Tenir

Jusque là, on va être honnête, c'est le boulot qui m'a fait tenir. Parfois de manière un peu bancale (les larmes systématiques pendant les quart d'heure lecture avec les élèves, le manque de patience parfois quand les loustics devenaient un peu relous, moins de sourires et pour l'instant, pas de prise en charge de cas de harcèlement parce que je ne me sens pas en état émotionnel d’accueillir des choses trop difficiles) mais j'ai tenu bon : mes cours ont eu lieu, j'ai géré les merdes sur le réseau informatique quand il le fallait, j'ai assisté à toutes les p**** de réunions qui me concernaient, je me suis occupée seule du club journal où mon effectif a doublé cette année, je me suis même engagée dans 2 missions nouvelles liées à des projets ponctuels et à accompagner le voyage en Angleterre en février (yay!).

Je suis crevée (pas plus que les autres années à la même époque) mais les vacances d'automne qui débutent, là, elles sont un peu compliquées. Tenir sans le boulot ? J'ai commencé à pleurer sitôt le portail du collège refermé hier, trop plein d'émotions, de tensions à relâcher. Et puis après, il y avait la cérémonie de remise des diplômes du brevet à nos anciens élèves. D'ordinaire un moment de fête et de retrouvailles, où l'on mesure les changements qui se sont opérés déjà chez eux maintenant qu'ils sont au lycée ou en apprentissage, où l'on est contents de voir qu'ils vont bien et que leur vie continue, loin de nous désormais. Et là, c'est le drame. Je n'ai tenu que les 20 min de remise des diplômes et le temps de discuter du bout des lèvres avec 2 élèves qui étaient des piliers du CDI. J'en aurais bien vu d'autres mais c'était trop dur.

Ces élèves, mon amoureux les connaissait tous sans jamais les avoir vus, parce que je lui en parlais, qu'il s'y intéressait, qu'il avait vu leurs bouilles sur Pronote et hier soir, il m'aurait sûrement demandé ce qu'ils devenaient, si elles avaient l'air heureuses. Et avec sa mémoire d'éléphant, il m'aurait demandé si S. se plaisait dans son école de conducteurs routiers, si M. commençait un peu à s'ouvrir aux autres, si W. était toujours aussi désagréable.

J'ai tenu 20 min et je suis partie en douce au début du pot d'honneur. Mes collègues ont bien vu que je n'étais pas bien et elles m'ont fait signe d'y aller. Je n'étais pas arrivée au pied des marches du bâtiment que je pleurais déjà à gros bouillons. Dans ma voiture, il m'a fallu 5 min de sanglots avant de pouvoir démarrer et j'ai pleuré tout le trajet (20 km, je sais c'est dangereux mais j'ai fait gaffe). Et puis encore au moins 30 min en arrivant enfin chez moi. Je ne pouvais plus m'arrêter. Et j'ai compris pourquoi : parce que j'avais l'impression que je ne pourrais plus jamais être heureuse pour le reste de ma vie.

Je sais bien que c'est faux, qu'il y aura un moment où les choses vont basculer mais là, à cet instant, plus de lumière possible, le fond du fond du gouffre, la douleur morale à l'état pur, aucune issue possible. J'ai été à deux doigts d'envoyer un message à mes sœurs pour annuler le voyage que je dois faire en Grèce avec ma famille pendant ces vacances, de peur que cette tristesse infinie ne soit un boulet pour tout le monde.

Et puis c'est passé. J'ai dormi. Et aujourd'hui, j'ai rencontré des gens (dont certains m'ont encore fait pleurer, avec leur gentillesse si sincère et leurs attentions) et j'ai marché, beaucoup, ce qui fait beaucoup de bien.

Si les autres n'existaient pas, si je n'avais pas d'amis, de collègues, de famille, de gens qui m'entourent (dans la vraie vie ou par écran interposé), je pense qu'il y a des semaines que je serais plus en vie. Alors merci. A tous, toutes. Vous êtes là, je vous sens, je vous sais là et c'est grâce à vous que je sortirai de ce deuil si difficile.