Lire

Je l'ai déjà écrit ici, c'est compliqué de lire depuis que mon amoureux est mort. J'ai du mal à me concentrer sur une page, mon esprit s'égare parfois si loin que je dois revenir en arrière parce que je ne comprends plus les mots que je lis. C'est pour moi une grande frustration car la lecture est ce qui me définit depuis toute petite. A l'école maternelle, j'avais déjà tellement envie d'apprendre à lire qu'on m'a fait sauter la dernière année et à Noël, c'était fait. Depuis, il y a eu peu de périodes sans livres, tout au plus des ralentissements du rythme de lecture (à l'adolescence, parce qu'il y avait tellement d'autres choses à faire, et quand mes enfants étaient petits, parce que je n'avais plus le temps). Là, cela fait un peu plus d'un an que je vis ce ralentissement mais le fait qu'il soit dû à des raisons cognitives me mine complètement.

Pour compenser, j'ai essayé le livre audio mais je n'aime pas du tout, le seul moment où je le supporte, c'est en voiture et mes trajets quotidiens sont trop courts, cela tronçonne ma lecture en petits morceaux et je déteste ça. La BD a un peu sauvé mes envies de lecture, de même que les essais, que je ne goûtais pas particulièrement auparavant. Le rythme est un peu différent, je peux lire une BD entière en peu de temps et pour les essais, lire juste un chapitre et arrêter sans perdre le fil du propos.

J'ai néanmoins lu plus de 70 livres cette année, ce qui n'est pas si mal en fin de compte, parmi lesquels un nombre certain autour du deuil. La plupart du temps, je les ai choisis pour ça mais je me suis aussi retrouvée avec des livres choisis un peu au hasard et qui, d'une manière ou d'une autre, en parlaient aussi. La mort est tout autour de moi, dans les livres, la musique, les séries que je regarde et cela ne me gêne pas, au contraire. Je peux ainsi comparer mon expérience à celle d'autres personnes, mettre des mots différents, parfois plus précis ou plus poétiques sur des ressentis, je pense que cette proximité m'aide à cheminer, pour l'instant.

Je dis “pour l'instant” car je me demande si je ne suis pas en train d'atteindre une sorte de saturation. Hier, pour la première fois de ma vie, j'ai failli sortir de la bibliothèque les mains vides, après une longue déambulation dans les rayons. Littérature, polars, science-fiction, livres jeunes adultes, BD, j'ai sorti plein de titres, lu les 4e de couverture et reposé ces livres, parce que j'ai senti qu'ils allaient me plomber encore un peu plus, ou encore parler de mort, ou d'amours qui se terminent ou de personnes qui prennent un nouveau départ, bref, de moi, quelque part. Quand je n'ai pas de livres précis en vue, je me laisse souvent guider par les titres ou même les couvertures. Là, tous les titres qui m'ont interpellée résonnaient en moi comme un signal d'alerte (attention, tu vas encore te retrouver dans une histoire qui ressemble à la tienne !). J'aurais pu opter pour de la littérature romantique, légère ou “feel good” mais je suis toujours tellement déçue par l'écriture de ces romans et j'ai surtout toujours l'impression de me faire arnaquer quand je les lis que j'ai préféré les éviter aussi (vous savez, ce sentiment, la dernière page tournée, de vous être fait mener en bateau). Hier, rien ne me faisait envie, j'en aurais pleuré de frustration.

J'ai fini par trouver une BD que je voulais absolument lire parce qu'elle pourrait trouver sa place dans le collège où je travaille et j'ai choisi aussi un polar d'un auteur jamais lu, parce qu'au moins, pas d'attentes spécifiques à part un peu de suspense et une intrigue que j'espère bien ficelée.

Je me sens triste de ne pas pouvoir lire autant que je le voudrais et c'est une tristesse qui vient s'ajouter à toutes autres. La lecture est ce qui me constitue, c'est une part de moi importante et les mots sont ce qui m'aident le mieux à traverser la vie (et la mort aussi, apparemment). Je sais que la dépression peut aussi entrainer ce genre de choses et que c'est réversible. J'espère juste que cette période ne va pas durer trop longtemps et que je vais retrouver le goût des livres et l'envie de lire...