Mais ce qui compte, c’est que les gens étaient très contents !

Un article de blog pour prendre du recul sur des conversations dans lesquelles je ne me suis pas sentie entendue, et qui m'ont énervée.

Petite déception, grosse frustration

Récemment, je participais à l’organisation d’un évènement militant. J’avais travaillé avec une autre personne sur un programme qui a été chamboulé pour plusieurs raisons. La commande n’avait pas été claire et des besoins de faire autre chose sont apparus dans le groupe au fur et à mesure de la journée. Nous nous sommes adaptés, le groupe était ravi, mais j’étais déçue. Déçue de ne pas avoir compris la commande qui n’était pas claire. Déçue que personne ne reconnaisse le travail fait qui était désormais considéré inutile.

Pour autant, j'avais bien conscience qu'avec les collègues de l'organisation on avait bien travaillé tout au long de l'évènement et que les gens étaient contents. J'avais bien conscience qu'on avait eu la bonne réaction en changeant le programme. Juste, l'émotion qui dominait à ce moment là était de la déception.

Plusieurs personnes sont venues me parler du déroulé de l'évènement. Ces conversations m’ont énervée plus qu'elles ne m’ont consolée.

Une première conversation à la pause, alors que j'étais en train de digérer la ré-orientation de l'évènement.

  • Alors vous êtes contents ? Tout se passe comme vous voulez ?
  • Pas vraiment, notre organisation a été ... 
  • Ah non mais t’inquiète pas, c'est très bien comment ça se déroule, et puis c’est toujours comme ça, c’est jamais ce qui était prévu qui se passe. On avait besoin de parler.

Cette conversation m'a énervée. Je ne me suis pas sentie écoutée, et pire, j'avais l'impression que la personne me laissait entendre que j'étais une débutante dans cet exercice.

Sarah Durieux dit que nous sommes souvent à la recherche de reconnaissance. Je n'y échappe pas. Je crois que le fait que personne ne s'excuse ou ne soit un minimum désolé de bousculer l'organisation qu'on avait travaillé avec mon collègue me vexe. Je ressens un manque de reconnaissance du travail qu'on a fait. J'ai eu le sentiment tout au long de l'évènement que notre principale valeur ajoutée avait été d'ouvrir les portes, de préparer la salle, et de coordonner le rangement à la fin. J'ai eu l'impression que le fond de ce qu'on avait fait, là où je nous (me) perçois une valeur ajoutée, n'avait pas été remarqué, et ça m'a frustrée.

En fin de journée, l'une des personnes qui a partagé l'organisation avec nous me demande :

  • Bon, alors vous vouliez débriefer. T'en a pensé quoi ?
  • Je suis déçue que le travail qu’on a fait n’ait ...
  • Nan mais c’est pas grave, ce qui compte c’est que les gens étaient très contents ! On apprend à travailler ensemble.
  • OK.

Je me suis de nouveau sentie non écoutée, mais en pire puisque la personne m'avait laissé entendre qu'elle était prête à m'écouter pour qu'on débrieffe. Quand elle me dit que ça n'est pas grave, j'entends vraiment que mes émotions ne sont pas légitimes, et que je suis une petite fille fragile un peu neuneu et pas une vraie pro de l'organisation comme elle.

Poser des questions, mais ne pas écouter la réponse

Je me rappelle que ma mère nous disait souvent :

«  Ne pose pas la question si tu ne veux pas écouter la réponse. »

Et là, c'est vraiment ce que j'ai ressenti. Ces personnes m'ont posé une question, mais elles ont refusé d'écouter ma réponse. Dans mon souvenir, elles m'ont coupé la parole pour me dire qu'il fallait que je vois le positif : les gens sont très contents.

Pourquoi on n'écoute pas ?

Je ne suis pas certaine de pourquoi ces personnes m'ont posé des questions et n'ont pas voulu entendre ma réponse.

Le mythe du positivisme

J'imagine qu'elles pensaient que j'avais peur que les gens ne soient pas contents et qu'elles ont voulu me rassurer. Ou bien qu'elles ne voulaient surtout pas qu'il y ait quoi que ce soit de négatif comme feedback. On doit toujours faire comme si tout allait bien.

Stay positive !

J'ai l'impression que dans nos milieux, il y a un mythe qui dit qu'on ne doit jamais être négatif.

Je me rappelle une militante à la fin d'une fresque du climat. On nous demande nos émotions, et je dis que je n'ai plus beaucoup d'espoir. Elle m'engueule pour me dire qu'on n'a pas le droit de baisser les bras, il faut rester positif et garder espoir. Je ne me suis pas sentie écoutée, et j'ai eu l'impression que notre relation se distendait.

Le mythe du collectif supérieur aux individus

Quand je repense à ces échanges qui m'ont énervée, j'y vois aussi un autre problème des collectifs. On dit souvent que ce qui compte, c'est que le groupe soit content. Comme si le groupe comptait davantage que les individus qui le constituent. Ce n'était peut-être pas le message souhaité, mais moi j'ai entendu :

Ce n'est pas grave que tu sois déçue du moment que le groupe est content. Tu dois te sacrifier pour le groupe. Tu n'as pas le droit de te plaindre.

