Les vieux cocos
L'année passée j'avais réussi à visiter le Mobilier National, enfin le site qui se trouve à côté de chez moi dans le 13°, à l'occasion des journées du Patrimoine.
Sachez en passant que c'était vraiment trop bien, à la fois marrant, intéressant et complètement décalé -notamment parce que j'ai aussi visité la manufacture nationale des Gobelins qui est au même endroit-, de penser que des gens continuent à travailler comme au moyen-âge en plein Paris et là je pense bien sûr aux tisserandes qui par exemple en 2023 terminaient la tapisserie des JO 2024 dessinée par Marjane Satrapi, sur des métiers à tisser âgés au bas mot de 200 ans.
J'étais ressorti emballé, pensez-vous pour entrer dans ce bâtiment magnifique (conçu par Auguste Perret, rien que pour ça la visite vaut le coup tout est trop bien pensé et juste sublime... oui bon c'est un entrepôt géant, mais signé Perret !) l'établissement a eu l'initiative géniale de dérouler dans la cour le tapis rouge de l'Élysée que j'ai donc foulé de mes propres pieds, à l'instar de Poutine ou Kadhafi oui parfaitement.
Halala et en plus j'avais aussi visité les ateliers de l'école des Gobelins en suivant, on ne m’arrêtait plus et c'était pas mal aussi.
Voici donc en guise d'introduction, un très bref résumé de ma première expérience d'adulte des journées du Patrimoine durant laquelle je m'étais dit qu'en fait c'est bien ce truc et qu'il faudrait le reconduire les années suivantes.
Comme de juste en 2024 je me suis souvenu de leur existence une semaine avant et j'ai jeté un oeil à la carte interactive (plutôt une bonne idée la carte hein) du Ministère, pour me rendre compte, évidemment, que tous les trucs intéressants à visiter étaient déjà complets depuis probablement des semaines.
Je me suis donc résolu à traverser le périphérique et j'ai réservé une visite des immeubles en étoile d'Ivry.
C'est super exotique, et ce dès le rendez-vous sur une des places situées au milieu d'un des complexes à quelques mètres de la mairie.
En plus le mode de visite est cool puisqu'elle est organisée par une asso de riverains qui font donc visiter... leur propre domicile, celui de leurs voisins et en profitent pour raconter leur vie.
Pour ne rien vous cacher, ces braves gens semblent avoir largement atteint l'âge de la retraite et pour la plupart vivent dans le quartier depuis sa construction ou pas loin ; le plus alerte d'entre eux n'était arrivé là qu'en 1983 et s'est révélé très sympa, ainsi qu'intarissable sur les bénéfices de l'urbanisme qui facilite la vie en communauté, comme sur l'incurie des gestionnaires publics dont dépend l'entretien des bâtiments et plus globalement sur les incivilités qui pourrissent la vie des gens (oui les communistes aussi deviennent un peu réac en vieillissant, ceci dit je ne peux pas lui donner entièrement tort).
Une partie du plaisir consiste à voir les logements des gens, j'avoue c'est une joie de voyeur dont j'ai pu heureusement constater qu'elle est largement partagée, je ne suis donc pas autant détraqué qu'on pourrait le penser.
L'autre partie (du plaisir) vient de la découverte de cet endroit littéralement incroyable. De l'extérieur déjà (mais tous ceux qui ont déjà traversé Ivry se sont forcément demandé ce que sont ces bâtiments improbables collés à la monstruosité qu'est l'hôtel de ville) il est difficile de comprendre la manière dont s'agencent ces multiples flèches de béton brut qui pointent en tous sens et entre lesquelles poussent des arbres à chaque étage. En plus certains bâtiments sont posés sur de longues jambes et il n'y a pas deux halls ou porte identiques.
Et puis on dira ce qu'on veut mais le béton brut, ça claque. Certes là il accuse son âge et les griefs des résidents sur son entretien semblent fondés.
À propos de l'extérieur, une des autres visites organisée permet de découvrir les espaces communs et notamment les jardins mais bon il aurait fallu venir aussi le matin ça faisait beaucoup, même si le repas partagé avec les habitants était sûrement très sympa.
Mais c'est pas pour ça qu'on est là, nous on veut découvrir le truc de l'intérieur et dieu quelle splendeur je regrette de n'avoir vu que trois appartements (et l'école mais je garde le meilleur pour la fin). D'abord ils sont très agréables, pourvus de vastes baies vitrées et disposant chacun d'un minimum de terrasses. Et j'ai aussi l'impression qu'il n'y en n'a pas deux pareils. Le Renaudie s'est bien fait suer et c'est pas lui qui aurait proposé un unique plan d'appartement à tous les habitants, ça non.
