“Apprivoiser l'ombre”
Lors de la cérémonie d'hommage qui fut rendue à mon amoureux, début septembre, j'ai lu ce poème de René-Guy Cadou :
Pour apprivoiser l'ombre Il me suffit d'un arbre
Pour approuver le vent Il me suffit d'une herbe
D'un souvenir Pour que le ciel s'éclaire
De ton regard Pour donner sens au monde
Alors, comment ça se passe pour moi, maintenant qu'il n'est plus là, que je n'ai plus son regard pour donner sens au monde ?
Les lignes bougent, imperceptiblement. Le chagrin ne m'étouffe plus constamment, il y a des moments où je me sens bien et où j'intègre complètement la solitude qui est désormais la mienne. Il y a des jours sans larmes, ou alors juste un petit sanglot refoulé qui vient mourir à la surface de mes yeux, un petit tremblement dans ma voix quand je parle de lui.
J'arrive à revivre sans drame ce moment terrible, ce petit matin d'août qui a bouleversé ma vie telle que je la connaissais et qui a dévasté les mois qui ont suivi. Par contre, j'ai toujours du mal à comprendre comment j'ai pu assister à cela sans m'effondrer complètement, le jour J. Il faut croire que j'ai trouvé en moi les ressources nécessaires.
Je n'ai toujours pas acheté de calendrier 2025 mais ce n'est pas un blocage psychologique, c'est juste que je ne l'ai pas fait, c'est tout. Après ces deux jours que j'ai passés à pleurer en continu sur mon malheur, sur l'insoutenable perte, j'ai, semble-t-il, tourné une page symbolique qui me permet d'envisager un avenir.
J'ai rassemblé les objets que je souhaite garder de lui ainsi que des papiers, des photos, le livre d'or de la cérémonie, le calendrier 2024 et j'ai tout mis dans une jolie valise en carton, ma valise de lui, mon kit du souvenir, celle que je pourrai ouvrir quand j'aurai envie de le retrouver un peu. Ce geste très banal m'a permis de franchir un nouveau cap : celui de m'autoriser à envisager la suite de ma vie sans lui.
Ce n'est pas facile tout le temps et je sais que je ne suis pas à l'abri de nouveaux tours de montagnes russes du chagrin mais voilà, il y a des jours où je peux, sans pleurer, sans m'effondrer, penser à demain sans lui et c'est doux. C'est doux parce que je sais que c'est ce qu'il aurait voulu, lui qui m'aimait tellement et qui ne souhaitait qu'une chose : que je sois heureuse. Je ne le suis plus depuis qu'il est parti mais ça reviendra, je le crois. Il le faudra, pour lui.
Je suis en train d'apprivoiser l'ombre.