Définition de CNRTL -Individu dont la morphologie est anormale -Créature -Chose qui s'écarte des normes habituelles.
Etymologie (latin) monstrum « avertissement des dieux » monstrare « montrer, faire voir, indiquer, avertir »
Le monstre au sens du “Freak”, je le définis comme l'individu qu'on expose pour sa morphologie dite “difforme”, censée inspirer la peur, le dégoût, la moquerie, la compassion ou la curiosité malsaine. En somme, l'être humain martyrisé pour sa différence. En témoignent l'exposition coloniale, la figure de Quasimodo, la créature de Frankenstein, Edward aux mains d'argent, la femme à barbe, ou encore Joseph Merrick, surnommé “The Elephan man” (image ci-dessous).
Mais il y aussi un autre sens que prend ce mot dans notre société: le monstre en termes de moralité. Ce monstre-là peut commettre le mal sous couvert de bienveillance. Et quand il s'agit de ça, le mot “monstre” s'entend autrement.
Les origines du mal sont profondes, qu'elles viennent ou non de bonnes intentions. Et ce qui les rend si peu reconnaissables, c'est qu'elles n'ont ni couleur de peau, ni nationalité, ni rang social, ni genre, ni métier, ni morphologie spécifique, ni profil social typique, et qu'elles peuvent grandir subtilement en chacun tant qu'elles ne sont pas mises à jour. “Les voix du mal passent à travers ton gros gilet pare-balles” (Dixit Swift Guad)
Le mal commence là où on a mal soi-même, là où nos blessures n'ont pas guéri, là où le monstre crie parce qu'on n'a pas soigné ses plaies, là où un besoin est insatiable. C'est là où la vulnérabilité est la plus forte que le monstre s'exprime, jusqu'à commettre l'anormal, l'extrême, l'improbable, l'impensable, mais aussi l'impardonnable, le viol, le crime, le lynchage, la torture, l'homicide, le génocide...
Je pense notamment à des figures qui ont inspiré l'horreur et la fascination dans les médias : Michelle Carter ayant poussé son ami au suicide soit-disant par amour, que SKYND interprète dans son morceau au titre éponyme, “Michelle Carter”. Ou l'affaire Xavier Dupont de Ligonnès, cet homme ayant tué les membres de sa famille avant de se donner la mort. Ou encore à Jim Jones, qui a orchestré dans sa secte le suicide collectif au Temple du peuple.
Mais le titre de monstre n'est pas exclusif aux crimminels. Ce qu'il y a de plus monstrueux quand un être humain commet de pire, c'est que ce soit pas un “monstre sacré”, mais un être humain, donc de notre espèce, qui l'ait commis. Ce qui impliquerait que nous en serions capables nous-mêmes, dans certaines conditions...
“Le monstre, c'est l'ego” (Dixit Jérôme Colin). J'entends là que le mal est à la base du narcissisme qu'on possède tous, la résistance où germent nos graines de colère, de résilience, mais aussi de haine, de déni et de rejet. Je considère qu'on a tous un beau monstre derrière nos enveloppes corporelles humaines, qu'il ne s'agit pas de cacher, mais auquel il s'agit de faire face. Nous sommes tous capables de faire “le mal”, de blesser, de tuer, de faire souffrir, même accidentellement, il s'agit de le reconnaître: en être capable signifie que nous en avons le pouvoir, pas fatalement que nous allons en user.
Pour autant, “Monstre” est un titre que je revendique moi-même. A mon sens, en tant qu'artistes, en nous “montrant” sur scène, nous remplissons un rôle de “monstres” au sens étymologique. Nous mettons au grand jour les travers humains, auxquels nous somme mêlés nous-même. C'est l'intérêt que prend la catharsis et la projection émotionnelle, occasion de voir en nous les tares que nous nous contentions d'ignorer par suffisance... Voilà pourquoi je suis sensible aux paroles de Stupeflip quand il dit aimer les monstres depuis l'enfance :
Je dédie donc cet article à tout.e.s les Nimona, qui ont compris que tout ce qu'ielles feront pour répondre à ce que la société ou leur entourage attend d'eux, ne sera jamais assez. A tous ces rejetés qui, ayant ou non emprunté une mauvaise pente, se sont servi de cette monstruosité qu'ielles se sont crues être face aux procès d'intention, pour mettre le monde au défi en continuant d'exister à ses dépends. Alors oui, le monstre, c'est aussi celui qui souffre. Celui qu'on qualifie de monstre par rancoeur, ou qui se qualifie lui-même de monstre par culpabilité maladive.
Qualifier une personne est une manière très directe pour la mettre à distance. C’est commun. Il est plus confortable de se dire que l’autre est « inhumain », « cruel », « bizarre », « invasif », « lâche » ou « hypocrite », sans admettre la part d’inhumanité, de cruauté, de bizarrerie, d’avidité ou d’hypocrisie qu’on peut porter en soi. Le monstre est là, derrière nos yeux. Nous portons le même masque qu'on prête à ceux qui sortent de notre ordinaire ou de nos canons de pensée, qu'on exclue ou qu'on persécute.
Je ne vais pas jusqu’à dire que « personne n’est innocent », simplement que notre part d’innocence n’exclue pas en nous la part monstrueuse qui la contrebalance. “The beast is in us, not in the face” (“La bête est en nous, pas dans le faciès”, Dixit Karliene)
Divinité associée: Cthulhu, créature extraterrestre évoquée par Howard Phillips Lovecraft. Nota Bene, dans sa vidéo “Lovecraft et le mythe de Cthulhu”, développe l'univers de Lovecraft où règne la peur de l'inconnu. Le fantasme de cette divinité monstrueuse a été nourri par sa xénophobie, mais aussi l'insignifiance de l'être humain face aux forces qui le dépassent.
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