Un Spicilège

Le fil du destin

J'ai lu le premier tome du Clan des Otori (ou plutôt je l'ai écouté) il y a (très) longtemps et, si j'en ai gardé une opinion assez bonne, j'avoue que j'en ai peu de souvenirs (un seigneur Otori énigmatique ? une vague tribu aux aptitudes surnaturelles ? un amour fou ?).
Du coup, ce fut avec un œil presque neuf que j'ai découvert ce roman qui m'a été conseillé par EuZèbe dans le cadre de mon défi 12 mois 12 livres 12 (masto)potes. Je me disais cependant souvent : “Tiens, je suis sûre d'avoir un vague souvenir de ce personnage, ou de cette scène.” En effet, ce roman est à la fois le dernier du cycle et une préquelle à l'histoire principale.

Le Clan des Otori est une grande saga, formée de 5 tomes, se situant dans un japon fantastique aux allures médiévales, narrant des histoires de dynasties, de conquêtes, de vengeances, d'amours... Des hommes et des femmes, surtout, qui sont les voix de ces chroniques.
Revenant à la source du récit, Le fil du destin narre l'histoire de Shigeru Otori, de son enfance à sa vie d'adulte, héritier d'un clan fragilisé, soumis aux guerres intestines de sa famille, aux ambitions de conquêtes du clan voisin et à des passions amoureuses déchirantes.

Si ce roman s'éloigne de ce que je lis habituellement, c'est sans déplaisir que je me suis pris au jeu de cette épopée aux relents de roman initiatique (encore heureux car ce pavé fait tout de même 600 pages). Le souffle épique est incontestable, les rebondissements nombreux, les personnages profonds et contrastés. J'ai été frappée par la maturité avec laquelle certains sujets étaient abordés. Des sujets durs, abordés frontalement, sans complaisances mais sans faux-semblant.

Le tout forme une fresque d'une indéniable qualité, portée par une écriture aussi précise dans ses descriptions que dans ses divagations. Un roman riche, qui prend le temps d'approfondir les thèmes qu'il aborde. Une histoire assurément triste, également.

Je ne sais pas, pour être honnête, si je garderai vraiment en mémoire cette histoire complexe, je ne pense pas m'être sentie suffisamment impliquée pour cela, mais je garderai sans doute le souvenir de très bons instants de lecture.


Le clan des Otori, T5 | Le fil du destin | Lian Hearn | Traduit par Philippe Giraudon | Gallimard Jeunesse

Myosotis

Très bonne surprise que ce court-métrage d'horreur français de Félix Dobaire (disponible sur la chaîne Youtube Alter).
Sans paroles ou presque, les images et la musique suffisent amplement à planter un décor familier mais à la limite de l'étrange.

Quel est ce lieu singulier dans lequel la production de légumes semble primordiale ?
Pourquoi la viande semble taboue ?
Pourquoi quand on y entend un bruit la nuit on descend avec un candélabre ?
Mais qu'est-ce qu'il a, ce jardin, à la fin ?

Curieuse histoire de crime et de vengeance, angoissante et fantastique, elle m'a fait osciller entre le sourire et le frisson, les scènes d'angoisse étant parfaitement réussies.
Le réalisateur exploite parfaitement la singularité du format court-métrage en ne s'appesantissant pas sur la mise en contexte, mais en distillant ses informations au fur et à mesure de la résolution de l'histoire.
Un véritable plaisir à voir !


Myosotis | Félix Dobaire | 2021

Lettres de burn-out

Chère Journée,
Je ne me lèverai pas ce matin.
En premier lieu, je suis anéanti dès le réveil. Notre société ne nous intoxique pas seulement avec des pesticides ou des additifs alimentaires, mais également avec la fatigue.

J'ai découvert les Lettres du burn-out grâce au site de la littérature et des écrits humoristiques Vis Comica, élégamment chapeauté par Francis Mizio.
Ça faisait un sacré bout de temps que je n'avais pas lu ce genre d'ouvrage. Une sorte d'exercice de style, drôle mais également exigeant dans l'écriture.

