Batman, le retour du Dark knight

Cet article est initialement paru ici sous le pseudo de Radagast

Vers la fin des an­nées 80, je li­sais as­si­du­ment la revue Strange et ses pe­tites sœurs. J’étais ab­so­lu­ment fondu de bandes des­si­nées de super héros et je com­men­çais à m’in­té­res­ser à tout ce qui gé­né­ra­le­ment avait trait à la BD. Je m’étais acheté un livre de poche qui s’ap­pe­lait 93 ans de bandes des­si­nées par Jacques Sa­doul. Ce livre for­mi­dable dres­sait une his­toire in­ter­na­tio­nale de la BD et par­lait éga­le­ment des œuvres les plus ré­centes et mar­quantes pour l’époque. Parmi celles qui m’avaient in­ter­pelé se trou­vait la pré­sen­ta­tion de Bat­man, the Dark Knight re­turn, par Frank Mil­ler. Ce der­nier était à l’époque en France sur­tout connu des lec­teurs de Strange pour avoir ré­vo­lu­tionné Da­re­de­vil, le su­per­hé­ros de chez Mar­vel, avec des his­toires net­te­ment plus sombres et réa­listes (au­tant que c’est pos­sible dans des his­toires de ce genre). Frank Mil­ler s’at­ta­quait à Bat­man, je ne pou­vais pas rater ça. Et pour un choc, ce fut un choc.

Tout, dans le scé­na­rio et le des­sin (la mise en scène ?), rom­pait avec l’ap­proche tra­di­tion­nelle du per­son­nage en pous­sant au bout la lo­gique du su­per­hé­ros. C’était à la fois un récit hé­roïque, une cri­tique au vi­triol de la so­ciété amé­ri­caine et aussi une vi­sion assez ef­frayante de l’idéo­lo­gie du su­per­hé­ros.

Je ne sais pas si je vais par­ve­nir à vous le choc que ce fût pour l’ado­les­cent de 15 ans que j’étais. Ni Bat­man ni moi ne nous en sommes remis.

La série de 4 épi­sodes dé­bute dans un futur proche où Bat­man a dé­cro­ché et où Bruce Wayne s’étour­dit de loi­sirs dan­ge­reux. L’homme semble avoir la cin­quan­taine, il fête avec le com­mis­saire Gor­don l’an­ni­ver­saire de la re­traite de Bat­man. On ap­prend qu’il s’est fâché avec Robin et qu’il n’a plus de contact avec lui. La ville de Go­tham City est de­ve­nue un enfer où la vio­lence et la peur sont le quo­ti­dien des ha­bi­tants. Les images sont en an­glais, mon vieux scan­ner m’a lâché jus­te­ment au­jour­d’hui où j’en avais be­soin…

Vous de­vi­nez assez vite ce qui va se pas­ser, Bruce va re­mettre le masque… Oui, sauf que psy­cho­lo­gi­que­ment, on com­prend assez vite que le vrai masque est celui de Bruce Wayne et que Bat­man est sa vé­ri­table per­son­na­lité et qu’elle lutte pour se li­bé­rer. Une schi­zo­phré­nie contrô­lée qui, face à la vio­lence alen­tour va voler en éclat et nous ré­vé­ler tout ce qu’est Bat­man et com­ment il sus­cite l’exis­tence de ses en­ne­mis, le Joker en tête qui sort de son état ca­ta­to­nique en voyant Bat­man à la té­lé­vi­sion.
La té­lé­vi­sion est om­ni­pré­sente, al­ter­nant faits di­vers sor­dides et ex­perts pour les ana­ly­ser (toute res­sem­blance avec notre époque est for­tuite… ou vi­sion­naire). La ville est ter­ro­ri­sée par le gang des mu­tants, des jeunes gens pau­més qui se cherchent un guide et com­mettent des crimes atroces.

