Ensauvagement à tous les étages
C'est la nuit, il pleut, je dirige mon vélo sur la piste cyclable en regardant au-dessus de mes lunettes constellées de gouttes de pluie. Un peu plus haut la piste est encadrée par deux blocs de pierre bleue, et les ¾ du passage sont occupés par une voiture. Encore un pour qui tout ce qui compte c'est de pouvoir arrêter sa caisse où bon lui semble. Plusieurs hommes sont regroupés là. Tout en m'approchant je donne un coup de sonnette : « Bon, y a moyen de passer ?! » « Ho, tu vois pas que la voiture est bloquée ? » « Oh, d'accord, j'avais pas vu. » Voiture noire sur macadam luisant de pluie, je ne pouvais pas voir que la roue avant était passée par-dessus le bloc et que le chassis reposait à présent dessus. Quelques quolibets fusent pendant que je me faufile dans l'espace restant, rien de bien méchant, pas de quoi fouetter un chat. Sauf pour un hargneux, le genre grande gueule de caniveau qui n'hésite pas à lâcher un « baiseur d'enfants ! », suscitant quelques rires bêlants.
Voilà où on en est. Pour une broutille on se ramasse les insultes les plus outrageuses. Et pour voler un portable, deux adolescents n'hésitent pas à en tuer un troisième à coups de couteau.
Aux couches dites supérieures de l'échelle sociale, ce ne sont plus les couteaux qui jaillissent, mais le principe est le même : j'ai la puissance, j'ai des envies, je me sers. Parce que tel est mon bon plaisir. Que ce soit par les armes ou par l'argent, la puissance sert les intérêts personnels de ceux qui la possèdent au détriment du bien commun. Loin d'être les sages dont l'humanité aurait besoin pour assurer sa survie, les maîtres du monde sont des monstres d'égoïsme, de cupidité et de vanité, certainement conscients des temps cataclysmiques qui s'annoncent mais bercés par l'illusion que leur pouvoir les protégera du chaos. Aucune valeur humaniste n'encadre leur intelligence. Pour eux, l'humanité ne vaut que pour les services qu'elle peut leur rendre. Ils représentent la part sombre de l'humain, et porte celle-ci en modèle à suivre.
Aujourd'hui on commémore les 80 ans de la libération des camps d'Auschwitz-Birkenau. Nuit et brouillard.