Grossophobie
Je suis née dans une famille grossophobe dans une société grossophobe. Je ne suis pas grosse aux yeux de la société, mais je vis, comme la majorité des femmes, avec cette culpabilité de ne pas être assez mince. Et avec l'injonction contradictoire dans ma famille d'intellos qu'il ne faudrait pas accorder d'importance au physique, car ça n'est pas ce qui compte.
Depuis 20 ans, j'ai compris beaucoup de choses, et récemment encore plus. Maintenant, j'ai envie de partager !
J'ai découvert la grossophobie
J'ai pris conscience de ce jugement sur le poids de toustes, enfin surtout des femmes vers 25 – 30 ans, grâce à Twitter. J'y suivais des comptes de femmes grosses qui racontaient leurs vies, et j'ai progressivement ouvert les yeux et compris des trucs.
Je me rappelle lire de nombreux témoignages de femmes découvrant les albums photos de leur enfance, à une époque où on leur reprochait déjà leur poids (médecin et/ou famille), alors qu'elles n'étaient pas du tout grosses. Elles partageaient leurs photos. Elles étaient peut être juste un tout petit peu plus rondes, peut-être avec des bonnes joues, mais franchement, pas grosses. Mais l'angoisse familiale et médicale qu'elles deviennent grosses leur étaient déjà tombé dessus, avec les injonctions à faire attention. Et j'ai compris que souvent c'était ce contexte, cette attention permanente portée au poids qui transforme un je ne sais quoi de l'adolescence en trouble du comportement alimentaire.
Je me rappelle découvrir les conséquences sur leurs vies de la grossophobie. Comment les médecins les soignent moins bien puisque de toutes façons, tous leurs problèmes doivent être liés à leur poids (spoiler : il y a beaucoup trop d'histoires d'erreurs médicales associées à leurs histoires). Comment les gens de la rue, leurs « ami·es » se permettent des commentaires et des conseils sur leurs poids et sur leurs habitudes alimentaires. Ces médecins qui conseillent à des femmes grosses d'arrêter d'aller au fast-food, sans savoir que ces femmes n'y vont jamais. J'ai découvert que nombre de ces femmes essayaient de ne jamais manger en public pour moins se sentir jugées.
Et enfin, j'ai découvert qu'une remarque qui me semblait anodine à moi, femme mince née dans une famille et une société grossophobe, était en fait violente et débile. C'est le compliment : « oh tu as perdu du poids, ça te va bien » et toutes les autres remarques sur la perte de poids. On veut faire plaisir, et on ramène l'autre à son poids, en lui signalant que dans notre société il y a un bon poids, et un mauvais. On le félicite peut-être pour un régime qui a de grandes chances de terminer avec un effet rebond et que la personne reprenne davantage de poids, et soit tentée de recommencer un régime encore plus drastique, qui fera un rebond encore plus haut. Et c'est comme ça qu'on passe de joues rondes à une obésité forte. Et puis surtout, une perte de poids c'est souvent associé à du mal-être ou à une maladie. J'ai en tête cette personne qui a perdu du poids, s'en est réjouie. Comme par chance elle n'était pas obèse au départ, son médecin a demandé un check-up santé. Elle avait déclenché du diabète et sa santé était en danger. J'ai lu plusieurs témoignages de femmes qui avaient été complimentées sur leur prise de poids alors que c'était lié à de la maladie ou à de la dépression.
Un super reportage sur Arte
Je me rappelle qu'on m'avait conseillé sur Twitter (à l'époque où ça n'était pas un empire nazi) un documentaire qui avait beaucoup bousculé mes convictions. Il était en accès libre à l'époque, aujourd'hui il est disponible en VOD.
Je me rappelle avoir compris avec ce documentaire que le surpoids c'est bien plus compliqué que « juste une mauvaise alimentation de quelqu'une qui ne fait pas attention » comme la société, ma famille, me l'avait fait croire.
Après ce documentaire, j'ai essayé de faire très attention pour ne plus être grossophobe dans mes actions et dans mes paroles. Et j'ai continué à lire pour être mieux informée. Pour autant, je n'ai pas réussi à diminuer le jugement que j'ai envers moi.
