Un Spicilège

Myala : seconde chance

On ne va pas se mentir : je connais le travail de Lilian Peschet depuis longtemps. Depuis Mon donjon, mon dragon, je pense, et déjà, à l'époque, je me suis dit qu'il avait un sacré talent pour les histoires. Je fus donc très contente d'apprendre qu'il allait (enfin) sortir un nouveau roman car après l'excellente (et bien violente !) série de nouvelles Empenn police (Empenn ? ça me dit quelque chose...) pour l'excellent (!!!!!!) podcast Vous aurez de nos nouvelles d'Olivier Gechter (qui n'est pas non plus la moitié d'un gars bourré de talent, d'ailleurs, mais je digresse...), j'avais très envie de retrouver sa prose.

Avec Myala : seconde chance, il nous transporte dans un futur dystopique cyberpunk bien crade, dans lequel certains criminels se voient proposer de purger leur peine en passant quelques années sous l'uniforme de la police. Myala y encadre donc une brigade aussi hétérogène que soudée dans l'adversité, bientôt en charge de l'enquête sur une série de meurtres violents et irrationnels, qui pourrait être leur rédemption.

Alors, je sais, et je suis la première à le penser : la dystopie, le cyberpunk, on connaît... Mais il faut avouer que Lilian Peschet enchaîne les idées brillantes dans ce roman. L'idée de mêler tout ça au polar noir... l'idée d'un futur sale, dans lequel les discriminations sont palpables, le manque de moyens criant... l'idée magistrale, surtout, de faire de ses héros d'anciens délinquants devenus policiers, pour lesquels on se doute dès le début que rien ne sera juste.
Après avoir posé cet univers solide, il déroule une intrigue rythmée, efficace, qui n'est pas dénouée de certaines surprises. Un sentiment de malaise ne m'aura pas quitté de ma lecture, inspiré par l'aspect sordide et abusif de l'histoire. On est vraiment dans le très sombre... Le style très direct de l'auteur donne le ton d'un roman qui ne tergiverse pas mais expose crûement l'essence même du monde qu'il décrit : obscur et désespéré.

Chaque point de lumière est alors une respiration, et, la fin arrivant vite, on ne peut qu'avoir envie d'une suite. Mais mon petit doigt me dit que ça pourrait bien arriver...


Myala : seconde chance | Lilian Peschet | Editions du 38

Antigone

J'ai découvert Antigone dans le cadre de mon challenge 12 mois, 12 livres, 12 (masto)potes. Il m'a été recommandé par Valérie, que je remercie beaucoup pour la découverte.
En effet, Antigone est un livre qui m'a particulièrement touché, dans son propos, dans l'étrange poésie qu'il dégage, dans l'inévitable drame qu'il évoque.

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la mythologie, Antigone est la fille incestueuse de Œdipe et Jocaste, souverains de Thèbes. Après avoir découvert la vérité, sa mère se suicide et son père se crève les yeux avant de s'exiler de la cité. Antigone passera alors de nombreuses années à guider son père devenu aveugle dans sa vie de mendiant. Au début du roman, elle revient à Thèbes à la mort de son père pour essayer de mettre fin à la guerre fratricide que se livrent ses deux frères Polynice et Étéocle pour le trône de Thèbes.

J'ai toujours aimé les mythes et j'ai passé de nombreuses heures de lecture autour des légendes grecques. Ce sont toujours des récits épiques, entachés de trahisons et de drames, la plupart du temps anticipés et inévitables, les rendant tragiques. J'ai retrouvé cette atmosphère dramatique dans le livre d'Henry Bauchau puisque, encore une fois, rien ne semble pouvoir arrêter le destin.