Les appartements donc, ont au moins une terrasse (certains en ont plusieurs), certaines petites, d'autres gigantesques (j'aurais aimé voir l'appartement qui dispose de deux fois 100 m2 de terrasse), des agencements rigolos et pas un seul angle droit c'est assez curieux. Ceux qui sont de plain-pied présentent l'inconvénient principal d'être un peu bas de plafond. Bon, c'est pas le cas de celui-ci :
Oui car une bonne partie d'entre eux sont des duplex avec des détails qui tuent, comme ce faux plafond venant encadrer ce sublime escalier à vis (je me rends compte en mettant la photo qu'elle est pourrie, désolé) :
D'ailleurs cet appartement dispose de trois terrasses, dont deux assez grandes pour prendre le café tranquilou autour d'une petite table et de deux chaises installées dans l'herbe. Certaines sont faites pour être utilisées comme jardin, d'autres sont clairement trop petites, elles amènent un peu de verdure jusque dans le logement et c'est tout (et c'est déjà pas mal).
Selon plusieurs des personnes croisées ce jour-là, ces logements ont eu assez peu de succès auprès des destinataires originels du projet, à savoir les ouvriers de la ceinture rouge, semble-t-il par excès d'originalité. Ou plutôt comme le dit notre cicerone avec un mélange de candeur et de classisme “les gens se pouvaient pas venir avec leur cuisine ou leur salle à manger parce que ça rentrait pas” (dans ces pièces sans angle droit, rappelez-vous) alors les immeubles se sont remplis d'artistes, profs et professions libérales... tous plutôt fauchés quand même et certainement pas de droite haha.
Matez-moi ces détails pfiou. Bon il faut dire en même temps que tous ces recoins, petites allées, entrées dérobées aux regards... doivent faire le bonheur des dealers et je crois qu'il y a eu quelques problèmes de ce style malgré le fait qu'on se trouve en plein centre ville.
Bref c'est vraiment super et le clou du spectacle était la visite de l'école primaire dont on n'attendait pas forcément grand-chose, mais qui en fait porte elle aussi un projet social : de gigantesques (oui bon nous sommes plutôt habitués aux écoles parisiennes nous autres il faut bien dire) espaces communs permettant de se déplacer facilement et qui aboutissent à un espace central où peuvent déambuler les enfants (qui se trouve être aussi la bibliothèque en toute simplicité), des classes toutes différentes séparées des couloirs par des baies vitrées....
La lumière provient des fenêtres bien entendu, mais aussi de ces baies vitrées situées à 7m du sol et qui comportent curieusement des fenêtres munies de poignées, pourquoi pas.
Franchement ce genre d'endroit donne envie de redevenir un gamin pour courir partout et aussi bénéficier d'un endroit chaleureux où tout le monde doit être à son aise, les salles de classe disposent de serres (oui la photo là est prise depuis l'intérieur d'une classe) :
D'ailleurs dans la même classe de l'autre côté de la porte, il y a son pendant :
Avec ces bancs, là pour que les enfants s'assoient en rond pour raconter ou écouter des trucs, ça change des tables alignées, d'ailleurs chaque classe a son propre atrium :
Oui je floute les visages, enfin mon téléphone me permet de les faire carrément disparaitre et comme de juste je n'ai pas hésité un instant. Commentaire du directeur en désignant la fosse creusée dans le sol “on n'a jamais eu un seul accident”.
Chaque classe le sien et chaque classe différent :
Je dois dire que tout le monde était sous le charme et sans doute un peu jaloux de constater qu'en fait on peut construire intelligemment en se mettant à la place des utilisateurs au lieu de livrer des boites où ranger les gens.
Et pour couronner la visite, la cour. On pourra me rétorquer que tout ceci est bien minéral, alors certes c'est pas la forêt (ceci dit il y a un parc de l'autre côté de la rue, il est moins photogénique) mais par contre l'intégration au quartier est totale :
On a une grande cour pour jouer au ballon en hurlant, un classique de toutes les primaires, et de l'autre côté on accède à un dédale d'allées qui serpentent entre les étoiles vitrées qu'on voyait d'en bas tout à l'heure, avec moult cachettes et escaliers qui multiplient les points de vue et pourraient continuer à l'infini.
À l'infini comme notre visite de l'endroit, mais toutes les bonnes choses ont aussi une fin.
Allez dernier bonus dédié à toutes les enseignant.e.s de primaire, cette astuce à base de chambre à air usagées, pour aider les enfants gens à tenir assis devant un bureau :