Dans une société qui est devenue trop compliquée, trop sollicitante et, au final, intransigeante, certains finissent tôt ou tard par dire stop... Ça suffit... J'arrête... J'en ai marre. Jean-Luc Coudray a donc imaginé ce que seraient les adieux de ceux qui abandonnent et nous les présente sous la forme d'une ultime correspondance dans laquelle ils vident leur sac. En effet, tout au long des 50 lettres qui composent ce recueil, chacun, au moment de renoncer, de laisser tomber, revient enfin à l'essentiel et fait éclater une sincérité souvent drôle, parfois grinçante, voire désespérante.
Cela commence par un président de la République cynique et lassé renonçant au pouvoir puis, tour à tour, toute une galerie de personnages prend vie, des plus cyniques aux plus désabusés, entraînant dans leur drôle de cortège un avion refusant de décoller ou un cerveau arrêtant de fonctionner, me plongeant de l'amusement à l'agacement, de la contrariété au soulagement, tant certaines situations font écho à mes propres ras-le-bol...( cet ami qui cesse de rendre service, ce spectateur qui ne va plus au cinéma, ce canari qui arrête de chanter...).
Si d'autres m'ont moins parlé, Jean-Luc Coudray réussit tout de même l'exercice haut la main, grâce à une écriture particulièrement recherchée et des arguments fouillés. Que dire par exemple de cette phrase tirée de la lettre Une femme renonce à être belle :

Tout d'abord, le maquillage, en soulignant le contour des yeux, la forme de la bouche ou la rondeur des joues, n'est qu'un sous-titre pour malcomprenants.

Passant de sujets légers à des plus intenses, il réussit, malgré les difficultés, à se sortir de situations qui s'annonçaient pourtant compliquées (à ce titre la lettre Une femme arrête d'être féministe est un véritable chef-d'oeuvre !).

Je terminerai cette chronique par la fin de la lettre du parachutiste qui n'ouvre pas son parachute, que j'estime être une parfaite conclusion :

J'ai traumatisé la foule. Les enfants ont hurlé, les parents ont été bouleversés. Oui, la liberté est choquante. Bonne soirée.


Lettres de burn-out | Jean-Luc Coudray | Wombat

Tè Mawon

  • Mes taties, elles m'ont dit : si tu veux sauver le monde, tu fais en sorte qu'aucune langue n'en domine une autre. Parce que quand une langue domine l'autre, l'autre finit par lui appartenir et disparaître. Du coup on existe que si on parle, tu vois ? Alors il faut l'équilibre.

Je ne vais pas le cacher, d'autant plus que j'en suis très fière : je voue une admiration absolue aux œuvres de Michael Roch. Depuis longtemps je suis une fidèle de ses créations, je m'intéresse à ses explorations de toute forme de narration. Rien ne me touche plus que ses romans. De Moi, Peter Pan au Livre Jaune, j'ai déjà dit tout le bien que j'en pense, et à quel point cet écrivain à un talent dingue.
Je me suis donc précipitée sur le dernier-né : Tè Mawon, dont le titre même laissait présager la subtile exigence que ses écrits portent toujours.

Il est en effet évident, dès la lecture du titre, que ce roman est bien différent de la SF habituelle. Il en reprend pourtant un ressort assez classique. L'histoire se passe dans une mégalopole futuriste stratifiée, Lanvil, dans laquelle les défavorisés doivent se coltiner les profondeurs tandis que les bourgeois s'élèvent vers les sommets, jusqu'à ce qu'on cherche à renverser cet état de fait. La grande différence réside dans le fait que Lanvil s'élève sur les terres caribéennes, que ses habitants en sont les héritiers, et ça, les enfants, ça bouscule nos habitudes bien plus que ça ne le devrait !
Michael Roch réussit à faire de Tè Mawon l'un des livres les plus originaux qu'il soit, et dieu sait s'il nous avait pourtant déjà habitué à du haut niveau, en utilisant des procédés qu'il maîtrise tellement que c'en est prodigieux :

  • Le roman choral : Michael Roch alterne les points de vue et il le fait bien. Bien au-delà d'un jeu de ping-pong plat, c'est une véritable symphonie qu'il orchestre. Il nous présente des personnages aussi contrastés que convaincants, chacun réussissant à trouver une place de choix dans le patchwork que forme la trame de ce récit. Les interventions, une à une, finissent par former une fine marqueterie parfaitement ajustée, faisant sortir un univers de terre, faisant avancer une intrigue d'une efficacité indiscutable.

  • La maîtrise de la langue : c'est LE tour de force/coup de maître/trait de génie/morceau de bravoure/j'en passe et des plus superlatifs... du bouquin. Il donne corps à ses personnages par leur réappropriation de leur propre langage. Hybridant les dialectes, explorant les 1001 facettes du créole, dotant chacune des figures du récit de ses propres expressions. Ici le langage définit l'être, raconte sa vie, en dit plus sur lui que la plus longue des descriptions.

