Paraît-il que quand on dit « Je t’aime », ça « sécrète des endorphines », diminue le « taux de cortisol » et « la tension artérielle » (il s'agirait d'études scientifiques qui le prouvent, selon les animateurs de l’émission « Bel & Bien »).
Ça expliquerait pourquoi j’avais la sensation de me libérer quand je savais le dire… je me rappelle qu’après avoir prononcé ces mots si lourds, je me sentais si légère dans ma poitrine que ma respiration devenait plus puissante et plus ample que jamais.
Paraît-il que dire je t’aime, « ça lie » (dires d’un barman), et qu’ « il faut dire aux gens qu’on les aime, pour qu’ils puissent nous aimer » (dires de Jacques Brel, en toute sympathie), et que « c’est bon à dire, c’est bon à entendre » (selon Solangeteparle).

Alors, pourquoi j'ai peur de le dire aujourd’hui?
Justement parce que ces mots sont lourds. Dire « je t’aime » est rarement entendu tel qu'on veut l’exprimer, qu’il signifie « je te veux », « les moments que je passe avec toi ont une grande valeur pour moi », ou « tu as de l’importance à mes yeux ». Souvent on l’entend plutôt comme un « aime-moi en retour (et de la même manière) », « sauve-moi », « réponds-moi », « épouse-moi», « habite avec moi», « fais-moi un enfant », « je me sacrifierai pour toi» ou « Je te suis dévoué totalement et éternellement, même si tu me maltraites ».
Et puis, quelqu'un qui me dit je t'aime, comment m'aimes-t-il? Cette personne n'aime-t-elle qu'un aspect de moi, les avantages qu'elle trouve à me côtoyer, ou bien est-elle capable de m'aimer dans mon entièreté, en toute déférence, même dans mes travers les plus sombres et mes différences les plus grandes avec elle?
Et d'un autre côté, le sentiment amoureux n'est pas éternel. Certaines études prétendent qu'il dure deux ans, certains couples affirment arriver à le faire tenir toute une vie, si tant est qu'on soit capable de faire la différence entre l'amour, le désir, l'affection, le plaisir d'être avec l'autre...
Après avoir fait le tri de tout ça, il y a des moments où l'on est disponible à accueillir l'autre dans son entièreté... Mais peut-on ne pas cesser de le dire alors qu'il nous a blessé, et faire que ça reste sincère? N'est-ce pas loin d'une preuve d'amour que de dire à quelqu'un qu'on l'aime sans le penser, et de l'habituer à des mots qui s'épuisent vite?
Peut-on dire “je t'aime” comme on pourrait dire “je te déteste” ?
ou “je te hais”?
“Je t'aime” sont pour moi de ces mots qui, une fois qu’ils sont prononcés, pèsent d’un poids si présent que leur absence peut se fait sentir trop fort pour ne pas en souffrir. J'aimerais pouvoir dire “je t'aime” dans le sens “je me perds en toi sans peur”, mais encore faut-il que ce soit réciproque, et c'est aujourd'hui si rare. Il me faudrait avoir une capacité de lâcher-prise proche de celle de Bouddha, pour ne pas mettre d'enjeux trop forts à ces mots périlleux. Je ne suis pas l’homme, et pourtant je me retrouve dans ce que dit Panayotis Pascot dans cette vidéo.
“Tout le monde dit et répète “Je t'aime”. Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s'usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver.”
“La Grammaire est une chanson douce” de Erik Orsenna EAN : 9782253149101
Que ce soit mes amis, ma famille, un lien intime ou une foule, je ne sais plus dire « je t’aime », sans avoir envie d’immédiatement retirer mes paroles, de peur qu’on ne les entende pas de la même manière que je les pense. Alors je les tais pour préserver mes semblables. Comme les pantins des Anges au Plafond, dans “Le nécessaire déséquilibre des choses” : “Je me retiens de vous aimer...” Je préfère laisser parler mes yeux à ma place, poser des actes, ou trouver d’autres termes pour l’exprimer.
D’autant qu’en français, nos petits trois mots sont bien pauvres face aux :
• « Ti voglio bene » italien (« je te veux du bien », « je prends soin de toi » pour un ami) • « Aishiteru » japonais ( « je fais de l’amour », pour un lien exclusivement passionnel) • « Agapè » grec, qui signifie le don de soi en toute pureté, sans rien attendre en retour. • « Dāna » sanscrit : le seul ici qui n'est pas une formule, mais un concept qui signifie le don consenti : “déréliction assumée et non pas subie. (..) Dāna est un lâcher, un abandon des prises.” (Curieux; pour notre monde occidental, la déréliction est vue de manière péjorative...) • La traduction des « I love you » anglais et « Ici liebe dich » allemand se rapproche davantage du « je t’adore »… • Et ne parlons pas des licences poétiques du genre « je veux nous célébrer », « merci d’être toi », « je m’offre à toi », « envahis-moi », « je te réclame », et autres phrases enflammées qui ne manquent pas à l’appel des inspirations de chacun…
Ni de cette manière épurée qu'à la langue des signes, de faire du “je t'aime” une vague qui se donne depuis son coeur vers l'autre:
Divinité associée: Eros, dieu du désir amoureux (pas forcément satisfait).
J'encourage pourtant les autres à se le dire, à condition que ça leur fasse le bien qu'ils espèrent... Personnellement, j’ai souvent trouvé le silence bien plus loquace que les mots… Si je vais jusqu’à ne plus dire ces mots de ma vie, je trouverai bien d’autres moyens de sécréter mon endorphine. Et si ma résistance à ces mots finit par lâcher... Pourvu qu'on me pardonne.
« Je choisis de t'aimer en silence, car en silence je ne trouve aucun rejet.»
Djalâl-od-Dîn Rûmî
Ce travail est sous licence CC BY-NC-ND 4.0