J'y vais mais j'ai peur
Journal d'une navigatrice
de Clarisse Cremer et Maud Bénézit
Bd sympa à la Marion Montaigne (en plus consensuel) et bourrée d'infos passionnantes sur la navigation en mer durant un Vendée Globe. On note toutefois une évacuation très rapide de trois choses : l'argent, le collectif et l'écologie au profit d'un roman autocentré à la sauce développement personnel.
Ainsi, comme par magie, Clarisse trouve ses premiers sponsors. Ainsi, comme par magie, la Banque Postale la contacte pour lui proposer le Vendée Globe. Il s'agit de trouver des millions mais finalement, en trois cases, c'est résolu. Fascinant. Pourtant il aurait été pertinent de parler des accointances entre la banque et cette fille d'école de commerce. Une des leurs qui part en mer. Le narratif est parfait et contente les clients les plus importants.
De la même façon, le collectif est évacué très rapidement. Une page ou deux au début de la BD et on oublie vite l'équipe restée à terre ainsi que le conjoint. Tout ne tourne qu'autour de l'héroïne, ses doutes internes, ses échecs et ses réussites.
Comme une lueur d'espoir, p167, il y a, avec le passage du Cap Horn, une critique de l'idéalisme mais une fois le “nuage noir” passé, le retour de l'individualisme est total et c'est avec ahurissement que je suis arrivé p180. Ici, commence un chapitre sur l'écologie. Sur une case, tout est évoqué en minuscule : réchauffement, acidification, perte de la biodiversité,... Une des premières réflexion est : “Je me sens perdue face à tout ça.” La page suivante se résume à : “Pas d’autoflagellation”. Et p182, c'est déjà terminé. Ciel bleu. On passe à autre chose. Deux pages, deux petites pages sur la tragédie du 21ème siècle. Hallucinant mais est-ce étonnant ? Sûrement qu'à la troisième page, il aurait fallu critiquer le responsable du désastre : le capitalisme et ainsi son propre sponsor, la Banque Postale. Difficile grand écart.
Nouvelle lueur d'espoir p201 : “ Je n'étais pas si seule finalement.” Comme un aveu d'une individualité qui a oublié tout le collectif humain qui la soutient depuis tant de mois. Mais je suis de mauvaise foi. L'évocation de l'équipe et les remerciement reviennent régulièrement. Cependant, il y a ce perpétuel questionnement sur soi, sur sa légitimité, sur son dialogue interne qui noie complètement la question du groupe. Il y a même une célébration de l'individu pur qui n'a pas besoin des autres, qui pourrait bien resté seul ad vitam. Après tout, le capitalisme n'est-il pas l'enfant des marins commerçants ? Sans attache, fluide, libre, liquide, loin du paysan bourru et réfractaire.
Heureusement, de la p207 à la p211, la question féministe est abordée plus longuement. C'est nécessaire mais sûrement insuffisant. Encore une fois, je trouve ça très autocentré et dépolitisé mais c'est déjà ça.
Pour résumé, J'y vais mais j'ai peur est un chouette roman bourgeois que j'ai lu d'une traite avec beaucoup d'intérêts mais qui m'a laissé un goût amer (salé ?) dans la bouche.