Du couple qui me fait face, seule la dame affiche l'héritage aristocratique. Un port ostensiblement altier, le regard jugeant, et ce foulard noué avec une légère dissymétrie qui dénote une négligence calculée — après tout, on ne va jamais que dans un lycée ; ce n'est pas exactement une soirée à la Préfecture, alors “faire peuple” ne peut qu'aider, n'est-ce pas ?
Leur demande limpide a pour limite le flou de leur motivation. Ils souhaitent que leur fille, scolarisée en terminale, change de groupe de spécialité scientifique. Selon eux, avoir la même enseignante que l'année précédente assurerait à leur enfant de meilleures chances de réussite au baccalauréat. Une affaire de “méthode”, selon eux.
Je m'étonne : il n'y a de “méthode” en la matière que de scientifique, par une approche fondée sur l'observation, l'hypothèse, la vérification et la conclusion. Quels que soient l'enseignante ou l'enseignant.
On me rétorque que non, j'ai mal compris, c'est entre personnes que cela passe mal.
Nouvel étonnement de ma part : le bilan dressé avec les équipes en amont du rendez-vous ne laisse entrevoir aucune difficulté pour leur fille.
Mais on me dit qu'enfin, c'est moi qui ne veux pas comprendre : ça ne peut que mal se passer avec cet enseignant, voyons.
Un temps. Celui de l'illumination.
— Excusez-moi, je crois comprendre enfin. Votre vrai problème, c'est que M. X est noir, c'est ça ?
La dame se raidit, le monsieur s'étrangle :
— Comment osez-vous dire cela ?
— Eh bien vous n'avez pas vraiment de raison valable pour que [votre fille] change de gr…
Mais le monsieur est déjà debout, suivi de son épouse après un petit temps.
— Vous aurez de mes nouvelles, Monsieur ! Je vais écrire au rectorat !
— Je vous en prie. C'est votre droit. Et je rends régulièrement compte à ma hiérarch…
Mais la porte de mon bureau a déjà claqué.
Ce n'est pas possible, quand même, de susciter de telles inimitiés avec quelques mots qui semblent faire mouche.
Parenthèse pour tous les géniteurs et toutes les génitrices de merveilles en âge d'aller à l'École : je comprends très bien que vous puissiez regretter que les cours soient dispensés par telle personne plutôt que telle autre. Mais n'allez jamais demander un changement, sauf circonstance exceptionnelle : outre que cela mettrait le bouzou dans une organisation qui n'en a pas besoin, non seulement vous allez essuyer un refus qui va tendre vos relations avec l'établissement, mais vous n'envoyez au bout du compte que le message d'un désir clientéliste qui ne peut aller qu'à rebours des principes éducatifs dont vous rêviez pour votre enfant avant de vous prendre les pieds dans le tapis.