Lecture : 2025
Me voici quasiment cloué au lit suite à une opération, c'est le moment de faire un peu le point sur mes dernières lectures frappantes, d'autant qu'en prévision de ce moment j'ai dépensé mes sous à tort et à travers libéralement dans les librairies pour alimenter le plaisir anticipé consistant à créer des piles de lectures au pied de mon lit et dans mes étagères.
Octavia Butler
La parabole du semeur : voilà enfin un récit post-apo qui tabasse.
Je l'avais commencé avec un enthousiasme modéré parce que ce genre de SF n'est pas trop ma tasse de thé, et aussi parce que le synopsis est drôlement proche de La route (Cormac McCarthy) qui m'était tombé des mains tellement c'est une bouse emmerdante et sans intérêt. Quelle maladie a touché la presse française à la sortie de ce pensum, je me le demande. Il faut aimer se flageller avec des orties pour apprécier. Donnez-moi par pitié cent mille Octavia et Ursula et rangez Cormac à la poubelle. D'ailleurs je suppute que le critique français masturbateur aime bien trouver de temps en temps une œuvre de genre cette fois c'est tombé sur “la science fiction” c'était l'occasion rhalala ça m'énerve. Et au fait, pas de science ici c'est une anticipation.
Un synopsis proche disais-je, celui de la fin du monde, amené de manière très intelligente sur le fond et formidable dans la forme car on lit un journal intime, écrit de manière tellement prenante et vivante qu'on s'y croit totalement. Chose amusante : l'histoire, écrite en 93, se déroule en 2025 et (presque) tout est tellement réaliste. En tout cas, la manière dont le monde s'effondre est très réaliste, à tel point que c'est une fictions les plus ancrées que j'aie lu sur ce thème. Je l'ai acheté dans un élan de littérature “sérieuse”, sans doute en même temps que des essais qui resteront inachevés sur une étagère -ça m'arrive régulièrement- cette fois-ci il arrivait tout de même auréolé de critiques (de critiques de gens qui savent ce qu'ils lisent, je précise) très positives, et c'est l'occasion de découvrir une autrice importante. Ça brasse large, j'ai eu un peu de mal à entrer dedans puis le déclic s'est fait et je l'ai lu d'une traite.
Ann Leckie
En parlant de science-fiction, de la vraie cette fois avec des vaisseaux spatiaux et tout, j'ai acheté un recueil de nouvelles d'Ann Leckie qui a obtenu de manière très très méritée le prix Hugo 2024 pour Les Chroniques du Radch, une des choses les plus follement innovantes que j'ai lu depuis des années, que je ne vais pas raconter , mais qui a un ton, un univers, des personnages extraordinairement singuliers et attachants. Il m'est resté longtemps en tête, et malgré sa sortie récente je l'ai lu plusieurs fois. Bref j'attends beaucoup de ce livre, sa tranche me regarde depuis l'étagère et je savoure le moment où je l'ouvrirai, même si les nouvelles sont moins ma tasse de thé que les romans.
Benjamin Labatut
À propos de tranche qui me regarde et réciproquement, j'ai prévu de lire Maniac après avoir dévoré d'un coup Lumières aveugles, un autre livre impossible à décrire ou résumer et tellement étrange, exotique et bizarre... Il a un côté collection d'anecdotes filées qui m'a fait un peu penser à ce que faisait Sebald avec l'histoire (la grande histoire, la sienne, celle de ses proches), mais lui s'intéresse à l'histoire des sciences : c'est intriguant puis intéressant puis perturbant à mesure qu'on se demande où est le vrai. Un livre très très fort.
Alexis Jenni
Également, j'ai lu la courte biographie de John Muir par Alexis Jenni, une très jolie découverte qui m'accompagnera longtemps je pense.
