L’écologie n’est pas compatible avec le capitalisme. Si elle l’était, elle bénéficierait aujourd’hui des moyens d’action et de mobilisation de ceux qu’on appelle les nantis. Lorsque McDo a l’audace de vouloir s’implanter près des écoles des nantis de Tervueren, ceux-ci parviennent à lui tenir tête. Mais la mobilisation s’arrête aux portes de Tervueren. La multinationale peut continuer à s’étendre dans les quartiers moins favorisés. Si l’écologie était compatible avec le capitalisme, Alexander De Croo n’aurait pas déclaré « il ne faut pas surcharger la barque » lorsqu’il est apparu que les quelques mesures environnementales tout juste promulguées risquaient de brider les perspectives de croissance des groupes industriels concernés. Si l’écologie était compatible avec le capitalisme, les manifestations d’agriculteurs auraient amené la Commission européenne à suivre les revendications qui s’attaquaient au libre marché plutôt que de mettre son green deal à la poubelle. Si l’écologie était compatible avec le capitalisme, on n’aurait pas entendu le président Macron ironiser sur le mode de vie des amish, et il n’aurait pas détricoté les recommandations faites par la Convention Citoyenne qu’il avait lui-même promulguée. Ce ne sont là que quelques exemples. Evitons de parler des centrales nucléaires pour ne pas trop remuer le couteau dans la plaie... L’écologie est aussi opposée au capitalisme que l’est le communisme. Face à ces deux idéologies basées sur l’économie, l’écologie doit se présenter comme une troisième voie basée sur la nature, laquelle impose des limites planétaires aux activités humaines, tout en s’assurant d’une juste répartition des contraintes et des bénéfices. Car il y aura des bénéfices, non pas financiers mais en termes de mieux-être et de relations sociales. C’est la promesse qui peut être faite, pour autant qu’une attention suffisante soit portée à la justice sociale. Il faut s'attaquer au système plutôt que d'inciter les citoyens à changer leurs comportements alors que le système leur offre des tas de raisons de ne pas bouger. Les gens changent d’eux-mêmes si le système leur offre une alternative désirable. Déjà les gens consomment différemment bien que la publicité ne cesse de les attirer vers le clinquant, l’éphémère, le futile, le toxique. Les gens voyageront différemment si les coûts de déplacement incluent les coûts écologiques, et si les medias arrêtent de se précipiter à l’aéroport à chaque départ de vacances. Une minorité de belges prend l’avion. A l’échelle mondiale, seuls quelques pourcents de privilégiés utilisent ce moyen de transport. Mais qu’on regarde la télé, qu’on lise un magazine ou qu’on suive une influenceuse qui sévit sur internet depuis son appartement à Dubaï avec vue imprenable depuis son balcon, la vie semble impossible sans avion et/ou SUV, de préférence électrique parce que « c’est bon pour la planète ». Ca, c’est la recette libérale pour, avant toute chose, satisfaire l’appétit d’une logique économique qui a absolument besoin de croître pour continuer à fonctionner. Dans cette logique il est permis de parler d’écologie à la marge, et encore celle-ci est-elle priée de céder la place dès qu’un grain de sable ralentit la machine. On le voit et on continuera à le voir, les catastrophes naturelles (inondations, tempêtes, sécheresses, pandémies) ne provoquent rien d’autre que des accoutumances au malheur, parce que les gens ne voient pas d’alternative à la société de consommation, de laquelle ils continuent donc à vouloir bénéficier un peu plus en votant PTB. Les communistes, en refusant le pouvoir tant que les conditions ne leur permettent pas d’imposer leurs vues, ont bien compris qu’ils ne sont pas solubles dans le capitalisme, à l’inverse des socialistes qui, historiquement, se sont distanciés des premiers en prétendant pouvoir combattre le capitalisme de l’intérieur. On sait ce qu’il en est advenu, et s’ils ont accédé au pouvoir, ils n’ont pu le faire qu’en se compromettant et grâce à quelques décennies de croissance économique suffisante pour leur permettre de redistribuer au petit peuple quelques miettes du festin. Maintenant que le festin touche à sa fin – malgré ce que veulent croire les libéraux – ils paient le prix de leurs compromissions. Ecolo fait la même erreur que le parti socialiste, alors que le temps de l’opulence a disparu et que les conséquences des décennies d’insouciance se font sentir de plus en plus lourdement. Sans perspectives d’avenir, les électeurs se tournent vers les enfumeurs. Certains font croire que la high-tech résoudra tout demain, d’autres se recroquevillent chez eux en pointant comme responsables ceux qui veulent fuir des conditions de vie souvent mises à mal par nos propres exigences de consommation. Redisons-le : l’écologie n’est pas compatible avec le capitalisme, à moins d'apparaître comme punitive et d’être accusée de retour à la bougie. Si elle veut triompher, l’écologie politique doit en prendre conscience et en tirer les conséquences. Le communisme aurait pu être une voie à suivre s’il n’avait pas fait la preuve de son caractère utopique et s’il n’avait pas, lui aussi, le contrôle de l’économie comme base idéologique. Reste alors à proposer une troisième voie, celle d’une humanité indéfectiblement dépendante de la nature. L’homme est un animal social, dit-on. Dans cette expression comme dans celle du développement durable, c’est le premier mot qui compte, mais le sens qu’on leur donne est dévoyé. On accuse un délinquant de se comporter comme un animal, et le développement n’est vu qu’au travers du prisme économique. En conséquence, on se détourne de son animalité et on se convainc que l’homme ne peut se développer qu’en accroissant son économie. C’est aussi utopique qu’erroné. Il est urgent de retrouver son animalité sociale, et d’élever le développement humain au-dessus du développement économique. Nous avons acquis la croyance que le premier était une conséquence naturelle du second. Pourtant l’homme n’a cessé de grandir tout au long de son histoire alors que le concept de développement économique est tout récent. Plus précisément, il est apparu en 1949 dans le discours de deuxième investiture du président états-uniens Truman. Dans ce discours le sous-développement était présenté comme une situation dans laquelle un pays était incapable d’assurer les besoins de base de sa population, situation qui pouvait et devait être combattue grâce au développement économique. De facto, le développement économique devenait incontournable et indispensable au développement humain tout en ne souffrant d’aucune limite à son expansion. Alors que les zones en sous-développement se sont fortement réduites dans le monde et que les pays développés ont largement dépassé le stade de la satisfaction des besoins de base, l’idéologie capitaliste basée sur l’accumulation de richesses privées ne peut que poursuivre sa course mortifère, quitte à provoquer la sixième extinction de masse de la biodiversité. La société de consommation est condamnée. Un nouveau projet de société doit émerger, et l’écologie peut le faire naître. A défaut, c’est la démocratie qui disparaîtra. Déjà, la peur et le repli sur soi s’installent partout, alimentés par des populistes haineux. Il est urgent de faire société autour d’un nouveau projet.