[Film] Vivant parmi les vivants
Quelques réflexions suite au visionnage du film naturaliste « Vivant parmi les vivants » de Sylvère Petit avec comme humain·es connu·es : Vinciane Despret, Hélène Roche et Baptiste Morizot. Ce film montre beaucoup d’animaux (du cheval de Przewalski à la mouche à viande), mais il s’intéresse en fait à tous les êtres sensibles, du peuplier d’Italie à l’humain, en passant par les insectes et les animaux domestiques.
Lien pour visionner le film (gratuit pour quelques semaines sur arte)
Quel type de film ?
Ce n'est pas un documentaire animalier
J'ai entendu (beaucoup) parler de ce film par Hélène Roche qui est une très bonne amie. Elle est éthologue, spécialiste du comportement des chevaux de Przewalski. Je savais que beaucoup de scènes avaient été tournées au Villaret (lieu d’hébergement d’un troupeau de chevaux de Przewalski sous la responsabilité de l’association Takh). Du coup je m’attendais à un genre de documentaire animalier.
Le dernier documentaire animalier que j’ai regardé c’était Microcosmos, et autant j’ai un bon souvenir de la bande originale, autant je me suis ennuyée ferme pendant le film. Mes souvenirs plus anciens sont des documentaires vus à la TV chez ma grand-mère avec la magnifique voix off : « et là… la panthère jaillit sur sa proie et ne lui laisse aucune chance »…
J'ai rechigné à regarder le film car je ne suis pas très friande de documentaires animaliers, et la bonne nouvelle, c'est que Vivant parmi les vivants n’est pas un documentaire animalier au sens où je l’entendais, et c’est une très bonne chose.
C'est un documentaire sur le vivant
C’est un film où on voit des animaux vivre sans voix off qui expliquerait ce qu'ils font. On voit à hauteur d’animaux, et on voit des humains, des animaux morts dans la nature ou sur l’étal d’un boucher, et des végétaux filmés comme les animaux. On voit des vivants.
Mais ce n’est pas un film sans narration à la microcosmos. La bande son parlée est construite avec des lectures des ouvrages de Vinciane Despret et de Baptiste Morizot, des dialogues entre Hélène et Baptiste, et des extraits de conférences données par Baptiste et Vinciane.
Le propos du film n’est pas de nous faire connaître les chevaux de Przewalski ni une autre espèce, mais plutôt de nous faire réfléchir sur la place des êtres sensibles non humains (les vivants) dans le monde des humains.
Un film magnifique
La première chose qui m’a marquée en voyant ce film, c’est la beauté des images. J’avais souvent envie de faire un arrêt sur image pour imprimer ce que j’avais à l’écran et en faire un poster. Tout est beau, sans donner l’impression d’images Disney ou produites par une IA. Il y a une sensibilité, des jeux de lumière, une attention donnée à ce qu’on ne regarde pas en général quand on vit comme un·e humain·e…
Je n’ai pas du tout une âme contemplative et je m’ennuie très vite (je ne promets pas ne jamais avoir scrollé un peu sur Mastodon pendant le film ). Mais en suivant l’œil du cameraman, il y avait en fait plein de choses à regarder. J’aurais presque aimé qu’on pousse le regard naturaliste en nommant les êtres que l’on voit comme les principages principaux sont nommés. Mais ça aurait été moins beau.
Quels liens entre un être vivant parmi les autres vivants ?
Ce que montre l’image
J’ai l’impression d’une description presque géographique des relations entre les différentes espèces présentes. On voit des espèces qui partagent un même lieu sans trop interagir.
Entre membres d'une même espèce : beaucoup d'interactions
Il y a beaucoup d’interaction intra-espèces : des humains qui parlent, des chevaux qui interagissent (conduite, jeux, grooming, …), des chiens qui « jouent », … On voit un rat, des pigeons, un goeland, des chiens dans un univers d’humains, mais pas d’interactions entre ces espèces.
La mort qui nous relie
Les interactions inter-espèces sont surtout des scènes où des animaux mangent des animaux morts : des très longues séquences de consommation d’une espèce par une autre : les pies qui mangent le renard mort, puis les vautours, les choucas, les insectes qui mangent le cheval mort, et les humains qui achètent des animaux morts et les mangent lors d’un repas convivial. Il y a aussi des interactions entre les animaux et les végétaux qui servent d’habitat, de nourriture ou de grattoir.
Et les deux seules interactions dont je me souviens qui sortent de ce schéma sont le moment où un chouca embête (interprétation d’humaine qui ne connaît pas du tout l’éthologie de ces animaux) et le moment où Vinciane Despret caresse machinalement la tête de sa chienne Alba.
Au final ça me donne une impression que, hormis par la consommation d’animaux morts, les animaux, et nous compris, n’ont pas de lien. Et ça me semble faux et triste.
Ce qui est dit
Il faudra que je réécoute, ou plutôt que je lise les livres de Baptiste Morizot (j’en ai un en cours de lecture) et de Vinciane Despret (j’ai déjà lu un de ses livres, mais assez ancien).
En vrac…
La crise de la sensibilité du vivant
L’une des thèses défendues par Baptiste Morizot est que la crise écologique actuelle est une crise de la sensibilité au vivant. Nous ne connaissons plus le vivant, et nous ne voyons pas, nous ne souffrons pas pour ce que nous sommes en train de perdre à grande vitesse. Il faudra que j’aille lire davantage car l’idée me plaît, mais j’en ai vu des mises en œuvre pédagogiques discutables… Mais j'imagine qu'une des idées de Sylvère Petit, le réalisateur, était de faire un très beau film pour nous (re)sensibiliser au vivant.
