Trystero

Trystero

Comme je l'ai déjà dit quand j'ai commencé à lire Trystero, ils sont rares, les auteurs dont je lis les livres dès leur sortie. Laurent Queyssi est de ceux-là. Je ne pouvais pas attendre plus de quelques jours pour l'acheter et le lire, d'autant plus que la présentation qui en était faite était très alléchante.

Trystero est un texte atypique, difficile à décrire, ou plutôt trop facile à décrire : il s'agit du manuel d'écriture d'un vieil écrivain, Bruno Trivanen, qui, alors que sa carrière est derrière lui, se décide à coucher sur le papier ses propres techniques et ses conseils à destination d'éventuels apprentis, souhaitant faire de ce manuel une œuvre de transmission.
Une fois qu'on a introduit le roman ainsi, on a à la fois tout et rien dit, car en se décidant à coucher ses enseignements sur le papier, à force d'allusions à des situations antérieures et de descriptions des événements actuels, Bruno Trivanen y couche également sa vie, ses combats, ses victoires et ses défaites, et esquisse les contours d'un monde furieusement dystopique, dans lequel la libre pensée est réprimée et dans lequel un texte pourrait être l'une des dernières formes de résistance possibles.

Plusieurs dessinateurs de bande dessinée que j'ai croisés dans ma vie m'ont parlé de ce piège dans lequel certains de leurs collègues tombent : celui de n'avoir jamais appris à crayonner d'après nature, mais uniquement dans les BD de leurs prédécesseurs. Leur style possède alors des atouts narratifs qui manqueront peut-être à d'autres artistes moins exposés à ce genre d'œuvres, mais il sera aussi dépourvu de ce petit côté réaliste, universel et cohérent dans les expressions et les placements des décors et des personnages.

Il en va de même pour les écrivains qui ne puisent du matériau que dans des fictions. Une certaine aisance dans leur façon de dépeindre leurs protagonistes – qui peut parfois confiner au cliché, avouons-le – ne compense pas leur absence d'humanité réelle.

La figure de ce vieil écrivain, à la fois désenchanté, usé par ses revers, mais ayant également chevillé au corps la maturité d'une vie de joutes et d'excès, bouillant d'une volonté de transmission est l'un des aspects les plus puissants du roman. Trystero est une hymne à la gloire de la fiction, de son pouvoir d'influence, de sa place dans la société. Une réflexion subtile sur les mécanismes de la création et leurs impacts. Résolument contestataire, il présente les textes comme de formidables outils d'émancipation, permettant de nourrir les réflexions et de questionner les convictions.

J'ai été impressionnée par l'admirable maîtrise narrative dont a fait preuve Laurent Queyssi, nous livrant un roman à la structure extrêmement atypique et pourtant formidablement réussie. Trystero est un bijou de subtilité, dont chacun des aspects est soigneusement dosé, dont chaque paragraphe est utile pour construire un texte poignant, adroitement anti-conformiste.
Pour moi qui apprécie par dessus tout les textes hors norme, ce fut une lecture jouissive, une excellente bulle d'originalité, un véritable plaisir.


Trystero | Laurent Queyssi | Mnémos/Label Mu