Mais au-delà de l'histoire en elle-même, ce sont bien les qualités intrinsèques à l'œuvre de Bauchau qui m'ont bouleversée. L'histoire d'Antigone permet en effet à l'auteur de dresser un portrait de femme de toute beauté. Sous sa plume, Antigone est puissante, dissidente, d'une volonté de fer, d'une sensibilité de feu, une héroïne éclatante. Les autres personnages sont également bouleversants, comme les frères jumeaux Polynice et Étéocle, tragiques dans leur rivalité teintée d'une affection inaltérable, infernaux dans leur entêtement malgré le drame inévitable qui s'annonce. Bauchau donne également vie à une Ismène toute en nuances dans le mélange d'amour et d'opposition qui l'unit à sa soeur, lui donnant une puissance différente d'Antigone mais tout aussi ardente.Quant à Thèbes, l'imposante cité royale qui est le théâtre des évènements, il en fait un personnage à part entière, aussi accueillante que dévorante dans sa cruelle exigeance de richesses.
L'écriture d'Henry Bauchau est d'une poésie folle et certains chapitres bouleversants d'émotions (je pense par exemple au passage de l'élaboration des sculptures) font de la lecture d'Antigone une expérience sensorielle et intellectuelle intense.

Il me reste donc à vous conseiller à mon tour de vous plonger dans Antigone, un superbe roman qui m'a donné envie de lire d'autres œuvres d'Henry Bauchau.


Antigone | Henry Bauchau | Actes Sud / Babel

Collisions par temps calme

  • Rien n'est jamais parfait, coccinelle, et c'est tant mieux. Mais tu as raison, le monde est un endroit merveilleux.
  • Grâce à Simri.
  • Oui, mais également grâce à l'humanité qui a su l'inventer, puis lui faire confiance. Grâce à Simri, l'humanité nous bénéficions de progrès sans précédent. Nous avons repris le contrôle de notre trajectoire. En tant qu'espèce, nous n'avons jamais été aussi heureux, ni aussi libres. Libres même de ne pas vouloir en profiter.

Quel plaisir de retrouver l'écriture soutenue de Stéphane Beauverger après le formidable Le Déchronologue que j'ai lu il y a quelques années et qui m'a laissé le souvenir d'un roman splendide.
Avec Collisions par temps calme, c'est la novella qu'il explore, ce format de fiction coincé entre le court roman et la longue nouvelle. 120 pages, c'est assez pour nous plonger dans l'utopie qu'il a imaginée, ce temps calme issu de l'invention d'une intelligence artificielle omnipotente et bienveillante. Les collisions, elles, seront autres. Celle des trajectoires d'un frère et d'une sœur, d'une part, dont les parcours semblables et les choix opposés entraînent l'éloignement, celle de la découverte, d'autre part, de la vérité sous-jacente sous les analyses de l'IA.

Comme il fut agréable de découvrir l'avenir radieux décrit par Beauverger, qui développe ici un monde ou l'intelligence artificielle, plutôt que de contraindre ou asservir l'humanité (comme c'est bien trop souvent le cas), déploie ses capacités pour la décharger de ses contraintes et lui permettre d'aspirer à un monde parfait. Dans cet univers d'harmonie et de sérénité, il questionne le rapport au libre-arbitre, à la quête du bonheur... On se demande jusqu'où on serait prêt à accepter les choix d'un autre pour son bonheur, s'ils sont totalement contraires aux nôtres.

De par la précision de son écriture, il signe un récit fort et bouleversant, au rythme apaisé contrastant avec la profondeur de son propos. L'originalité de son histoire m'a marquée, son caractère extrêmement introspectif également. Ce texte est d'une beauté sereine et tragique. Une véritable réussite.


Collisions par temps calme | Stephane Beauverger | La Volte

Homer & Langley

Langley disait : Qui se soucie de ce qu'étaient nos distinguées ancêtres ? Quelle foutaise. Tous ces comptes rendus de recensements, toutes ces archives n'attestent que la suffisance de l'être humain qui se donne un nom et une tape sur l'épaule, et ne reconnaît pas son insignifiance devant les évolutions de la planète.

L'histoire dramatique (et vraie) des frères Collyer, les “frères fantômes” de Harlem est un cas d'école des effets tragiques de la syllogomanie, le syndrome d'accumulation compulsive pouvant rendre une habitation totalement insalubre et impraticable.
E.L. Doctorow prend des libertés avec ce fait divers célèbre, et nous offre un roman au temps long, retraçant une épopée américaine balayant une grande partie du XXème siècle.