Lire un roman de Michael Roch, c'est exigeant. Le découvrir, l'apprécier à sa juste valeur, s'enrichir de sa lecture, cela demande une implication qui fait de toi un acteur à part entière de l'histoire.
Ici, il te faudra décortiquer, déchiffrer certains mots si tu t'obstines à vouloir tout comprendre, ou te laisser emporter par la formidable mélodie qui se dégage de certains passages. J'ai par exemple lu une partie du livre à haute voix. ça m'a aidé à comprendre, certes, et ça m'a permis surtout de profiter vraiment de toute la poésie qui se dégage de ces pages.

Au-delà d'un roman à l'intrigue palpitante et aux enjeux forts, c'est une nouvelle leçon que nous offre Michael Roch.


Tè Mawon | Michael Roch | La Volte

Siddhartha

J'ai lu Siddhartha après qu'il m'ait été conseillé par Christophe dans le cadre de mon défi 12 mois, 12 livres, 12 (masto)potes.
Si vous ne connaissez pas Christophe, aka PTL_ sur Mastodon, commencez par aller jeter un oeil à son blog, il y parle lectures et c'est une des personnes dont je peux suivre l'avis les yeux fermés (même si c'est pas commode pour lire), ce que je fais depuis quelques années à présent (comme le temps fil sur les réseaux aussi...). Ses avis sont toujours assurés et pertinents, ses goûts éclectiques... j'y trouve toujours ce que je n'étais pas venue y chercher (un point bonus si vous aimez le Japon) !
L'instant promo-pour-le-copain (ça va, je fais comme tout le monde dans le milieu du livre après tout ! C'est juste que dans mon cas, il le mérite vraiment), je n'ai donc pas hésité une seule seconde à me plonger dans ce court roman que je connaissais sans connaître. Christophe a, une fois de plus, réussi à me surprendre avec un conte initiatique philosophique qui change de nos lectures communes (décidément, cet homme est formidable !).

L'intrigue de Siddharta est volontairement assez évasive sur l'époque, mais se déroule en Inde où l'on suit le parcours initiatique du personnage éponyme, un fils de brahmane, soit un membre de la caste des religieux et/ou érudits. En quête de sagesse, Siddharta s'oppose à son père et se met à voyager pour atteindre son but. S'ensuivront plusieurs époques, pendant lesquelles il sera tour à tour mendiant, commerçant, passeur, avant que ses expériences anciennes le rattrapent.

Tout l'intérêt de suivre la route de Siddharta n'est pas dans l'histoire qu'il raconte mais dans le but qu'il cherche à atteindre. Très tôt dans le roman, il s'oppose à son meilleur ami qui lui, a décidé d'accéder à la sagesse en suivant les préceptes d'un autre. Siddharta, au contraire, pense que la sagesse ne peut s'acquérir qu'en suivant sa propre voie.
Chemin faisant, ce sont mes propres buts qui m'ont sauté aux yeux puisque j'aspire à la même sagesse et que je pense, comme lui, qu'elle ne s'apprend pas mais est le fruit d'un cheminement intérieur, alimenté par les rencontres et expériences vécues. C'est donc avec grand intérêt et beaucoup d'insomnies que je me suis nourrie de Siddharta, enrichissant beaucoup mes propres réflexions, m'aidant à faire un pas de plus sur ce chemin si tortueux.
Cela ne m'a d'ailleurs pas empêchée de m'attacher au personnage en lui-même et de m'intéresser à une intrigue qui reste prenante.

Je n'en dirai pas plus car ce fut une lecture très intime et spirituelle et qu'il est difficile de poser des mots sur toutes les questions qu'elle a soulevées. Siddhartha est de ces romans qui fait se prolonger longtemps l'expérience de lecture. Je ne peux que vous encourager beaucoup à tenter l'expérience.


Siddhartha | Hermann Hesse | Traduit par Joseph Delage | Livre de poche

Aux frontières de l'humain

Nous sommes allés voir l'exposition (désormais terminée) Aux frontières de l'humain, au musée de l'Homme, à Paris.

Ce fut une exposition parfaite à aller voir avec des jeunes tant elle entraîne de questionnements sur la définition même de l'humanité, de ce qui fait de nous des humains.
Il a été très intéressant de voir quels critères étaient pris en compte par mes enfants à l'entrée de l'expo. Sans grande surprise, des critères essentiellement biologiques pour le plus jeune (rapidement remis en question, d'ailleurs) et plus intellectuels pour le plus grand (remis en question tout pareil : le rire, l'art, l'intelligence... es-tu bien sûr de ça ?). Quelques pas dans la première partie de l'exposition, L'homme, animal d'exception (dans laquelle nous avons été accueillis par l'oeuvre de Marcus Coates Totem family, qui m'a mis si mal à l'aise que je lui ai rapidement tourné le dos) ont fait voler en éclats beaucoup de certitudes.

