Brasov
Aujourd'hui on quitte les randonnées truffées d'escaliers virtuels et hantés par les fantôme des ours (en plus il va pleuvoir et on n'a toujours pas profité de Decathlon pour acheter un imper à Lucien), pour aller voir les localités du coin en commençant par LE CHÂTEAU, je veux dire le château de Bran qui est tout proche de notre admirable camping, ça tombe bien car on compte bien y être dès potron-minet afin d'éviter l'affluence.
Bran
La ville de Bran n'a aucun intérêt, si ce n'est un admirable bazar empli de toutes les merdes à touristes qu'on puisse imaginer, qui côtoient des échoppes où grillent moult saucisses dès 9h le matin et qu'on est obligés de traverser pour accéder au château le monde est bien fait. Pris d'une frénésie légaliste je vais me garer à dache dans un parking “officiel”, c'est-à-dire sur une parcelle qu'un gros malin a recouvert de bitume et à l'entrée de laquelle il a posé des barrières automatiques. Alors que mille places normales me tendaient les bras dans le village proprement dit mais elles me semblaient trop belles pour être vraies et le stress du parking m'a rendu stupide. Ça reste un village mais je nous ai fait marcher 4 minutes de plus que nécessaire, mon amour-propre est tout froissé.
Après cette déconvenue qui n'angoisse que moi, nous montons (oui c'est un château dans les Carpates, il est nécessairement posé sur un promontoire) le long de murs assez rébarbatifs à l'extérieur pour découvrir un espace absolument charmant à l'intérieur c'est étonnant et rafraichissant.
Au passage nous admirons le marketing déployé avec énergie par la ville, à base de rappels que nous sommes dans la patrie du Dracula de Bram Stocker (qui n'a jamais foutu un orteil en Roumanie). D'ailleurs la popularité de ce château-ci vient du fait qu'il est vendu comme “le château de Dracula” alors même que tout le monde explique partout que non en fait aucun rapport, hm à la réflexion peut-être Vlad Tepes y serait passé un jour mais c'est tout. Et Bran est également assez éloigné de l'endroit qu Stocker décrit comme le village plus la forêt des morts-vivants (là je n'ai pas le bras assez long pour attraper le guide qui détaille un peu cette partie donc je vous prie de me croire sur parole).
Sympa non la cheminée géante reconvertie en petit salon chauffé ?
Par contre j'ai relu la page wikipedia relative au mythe de Dracula et surtout celle dédiée à Vlad 3 Basarab où j'ai appris pas mal de trucs, comme par exemple l'origine du nom de la Bessarabie (Basarab pour les moins rapides) ainsi que pleins d'anecdotes sur l'époque mouvementée de la région au XV°, entre la chute de l'Empire byzantin, la percée des Ottomans et l'existence de multiples principautés, royaumes etc. Par exemples le royaume de Hongrie est découpé après l'occupation ottomane et la Hongrie orientale deviendra plus tard la Transylvanie, incroyable non ? tout ceci ouvre de nouveau des abîmes de méconnaissance sous mes pieds je me sens totalement analphabète en matière d'histoire du continent.
Cependant la visite du château est tout de même l'occasion de trouver ENFIN la première vulgarisation digne de ce nom expliquant grossièrement la fabrication du pays (c'est trop perturbant pour des français d'essayer de comprendre une histoire aussi chahutée, franchement ils auraient pu s'inventer un mythe scolaire aussi efficace que nos ancêtres les gaulois mais à la réflexion sans doute l'ont-ils déjà fait), sous forme d'une succession de quatre cartes où l'on voit bien qu'en 1400 la Roumanie c'était tout petit et la Moldavie plutôt grand, puis que la Hongrie a sérieusement rétrécie au lavage, ainsi que la Moldavie avant que finalement l'empire austro-hongrois disparaisse de la circulation :
Pour en revenir à l'ami Vlad il semble finalement que -à ma grande indignation- en fait il n'a peut-être jamais empalé personne, cette histoire aurait été colportée par ses ennemis (en l'occurrence surtout des Saxons parce qu'il a refusé de leur conserver leurs privilèges fiscaux) et montée en épingle plus tard par des historiens véreux comme on en trouvait à la pelle aux XVIII et XIX°, c'est-à-dire des gens qui trouvaient une source et la propageaient telle quelle. Même si en tant que prince (ou mec tentant de redevenir prince) de l'époque il a sûrement trucidé un paquet de gens, souvenons-nous que beaucoup de Roumains le considèrent comme un héros national grâce à ses efforts pour unifier (et surtout, contrôler) le territoire le plus grand possible, qui préfigure la Transylvanie et par extension la Roumanie.