A travers les “yeux” du sensible Homer, le narrateur, le pianiste aveugle que son frère Langley se charge de protéger, c'est une histoire des Etats-Unis qui nous est contée, de l'après-guerre aux années 70. Au rythme des (rares) rencontres et actions des frères reclus, les périodes marquantes sont évoquées, comme la prohibition, la Seconde Guerre mondiale (qui affectera leurs domestiques japonais), le mouvement hippie... Les deux frères, issus de la vieille aristocratie New-yorkaise, posent un regard bien particulier sur tout cela, souvent candide et ébloui pour Homer, plus cynique et méfiant pour Langley qui est revenu gazé de la Première Guerre mondiale.
Mélangeant l'Histoire avec l'histoire, le roman narre aussi comment la santé mentale de l'un, et la santé physique de l'autre (d'abord aveugle puis progressivement sourd) vont contribuer à leur isolement et leur paranoïa. Avec une infinie délicatesse et beaucoup d'empathie envers ses personnages, l'auteur nous partage le quotidien de ces êtres atypiques et attachants.

Homer & Langley est donc un livre parfois tendrement drôle, bigrement enrichissant et toujours fort émouvant que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire.


Homer & Langley | E.L. Doctorow | Traduit par Christine Le Bœuf | Actes Sud

Le fil du destin

J'ai lu le premier tome du Clan des Otori (ou plutôt je l'ai écouté) il y a (très) longtemps et, si j'en ai gardé une opinion assez bonne, j'avoue que j'en ai peu de souvenirs (un seigneur Otori énigmatique ? une vague tribu aux aptitudes surnaturelles ? un amour fou ?).
Du coup, ce fut avec un œil presque neuf que j'ai découvert ce roman qui m'a été conseillé par EuZèbe dans le cadre de mon défi 12 mois 12 livres 12 (masto)potes. Je me disais cependant souvent : “Tiens, je suis sûre d'avoir un vague souvenir de ce personnage, ou de cette scène.” En effet, ce roman est à la fois le dernier du cycle et une préquelle à l'histoire principale.

Le Clan des Otori est une grande saga, formée de 5 tomes, se situant dans un japon fantastique aux allures médiévales, narrant des histoires de dynasties, de conquêtes, de vengeances, d'amours... Des hommes et des femmes, surtout, qui sont les voix de ces chroniques.
Revenant à la source du récit, Le fil du destin narre l'histoire de Shigeru Otori, de son enfance à sa vie d'adulte, héritier d'un clan fragilisé, soumis aux guerres intestines de sa famille, aux ambitions de conquêtes du clan voisin et à des passions amoureuses déchirantes.

Si ce roman s'éloigne de ce que je lis habituellement, c'est sans déplaisir que je me suis pris au jeu de cette épopée aux relents de roman initiatique (encore heureux car ce pavé fait tout de même 600 pages). Le souffle épique est incontestable, les rebondissements nombreux, les personnages profonds et contrastés. J'ai été frappée par la maturité avec laquelle certains sujets étaient abordés. Des sujets durs, abordés frontalement, sans complaisances mais sans faux-semblant.

Le tout forme une fresque d'une indéniable qualité, portée par une écriture aussi précise dans ses descriptions que dans ses divagations. Un roman riche, qui prend le temps d'approfondir les thèmes qu'il aborde. Une histoire assurément triste, également.

Je ne sais pas, pour être honnête, si je garderai vraiment en mémoire cette histoire complexe, je ne pense pas m'être sentie suffisamment impliquée pour cela, mais je garderai sans doute le souvenir de très bons instants de lecture.


Le clan des Otori, T5 | Le fil du destin | Lian Hearn | Traduit par Philippe Giraudon | Gallimard Jeunesse

Myosotis

Très bonne surprise que ce court-métrage d'horreur français de Félix Dobaire (disponible sur la chaîne Youtube Alter).
Sans paroles ou presque, les images et la musique suffisent amplement à planter un décor familier mais à la limite de l'étrange.

Quel est ce lieu singulier dans lequel la production de légumes semble primordiale ?
Pourquoi la viande semble taboue ?
Pourquoi quand on y entend un bruit la nuit on descend avec un candélabre ?
Mais qu'est-ce qu'il a, ce jardin, à la fin ?