La place des animaux non humains dans les lieux de vie des humains
Vinciane Despret aborde l'idée de ne pas isoler l’homme des autres vivants en posant la question de la place des animaux dans notre société. Elle relate l’anecdote d’une exposition au palais Baubourg dans lequel les animaux n’ont pas le droit d’entrer, sauf par effraction. Elle dit que les animaux ont de moins en moins de place parmi les humains, j’ai perçu cette réflexion comme assez géographique, et je me suis posée la question des animaux de compagnie. Et moi je me demande : Y-a-t-il vraiment moins d’animaux auprès des humains malgré l’explosion des animaux de compagnie ?
Un regard d'humain sur les animaux
L’idée de Vinciane Despret selon laquelle on regarde les animaux avec un regard d’humains et qu’on leur pose des questions d’humains est un peu soulevée.
Le philosophe Baptiste critique l’éthologue Hélène Roche qui utilise un vocabulaire scientifique anthropocentré (dominant, leader). J’ai trouvé ce passage particulièrement gênant dans sa forme même si je suis d’accord avec le fond. J’ai eu l’impression d’un sorte de piège tendu pour mettre en valeur le philosophe car je sais qu’Hélène Roche connaît et partage ces critiques, mais que quand on lui demande de prendre la casquette d’éthologue, elle joue le jeu et utilise les mots dont les définitions ont été établie. Elle fait partie des observatrices des animaux qui sortent du carcan de l’éthologie moderne et des seules questions de dominance, leadership et capacités cognitives comme elle l’a montré dans son livre : Les chevaux nous parlent si on les écoute. Baptiste Morizot laisse Hélène Roche raconter une de ses anecdotes mais ça donne l’impression d’être comprimé entre ses réflexions.
Dans cette lignée de ce qu’on veut voir, ou pas, chez les animaux, Vinciane Despret rappelle qu’on voudrait que tout ce que font les animaux soit motivé par des raisons évolutives : manger, se reproduire, etc.
Mais pourquoi le bourdon copule-t-il avec l’orchidée qui ne lui apporte aucun nectar ? Peut-être par simple plaisir sensuel. Et peut-être même que l'orchidée trouve ça agréable.
Vinciane Despret aborde aussi le sujet de l’écriture chez les animaux qu’elle a exploré dans son livre livre « Autobiographie d’un poulpe ». Cette idée qu’on ne serait pas les seuls capables d’écrire, c’est-à-dire de laisser des traces qui font sens pour d’autres animaux, ou qui sont poétiques.
Ce qui m’a gênée
Un regard d’homme blanc
Un film d'homme
Oui il y a deux femmes et un homme. On est d'ailleurs quand même largement au dessus des films habituels quand même, puisque les femmes ne sont pas sexualisées, et 2 des protagonistes humains principaux sont des femmes.
Mais l’homme a un rôle central :
- Il parle avec chacune des femmes, mais les deux femmes ne parlent jamais entre elles (bonjour le test de Bechdel).
- Il se comporte avec Hélène d’une manière très paternaliste et mecspliquante,
Je ne sais pas si c’est la personnalité de Baptiste Morizot, ou bien le regard sexiste du réalisateur (qui est un homme vivant dans une société sexiste), mais les choix de montage montrent vraiment une asymétrie entre l’homme qui sait, qui explique, qui coupe la parole, qui parle plus longuement, et la femme « naïve » qui écoute. Il y a moins d’asymétrie entre Vinciane Despret et Baptiste Morizot. Je crois que j'aurais trouvé le film moins sexiste s'il n'y avait pas eu ces scènes de pseudo-discussions entre Baptiste Morizot et Hélène Roche.
Un entre-soi bourgeois
Ce film me donne aussi l’impression d’un entre-soi bourgeois blanc. Les protagonistes humain·es sont des intellectuel·les blanc·ches qui lisent, écrivent, et disent des mots compliqués. Il et elles ont une certaine complicité, et un certain surplomb sur les reste des animaux humains présents à l’écran.
Qu’est-ce qui aurait pu être différent ? Je serai curieuse de comprendre le choix des terrains, tous de France métropolitaine. Je suppose que c’est aussi une question de praticité, et que ça n’est pas simple aujourd’hui de filmer des chevaux de Przewalski en Russie. Mais on aurait peut être pu filmer des chiens féraux en Martinique ? Baptiste Morizot parle des peuples « primitifs » américains qui auraient connus les castors géants, peut être on aurait pu avoir des images de sources, ou bien même un entretien avec des descendant·es qui étudient les peuples premiers ? Baptiste parle à la fin de l’enjeu des luttes de protection d’éco-systèmes locaux, peut-être aurait-on pu voir des personnes qui mènent ces luttes et qui ne soient pas des écolos bourgeois blancs ? Ou même voir ces luttes dans les outremers ?
Où sont les liens ?
Et je suis aussi surprise (et j’avoue un peu déçue) de n’avoir vu aucune interaction réelle entre humains et animaux ou végétaux. Personne qui ne soigne, ne dialogue, n’écoute, ne joue, ne chasse, ne tue… Juste de l’observation à distance.
En regardant la filmographie de Sylvère Petit, je découvre qu'il a fait des court-métrages qui montrent d'autres relations avec les animaux, et d'autres protagonistes humains moins intellos. Je ne sais pas trop où ils sont visionnables, mais je serai curieuse de les regarder.