En conclusion, le village est devenu par la magie du marketing et malgré les sauts de carpes qu'effectue Vlad dans sa tombe, le territoire de Dracula, envahi par conséquent de cars de touristes en provenance directe de Bucarest ainsi que d'enseignes avec des vampires ou des dents. Celles du château proprement dit sont plutôt marrantes :
Revenons à la visite : même s'il a été construit par les chevaliers teutoniques (avec un nom pareil ça m'étonnerait qu'ils se soient essayés à produire des endroits charmants ou confortables à l'époque), il a surtout été habité et fortement remanié par la famille royale de Roumanie qui a commandé à l'architecte royal (ce doit être bien pratique que de pouvoir compter sur un architecte royal, j'espère qu'à ce prix ils n'ont pas eu à batailler sur la qualité des finitions ou le choix des matériaux) de le rendre confortable en le transformant en profondeur (chambres ajoutées dans les greniers, salle de garde révisée en salon etc.). Comme d'habitude, plus de photos ici.
Les parquets grincent un peu.
Ça reste un château fort construit pour défendre un col alors c'est truffé de petites portes, d'escaliers dérobés dans les murailles, de coursives... bref c'est trop mignon. Les saxons s'éclairaient à la bougie ? la reine commande la construction d'une centrale pour avoir l'électricité (et en profite pour éclairer gratis les villages du coin). Il y avait un puits donnant sur une galerie souterraine qui se visite ? la reine fait installer un ascenseur (la porte est frappée d'une plaque indiquant que cet ascenseur à remporté le premier prix des special-purpose lifts je vous livre donc cette information capitale : il existe dans le monde des gens qui délibèrent afin de 1. inventer des catégories et 2. décerner des prix à des ascenseurs). On est dans les Carpates ? la reine fait mettre partout des grosses cheminées prussiennes (à tout les coups ici ça porte un autre nom).
Matez donc comme c'est cosy cette banquette-cheminée.
Conclusion c'est vraiment super on ne s'attendait pas du tout à cela après la déconvenue de Corvin Castle, en plus comme la famille royale de Roumanie a été chassée plus ou moins du jour au lendemain il reste pleins de meubles d'époque, époque apparemment proche de celle où les gens étaient principalement propriétaires de coffres renfermant leurs vêtements de cérémonie.
Nous sortons de là enchantés, d'autant plus que durant notre visite tranquille, les visiteurs sont arrivés et maintenant il y a la queue pour entrer, mouhahaha nous nous échappons de là comme de petits animaux sauvages et libres.
Rasnov
Forts de cette visite pleinement réussie nous parcourons quelques kilomètres pour voir la citadelle de Rasnov, elle aussi posée à un endroit stratégique, c'est-à-dire littéralement perchée 200 mètres au-dessus d'un village et qui domine la plaine de telle sorte qu'on peut la voir à 30km. Le village est mignon mais sans grand intérêt à part qu'on y trouve un distributeur automatique de pots de miel, ce qui laisse songeur quant à la puissance du marché du miel ou bien quant à l'aveuglement du marchand.
Quand je dis perchée au-dessus ce n'est pas une figure de style comme on dirait d'un village des Alpes qu'il est perché hein, non non il ya un escalier pour y monter, c'est encore un effet des satanés reliefs des Carpates. Un escalier mais également, confort ultime, un ascenseur ! qu'on s'empresse de payer pour l'emprunter bien que nous n'ayons strictement rien compris ce que nous a raconté l'employé au niveau 0.
Tout s'éclaire une fois délestés de 70 lei et arrivés en haut : il disait que la citadelle est fermée. Nous voilà donc quittes pour faire le tour d'un rempart dont les portes sont closes afin d'éviter je pense que des touristes tombent avec les vieilles pierres, comme Lucien lorsqu'il manque de passer à travers les planches de la passerelle.
Du coup il n'y a plus de touriste et les quelques attractions qui restent sont mangées aux mites.
En plus on aurait pu monter en voiture jusqu'ici ! la déception est à la mesure de nos espérances, la citadelle est semble-t-il un exemple important d'architecture saxonne dont pour l'instant on n'a pas vu grand-chose.
Je me console en prenant en photo des façades typiques du coin tout en conduisant ce qui a le don de rendre folle Valérie mais est-ce de ma faute si les maisons que je veux photographier sont situées à gauche de la route ?
