Et après... ?

C'est une question qui me traverse l'esprit souvent, depuis que mon amoureux est mort : où est-il, maintenant ?

Je l'ai déjà dit ici, j'ai été élevée dans la foi catholique et une famille pratiquante. Quand j'étais petite, je croyais dur comme fer au paradis ou tout du moins à une autre vie après la mort. En grandissant, ça s'est transformé un peu. J'ai connu quelques décès familiaux à l'adolescence et je pensais que les disparus étaient là, qu'ils pouvaient tout voir, tout entendre, même mes bêtises, même ce que je faisais dans l'intimité. Cela ne me faisait pas peur, cela ne me dérangeait pas, je ne me “cachais” pas d'eux, ils étaient là, c'était comme ça. De temps en temps, cette idée me revenait en tête, mes morts me voyaient grandir, devenir adulte, me mettre en couple, construire ma vie. Ils savaient tout.

Puis j'ai cessé de penser à tout ça, probablement parce que j'ai eu la chance de ne plus connaître de décès autour de moi pendant assez longtemps. Quand ma grand-mère paternelle est décédée, dernière de mes grands-parents et de sa génération, j'étais enceinte de mon premier enfant. J'ai eu de la peine qu'elle ne le connaisse pas mais je ne l'ai jamais imaginée autour de moi, comme je le faisais à l'adolescence, j'avais d'autres soucis et plus trop d'états d'âme sur les questions métaphysiques.

Il y a belle lurette que j'ai pris mes distances avec la religion en tant qu'institution, je ne vais plus à la messe, même pour Noël. Pour autant, je n'ai pas abandonné une certaine forme de foi, je pense. Je suis incapable de la caractériser : c'est probablement plus une forme de mysticisme qu'autre chose. Je maudis souvent les religions qui selon moi, privent l'Homme de son libre-arbitre mais, du fait de cette éducation que j'ai reçue, je garde le plus grand respect pour les gens qui croient et qui pratiquent leur foi, quelle qu'elle soit, de manière sincère. J'aime la paix des églises, les chants religieux m'émeuvent plus que de raison et je n'ai aucun mal à comprendre pourquoi certaines et certains choisissent de se retirer du monde pour prier.

Mon amoureux se fichait pas mal de tout ça. Quand il était petit, ses parents lui avaient donné le choix entre le catéchisme et le foot, il avait évidemment choisi le foot ! Mais sa maman lui avait offert (à quel moment, je ne le sais pas, je ne l'ai pas connue) un chapelet et je l'ai retrouvé dans ses affaires, récemment. Plié dans un petit sachet en organza, avec le “Je vous salue Marie” écrit de son écriture à lui, comme pour ne pas oublier.

Le jour de sa mort, j'ai été amenée à entrer en contact avec son père que je n'avais jamais vu ni entendu car ils étaient fâchés depuis plus de 10 ans. Et il a commencé à me parler des obsèques, à me demander ce qu'il convenait de faire. Il n'y avait pas 2 heures que son fils était mort et je n'avais aucune idée sur la question, encore hébétée par la violence de cette disparition brutale. En un sens, le fait qu'il y ait une autopsie m'a donné le temps de réfléchir et de faire valoir ce qui me semblait bien, à moi, à savoir ne pas enfermer l'urne contenant ses cendres dans un caveau à l'autre bout de la France (mon amoureux était un peu claustro...)

Quand j'ai reçu les messages de condoléances qui ont afflué les semaines suivantes, certaines personnes m'ont dit qu'elles l'avaient confié à “plus grand que nous”, qu'elles priaient pour lui, ou pour moi, que “là où il était”, il continuait à veiller sur moi. Cette petite phrase ne cesse de trotter dans ma tête, encore maintenant.

Là où il est. D'accord, mais où est-il ? J'ai eu une phase de quelques jours, juste après sa mort, où j'ai physiquement senti sa présence auprès de moi, sa main sur mon épaule quand je marchais. Puis j'ai eu une longue période où je me suis dit qu'il était dans ce petit bois où nous avons dispersé ses cendres, derrière chez moi. J'y suis allée régulièrement pour lui parler à voix haute, pour pleurer aussi, beaucoup. Et il y a eu les moments terribles où il n'était nulle part, parce qu'on m'avait menti toute ma vie. Quand on est mort, on n'est plus, point barre et ceux qui prétendent le contraire sont des naïfs, des peureux, des lâches qui essaient de embrouiller avec des superstitions à la con pour qu'on ait moins peur de notre propre mort. Aujourd'hui, presque 6 mois après son décès, je suis plus apaisée sur cette question. Certains jours, quand je suis en colère, je lui dis que je vais arrêter de lui parler parce que de toute façon, il n'est nulle part pour m'écouter. Mais la plupart du temps, je me dis qu'il est là, un peu à la manière des morts de mon enfance, il est partout où je suis, comme disait Victor Hugo.

Il est dans ces accords de guitare qui résonnent dans la voiture, il est dans la bouchée de dessert que je savoure en pensant à lui, il est dans le vent qui souffle dehors et qui caresse mon visage, il est là dans le hululement de la chouette qui sort toujours les jours où il me manque, il est là dans les larmes qui dévalent mes joues alors que j'écris ici, il est là dans le sourire de mes élèves, il est là dans mes choix et mes indécisions, il est là à sa façon.

Il n'est évidemment pas là comme j'aimerais qu'il soit, en chair et en os, en rires et en mots, en baiser et en caresses mais il est là, de l'autre côté de moi-même et peut-être qu'il sera là pour le reste de ma vie. Et peut-être que c'est ça, l'au-delà.