Bat­man est un vieil homme et son re­tour va être phy­si­que­ment très dif­fi­cile : Son cœur souffre, il prend des coups, saigne et ses ad­ver­saires sont ont la force de la jeu­nesse. Il y a un peu de Clint East­wood dans ce Bat­man. Un super héros res­tant super par na­ture, il va vaincre de­vant tout le monde le chef des mu­tants. Les jeunes se re­con­ver­tissent en chantres de la jus­tice ex­pé­di­tive et se font dé­sor­mais ap­pe­ler les fils de Bat­man.

Bat­man est oc­cupé à pour­chas­ser le Joker et per­sonne ne sait ce qu’il en pense. À la té­lé­vi­sion, les ex­perts dé­battent du fas­cisme sup­posé de ce héros qui com­bat le crime, mais s’af­fran­chit des lois. Les dé­bats sont hou­leux et Bat­man sus­cite à la fois es­poir et ad­mi­ra­tion à Go­tham. Em­ballé par une his­toire ha­le­tante de son héros, le lec­teur va cher­cher à dif­fé­rer sa propre ré­ponse et sa­chant qu’il ne pourra pas tou­jours l’élu­der, tremble un peu.
Pa­ral­lè­le­ment à ce qui se passe à Go­tham, la guerre froide entre Amé­ri­cains et Russes va connaitre un épi­logue nu­cléaire, mais l’in­ter­ven­tion de ce qui se fait de mieux après Dieu selon un Rea­gan qui os­cille entre ca­bo­ti­nage et té­lé­van­gé­lisme va per­mettre d’in­tro­duire un su­per­man à la solde de l’oncle Sam dans notre his­toire.

L’apo­ca­lypse nu­cléaire plus ou moins évi­tée, Su­per­man va être chargé de par­ler à Bat­man pour le convaincre d’ar­rê­ter, sinon il sera en­voyé pour le stop­per. Bat­man, qui a main­tenu l’ordre dans Go­tham pen­dant les per­tur­ba­tions nu­cléaires en fé­dé­rant au­tour de lui et de sa cause la jeu­nesse per­due de Go­tham re­fuse. Le duel sera bien­tôt in­évi­table. Bat­man gagne, mais ma­quille sa mort. Il aban­donne son cos­tume et fonde une sorte de mi­lice à qui il va ap­prendre à pro­té­ger la ville selon ses pré­ceptes : sans armes, mais avec des gnons… et bien sûr en de­hors de tout cadre légal. Le tout avec la bé­né­dic­tion de Su­per­man et du gou­ver­ne­ment qui ferme les yeux tant que c’est dis­cret.

Ce qui est très fort dans cette mi­ni­sé­rie, c’est que l’idéo­lo­gie très droi­tière ap­pa­rait clai­re­ment, mais sans être as­sé­née. Lue au pre­mier degré, c’est une très bonne his­toire de super héros. Au se­cond degré, c’est, au choix une glo­ri­fi­ca­tion des mé­thodes de Bat­man ou un pam­phlet qui les dé­nonce. L’évo­lu­tion d’un au­teur comme Frank Mil­ler oblige à se poser la ques­tion. Le ri­di­cule de Rea­gan dans l’œuvre a long­temps conduit à pen­ser que c’était un pam­phlet à charge contre les ré­pu­bli­cains. Les dis­cours et l’évo­lu­tion de l’œuvre de Mil­l­ler ces der­nières an­nées rendent cette ana­lyse plus dif­fi­ci­le­ment te­nable.

Il n’en reste pas moins que l’œuvre est ébou­rif­fante par les ques­tions qu’elle sou­lève, son in­ten­sité dra­ma­tique, sa dé­me­sure gra­phique son dé­cou­page et son éner­gie. Presque trente ans après, le Dark knight a pro­fon­dé­ment mar­qué le per­son­nage et son ca­rac­tère, le genre des super héros éga­le­ment.
Voilà pour au­jour­d’hui, j’es­père vous avoir donné envie de la dé­cou­vrir. Le livre est dis­po­nible chez Urban co­mics.