J'avoue je ne connaissais pas John Muir, sauf peut-être pour avoir croisé son nom parfois ? en tout cas je ne connaissais pas son histoire et elle est littéralement extraordinaire, y compris pour ses contemporains. Et puis elle se déroule encore cette époque bénie où les frontières entre sciences n'existaient pas comme aujourd'hui et où l'on pouvait devenir à la fois ingénieur, géologue, naturaliste et bien sûr homme de lettres. En plus à cette période charnière où la conquête est terminée mais pas la découverte et où se mettent en place les mécaniques de domination dont on voit aujourd'hui la continuation, les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Mais surtout, quel aventurier incroyable, qui n'a eu de cesse de se déplacer à travers le monde pour en constater et relater les beautés et surtout les éprouver de manière physique et spirituelle. Bref une biographie classique mais qui va au cœur de l'individu John Muir, et écrite avec une grande tendresse.
Laurent Gaudé
Sinon en début d'année j'ai lu deux livres de Laurent Gaudé, d'abord La porte des Enfers, parce que j'avais conservé un bon souvenir du soleil des Scorta et que j'avais celui-ci dans ma bibliothèque depuis un moment. C'est très bien écrit, vraiment. C'est également sinistre au dernier degré : pas un rai de lumière dans ce cloaque. Alors certes l’œuvre traite de la mort et du deuil mais quand même.
En plus les aspects mythologiques sont bizarrement amenés, puis curieusement traités, c'est à la fois trop terre-à-terre et fantasmagorique. Et au final la description des enfers est d'une monotonie barbante. Bref, une lecture déprimante. La langue reste belle et heureusement c'est assez court.
Et comme la critique était positive, j'ai lu dans la foulée ou presque, Chien 51, un polar SF dystopique, toujours aussi bien écrit et sans fausse note, lui. Son univers est particulièrement consistant et réaliste, sa construction m'a beaucoup plu, les personnages sont attachants et le mystère reste entier jusqu'aux dernières pages.
Par contre c'est de nouveau sinistre et déprimant, rien ne vient égayer cette vision terrifiante de notre futur : je ne suis pas certain de continuer à lire Gaudé :)
Ted Conover
Une découverte incroyable, grâce à une émission de radio je crois (il a dû passer dans les midis de Culture), dont le pitch n'est pas forcément très attirant.
J'ai donc lu d'une traite Là où la terre ne vaut rien (plus précisément là ou l'hectare de terrain vaut 1000$) en gardant en tête les paysages somptueux du Colorado et ce qu'ils remontent de construction culturelle sur ces paysages “vides” qui n'attendent que des colons.
Le défilé de personnalités hors normes est incroyable, tout comme la pauvreté saisissante de ces laissés-pour-compte et ce qu'ils racontent de l'Amérique d'aujourd'hui.
Mathieu Auzanneau
Un auteur qui connaît bien son sujet car il dirige the Shift Project et a déjà écrit une somme sur le pétrole (Or noir, la grande histoire du pétrole, je sais que c'est une somme car je l'ai chez moi et il fait 10 cm d'épaisseur).
Ici nous sommes plutôt dans l'hyper-light : Pétrole, le déclin est proche se lit en une soirée. Une soirée agréable car c'est bien écrit et on y apprend beaucoup.
Le livre part d'une histoire proche : en 2000, le concept de pic pétrolier était dans l'air puis les américains ont “inventé” le gaz et le pétrole de schiste et magiquement la question des limites de ressources énergétiques a disparu du débat public. Le shift project a eu accès vers les années 2020 a des données très peu partagées, produites par un des principaux cabinets qui compilent de la donnée relative au stock (données généralement vendues à prix d'or aux acteurs du secteur). En faisant converger pas mal d'informations, il postule que le pic pétrolier a été atteint vers 2021 et que nous faisons désormais face à la fin du pétrole facile à une échéance connue et surtout, proche. Proche, c'est 2030, 2040, 2050 ? dans pas longtemps en tout cas, surtout à l'échelle de notre civilisation qui s'est construite sur une énergie surabondante depuis 200 ans.
Et c'est précisément cet aspect du livre qui m'a le plus fasciné : envisager l'histoire et la géopolitique sous le prisme de la disponibilité des ressources ce qui modifie pas mal d'idées préconçues : Pearl Harbour ? les japonais cherchaient à accéder aux ressources pétrolières du sud asiatique. Les allemands ont perdu la deuxième guerre ? c'était inévitable car ils n'avaient pas suffisamment d'énergie face au bloc de l'ouest. Et je ne parle même pas de la guerre en Irak. Je cite de mémoire “ces guerres ont eu lieu en période de surabondance, que seront-elles lorsque les ressources seront en train de se tarir ?“
Une partie du livre expose les contraintes physiques liées à l'exploitation des ressources fossiles et explique pourquoi les chiffres généralement agités par les industriels ou les politiciens ne sont pas fiables.