L'ensemble des thèmes abordés furent un très bon moyen de questionner notre syndrome de supériorité, de mettre le doigt les limites de l'humanité les plus dérangeantes.
Si j'ai aimé et admiré les parties sur l'homme champion, capable de repousser les limites de son corps et de la technique, j'ai commencé à déchanter devant l'homme augmenté (où donc s'arrête la compensation d'une défaillance et où commence l'amélioration artificielle ?) pour être totalement révulsée par l'eugénisme promis par des diagnostics pré-natals trop prédictifs (sélectionner son embryon selon le risque qu'il a de développer un cancer, ou du diabète ?). Quant au fait de repousser toujours plus nos frontières temporelles (éternel, l'humain sera-t-il toujours humain ?), c'est sans doute ce qui me terrifie le plus (que deviendrait l'Homme – les riches hommes, qui seraient sans conteste les premiers – s'il accédait à l'éternité ? Bizarrement, je ne pense pas à un sage).

L'exposition est très riche de contenu, mêlant, sciences, technologie et art (beaucoup d'artistes ayant questionné l'évolution ou l'hybridation humaine sont exposés) et la mise en scène excellente (dynamique et participative, certaines installations sont vraiment géniales d'inventivité).

Nous y sommes restés 1h30, et en avons parlé toute la journée, la vision que nous avions de la définition de l'humanité ayant sans aucun doute changé (la capacité à inventer des trucs tordus ?).


Aux frontière de l'humain | Musée de l'Homme

Mon grand garçon est un court-métrage de Maximilien Gomes que j'ai découvert sur la plateforme Freaks On. Plateforme qui, si elle est dédiée au fantastique et à l'horreur, n'hésite pas à aller taquiner d'autres genres parmi les plus chelous...

Le court-métrage est un genre que j'affectionne particulièrement (comme j'aime les nouvelles en littérature) tant je loue la capacité des créateurs à installer un univers et à mener une idée à bien en peu de temps. Je trouve même qu'il se permet souvent des fantaisies plus extrêmes que le long.
Maximilien Gomes réussit par exemple en quelques plans, quelques secondes à peine, à nous plonger au cœur d'une atmosphère étrange et oppressante, et à nous convaincre qu'il y a quelque chose de bizarre dans l'air.

Le premier plan introduit Mathias, personnage principal du film, assez taciturne, occupé à regarder Fenêtre sur cour à la télévision, tandis qu'en parallèle celle qui apparaît clairement comme sa mère s'acharne à faire disparaître une tache dans la cuisine. On se rend alors compte que les rapports sont sacrément perturbés dans cette famille et l’enchaînement des événements fait rapidement craindre le pire.
Pourtant, et malgré le format, le réalisateur parvient à mener son intrigue sans la précipiter, mais trouve le rythme parfait pour nous présenter ce drôle de conte macabre.
Ce sont avant tout les choix esthétiques de ce film qui m'ont fait lever les sourcils d’intérêt. Tout, dans les plans, les décors, les costumes ou le son, est parfaitement choisi et permet de nourrir l'originalité du récit, et même si la direction d'acteur aurait mérité d'être un peu plus affirmée, le tout forme un ensemble particulièrement captivant.
Si la référence à Hitchcock est flagrante et assumée, Maximilien Gomes a tout de même su, par petites touches, s'extraire un peu des codes et c'est donc avec plaisir que je suivrai la suite de sa carrière.


Mon grand garçon | Maximilien Gomes | 2020

L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau

Le sens de l'odorat, disait-il, je n'y avais jamais pensé. Normalement, on n'y pense pas.
Mais, quand je l'ai perdu, j'ai eu l'impression d'être frappé de cécité. La vie a perdu une bonne partie de sa saveur. On ne sait pas à quel point la saveur est odeur.

Paru en 1985 et moult fois cité depuis comme une référence sur le sujet, L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau est un livre dans lequel le neurologue Oliver Sacks décrit les cas cliniques les plus étranges auxquels il a été confronté. Un peu plus de 20 cas, regroupés en 4 sections et balayant un large spectre de pathologies.
C'est un livre que j'avais envie de lire depuis longtemps, j'ai donc été très contente qu'il me soit conseillé par Dimitri Reigner (j'avoue que ça n'a rien à voir, mais si tu ne connais pas son boulot, n'hésite pas à t'abonner à sa newsletter) dans le cadre de mon challenge 12 mois, 12 livres, 12 (masto)potes.

