Ces objets qui parlent

Le tiroir coince un peu. Je force légèrement, ça râle, puis ça cède. J’y glisse la main sans regarder, juste au toucher, et quand je la retire, j’ai trois CD entre les doigts.

Lalanne. Donna Summer. Anathema.

Je les pose devant moi comme trois cartes tirées d'un jeu étrange. Je ne sais jamais lequel me surprend le plus : le romantique un peu lunaire avec sa maison du bonheur, la diva disco qui brille même dans l’ombre, oh i feel love ! ou les frères sombres d’Anathema qui me parlent comme si j’étais seul au monde. Trois morceaux de moi, tirés au hasard, mais jamais vraiment par hasard. Le tiroir est encore ouvert, comme une invité. Un clin d'œil. – Encore ! Alors je replonge la main à l'aveugle. Les objets viennent à moi comme ils veulent. Cette fois, mes doigts accrochent un fin boîtier. Je le reconnais tout de suite : Shine. Je sens presque Rachmaninov faire vibrer le piano à travers le plastique du DVD, comme si le film me disait : « Tu te souviens ? »

Je le pose à côté des trois CD, et l’ensemble ressemble maintenant à un Cairn improbable : le disco, le rock brumeux, la poésie, et un pianiste en éclats de lumière.

J'ouvre un peu plus le tiroir, et ma main tombe sur un livre — L’ami retrouvé. Il a pris un peu d’âge. Je le dégage. Un petit souffle de poussière s’élève, comme un soupir retenu depuis trop longtemps. Le tenir me serre la paume, comme si l’histoire n’avait jamais vraiment fini de me parler. Je le garde entre mes mains un instant, ensuite je le pose avec les autres, comme une pièce en plus dans un puzzle.

Ma main repart encore, plus en profondeur cette fois, là où les choses se cachent. Je touche du métal froid. La montre de mon père. La sensation me traverse d’un seul bloc : pas de tic-tac, pas de mouvement, mais quelque chose qui bat quand même — dans ma poitrine, pas dans le boîtier. Je la sors, je la retourne, je reconnais les petites griffures. Elle ne donne plus l’heure, mais elle donne une mémoire. Ça suffit.

La carte de fête des pères apparaît juste derrière, un peu pliée, un peu fragile. Je la prends, je lis à peine — je n’ai pas besoin de lire. Le papier se souvient à ma place.

Je fouille encore. Et je tombe sur la photo. Mon amour beauté sublime. Un bébé dans ses bras. Je ne la regarde pas longtemps : juste assez pour que quelque chose chauffe, juste assez pour que quelque chose refroidisse. Je la pose autrement, légèrement décalée, comme si elle avait son propre territoire sur la table.

Tout au fond, près de la paroi du tiroir, ma main rencontre du bois. Je le sais avant même de le remonter. Le badge. Ma tortue avec mon prénom. Je le fais tourner du bout du pouce : elle a le même sourire qu’à l’époque, le même air de dire : « Allez, on y retourne. » ou « Je fais comme je peux ».

Je la pose près de la montre, et bizarrement, ça fait une belle paire.

Voilà tout ce petit monde devant moi, sorti juste par les gestes, sans réfléchir, comme ça, sans trier. Chaque objet s’est présenté lui-même pour me dire : « Je suis encore là. »

Et je souris un peu, sans raison, juste parce que le tiroir m’a rendu ce qui ne s’était jamais vraiment perdu. Chaque CD, chaque photo, chaque carte ou badge me murmure un instant de vie, une histoire que je peux presque toucher, sentir, rappeler. Le temps n’a pas effacé ces morceaux de moi ; il les a juste mis sur « pause ». Et maintenant, ils revivent devant mes yeux.

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