Éloge de la lenteur
Tout va trop vite
Je me souviens, dans une autre vie, j'avais passé le concours de la FEMIS, une école de ciné “libre”, mais sur concours, du coup. Le thème de projet écrit que nous devions rendre était “La vitesse”. Comme je n'ai jamais su ce qu'on attendait de moi sur ce genre de devoirs, j'ai égréné les différents exemples de la vie qui démontraient que tout s'accélérait dans le monde : les TGV, la connexion internet, etc.
Aujourd'hui, en fin d'année 2025, rien n'est plus vrai que ce que j'avais essayé d'expliquer dans ce devoir écrit : tout va de plus en plus vite. J'ajouterai même une composante à ce constat : tout va plus vite pour être de plus en plus productif. Les exemples et les démonstrations existent déjà : une société qui réclame plus de productivité, même dans les moments d'oisiveté, un smartphone connecté à tout, tout le temps, qui réduit à néant les moments d'ennui pourtant capitaux pour la créativité, et même en dehors de la population, des grosses entreprises qui cherchent à produire toujours plus (et qui accusent les consommateurs de “surconsommer”).
J'avais déjà écrit auparavant sur la nécessité de réapprendre à apprendre, d'utiliser sa mémoire. Globalement, ça s'inscrit dans la même veine, puisqu'il s'agit avant tout de se réapproprier notre matière grise. Soit simplement pour se sentir à nouveau maître de nos connaissances, soit pour développer de nouvelles compétences, ou simplement pour prendre le temps : pour créer, s'ennuyer, s'amuser, etc.
Oui, la clé réside dans le temps qui est pris pour soi. Je me souviens d'une assertion de Daniel Pennac sur les gens qui disent qu'ils n'ont pas le temps de lire. Le temps de lire est un temps volé. Un temps qu'on a pris sur un autre pour pouvoir lire un peu, s'évader dans l'aventure dans laquelle on attend impatiemment de replonger.
Alors, en ce qui me concerne, j'ai décidé de prendre les choses en main. Littéralement. Je réalise que sur clavier, sur smartphone, on écrit très vite. On est corrigé automatiquement si on a inversé deux lettres. On n'a même plus besoin de lever l'index pour faire apparaître un mot. On va vite.
Sauf que…
Sauf qu'encore une fois pour des raisons de réappropriation de ses capacités, ses connaissances, je réalise que je n'écris plus vraiment avec un stylo. Sauf à rédiger un chèque une fois de temps en temps. Et encore, on fait ça vite fait, sur un coin de table, en écrivant mal. Il faut signer et passer à autre chose !
Prise en main
Alors, j'ai décidé de reprendre en main les choses. Par petites astuces, par petits bouts. Par exemple : ce matin, j'ai désactivé la correction automatique de mon smartphone. Je sais écrire vite dessus. Ça n'a aucun intérêt d'écrire vite sur un smartphone. Sauf si on veut répondre en speed à quelqu'un pendant qu'on fait autre chose. Tout à fait contraire à cet esprit de lenteur que je veux réinfuser dans ma vie. Donc, maintenant, sur mon smartphone, je prends mon temps pour écrire des messages. C'est vrai que maintenant, je dois taper les accents, les apostrophes, et revenir en arrière si mon doigt a appuyé à côté. Ce n'est pas grave du tout. Je suis là pour prendre mon temps.
J'ai aussi choisi de reprendre l'écriture pour deux raisons : à la fois parce qu'en apprenant le japonais, je réalise que je reconnais les kanji et les kanas mais que je suis incapable de les reproduire à l'écrit. Dites-vous que c'est comme si je vous demandais de dessiner Mario de tête. Vous savez qu'il a une casquette rouge, une moustache noire et un gros nez, pourtant, la plupart des gens seront incapables de le dessiner correctement. On reconnaît Mario sur des dessins, mais on est incapable de le dessiner. Pour le dessin, si vous n'êtes pas dessinatrice/dessinateur de profession, ce n'est pas dramatique de ne pas avoir de carte mentale de ce genre. En revanche, ne pas savoir écrire l'alphabet d'une langue qu'on apprend, c'est un peu plus problématique au quotidien. Et en extrapolant, je pense aussi qu'écrire dans sa propre langue avec un stylo et une feuille, ça devient de plus en plus difficile pour nos générations baignées dans le numérique. Je sais toujours tracer mes lettres, je sais écrire. Mais je sais que je fais beaucoup plus de conneries (toujours parce que je vais trop vite !) qu'avant. La 2e raison pour laquelle je reprends l'écriture : c'est parce que j'adore inventer des histoires. J'adore commencer par une phrase qui me lance une sorte de défi à continuer l'histoire. Et ça fait hyper longtemps que je ne m'étais pas relancé dans ce type d'exercice.
Pour la facilité, je choisis de faire tout ça sur ma tablette reMarkable. D'abord, parce qu'elle est toujours à ma disposition, près de moi. Mais aussi, parce que, pour mon histoire, j'aurais la possibilité de la convertir en texte numérique très facilement (vu que je m'applique pour tracer mes lettres !) pour éventuellement la partager.
Evidemment, la pratique de la lenteur ne doit pas forcément passer par ça pour tout le monde. Et ce n'est pas un mode d'emploi, mais bien la (re)découverte de pratiques qui me plaisent et me permettent de ralentir sérieusement mon rythme de vie. Mais on peut citer d'autres exemples de ralentissement. Par exemple, il m'arrive le matin pendant le week-end de ne pas prendre mon téléphone pour lire mastodon (ou un article de presse) pendant mon thé. Je choisis de savourer mon thé en n'ayant que pour attraction mon environnement direct (le salon, le jardin et la rue en face si les rideaux sont ouverts). C'est bien pour ralentir ça aussi, savourer son breuvage matinal. D'ailleurs, c'est pour ça que j'adore le principe de la cérémonie du thé ! Tellement de lenteur, de patience, d'apaisement !
Il y a aussi le yoga, que je re-pratique en douceur depuis peu. Ça aussi, c'est un sport dont le principe repose sur la lenteur, puisqu'il faut faire les mouvements au rythme d'une respiration calme et profonde.
Je pense que beaucoup de choses du quotidien peuvent être ralentie, non pas pour “aller au ralenti”, mais juste pour réapprendre à prendre son temps. La vie va beaucoup trop vite pour en profiter. On veut nous rendre productifs même dans les quelques temps morts qu'il nous reste (aux WC ?). Moi, je veux garder mon temps libre pour moi, mes envies, mes passions, sans aucun rapport direct avec ce que la société attend de moi.
Allez, je vous laisse, je dois écrire un peu et travailler mes kanas !
Et surtout, n'oubliez pas de prendre le temps !
(PS : je suis sûre que vous avez envie de savoir combien j'ai eu à ce devoir ? Si j'ai réussi le concours ? Et bien, non, je n'ai pas dépassé la première étape du concours, je crois que j'ai eu en dessous de 8/20 pour ce fameux écrit sur la vitesse :D)