Dans le thé, des langues de chat, en silence.
[Kat Onoma, La Chambre]
Je ne me souviens pas de celle de la Loch.
La seconde, si. Il y a un lit d'une place et demie, ancien, à grands montants, très haut, probablement un don de mes grands parents, qui prend toute la place dans la pièce, au pied duquel est collé le lit pliant dans lequel dort mon petit frère, puisque, même si c'est dangereux donc interdit, je lui fais faire des roulades, de mon lit au sien. Il y a mon pot de chambre, dans lequel j'ai fais tomber ma peluche Popples, et depuis je ne veux plus jouer avec même si maman l'a lavée, la maison des bidibulles posée sur ma commode, mon mange disque orange, les livres de l'Ecole des Loisirs.
La troisième, c'est la mienne. J'ai un lit de grande fille, une armoire pour ranger mes jouets, une étagère pour mes livres et une penderie trois portes avec des miroirs qui me plait énormément parce qu'elle reflete l'intégralité de la pièce, mais qui m'agace aussi parce qu'elle sert aussi pour ranger les vêtements des autres et que tout le monde y a accès, l'un des miroirs d'entre est fendu parce que j'ai fais karateka avec mon pied dedans, ma mère a hurlé, mais rien de plus grave qu'une cicatrice sur ma cheville, mon frère en a une à l'arrière du crâne où les cheveux n'ont jamais repoussé car je l'ai poussé contre le radiateur qui garde une toute petite tâche de sang, c'est aussi sur le rebord de cette fenètre qu'un corbeau a plongé en piqué pour dévorer l'une de mes tortues qui prenaient le soleil dans leur aquarium, le papier peint en face de mon bureau est maculé de tâches d'encre car j'écris énormément avec un style qui fonctionne mal c'est une chambre pleine de bagarre à première vue, parce que je claque souvent la porte pour empêcher les autres d'y entrer, au bout d'un certain temps en début d'adolescence je bloque la porte avec ma chaise de bureau, je suce de la pâte à sel et d'autres horreurs en relisant toujours les mêmes livres.
La quatrième est immense, c'est la plus grande pièce de la maison, j'ignore pourquoi on me l'a attribuée et pas à mes parents, et puis je comprends, toujours cette armoire encombrante, et puis la suite parentale est équipée d'un dressing sous les toits et d'une petite salle de bains privative où s'isole maman, Papa à son bureau, mon frère a installé sa batterie dans la soupente, et moi j'ai une chaine hifi surpuissante et mon walkman car j'écoute beaucoup de musique et il fait beaucoup de bruit. Je danse, je danse, je danse mais déjà il faut partir dans une autre maison où nous serons moins loins les uns des autres et où il fera peut être moins froid.
La cinquième est toute petite, elle donne sur le toit en pente de la véranda, d'où je vois chacun, dissimulée de tous, je m'y installe pour fumer quand le reste de la famille est absent, et je repère depuis mon perchoir le spot cigarette de ma mère, au sommet de la rue à l'orée de la forêt, c'est un banc isolé, c'est aussi là où on capte le réseau téléphonique de sa mobicarte pour tous les appels qu'elle ne peut pas passer avec le fixe, c'est la chambre des secrets, j'y fais griller des marshmallow à la bougie et j'y révise mon bac, j'y gratouille ma guitare et je crois bien que lorsque j'ai invité à dormir pour fêter mes 17 ans Lily, John, La Drey et le Benevent, ces derniers y ont fait l'amour, enfin c'est ce que Lily m'a dit le lendemain, moi je sais déjà que je n'y ferai jamais l'amour, que ça m'attend ailleurs, d'ailleurs l'amour s'en est allé.
La sixième est dégueulasse. Les murs puent la clope en permanence et je n'arrange pas les choses, la vue sur le parking est morose, tous mes voisins m'entendent quand je baise, les meubles universitaires sont en plastique et j'y suis souvent paisiblement en sous nutrition avec des sachets de thé lipton infusés plusieurs fois par économie, des gateaux achetés chez Aldi et des nouilles chinoises instantanées que je prépare en tournant à fond le robinet d'eau chaude puisqu'il n'y a rien pour cuisiner. C'est pourtant le premier endroit où j'ai dormi lourdement et paisiblement, le premier endroit où j'ai ressenti tellement d'émotions, le premier endroit où j'étais seule avec mon corps, comme un mollusque introspectif et paresseux. Je finis par la nettoyer toutes les semaines et par ne plus prendre le train pour rentrer car qu'est ce qui m'attend d'autre que ces 9 mètres carrés ?
Ha oui. La vie à deux.