Toujours là

Cela va faire un an. Et comme le disait cette autrice américaine à propos du deuil de son mari (je ne sais plus s'il s'agissait de Joyce Carol Oates ou de Joan Didion), j'ai survécu. J'ai toujours aussi mal quand je pense à mon amoureux et à sa mort brutale et inattendue mais je suis debout et je viens de quitter l'appartement où cela s'est passé, dans l'idée de prendre un nouveau départ et de laisser mon petit fantôme derrière moi, petit à petit.

Pour l'instant, le petit fantôme est toujours là, discret et bienveillant. Il est dans la note trouvée lorsque les déménageurs ont soulevé la bibliothèque du bureau (achat d'un livre à Bordeaux lorsqu'il était étudiant), il est au fond de la boîte dans laquelle j'avais rangé les couverts pour le déménagement et où j'ai retrouvé, en la vidant, un poil de barbe rousse. Et il est là aussi, le jour où j'ai rendu les clés après l'état des lieux de sortie, dans ma nouvelle maison, sous forme d'un papier blanc plié en quatre dans les graviers de la terrasse ; je l'ai ramassé et en le dépliant, j'ai été surprise de trouver un en-tête de lettre de motivation où ne restaient plus que les coordonnées personnelles et professionnelles de mon amoureux. Je ne m'explique pas la présence de ce papier le surlendemain du déménagement et alors que j'avais jeté à la déchèterie les derniers papiers trouvés dans la cave.

Je n'ai pas d'explication mais ça me convient. C'est comme un clin d’œil de mon amoureux qui aurait pris avec moi le chemin de ce nouveau nid et me le ferait savoir, par petites touches. Tout à l'heure, il était encore avec moi pour me dire que ce tableau n'était pas droit et cela m'a fait sourire. Il est toujours là mais sa présence n'est plus lourde et pesante comme il y a quelques mois et un jour, elle se fera si légère que je n'y penserai presque plus.

J'ai encore beaucoup pleuré ces derniers jours, en faisant ces cartons, en quittant cet immeuble où nous nous sommes tant aimés. J'ai pleuré à allant voir le petit arbre du souvenir (dont je ne sais pas s'il survivra à la sécheresse de cet été, il était un peu sec), j'ai pleuré en faisant l'inventaire avec ma sœur de tout ce qu'il m'a apporté, de ce qu'il laisse au monde et aux gens qui l'ont connu. Je pleure encore en écrivant ces mots, le chagrin est toujours là même s'il se manifeste de manière différente, plus rare et plus nuancée.

Aujourd'hui, je décide de me tourner le plus possible vers l'avenir, un avenir sans lui mais où j'ai toute ma place et où d'autres bonheurs sont envisageables. J'ai beaucoup appris avec lui, sur moi et sur ce que je veux. Son amour immense m'a ouvert un monde plein de promesses, il m'a aidée à retrouver confiance en moi, il m'a changée et m'a appris la joie. Je le remercie chaque jour pour ça, même si je trouve très injuste qu'il ne soit plus là pour cheminer sur cette voie avec moi.

Cet homme a été un grand bonheur et une bénédiction pour moi, je ne suis plus la même et cette nouvelle personne se doit de poursuivre sa route en sa mémoire. Je repense ce soir à ce “Désolé” qu'il a prononcé juste avant de mourir, son tout dernier mot. J'ai pensé sur le moment qu'il était désolé de me causer du souci mais il est clair à présent qu'il était conscient qu'il était en train de partir. Et il était désolé de me laisser continuer seule, désolé de ne pas pouvoir continuer à m'aimer mais le choix de ce mot contient aussi une volonté de bienveillance (il détestait ce mot !), au sens premier de “vouloir du bien” à la personne.

Peu après avoir écrit la note précédente, le 17 juillet, dans laquelle je disais ma terreur de la date anniversaire, j'ai pris la décision de ne pas être sur les lieux ce jour-là, et aussi celle de ne pas être seule. Je vais partir quelques jours en famille, pour me reposer de ce déménagement que j'aurai géré quasiment toute seule de A à Z et aussi pour m'échapper de chez moi. Bien sûr que je vais penser au jour funeste mais je n'ai plus peur. Il est probable que je vais pleurer mais je n'ai pas l'intention de faire une cérémonie ou un discours, ou alors ce sera un discours de remerciements à mes proches qui m'ont soutenue de manière admirable.

Il faut que le jour de sa mort devienne un jour comme les autres ou à tout le moins, un jour de célébration de ce qu'il m'a laissé et qui me permet, un an plus tard, de me tenir encore debout, dignement, fièrement.

PS : Il est très possible que j'arrête d'écrire ici, parce que j'ai l'impression de tourner en rond mais je ne sais pas, on verra où le vent me porte et s'il me reste des choses à exprimer dans les semaines ou mois à venir. Tenir ce journal de deuil a été une intuition dès le début, parce que tout au long de ma vie, l'écriture m'a accompagnée dans les moments difficiles. Je me félicite de l'avoir suivie car même si j'ai parfois bégayé, cela m'a permis de verbaliser des ressentis et de me soulager de trop-pleins émotionnels. Je ne suis pas “guérie” de ce chagrin immense, loin de là, mais peut-être vais-je trouver d'autres moyens de l'apprivoiser ?

PPS : j'ai relu il y a quelques semaines l'intégralité de ce journal et je voudrais juste dire que contrairement à ce que j'ai pu écrire plusieurs fois, j'ai drôlement progressé sur ce chemin de deuil. Cette relecture m'a permis de le mesurer. Et je suis confiante en l'avenir.