Là où il est

Depuis que mon amoureux est mort, je lui parle beaucoup, souvent, et à voix haute. Je l'ai fait tout de suite, d'instinct, quand le médecin du Samu est venu m'annoncer que malgré les efforts de tous ces gens sur place, ils n'étaient pas parvenus à le réanimer. Cela faisait déjà un bon moment que je pleurais, que je sanglotais, sans bien savoir ce qu'il était possible d'attendre de ces gens qui faisaient l'impossible. D'ailleurs, à un moment, il était déjà venu me dire “je ne vous cache pas que c'est très mal engagé, il est en arrêt cardio-respiratoire depuis trop longtemps”, sans doute pour me préparer. Mais hébétée, anesthésiée par la violence de ce que je vivais, j'y croyais encore, fermement. C'est pour ça que lorsque cela a été vraiment fini, mes sanglots ont fini dans des cris que tout le quartier a dû entendre. Et ces cris disaient que non, ce n'était pas possible, qu'il ne pouvait pas me laisser comme ça. Ces cris s'adressaient déjà à mon amoureux.

Depuis, je n'ai pas cessé de lui parler, parfois calmement pour lui dire ce que je ressens, parfois dans un soupir pour exprimer mon ras-le-bol qu'il me laisse gérer tout son bordel, parfois dans un cri de colère pour lui reprocher d'être parti sans prévenir, si brusquement que je n'ai pas pû lui dire au revoir comme je l'aurais voulu. La plupart du temps, je lui parle en pleurant, pour déverser ma peine, ce chagrin qui ravage tout et me coupe les ailes. Un jour sans doute, je lui parlerai dans un sourire pour lui rappeler un bon souvenir ou un moment heureux mais c'est encore un peu tôt.

Je lui parle, tout le temps, à voix haute et dans ma tête aussi mais où est-il, lui, m'écoute-t-il seulement ?

J'ai été élevée dans la foi catholique mais j'ai pris de très grandes distances avec l’Église en tant qu'institution. Pour autant, j'ai encore une sorte de spiritualité mais je crois que pas une fois, depuis qu'il est mort, je n'ai prié (je sais que d'autres l'ont fait, invoquant Dieu ou Allah et ça m'a profondément touchée mais moi, je n'ai pas réussi).

J'aimerais bien croire qu'il est là, quelque part, qu'il me regarde et qu'il m'aime (comme il me le disait souvent dans ses messages vocaux, dont un que j'ai retrouvé enregistré sur mon ordinateur et que je me repasse souvent). Des personnes me disent que “là où il est”, il veille sur moi ou alors qu'il a rejoint sa maman. J'adorerais qu'il en soit ainsi, vraiment, sincèrement. Je le cherche parfois dans un papillon qui passe ou un coup de vent fugace qui traverse les arbres, je le supplie de me faire un signe, n'importe lequel, mais il faut se rendre à l'évidence, je crois qu'il n'est nulle part. Je parle dans le vide qu'il a laissé, je parle toute seule.

Ce qui est curieux, c'est que je continue. Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdue.