emblée donner une réponse ; il est donc difficile d’analyser les résultats. Je retiens juste que globalement seulement 12% ont dit ne pas savoir. La surprise est ici d’avoir 88 % de personnes ayant un avis. A ma connaissance, les bombes aérosols sont effectivement remplies d’un gaz comprimé mais c’est a priori rarement CO2. Certains de ces gaz peuvent toutefois avoir un effet de serre sans être pour autant du CO2. Enfin le terme aérosol désigne plus globalement toutes les particules fines d’origines naturelles ou industrielles et là, la réponse est encore plus nuancée puisque certains de ces aérosols refroidissent le climat alors que d’autres le réchauffent. Après réflexion, il me semble la bonne réponse devrait être que les bombes aérosols émettent peu ou pas du tout de CO2. La Norvège est le seul pays allant dans ce sens. Rappelons cependant que les aérosols ou particules fines sont de toutes façons mauvaises pour la santé. Est ce qu’il y a ici un raccourci : mauvais pour la santé implique mauvais pour l’environnement ?
Page 27: Les centrales nucléaires émettent t-elles du CO2 ?
Pour 56% des personnes elles émettent beaucoup ou assez de CO2. Résultat plutôt surprenant quand on sait qu’elles n’émettent quasiment pas de CO2, et ce qu’on soit pro ou anti nucléaire. Même en France, où le nucléaire est bien développé, 48% des français pensent que les centrales génèrent du CO2 contre 46% qui pensent le contraire. Paradoxe surprenant: En Allemagne, pays qui a fait le choix d’arrêter le nucléaire, seulement 34% considère le nucléaire comme générateur important de CO2 contre 58% qui pensent le contraire.
Page 44: Comment combattre le réchauffement climatique ?
Pour lutter contre le réchauffement climatique faut-il changer de mode de vie ou faire confiance au progrès technique et à l’innovation ? On trouve une majorité mettant en avant la modification de mode de vie. C’est particulièrement fort en Colombie, au Mexique, ou en Indonésie mais cela reste assez marqué dans la plupart des pays dont les pays européens. En fait, seuls 5 pays placent le progrès technique avant le changement de vie: Emirats, Chine, Espagne Egypte et surtout Arabie saoudite
Page 45: Faut il donner la priorité à la croissance économique ou à l’environnement ?
Une majorité relative de personnes dans le monde choisissent l’environnement (46%) à la croissance (38%). On peut noter que cette opinion est encore plus forte dans des pays relativement pauvres comme l’Inde, la Turquie le Brésil ou le Mexique.
Page 46: Pendant de la question précédente…
Il s’agit ici non pas de ce qu’on devrait faire mais de ce qu’il va se passer et là une majorité de personnes pensent que la croissance économique sera privilégiée sur la protection de l’environnement. A chacun son interprétation: défiance vis à vis des gouvernements, idée qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion ou bien que les dirigeants ne reflètent pas l’opinion publique. A noter les rares pays qui pensent que l’environnement sera priorisé sur la croissance : la Chine (52 – 35), la Colombie (45 – 33) et la Pologne de justesse (38 – 35).
Page 47: Etre bien informé sur les actions à mettre en place.
Cela pourrait sembler être une bonne nouvelle: en moyenne plus des 2/3 des personnes interrogées déclarent connaître les actions à mettre en place (“oui tout à fait” et “oui plutôt”). Et dans le pays où cette proportion est la plus faible, le Japon, elle est tout de même de 51%. La première question à se poser est comment toucher le tiers ou la petite moitié restante ? La deuxième question, beaucoup plus difficile, serait de savoir si ce qui se croient informés ont reçu des informations correctes.
Page 58: Quelles mesures seraient acceptables ?
Une idée reçu est de penser que les pays en voie de développement voudront, comme les pays riches, posséder 1 ou plusieurs voitures et ainsi faire croître la demande en pétrole. Le sondage de la page 58 montre exactement l’inverse : les mesures anti voitures (péages urbains, interdiction des véhicules thermiques) sont très populaires en Inde, en Indonésie, en Turquie alors qu’elles sont beaucoup plus refusées par les pays développés (Europe, Amérique du Nord Australie).
Pages 70 à 78: Quelques fake news
Ici sont analysées 9 idées reçues concernant le changement climatique. A nouveau il est amusant de voir les différences entre les pays. Exemple “A cause de leurs batteries, les voitures électriques sont aussi nocives pour le climat que les voitures à essence” (on sait que sur un cycle de vie complet, l’empreinte est en moyenne plutôt autour du 1/3 ou du ½) ; cette croyance est globalement majoritaire (50% de d’accord contre 34% de pas d’accord) mais c’est surtout le cas en France (71% de d’accord) et globalement en Europe alors que cette idée est minoritaire au Maroc, au Nigéria, en Egypte ou en Afrique du Sud. Cela montre que les Shifters et les Fresquers ont encore un peu de travail Par contre, et c’est plutôt une bonne nouvelle, d’autres idées reçues sont plutôt rejetées. Exemple: “l'agriculture biologique n’est pas plus bénéfique pour l’environnement que l’agriculture classique” est plutôt faux pour une petite majorité (42% pas d’accord contre 39% plutôt d’accord). Et dans les pays plutôt d’accord, on trouve l’Inde, la Chine ou le Nigéria par exemple. Et réflexion faite, ce sont des pays où l’agriculture classique n’est pas (ou pas encore) trop industrialisée. Autre exemple intéressant. A l’affirmation “Notre pays n’est pas un gros producteur de gaz à effet de serre, nos efforts ne serviront pas à sauver le climat” est globalement rejetée par 52% des personnes (contre 36% de personnes favorables). Les pays étant les plus favorables à cette affirmation étant des pays plutôt pauvres (Inde Egypte, Nigéria) plus 2 pays du golfe (pas une surprise ici) et la République tchèque qui semble être le plus climatologies sceptique des pays européens. A l’inverse, cette affirmation est assez largement rejeté dans la plupart des pays économiquement développés (Europe, Amérique du Nord, Australie et Japon, Corée et même la Chine).
Note amusante: le japon est souvent champion du “je ne sais pas” pour les questions précises. Est ce une question de traduction, de culture ou d’un manque d’information ou d’intérêt sur les questions climatiques
Les Références
A tout seigneur tout honneur …J.M. Jancovici a aussi publié une analyse (beaucoup plus courte) de ce rapport sur LinkeIn. https://www.linkedin.com/posts/jean-marc-jancovici_le-changement-climatique-cest-un-truc-activity-7268179709903912961-15JL C’est d’ailleurs ce post qui m’a fait découvrir le rapport.
Page d’accueil sur le rapport https://www.edf.fr/groupe-edf/observatoire-international-climat-et-opinions-publiques
Rapport complet https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2024-11/obscop2024_rapport-complet_fr.pdf
Rapport de synthèse https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2024-11/obscop2024_rapport-synthese_fr.pdf
Petites remarques: Quand on parle ici de pourcentage global, il faut le comprendre par rapport à l’ensemble des 23000 participants avec, par conséquent, une surreprésentation de l’Europe en particulier. Dans le cas contraire Chine et Inde tireraient les résultats dans leur sens. Ce pourcentage global ne doit donc pas être vu comme une moyenne mondiale. Le rapport indique aussi les variations par rapport à l’année précédente. Je n’en ai pas tenu compte dans cet article car elle des variations d’une année sur l’autre me semblent trop sujette aux aléas de l’actualité en général. Pouvoir observer des tendances un peu plus longues