Prejmer
On s'est levés ce matin pour arriver avant les hordes de touristes hématophiles et cette excursion à la citadelle n'a pas franchement occupé trop de temps donc on peut pousser jusqu'à Prejmer et Harman où se trouvent deux églises saxonnes fortifiées ce qui est drôlement exotique (en vrai on constatera un peu plus tard que les Saxons étaient coutumiers du fait).
Vue de l'extérieur.
Celle de Prejmer a les murs les plus épais de Roumanie, c'est-à-dire quelque chose comme 4 ou 5 mètres (d'ÉPAISSEUR). Une église fortifiée c'est quoi ? c'est une très grosse enceinte remplie de pièces avec des escaliers, d'ouvrages de défenses et surtout de quoi stocker des mois de bouffe ainsi que tout le village avec son bétail. En fait c'est un château fort sauf qu'en-dehors des périodes d'attaque, personne ne vit dedans sauf les curés.
À gauche, le mur de l'église, à droite le reste
Et ça c'est l'intérieur de l'enceinte.
Rebelote à Harman cette fois-ci on n'entre pas dedans : les églises, faut pas déconner elles sont toutes pareil. En plus on a faim maintenant et pour éviter de tomber dans les pommes, direction Brasov ! la capitale saxonne locale.
Brasov
Brasov est une vraie ville, avec une rocade, des zones artisanalo-commerciales et des faubourgs de l'époque soviétique. Par contre le centre est superbement préservé (et un poil touristique, on n'a rien sans rien). Anecdote amusante, Gyula Halász est originaire de Brasov (qui faisait alors partie du Royaume de Hongrie, il faut suivre hein s'il vous plaît) d'où il a tiré son pseudonyme : Brassaï (et dont j'apprends par wikipedia -décidément ma seule source d'information comme vous l'aurez constaté- qu'il aurait appris le français “seul, en lisant Proust” : quel psychopathe si c'est vrai, quel poseur si c'est faux).
Une vraie ville cela signifie des vrais restaurants alors on en choisit un haut de gamme et bien typique, je veux dire qui sert de la nourriture typiquement roumaine, on n'a toujours pas essayé depuis qu'on est là. C'est marrant mais les roumains ne semblent pas fan de terrasses ; il y a bien des terrasses pour boire des coups, étrangement peu fréquentées, mais pas vraiment de restaurants où manger en terrasse malgré les 28°. En conséquence de quoi celui où le guide nous oriente est en sous-sol. Ça présente l'avantage d'être éclairé pareil toute l'année, pourquoi pas en plus il y a de la place, par contre ils y diffusent une musique folklorique atrocement crispante toute l'année aussi je pense que les serveurs ont tous des acouphènes ou bien se sont percés les tympans à grands coups de fourchette ce qui explique leur air un peu égaré, à moins que ce soit le costume pseudo-tradi qu'on les force à porter.
Malgré la musique on apprécie car la nourriture est tout bonnement délicieuse, enfin surtout dans mon assiette j'ai pris des sarmales, c'est comme des feuilles de vigne sauf que l'emballage est constitué de feuilles de chou. Et j'ai rajouté des patates à la paysanne avec en plus un litre de bière franchement ça fait du bien. Blaise a pris une polenta mélangée à du fromage fondu mais là même pour lui c'est trop.
Il faut dire que c'est pas facile de décrypter des cartes rédigées en roumain, d'autant qu'en guise de carte c'est un vrai bouquin il y a au moins 20 pages A4 de tous les types de grillades imaginables, des pizzas, les accompagnements, 57 desserts... du coup on a choisi un peu au pif (et ce n'est pas la dernière fois).
Bref, sortant de là on se promène cette ville est un enchantement, tout est parfaitement choupinou et si on a traversé des zones pas forcément super en provenant de la plaine, la vieille ville est nichée au début d'une vallée et au pied d'une montagne bien abrupte qui fait qu'on croise aussi des gens en VTT tout crottés et que les contrastes sont photogéniques.
En plus nous sommes samedi l'endroit est envahi de promeneurs de toutes sortes.
Une fois de plus il y a des détails qui tuent :
Et ds bâtiments de toutes les époques avec des amoureux qui se pelotent devant :
Et aussi des ruelles avec des baraques décrépites d'âge indéterminé :
Ainsi que des merveilles de mobilier urbain, forcément :
Et même une synagogue trop rococo pour passer à côté :
Ainsi évidemment que des bâtiments officiels dont on ne connait pas la destination mais qui en imposent :
Bref cette découverte permet de terminer la journée sur un point d'orgue on était trop contents de nous et ça fait bizarre mais maintenant il faut rentrer au camping afin de rester en décalage.