J'ai trouvé ça particulièrement difficile dans un évènement que nous avions construit autour de la question du soin de nos collectifs (au sens du livre de Sarah Durieux).

Une écoute active

J'ai voulu écrire un article de blog car j'avais besoin d'analyser ce que j'avais ressenti, et je ne sais le faire qu'en écrivant. En plus, je suis certaine qu'à d'autres moments, je suis la personne qui n'écoute pas. Je profite de ces deux réponses qui m'ont blessée pour en faire quelque chose de positif : une situation d'entraînement pour travailler mon écoute active.

Le premier dialogue, en version écoute active.

  • Alors vous êtes contents ? Tout se passe comme vous voulez ?
  • Pas vraiment, notre organisation a été chamboulée et on a travaillé pour rien.
  • Vous aviez beaucoup travaillé pour l'organisation et vous avez l'impression d'avoir travaillé pour rien. [reformulation]
  • Oui, mais bon, je vois bien que le groupe en avait besoin. Juste ce qu'on fait là on aurait pu le faire en visio.

Pour ce dialogue, je reprends l'une des techniques de l'écoute active : reformuler ce qui vient d'être dit pour montrer qu'on a écouté et vérifier qu'on a bien compris le point de vue de la personne qui parle.

À la fin de cet échange, la personne ne m'a rien apporté comme information, mais je me sens écoutée et ça m'apaise. Une fois que cette émotion est entendue, je peux passer plus facilement à l'analyse de l'évènement produit et au fait que le groupe est content.

Le deuxième dialogue, en version écoute active

  • Bon, alors vous vouliez débriefer. T'en a pensé quoi ?
  • Je suis déçue que le travail qu’on a fait n’ait servi à rien.
  • Du coup tu penses que l'évènement n'a pas été réussi ? [Question fermée]
  • Non, je vois bien que c'est ce dont les gens avaient besoin. Mais je trouve qu'on aurait pu faire ça en visio et je suis agacée de ne pas avoir eu toutes les infos pour préparer correctement cet évènement. Il fallait toujours aller vite pendant les préparations, et à la fin, on a travaillé pour rien.
  • Qu'est-ce que tu voudrais qu'on retienne de ça ? [Question ouverte]
  • Bah déjà qu'on mette en place des visios régulièrement, et puis qu'on organise différemment la préparation en identifiant mieux les rôles de chacun·e.

Je pense que je me sens un peu moins écoutée dans cette version que dans celle du premier dialogue, mais j'aime qu'on aille sur les solutions. J'ai l'impression du coup que ma déception va servir à quelque chose, que le groupe grandit et que je ne vais pas me retrouver dans la même situation la prochaine fois.

Des compliments qui touchent

Evidemment, à la fin, nous avons eu les remerciements d'usage. « Merci pour l'organisation, c'était super, on vous applaudit bien fort. »

Je ne sais pas ce qu'ont ressenti les autres, mais moi, pas grand chose de positif. J'aurais été encore plus déçue de ne pas être remerciée du tout, mais j'avais l'impression que ces remerciements étaient très généraux et creux. Je ne vois pas de circonstances dans lesquelles on aurait dit moins.

Je repense aux livres que j'ai lus sur la communication efficace (et en particulier celui sur les manipulateurs qui font qu'on dit oui à des choses où on aurait voulu dire non1). Un compliment sincère est un compliment qui porte sur un point précis.

Je crois que ma petite personne rabougrie (comme dit Sarah Durieux dans son livre) aurait été nourrie si on avait complimenté l'organisation pour la construction des ateliers, et pour sa capacité d'adaptation pendant l'évènement.

Suis-je une petite chose fragile ?

J'ai répondu à l'une des personnes que je ne me sentais pas écoutée, mais la discussion a été coupée ensuite. Je me suis sentie un peu merdeuse.

Suis-je une petite chose fragile un peu chiante alors que les autres savent prendre de la hauteur ?

Je doute facilement de ma légitimité à exprimer mes besoins. J'ai grandi avec la croyance que ceux des autres doivent passer avant les miens.

Je repense au livre de Sarah Durieux qui a tout un chapitre sur la critique constructive et le feedback. Un collectif fonctionnel est un collectif dans lequel on encourage la critique constructive. Ces critiques permettent d'améliorer le fonctionnement du groupe mais aussi de diminuer les frustrations des un·es et des autres.

En repensant à son livre, à d'autres que j'ai lu, je me dis que ma frustration est légitime, même si c'est une petite chose. Ce n'est pas une aussi grosse blessure que celles qui ont été partagées par les autres membres. Mais je l'écris pour me convaincre (sans trop de succès) : j'avais le droit d'être déçue et de souhaiter que ça soit entendu.

Nous allons avoir un moment de débrief plus structuré prochainement. J'espère que j'arriverai à exprimer ce qui m'a frustré sans me sentir illégitime. J'espère que cela contribuera à faire grandir le groupe plus qu'à me faire passer pour la pénible de service. Et j'espère que toi, lecteurice, tu auras trouvé de quoi te nourrir un petit peu dans ce partage d'expérience et de ressenti...

Pour aller plus loin