Qui décide qu'on a été un·e bon·ne allié·e ?
« Je crois qu'on n'a rien à se reprocher, on a fait ce qu'il fallait. » « Je suis un homme féministe. » « J'ai agi par sororité. »
« Je crois qu'on n'a rien à se reprocher »
Je fais partie d'un groupe qui a géré un incident de violences verbales il y a quelques temps maintenant. Après la séquence, un homme m'a dit : « Je crois qu'on n'a rien à se reprocher, on a fait ce qu'il fallait faire », sous-entendant qu'on avait très bien réagi.
Je ne suis pas convaincue qu'on ait très bien réagi, mais je ne suis pas non plus convaincue de l'opposé.
Après avoir raccroché de notre conversation, j'ai réalisé ce qui m'avait gênée. Ce n'est pas à nous de décider de si on a bien réagi ou pas. On peut à la rigueur juger de si on a suivi les procédures ou pas. Et dans notre cas, il n'y avait pas de procédures.
En fait, il n'y a que les victimes qui peuvent réellement juger de si on a été un·e bon·nne allié·e, de si on a été à la hauteur. Et la seule manière de le savoir c'est de leur demander, et on ne l'a pas fait. Donc on ne sait pas si on a fait ce qu'il fallait. On a fait ce qu'on pensait qu'il fallait faire, petite nuance.
« Je suis un homme féministe »
Je parle souvent de féminisme, alors j'ai souvent entendu des hommes me déclarer qu'ils étaient féministes. De vrais alliés pour la cause. Au moment où j'écris ce billet de blog, je repense à trois d'entre eux :
- L'un m'explique qu'il a connu les vraies années du féminismes (les années 70-80) et que le féminisme est une valeur très importante pour lui. Pourtant, il monopolise la parole lors de nos échanges et passe beaucoup de temps à m'expliquer des choses que je sais déjà, voir que je lui ai dites.
- Le second m'explique que le vrai problème des femmes ce n'est pas l'écriture inclusive, mais le fait qu'elle ne soit pas aussi bien payées que les hommes à travail égal. Je lui réponds que le vrai problème des femmes c'est quand ce sont les hommes qui décident pour elles de ce que sont leurs vrais problèmes.
- Un troisième m'explique qu'il apprend et qu'il n'y connait pas grand chose en féminisme comparativement à d'autres hommes du groupe qui connaissent des mots compliqués comme l'intersectionnalité. Pourtant, c'est l'homme qui a le moins de comportements virilistes de notre groupe. Vu de ma fenêtre, c'est le plus féministe.
Pour moi les deux premiers ne sont pas des masculinistes toxiques. Mais les deux ne sont pas franchement des féministes engagés. Ils auraient beaucoup à apprendre et à déconstruire pour être de bons alliés. Ils gagneraient à écouter pour de vrai les femmes qui les entourent sur ce qu'ils peuvent faire pour elles comme le fait le troisième larron de mon histoire.
Une bonne alliée des copines ?
En écrivant ce billet, je repense à deux évènements où je pouvais être la bonne alliée.
Quand j'ai merdé et qu'une copine m'a dit que j'avais agit par sororité
Récemment j'ai merdé. Une femme m'a confié un incident qu'il lui est arrivé, je l'ai écouté, je l'ai crue, et je l'ai soutenue.
Le lendemain j'ai eu l'impression qu'il était important que j'en parle à une amie qui s'entend bien avec les personnes impliquées, car elles ne se rendent pas compte de l'impact de certains de leurs comportements. J'avais l'impression qu'on pouvait améliorer les choses.
Quelques heures plus tard, j'ai réalisé que j'avais surement merdé : je n'avais pas demandé si je pouvais ou devais en parler. J'ai recontacté la personne qui s'était confiée, et effectivement, elle ne souhaitais pas que j'en parle. J'ai alors exprimé mes remords à ma copine, et je lui ai dit que je m'en voulais. Elle m'a répondu que j'avais agit en pensant bien faire, par sororité, donc je ne devais pas m'en vouloir.
Et là, le mot sororité a sonné très faux pour moi quand elle l'a dit.
Ce n'était pas de la sororité même si quelque part je voulais aider des femmes. C'était plutôt une forme de paternalisme : Je me suis autorisée à penser à la place de la personne ce qui serait bien. La seule personne qui aurait pu me dire que c'était de la sororité, c'est la personne concernée, et j'ai bien l'impression qu'elle ne l'a pas vécu comme ça.
Quand j'ai bien réagi
Il y a quelques temps, un Jean-Michel Boomer a été pénible avec une copine. Rien de très grave, mais un petit mansplaining comme il sait bien faire. J'en ai parlé avec la copine et je lui ai demandé si elle voulait que je lui réponde en privé. J'avais le statut dans ce groupe pour le faire, elle m'a dit que oui, ça l'arrangeait si je lui écrivais. J'ai donc écrit à Jean-Michel Boomer un message mesuré car ce n'était pas moi la victime, donc c'était plus facile que pour ma copine. Et j'ai ensuite montré le message à ma copine.
Quelques semaines plus tard, elle m'a dit qu'elle l'avait vraiment vécu cet évènement comme un moment de sororité. Moi j'avais vraiment l'impression de pas avoir fait grand chose. Ça m'a fait vraiment plaisir d'avoir été sur le coup une bonne alliée.
Poser la question
Ces trois petits incidents m'ont fait réaliser deux choses :
- Ce n'est pas aux alliés de décider qu'ils sont de bons alliés. Ce n'est pas aux hommes de se déclarer féministes : c'est aux femmes autour d'eux qu'il faut le demander.
- On devient un·e bon allié·e en demandant leur avis aux victimes d'oppression
Pour être une bonne alliée, je ne dois pas penser à la place des autres. Je dois leur demander :
- Comment iels ont perçu mon action ?
- Qu'est-ce que je peux faire pour les aider ?
J'espère qu'avoir écrit ce post va m'aider à moins merder dans le futur.