Curieuse histoire de crime et de vengeance, angoissante et fantastique, elle m'a fait osciller entre le sourire et le frisson, les scènes d'angoisse étant parfaitement réussies.
Le réalisateur exploite parfaitement la singularité du format court-métrage en ne s'appesantissant pas sur la mise en contexte, mais en distillant ses informations au fur et à mesure de la résolution de l'histoire.
Un véritable plaisir à voir !


Myosotis | Félix Dobaire | 2021

Lettres de burn-out

Chère Journée,
Je ne me lèverai pas ce matin.
En premier lieu, je suis anéanti dès le réveil. Notre société ne nous intoxique pas seulement avec des pesticides ou des additifs alimentaires, mais également avec la fatigue.

J'ai découvert les Lettres du burn-out grâce au site de la littérature et des écrits humoristiques Vis Comica, élégamment chapeauté par Francis Mizio.
Ça faisait un sacré bout de temps que je n'avais pas lu ce genre d'ouvrage. Une sorte d'exercice de style, drôle mais également exigeant dans l'écriture.

Dans une société qui est devenue trop compliquée, trop sollicitante et, au final, intransigeante, certains finissent tôt ou tard par dire stop... Ça suffit... J'arrête... J'en ai marre. Jean-Luc Coudray a donc imaginé ce que seraient les adieux de ceux qui abandonnent et nous les présente sous la forme d'une ultime correspondance dans laquelle ils vident leur sac. En effet, tout au long des 50 lettres qui composent ce recueil, chacun, au moment de renoncer, de laisser tomber, revient enfin à l'essentiel et fait éclater une sincérité souvent drôle, parfois grinçante, voire désespérante.
Cela commence par un président de la République cynique et lassé renonçant au pouvoir puis, tour à tour, toute une galerie de personnages prend vie, des plus cyniques aux plus désabusés, entraînant dans leur drôle de cortège un avion refusant de décoller ou un cerveau arrêtant de fonctionner, me plongeant de l'amusement à l'agacement, de la contrariété au soulagement, tant certaines situations font écho à mes propres ras-le-bol...( cet ami qui cesse de rendre service, ce spectateur qui ne va plus au cinéma, ce canari qui arrête de chanter...).
Si d'autres m'ont moins parlé, Jean-Luc Coudray réussit tout de même l'exercice haut la main, grâce à une écriture particulièrement recherchée et des arguments fouillés. Que dire par exemple de cette phrase tirée de la lettre Une femme renonce à être belle :

Tout d'abord, le maquillage, en soulignant le contour des yeux, la forme de la bouche ou la rondeur des joues, n'est qu'un sous-titre pour malcomprenants.

Passant de sujets légers à des plus intenses, il réussit, malgré les difficultés, à se sortir de situations qui s'annonçaient pourtant compliquées (à ce titre la lettre Une femme arrête d'être féministe est un véritable chef-d'oeuvre !).

Je terminerai cette chronique par la fin de la lettre du parachutiste qui n'ouvre pas son parachute, que j'estime être une parfaite conclusion :

J'ai traumatisé la foule. Les enfants ont hurlé, les parents ont été bouleversés. Oui, la liberté est choquante. Bonne soirée.


Lettres de burn-out | Jean-Luc Coudray | Wombat

Tè Mawon

  • Mes taties, elles m'ont dit : si tu veux sauver le monde, tu fais en sorte qu'aucune langue n'en domine une autre. Parce que quand une langue domine l'autre, l'autre finit par lui appartenir et disparaître. Du coup on existe que si on parle, tu vois ? Alors il faut l'équilibre.

Je ne vais pas le cacher, d'autant plus que j'en suis très fière : je voue une admiration absolue aux œuvres de Michael Roch. Depuis longtemps je suis une fidèle de ses créations, je m'intéresse à ses explorations de toute forme de narration. Rien ne me touche plus que ses romans. De Moi, Peter Pan au Livre Jaune, j'ai déjà dit tout le bien que j'en pense, et à quel point cet écrivain à un talent dingue.
Je me suis donc précipitée sur le dernier-né : Tè Mawon, dont le titre même laissait présager la subtile exigence que ses écrits portent toujours.

