La douleur
A l'heure qu'il est, soit un mois et 12 jours après la mort de mon amoureux, je ne sais toujours pas ce qui lui est arrivé exactement. Et je sais que cela prendra peut-être des semaines, voire des mois avant que son père et moi n'ayons accès aux conclusions du médecin légiste. La procédure n'est pas bien claire, d'ailleurs.
Je n'ai pas regardé, au moment où j'ai eu ce papier à disposition, ce qu'avait indiqué le médecin du Samu qui a prononcé le décès à la rubrique “cause de la mort”. Probablement quelque chose de très vague du genre “arrêt cardio-respiratoire”. Et quand j'y ai pensé, ce papier était parti avec le corps de mon amoureux à l'institut médico-légal et depuis, plus de nouvelles.
Mais moi, j'y pense, de temps en temps. Je ne vais pas vous dire que ça me travaille toute la journée mais parfois, je revis la scène et j'ai besoin de savoir ce qui a fait qu'à un moment, il a rendu son dernier souffle dans mes bras. Rien que cette phrase déjà, j'ai du mal à m'en remettre.
Un jour sans doute, nous aurons les conclusions et j'ai peur. J'ai peur de découvrir que si j'avais été plus rapide pour entreprendre un massage cardiaque, j'aurais pu le sauver. Ou que si j'avais appelé les pompiers 3 min plus tôt, cela aurait pu changer la donne. Le médecin m'a bien expliqué qu'ils avaient tout mis en œuvre pendant 45 min sans y arriver et donc que cela n'aurait rien changé, je ne peux pas m'empêcher d'y penser, encore et encore.
Je suis documentaliste et j’aime comprendre les choses, alors évidemment que je suis allée lire comment ça se présente, une crise cardiaque et beaucoup de choses concordent fortement : l'effondrement, la sueur abondante, les lèvres bleues, la douleur (lui n'a pas été capable d'identifier la source de cette douleur), le halètement anormal.
Je pense alors à mon amoureux, cette “force de la nature”, comme il disait : jamais malade, santé de fer, son grand-père a vécu jusqu'à 105 ans et il avait sa constitution... Mais aussi ce grand anxieux (à un stade pathologique, j'y reviendrai sûrement), ce phobique des aiguilles (”une prise de sang, n'y pensez même pas !”) et des médecins (”qui vous trouvent toujours quelque chose”), cet homme douillet qui faisait toute une comédie quand il se cognait quelque part.
Il a dû avoir tellement mal, pendant cette crise, tellement mal et pendant si longtemps (10, 15 min ?). C'est long, 10 min quand tu te tords de douleur et que tu te rends compte que peut-être que c'en est bientôt fini de ta vie. Mon Dieu, l'idée qu'il ait eu si mal si longtemps me rend malade, je n'arrive pas à évacuer ça de mon esprit. Ni son visage contracté, sa peau qui rougit, ses lèvres et ses oreilles qui deviennent bleues, ses yeux injectés de sang. C'était horrible. L'horreur absolue de vivre ça et de ne rien pouvoir ou savoir faire pour l'aider, le soulager. Je n'arrive pas à chasser cette scène de mon esprit.
Ce que je vais dire est abominable mais j'aurais préféré qu'il meure en tombant d'un coup, en une seconde, ou dans son sommeil. Ces insupportables minutes de torture qu'il a endurées sont marquées en moi comme une cicatrice qui ne se refermera jamais tout à fait. Ma propre mort, je m'en fiche, elle ne me fait pas peur, quelles que soient les circonstances mais la sienne, j'aurais tellement aimé qu'elle soit à son image, douce.