Et il rappelle utilement ce qu'on croit savoir par ailleurs : notre civilisation et notre mode de vie reposent sur le pétrole. Pas de pétrole ? pas de médicament, pas de production agricole sans paysan, pas de biens de consommation courante, pas de transferts sur le globe. Et d'un point de vue géopolitique, pas de domination américaine.
Et puis bien sûr il appuie là où ça fait mal : la fin du pétrole ne signifiera pas la fin de l'extractivisme ou la baisse d'émissions de GES. Le fait que personne ne s'y prépare rend inéluctables des chocs monstrueux à venir.
Bref un livre salutaire avec un côté curieusement enthousiasmant, façon puzzle : une esquisse de la fin d'un monde. Dommage que ce soit la réalité et qu'on soit en plein dedans.
L'atelier paysan
Ce livre est presque déjà un classique en tant que critique du techno-solutionnisme. Moi, qui pensait connaître le sujet, ai beaucoup appris en le lisant, notamment sur l'histoire de la mécanisation.
En décortiquant les rouages de la grosse machinerie agricole, la démonstration est faite de nouveau, que les paysans sont avec les consommateurs les premières victimes d'un système industriel qui a des racines historiques profondes et répond à une idéologie délétère.
Je l'ai lu dans la foulée de celui sur le pétrole, ça va bien ensemble.
Larry McMurtry
Restons en Amérique avec Lonesome Dove, un chef-d’œuvre à bien des niveaux.
Il nous fait suivre un groupe de Texas Ranger, plus particulièrement d'eux d'entre eux ainsi que plusieurs personnages annexes dans les années 1840 à la frontière des États-Unis et du Mexique qui n'a pas encore sa forme actuelle et ressemble plutôt à un gigantesque no man's land où les colons risquent leur vie et où les Indiens tentent encore de vivre la leur.
Je n'avais encore jamais lu d'histoire aussi documentée se déroulant à cette époque, je trouve que le roman éclaire beaucoup la mentalité des pionniers qui explique tellement de choses sur la vie publique américaine. Il montre aussi la construction mouvementée de l'unité territoriale américaine, qu'on connaît mal en France il faut bien dire.
Les personnages sont tous étrangement attachants, j'écris étrangement car plusieurs d'entre eux sont complètement barrés. Ils sont aussi très ambivalents et ont parfois du mal à justifier leurs propres actes ce qui nous les rapproche. Les dialogues sont savoureux et souvent drôles. L'auteur suit les personnages un à un et nous fait ainsi brièvement mais aussi très rapidement comprendre le point de vue des personnages, pas en tant qu'archétype (indien/ranger par exemple) mais en tant qu'individu.
Et les personnages de femmes, ha ! sont incroyables surtout dans le deuxième volet. Bref un must-read.
DOA
J'avais acheté Rétiaires il y a plusieurs mois puis je l''ai laissé sciemment prendre la poussière sur une étagère parce que j'attendais le moment propice à sa lecture pour deux raisons ; d'abord, ce n'était pas rien de se plonger dans Citoyens clandestins puis dans Pukhtu alors j'attendais d'être psychologiquement un peu disponible pour l'entamer.
Qu'on se rassure le livre est beaucoup moins foisonnant et complexe que Pukhtu, je le qualifierais de polar “classique” bien enlevé avec des personnages ambigus comme on aime (surtout du côté des flics, les voyous sont plus attendus), un intrigue assez straight mais qui utilise un peu trop de retours en arrière à mon goût.
Je l'ai lu d'une traite ça reste un bon polar bien documenté et qui donne une vraie impression d'être embarqué en quelques mots dans les organisations de chaque côté, mais il est trop classique dans sa construction par rapport à ce que je connaissais déjà de l'oeuvre de DOA alors j'ai été un poil déçu.