Fatras et bases de données

muguet

Du “fatras” sémiotique...

J'avais mis depuis longtemps dans la rubrique “à lire” de mon Zotero[1] un article écrit en 2004 de Marie Desprès-Lonnet, dont le titre m'intriguait, avec son expression de “fatras sémiotique”[2] : lecture faite, elle y décortique les différents mode de référence (symbolique, iconique, métaphorique...) mis en œuvre dans les logiciels de traitement de texte par le biais des icônes, et qui entrainaient de la part des utilisatrices (des secrétaires de direction) plus une mémorisation de la fonction liée qu'une interprétation de leur signification. La barre d'icônes de mon Writer LibreOffice La barre d'icônes de mon Writer LibreOffice C'est un constat intéressant dans une approche sémiotique du webdesign, amorcée déjà avec Nicole Pignier. Et qui pose la question d'une vigilance à avoir dans une recherche d'accessibilité : rendre intelligibles toutes ces icônes dont la signification peut sembler immédiatement évidente à un utilisateur régulier du numérique mais rester indéchiffrable au non-initié.

...au cadre formalisé et normé des bases de données

Depuis Marie Desprès-Lonnet écrit régulièrement sur les bases de données patrimoniales rendues “accessibles” au grand public non seulement par leur mise en ligne, mais aussi par une volonté de proposer des parcours. Son approche me paraît incontournable dans mon projet, puisque ces bases de données sont conçues comme des outils professionnels, et que leur simple mise en ligne ne les rend pas accessibles pour autant au grand public. L'exemple de la base de données Joconde est éclairante, ce qui apparaît au public sur l'écran est le fruit d'un cheminement et d'un arbitrage entre différents modèles issues de différentes préoccupations :

L'article fait allusion à la base Joconde telle qu'elle était en 2009, elle a été depuis intégrée à la base plus générale de POP (Plateforme Ouverte du Patrimoine), qui regroupe différents catalogues numérisés.

Ces tensions induisent une grande complexité à mener un projet de mise à disposition au public.

Penser la médiation en lien avec des outils professionnels

Elle poursuit aujourd'hui sa réflexion autour d'autres entrées qui émergent dans ce type de dispositif de médiation[4]. Elle évoque le projet Europeana, qui a pour ambition d'offrir

aux amateurs de patrimoine culturel, aux professionnels, aux enseignants et aux chercheurs un accès numérique aux ressources du patrimoine culturel européen. Pourquoi ? Pour inspirer et éclairer de nouvelles perspectives et susciter des conversations sur notre histoire et notre culture. Pour partager et apprécier notre riche patrimoine culturel. Et pour l’utiliser dans des processus créatifs.

en s'appuyant sur

les milliers de galeries, de bibliothèques, d’archives et de musées européens qui partagent notre conviction que l’accès au patrimoine culturel a un effet transformateur.

Cette mise en commun de données a nécessité un large travail de mise en cohérence des bases de données pour que celles-ci soient “partageables”, au prix d'une approche suffisamment générique pour intégrer tout type d'objet, d'un tableau à sa représentation sur une diapositive, d'un texte à un enregistrement sonore...

Face à cette gigantesque hétérogénéité, le portail propose d’accéder aux ressources disponibles à partir d’une « variété de formats éditoriaux qui racontent les histoires des collections étonnantes que l’on trouve sur notre site web. Les blogs, les expositions et les galeries mettent en valeur les collections de différentes institutions et encouragent le public à s’intéresser à ce contenu d’une nouvelle manière ». (p.50)

Voici ici un exemple de “mises en récit” créé dans ce cadre : https://www.europeana.eu/fr/stories/pauline-viardot-a-european-diva

Elle mentionne dans son article une autre approche du British Museum qui utilise une ontologie (à base de classes et de propriétés) servant de modèle de référence conceptuel pour le domaine du patrimoine culturel. Cette ontologie, initiée par un consortium CIDOC-CRM a l'objectif de rapprocher les pratiques documentaires entre musées et bibliothèques. Le British Museum s'est emparé de l'outil mais pour en développer une dimension “argumentative” : plutôt que d'apporter une vision consensuelle sur un objet, il cherche à

préserver différents points de vue sur les items représentés. L’objectif est de fournir aux chercheurs un outil de réflexion et de mise en lien de divers éléments (acteurs, lieux, événements, objets, concepts, idées) dans le but de créer de nouvelles connaissances. (p.55)

On n'est plus dans une approche de médiation, l'outil est réservé aux chercheurs, pour la création de nouvelles connaissances. Mais ce qui me paraît intéressant ici est la volonté de rendre visible le travail des experts. Comment rendre cet aspect visible et abordable pour le grand public ? Il me semble que rendre compte pour un objet, au-delà d'un seul état de connaissance, la façon dont la connaissance s'est construite, et se construit encore sur cet objet, est une approche intéressante, et qui est apparaît aussi dans des écrits actuels de médiations, comme ici dans le cadre particulier des recherches menées en lien avec les œuvres spoliées pendant la 2e guerre mondiale. L'article continue sur l'agrégation des contenus dans le cadre du web sémantique (Wikidata par exemple), mais cela me semble s'éloigner de mon sujet, et déjà trop de portes s'ouvrent à ma réflexion.

Pour conclure sur les travaux de Marie Després-Lonnet, sa réflexion sur les bases de données me semble assez proche de ma préoccupation en ce qui concerne ce que j'appelle des “sites de chercheurs”. D'autre part, elle fait référence à d'autres auteurs que je commence à croiser comme Nicole Pignier pour le webdesign ou Jean Davallon pour la médiation culturelle. J'ai le sentiment d'avoir un cadre théorique qui commence à se construire...

[1] outil de gestion de références documentaires [2] Després-Lonnet, M. (2004). Écrits d’écran : Le fatras sémiotique. Communication & Langages, 142(1), 33‑42. https://doi.org/10.3406/colan.2004.3301 [3] Després-Lonnet, M. (2009). L’écriture numérique du patrimoine, de l’inventaire à l’exposition : Les parcours de la base Joconde. Culture & Musées, 14(1), 19‑38. https://doi.org/10.3406/pumus.2009.1505 [4] Després-Lonnet, M. (2024). Entrer par la documentation ? Modalités alternatives de visite des musées de Beaux-arts : Article inédit, mis en ligne le 24 juin 2024. Les Enjeux de l’information et de la communication, 242(S2), 43‑60. https://doi.org/10.3917/enic.hs15.0043 [5] Vous pouvez la découvrir ici sous forme de jeu