Laisse moi voir venir le jour

[Manu Chao – La vie à deux]

La septième chambre est en vérité un salon-salle à manger dans un trois pièces où je suis installée par convention de jeune adulte, parce que nous avions besoin de place pour étudier et qu'il y a un bureau où ranger le mec. Dans le salon je dors par petits morceaux inquiets, je lis toujours, je tape mes rapports de stage j'ai installé la bouilloire, je mange mieux, je regarde des films et les premières séries télévisées, je suis très souvent à la fenêtre parce que la vue sur la cathédrale et sur la forêt noire est incroyable, je vois les tours tomber en direct, je vois le pont Churchill partir en morceaux, je vois la médiathèque pousser, je vois les squats du môle Austerlitz disparaître, je vois que j'aime ce quartier, je vois mon vélo garé en bas, je vois ma mère se garer en bas à 3h du matin je rafle tout ce que je peux sur l’étendoir à linge je mets n'importe quoi dans mon vanity, je gémis parce que j'ai fais trop de bruit, je descends vite vite avec mon petit sac je tombe dans les escaliers, je rentre une semaine après et je range les caleçons que j'ai commandés sur la Redoute, sans un mot, avec une mèche de cheveux brûlée au white spirit et dans mon sac le journal gratuit des petites annonces immobilières.

La huitième chambre brûle un jour d'hiver plein de neige et je n'ai jamais eu autant de peine, parce que je n'y ai jamais eu autant de joie. Le parquet est bleu, la connexion Internet est à moi, le balcon donne sur l'Allemagne, je me suis concentrée et j'ai choisi des rideaux, j'ai acheté un lit une place, et puis un lit deux places parce que quand j'attends que quelqu'un se gare c'est toujours quelqu'un qui va m'aimer, sur le parking un matin un garçon sort en se recoiffant, de la main gauche je lui fais un petit signe, de la main droite j'appuie sur le bouton de l'interphone pour ouvrir à celui qui a prit le train à 5h30 pour venir, ils se croisent mais ne se connaissent pas, le temps qu'il monte au troisième j'ai changé les draps comme dans cette pub Ikea. Dans la huitième chambre j'ai une armoire à glace parce que j'ai une haute opinion de moi même, nous avons dormi à huit la nuit de mes trente ans, j'ai déchiré des lettres romantiques, hurlé de fureur et de volupté, jeté une paire de chaussons par la fenêtre sur le type qui venait de me larguer et qui fuyait sur son vélo, écouté du rock indé en faisant fi de mes voisins, j'ai arrêté de fumer à l'intérieur, ensuite j'ai aussi arrêté de fumer, j'étais toute nue sur mon lit quand j'ai demandé quelqu'un en mariage par SMS, et puis j'ai tout vendu sur le bon coin, je suis revenue par le TGV deux mois plus tard pour rendre les clés.