Il est en effet évident, dès la lecture du titre, que ce roman est bien différent de la SF habituelle. Il en reprend pourtant un ressort assez classique. L'histoire se passe dans une mégalopole futuriste stratifiée, Lanvil, dans laquelle les défavorisés doivent se coltiner les profondeurs tandis que les bourgeois s'élèvent vers les sommets, jusqu'à ce qu'on cherche à renverser cet état de fait. La grande différence réside dans le fait que Lanvil s'élève sur les terres caribéennes, que ses habitants en sont les héritiers, et ça, les enfants, ça bouscule nos habitudes bien plus que ça ne le devrait !
Michael Roch réussit à faire de Tè Mawon l'un des livres les plus originaux qu'il soit, et dieu sait s'il nous avait pourtant déjà habitué à du haut niveau, en utilisant des procédés qu'il maîtrise tellement que c'en est prodigieux :

  • Le roman choral : Michael Roch alterne les points de vue et il le fait bien. Bien au-delà d'un jeu de ping-pong plat, c'est une véritable symphonie qu'il orchestre. Il nous présente des personnages aussi contrastés que convaincants, chacun réussissant à trouver une place de choix dans le patchwork que forme la trame de ce récit. Les interventions, une à une, finissent par former une fine marqueterie parfaitement ajustée, faisant sortir un univers de terre, faisant avancer une intrigue d'une efficacité indiscutable.

  • La maîtrise de la langue : c'est LE tour de force/coup de maître/trait de génie/morceau de bravoure/j'en passe et des plus superlatifs... du bouquin. Il donne corps à ses personnages par leur réappropriation de leur propre langage. Hybridant les dialectes, explorant les 1001 facettes du créole, dotant chacune des figures du récit de ses propres expressions. Ici le langage définit l'être, raconte sa vie, en dit plus sur lui que la plus longue des descriptions.

Lire un roman de Michael Roch, c'est exigeant. Le découvrir, l'apprécier à sa juste valeur, s'enrichir de sa lecture, cela demande une implication qui fait de toi un acteur à part entière de l'histoire.
Ici, il te faudra décortiquer, déchiffrer certains mots si tu t'obstines à vouloir tout comprendre, ou te laisser emporter par la formidable mélodie qui se dégage de certains passages. J'ai par exemple lu une partie du livre à haute voix. ça m'a aidé à comprendre, certes, et ça m'a permis surtout de profiter vraiment de toute la poésie qui se dégage de ces pages.

Au-delà d'un roman à l'intrigue palpitante et aux enjeux forts, c'est une nouvelle leçon que nous offre Michael Roch.


Tè Mawon | Michael Roch | La Volte

Siddhartha

J'ai lu Siddhartha après qu'il m'ait été conseillé par Christophe dans le cadre de mon défi 12 mois, 12 livres, 12 (masto)potes.
Si vous ne connaissez pas Christophe, aka PTL_ sur Mastodon, commencez par aller jeter un oeil à son blog, il y parle lectures et c'est une des personnes dont je peux suivre l'avis les yeux fermés (même si c'est pas commode pour lire), ce que je fais depuis quelques années à présent (comme le temps fil sur les réseaux aussi...). Ses avis sont toujours assurés et pertinents, ses goûts éclectiques... j'y trouve toujours ce que je n'étais pas venue y chercher (un point bonus si vous aimez le Japon) !
L'instant promo-pour-le-copain (ça va, je fais comme tout le monde dans le milieu du livre après tout ! C'est juste que dans mon cas, il le mérite vraiment), je n'ai donc pas hésité une seule seconde à me plonger dans ce court roman que je connaissais sans connaître. Christophe a, une fois de plus, réussi à me surprendre avec un conte initiatique philosophique qui change de nos lectures communes (décidément, cet homme est formidable !).

L'intrigue de Siddharta est volontairement assez évasive sur l'époque, mais se déroule en Inde où l'on suit le parcours initiatique du personnage éponyme, un fils de brahmane, soit un membre de la caste des religieux et/ou érudits. En quête de sagesse, Siddharta s'oppose à son père et se met à voyager pour atteindre son but. S'ensuivront plusieurs époques, pendant lesquelles il sera tour à tour mendiant, commerçant, passeur, avant que ses expériences anciennes le rattrapent.

