Urgence toxique
« Aude tu peux relire rapidement et valider ? c'est vraiment pressé ! »
Le management par l'urgence
Je dé-teste le management par l'urgence. Je déteste quand on me demande de faire des trucs en « comptant sur ma réactivité » ou « ça serait bien que ça soit fait avant mercredi », pourquoi mercredi ? Aucune idée.
C'est insupportable parce que :
- J'ai une tonne de trucs à faire, j'ai besoin de hiérarchiser, et donc j'ai besoin de savoir pour quand c'est réellement. Si tout le monde me dit « au plus vite », je ne sais pas faire. Et si je veux répondre à toutes les demandes urgentes ou pressées de mon entourage, je vais finir en burn-out.
- En fait, il n'y a rien d'urgent. Je n'ai pas un métier où je sauve des vies. Je n'ai pas d'activité associative ou militante où je sauve des vies. Donc si le flyer ne part pas à temps, si la réunion est décalée d'une semaine, en fait, il ne se passe pas grand chose. À part le mécontentement de certaines personnes qui se font un honneur d'être réactives en toutes circonstances.
- Quand c'est urgent, on n'a pas le temps de réfléchir. Est-ce qu'il y aurait une meilleure manière de faire ? À quel problème cherche-t-on à répondre réellement ? ... Pas le temps, c'est urgent, dis oui, fait ce que je te demande !!! Vite !!!
- Souvent l'urgence est une excuse pour contourner les procédures, et pour voler du temps aux autres. « Oui oui on a une réunion demain mais je préfère que tu regardes aujourd'hui c'est vraiment urgent je me suis engagé. » Donc parce que Jean-Michel s'est engagé, je dois maintenant prendre sur mon temps pour lui résoudre son problème ?
- C'est en fait un comportement de manipulateur. Le manipulateur utilise l'urgence – et ma bonne conscience – pour me tordre le bras et essayer de me faire faire quelque chose que je ne veux pas faire.
C'est du management toxique de mettre en permanence une pression sur toutes les personnes avec qui on travail parce que c'est pressé / urgent. C'est une manière d'abuser du temps et de l'énergie des autres en se justifiant par le fait que « Ah mais elle pouvait dire non hein, je ne l'ai pas forcée à dire oui ». Non tu as juste envoyé 2 mails à 1 heure d'intervalle et un slack en disant à quel point c'était important pour le groupe / l'entreprise et que ça aiderait beaucoup si je le faisais vite.
J'ai évidemment rencontré ce comportement toxique dans le monde professionnel (vive la start-up nation où tout doit aller viiiite !), mais aussi dans le monde associatif ou militant. Et là ça me désespère.
Pourquoi ils font ça ?
Je ne suis pas dans la tête des manipulateurs qui veulent que je fasse des choses en me mettant en quatre même si je dis que je n'ai pas le temps. Moi, je suis plutôt dans la team des personnes qui écoutent d'abord les besoins des autres et qui ont toujours peur d'embêter.
Mais en en discutant autour de moi, j'ai quelques hypothèses sur ces personnes :
- Peut-être qu'elles gèrent leur charge mentale et leur anxiété en passant le bébé à quelqu'un d'autre.
- Peut-être qu'elles ne sont pas capables elles mêmes de prendre du recul sur la demande de quelqu'un d'autres qui leur met la pression, et du coup, elles poussent sur les personnes sous elles. Parce qu'on met rarement de la pression sur son patron, si ?
- Du coup, je me dis que c'est encore un mécanisme de pouvoir et de domination : en faisant ça, elles montrent leur importance et leur capacité à diriger les autres.
- Et peut-être ce sont juste des mouches du coche. Elles ont besoin de s'agiter pour exister et alors qu'elles empêchent tout le monde de travailler convenablement, elles sont convaincues de leur propre importance...
Répondre à l'urgence
Je ne remercierai jamais assez mon ancienne cheffe qui m'a appris à questionner les urgences et à ne plus les accepter comme “allant de soi”. Avant, j'écoutais les urgences des autres, les deadlines qu'ils me donnaient, et j'essayais d'y répondre, quitte à me lever à 4 heures du matin pour finir à temps.
1. Questionner
Mon ancienne cheffe m'a appris à ne plus répondre directement « oui », mais à questionner l'urgence. J'ai appris à poser des questions comme :
- Est-ce que ça peut attendre la réunion qu'on a déjà de prévue demain ?
- Tu as besoin de ça pour quelle date ? (par exemple urgent ça veut dire dans 2 h ou dans une journée ?) Un mastonaute me disait qu'il aimait demander : « C'est urgent pour quand ? »
- Quel est le risque si on ne fait pas ça pour demain ? (spoiler, 9 fois sur 10, rien).
2. Dire non
L'autre truc que j'ai appris, c'est à dire non. Enfin plus précisément à ne pas dire oui. J'ai appris à me demander ce qui serait un délai convenable pour moi. C'est encore work in progress mais j'y arrive de mieux en mieux. J'ai appris à répondre « Je pourrais le faire pour le XXX », sans m'excuser, sans expliquer. Le plus surprenant, c'est que souvent, ça suffit.
Mais avec certains forceurs, ça ne suffit pas. Soit il faut répéter non, soit je finis par craquer et le faire et je suis ensuite très en colère et j'écris un long article de blog...
Pour aller plus loin
- Il y a un livre qui m'a pas mal aidé à comprendre que toutes les personnes qui essaient de me forcer la main pour que je dise oui quand j'ai envie de dire non sont des manipulateurs. Ce livre qui m'a été recommandé par la psychologue du travail qui m'accompagne explique bien tous les mécanismes et donne des techniques pour s'affirmer face aux manipulateurs.
- Affirmez-vous face aux manipulateurs, de Frédéric Fanget et Odile Vincenti-Darbon
- J'ai récemment cherché des ressources sur l'urgence et sur la pression qu'on se met au travail, mais aussi dans nos associations et dans beaucoup trop de projet. Cet article m'a donné quelques références que j'ai envie de lire ... quand j'aurais le temps 😆