Un roman génial
10 ans plus tard, c'est sur Mastodon que je découvre une recommandation de lecture en lien avec la grossophobie : « The Fatness ». Je suivais depuis un certain temps son auteur Mark A Rayner, et je recherchais une lecture d'été. J'ai dévoré le livre qui est un roman très bien ficelé et plutôt drôle alors qu'il présente une dystopie terriblement réaliste.
J'ai adoré cette lecture. D'abord parce qu'elle m'a vraiment distraite, j'ai vraiment accroché à l'histoire. Ensuite parce qu'elle montre bien l'absurde et la violence de la petite grossophobie ordinaire de nos sociétés. Si on va au bout du raisonnement, le monde que l'on encourage est atroce. Enfin, parce que j'ai appris plein de choses sur l'aspect scientifique de l'obésité : comment on devient obèse, comment les régimes fonctionnent (mal), l'importance du sommeil et du stress, ...
Mon seul regret : que ce livre ne soit pas disponible en français pour le recommander et l'offrir en grand nombre !
Après la lecture de ce livre, j'ai passé un cap. J'ai décidé de ne plus laisser passer de paroles grossophobes autour de moi. J'étais récemment au bar avec une femme d'un cinquantaine d'année et une étudiante qu'elle encadre. On parle de l'été, et je fais une blague sur le fait qu'il faudra manger, au moins des cacahuètes. La chercheuse, sur le ton du second degré, répond : « Oh bah non, on veut quand même pas que XXX prenne du poids cet été ». Avant la lecture de The Fatness, ça m'aurait agacée, mais je n'aurais rien répondu. Là j'ai dit que c'était une remarque grossophobe et que le poids de XXX ne nous regardait pas. Qu'on n'avait pas à avoir de jugement. Elle a été totalement surprise, et m'a sincèrement dit qu'elle ne croyait pas que je pouvais penser ce que je disais. Que ça ne serait pas un problème si XXX prenait du poids. Et là, elle a dit quelque chose qui m'a vraiment choquée : « Est-ce que tu connais une chercheuse dans notre domaine qui soit grosse ? ». J'ai rigolé en demandant si c'était un des critères obscurs de sélection dans les comités ? Elle a dit « heureusement non »... Mais bon, après quelques échanges la conversation s'est arrêtée et l'étudiante m'a remerciée d'être intervenue.
Un podcast sympa
Et je termine ce billet de blog par un podcast que m'a recommandé récemment une amie sur un forum (oui, ma socialisation est majoritairement numérique 😆) :
- Vivons heureux avant la fin du monde, épisode : « Mince une injonction »
Dans ce podcast, Delphine Saltel démarre sur sa fille de 12 ans qui se trouve déjà trop grosse pour nous emmener dans une réflexion sur les injonctions à la maigreur de notre société.
Elle interroge des chercheurs et des chercheuses, et nous fait comprendre un peu mieux les mécanismes psychologiques qui font qu'on entend cette injonction... Avec cet épisode, on est un tout petit peu plus du côté des solutions que dans mes précédentes recommandations. Par exemple, à l'échelle de la société, ça serait pas mal aidant qu'on arrête de valoriser les maigres dans les publicités, dans les concours de miss et dans toutes les séries TV. Donnons tous les rôles aux gros, et pas juste le moche et méchant quand c'est un homme et la grosse rigolotte et sympa quand c'est une femme.
Je faisais déjà un peu attention à la représentativité des personnes dans les visuels quand j'en commandais pour des elearning, mais il va falloir que j'y fasse encore plus attention. Je pense par exemple à une affiche faite pour les écolos (pas par moi) où on voyait une famille modèle toute mince.
Conclusion
J'écris sur un sujet qui me touche, mais où je suis plutôt du côté des oppresseurs étant une femme plutôt mince. J'espère avoir réussi à ne pas être contre-productive dans cet écrit, en ne parlant pas à la place des personnes concernées en ramenant la couverture à moi 🫣. Je suis preneuse de tout feedback, ainsi que d'autres références à partager, et des voix à faire entendre.
Et pour poursuivre la discussion, on peut se retrouver sous ce fil sur mastodon comme je ne sais pas activer les commentaires sur ce blog, et que j'ai hâte de vous lire !