Tout l'intérêt de suivre la route de Siddharta n'est pas dans l'histoire qu'il raconte mais dans le but qu'il cherche à atteindre. Très tôt dans le roman, il s'oppose à son meilleur ami qui lui, a décidé d'accéder à la sagesse en suivant les préceptes d'un autre. Siddharta, au contraire, pense que la sagesse ne peut s'acquérir qu'en suivant sa propre voie.
Chemin faisant, ce sont mes propres buts qui m'ont sauté aux yeux puisque j'aspire à la même sagesse et que je pense, comme lui, qu'elle ne s'apprend pas mais est le fruit d'un cheminement intérieur, alimenté par les rencontres et expériences vécues. C'est donc avec grand intérêt et beaucoup d'insomnies que je me suis nourrie de Siddharta, enrichissant beaucoup mes propres réflexions, m'aidant à faire un pas de plus sur ce chemin si tortueux.
Cela ne m'a d'ailleurs pas empêchée de m'attacher au personnage en lui-même et de m'intéresser à une intrigue qui reste prenante.

Je n'en dirai pas plus car ce fut une lecture très intime et spirituelle et qu'il est difficile de poser des mots sur toutes les questions qu'elle a soulevées. Siddhartha est de ces romans qui fait se prolonger longtemps l'expérience de lecture. Je ne peux que vous encourager beaucoup à tenter l'expérience.


Siddhartha | Hermann Hesse | Traduit par Joseph Delage | Livre de poche

Aux frontières de l'humain

Nous sommes allés voir l'exposition (désormais terminée) Aux frontières de l'humain, au musée de l'Homme, à Paris.

Ce fut une exposition parfaite à aller voir avec des jeunes tant elle entraîne de questionnements sur la définition même de l'humanité, de ce qui fait de nous des humains.
Il a été très intéressant de voir quels critères étaient pris en compte par mes enfants à l'entrée de l'expo. Sans grande surprise, des critères essentiellement biologiques pour le plus jeune (rapidement remis en question, d'ailleurs) et plus intellectuels pour le plus grand (remis en question tout pareil : le rire, l'art, l'intelligence... es-tu bien sûr de ça ?). Quelques pas dans la première partie de l'exposition, L'homme, animal d'exception (dans laquelle nous avons été accueillis par l'oeuvre de Marcus Coates Totem family, qui m'a mis si mal à l'aise que je lui ai rapidement tourné le dos) ont fait voler en éclats beaucoup de certitudes.

L'ensemble des thèmes abordés furent un très bon moyen de questionner notre syndrome de supériorité, de mettre le doigt les limites de l'humanité les plus dérangeantes.
Si j'ai aimé et admiré les parties sur l'homme champion, capable de repousser les limites de son corps et de la technique, j'ai commencé à déchanter devant l'homme augmenté (où donc s'arrête la compensation d'une défaillance et où commence l'amélioration artificielle ?) pour être totalement révulsée par l'eugénisme promis par des diagnostics pré-natals trop prédictifs (sélectionner son embryon selon le risque qu'il a de développer un cancer, ou du diabète ?). Quant au fait de repousser toujours plus nos frontières temporelles (éternel, l'humain sera-t-il toujours humain ?), c'est sans doute ce qui me terrifie le plus (que deviendrait l'Homme – les riches hommes, qui seraient sans conteste les premiers – s'il accédait à l'éternité ? Bizarrement, je ne pense pas à un sage).

L'exposition est très riche de contenu, mêlant, sciences, technologie et art (beaucoup d'artistes ayant questionné l'évolution ou l'hybridation humaine sont exposés) et la mise en scène excellente (dynamique et participative, certaines installations sont vraiment géniales d'inventivité).

Nous y sommes restés 1h30, et en avons parlé toute la journée, la vision que nous avions de la définition de l'humanité ayant sans aucun doute changé (la capacité à inventer des trucs tordus ?).


Aux frontière de l'humain | Musée de l'Homme