Livre à la fois passionnant et émouvant, je l'ai dévoré. Oliver Sacks est un excellent vulgarisateur, qui a su choisir avec soin ses anecdotes, offrant une cohérence et un véritable parcours de découverte tout au long de la lecture. Bien qu'il accuse le coup des années (beaucoup d'avancées ont été faite sur ces sujets depuis) il frappe par la formidable bienveillance qui se dégage de ce médecin dont la préoccupation principale n'est pas de guérir ses patients mais plutôt de les rendre heureux.

Plongée passionnante dans les méandres du cerveau humain, il a la grande qualité de mettre en avant une branche de la médecine encore et toujours tenue à l'écart du grand public, et négligée par une société obsédée par la normalité.


L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau | Oliver Sacks | Traduit par Édith de la Héronnière | Points – Seuil

Murder Party

Je suis allée voir Murder Party, le long-métrage de Nicolas Pleskof, après avoir tellement apprécié son court-métrage Zoo (j'en ai parlé ici).

Une jeune architecte (étonnante Alice Pol) se rend dans le manoir de la très particulière famille Daguerre afin d'y présenter son projet de réhabilitation du lieu au patriarche (Eddy Mitchell, qu'il est toujours plaisant de retrouver). Débarquant en pleine murder party, elle est entraînée dans un drôle de jeu de piste quand ce dernier est retrouvé mort...

Murder Party est un film au rythme soutenu et à l'humour prégnant. Je l'ai trouvé certes, encore maladroit sur certains aspects mais tellement original sur d'autres : du ton léger au scénario à tiroirs, du parti pris esthétique (radical) au casting (formidable, même si les seconds rôles éclipsent malheureusement un peu les premiers). Son ton et sa couleur sont tout à fait en harmonie avec une intrigue rocambolesque, le scénario ayant été coécrit avec la romancière Elsa Marpeau.

Il est atypique et distrayant, et même si j'aurais aimé un peu plus de profondeur, m'a donné envie de continuer à suivre les aventures de ce réalisateur.


Murder Party | Nicolas Pleskof | 2022

Underdog Samurai

Hahaha ! Toi aussi, ils t'ont foutu dehors ?
Toujours sur le parking, je me retourne et remarque un vieux clochard assis en tailleur au niveau des bennes à ordure. Il est installé sur un carton taché de vin, la bouteille bien entamée juste à côté. Sa barbe dégouline et ses dents aussi inégales que colorées me dégoûtent. Bon sang, ce n'est vraiment pas le moment.

Heureusement que je ne me suis pas fiée aux retours de lecteurs invoquant Tarantino à tout va (d'ailleurs, arrêtez d'évoquer Tarantino comme la preuve suprême de la qualité d'une œuvre, vraiment, certains sont fragiles à ce niveau-là), tant le premier livre que j'ai lu de Romain Ternaux était impossible à rapprocher du style de qui que ce soit (j'en parle ici, si besoin).
Le sensei alcoolique m'a pour ma part fait penser à Mr Flap (si vous ne connaissez pas, filez regarder cette formidable série !). Vais-je pour autant parler de Underdog Samurai comme d'un mélange de Mr Flap et d'un dimanche aux puces de Saint Ouen ?
Non, parce qu'il est temps d'arrêter les comparaisons foireuses, Underdog Samurai ne ressemble à rien de connu, et c'est ce qui en fait un roman d'enfer.
Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.

Impossible de résumer ce roman sans se perdre dans des circonvolutions infinies : il parle de la sombre histoire de vengeance d'un consommateur trompé sur la marchandise, évoque le Japon (beaucoup), la filiation (pas mal), Jean-Louis Costes (brièvement, mais ça mérite d'être souligné), d'autres choses (innombrables et indicibles)... Je n'ai pas trouvé de meilleure façon de l'évoquer que comme une succession de “ce n'est pas le moment”. Il se passe des centaines de choses dans ce roman et ça n'est jamais le moment.

J'ai adoré retrouver la richesse de l'univers de Romain Ternaux ; son audace, son irrévérence, la façon qu'il a de tordre le temps du lecteur, de l'accélérer jusqu'à le précipiter....
Sa manière, surtout, de partir d'un univers ultra référencé pour le sublimer, pour aller bien au-delà des clichés et inventer d'autres codes. C'est ce qui rend ce livre impossible à rapprocher d'autres œuvres, ça serait passer à côté de son essence même.
Romain Ternaux réussit à nous embarquer dans une farce grotesque, à l'humour trash omniprésent, tout en sachant parfaitement où nous mener avec une maîtrise absolue de son histoire et de son sujet.
Je suis une fois de plus conquise !


Underdog Samurai | Romain Ternaux | Aux Forges de Vulcain