Un Spicilège

## Je gagne toujours à la fin

Tristan-Edern Vaquette a été l'une de mes grandes découvertes littéraires de cette année. Après avoir été totalement convaincue par son tout dernier roman Du champagne, un cadavre et des putes, j'ai choisi deux de ses anciens ouvrages pour accompagner mon été.

J'ai ouvert Je gagne toujours à la fin au début de l'été et je l'ai lu comme une assoiffée.

Se déroulant dans le courant de la seconde guerre mondiale, au moment de l'occupation nazie, ce roman met en scène un héros résistant de la première heure, lui même dénommé Tristan-Edern Vaquette et narrateur de l'histoire. En suivant les aventures aussi rocambolesques qu'improbables de ce personnage volcanique et de ses 2 compères également bien déjantés, on navigue entre les nombreuses digressions de l'auteur qui saura bien prouver que, décidément, il gagne toujours à la fin.

Si j'ai commencé ma lecture plus amusée qu'interrogée, j'ai rapidement eu comme le pressentiment que les premiers chapitres n'étaient qu'un échauffement, et que quelque chose de plus grand allait bientôt me frapper. Si l'auteur prévient dès le début (et à raison) que l'action ne commence réellement qu'au chapitre 12 (p 48), c'est au chapitre 44 (p 205) que j'ai atteint un point de basculement particulièrement net.

Non pas que la première partie du roman soit légère, au contraire. Si le ton est potache et parfois emphatique, percent dès le début du roman, dans les aspirations de son narrateur, une ode à la l'évasion, un désir de grandeur, un combat contre toutes les formes d'abdication qui donnent tout son sens à la période historique choisie par l'auteur.

Cependant, ce chapitre 44 renferme un dialogue que j'ai trouvé des plus judicieux, brillant et qui m'a vraiment frappée. A ce moment là, le livre prend une autre dimension, gagne en profondeur, en noirceur, en revendication, également, quand dans le même temps son narrateur, jusqu'ici infaillible, expose enfin quelques fissures.

Sous ses airs assumés de pantalonnade, Je gagne toujours à la fin est en effet également un texte qui frappe fort et juste. Sur la société et les carcans qu'elle impose, sur les nombreuses lâchetés individuelles qui ont des conséquences sur le système. En questionnant le rapport au courage, au pouvoir ou à l'ambition, en consacrant la fin du roman à une défense pleine et entière de la liberté d'expression, l'auteur a de nouveau nourri mes interrogations sur ce sujet passionnant.

Si l'on peut être dérouté par la flamboyance grandiloquente et la théâtralité de l'ouvrage (qui reste également, et peut-être avant tout, une farce extrêmement drôle), je l'ai trouvé autant subtilement intelligent, quand il est à la fois aussi revendicatif que dénué de colère, aussi protestataire qu'implacable.

Il a confirmé à quel point croiser la trajectoire de Tristan-Edern Vaquette a été pour moi détonant et des plus profitable.

Je gagne toujours à la fin | Tristan-Edern Vaquette | Au Diable Vauvert

## Jusqu'ici tout allait bien...

Dans la lignée de son précédent album, Contes ordinaires d'une société résignée, Ersin Karabulut m'a de nouveau offert un moment de lecture éprouvant.
Ce chef de file de la BD satirique turque nous propose en effet 9 nouveaux contes cruels.

Maîtrisant à la perfection la dystopie, il continue de nous interroger sur la société telle qu'on la connait en partant d'une situation souvent ubuesque pour en imaginer les conséquences les plus extrêmes.
Que se passerait-il, en effet, si le gouvernement nous apprenait à vivre dès la naissance avec une pierre ne devant jamais au grand jamais être posée? Si un bébé ne pouvant pas naître (et s'avérant être un vrai connard) grandissait indéfiniment dans le corps de sa mère ? Si on finissait par privatiser l'oxygène, voir même la pesanteur ?

Au milieu du cynisme et de la férocité du monde dénoncé, une thématique revient comme un écho : la famille. Parfois, mais rarement, présentée comme le dernier cocon protecteur face à tant d'absurdité, le foyer est plus majoritairement une source d'angoisse, de danger, et les personnages se rendent compte qu'ils n'y trouveront pas le refuge espéré.
Toujours aussi violent et dérangeant, Jusqu'ici tout allait bien... est aussi teinté d'un humour extrêmement noir.

La qualité graphique de l'ouvrage est en outre excellente. L'auteur possède un trait varié mais toujours d'une finesse inouïe, et dessine particulièrement bien une foultitude de visages dont les expressions peuvent refléter de l'angélisme le plus sincère jusqu'à l'immoralité la plus crasse.

Comme son précédent album, Jusqu'ici tout allait bien... est pour moi un vrai coup de cœur, confirmant mon envie sincère de voir Ersin Karabulut être encore plus lu et reconnu.

Jusqu'ici tout allait bien... | Ersin Karabulut | Adapté par Didier Pasamonik | Fluide Glacial

L'adieu au roi

Prologue 1942

La liberté ! Pour quoi faire ?

Commençant par ces mots, j'ai tout de suite su que L'Adieu au roi, de Pierre Schoendoerffer, serait une lecture marquante.

Au fin fond des forêts de Bornéo, en 1942, un sergent fou se prend pour un roi. Roi de peu, d'une maigre bande d'autochtones qu'il nomme les commanches. Fou de peur, de cette jungle poisseuse et visqueuse, et de l'abîme que cache ses yeux gris. Au fin fond de cette jungle, en 1945, un capitaine anglais des forces spéciales est chargé d'entrer en contact avec les indigènes pour préparer la reconquête par la force de ce territoire occupé par les japonais. Il va se lier au roi fou pour accomplir cette sanglante tâche.

L'Adieu au roi est avant tout le récit d'une agonie. Celle de l'armée japonaise à Bornéo, qui sera méticuleusement massacrée. La guerre dans toute son horreur et sa déshumanisation, pendant que d'autres se réjouissent. L'agonie du sens également, et de l'humanité, quand la fureur du roi fou prend le pas sur toute forme de raison. L'agonie de la loyauté, enfin, quand la trahison s'avère la seule issue possible de cette fuite éperdue en avant.

L'Adieu au roi est un texte d'une force incommensurable. Évoquant tour à tour la grandeur et la décadence de l'humanité dans une danse macabre, beaucoup de ses passages frappent fort. Sondant les abîmes de la nature humaine, retranchant le lecteur dans son rôle de témoin impuissant d'une déchéance, il interroge sur les moyens employés pour parvenir à ses fins. Absolument bouleversant du début à la fin, l'Adieu au roi est sans nul doute de ces textes qui interrogent.

L'Adieu au Roi | Pierre Schoendoerffer | Grasset

Les rois du rock

Je vous conseille très fortement Les Rois du rock de Thierry “Cochran” Pelletier, paru aux éditions Libertalia. Un recueil de nouvelles autobiographiques illustrées contant ses souvenirs de jeunesse, entre excès et amour du rock'n'roll, dans le Paris alternatif des années 80.

On y suit les pas de nombres de personnages émouvants, trainant de bars en squats, de concerts en bastons, brulant une vie qu'ils aiment sans doute trop pour la supporter médiocre, et qu'ils semblent ne pas savoir par quel bout prendre.

Lucide sur ces périodes d'errance, il fait le compte de ceux qui ne sont plus là, les raconte sans concession, sans apologie mais avec une vraie tendresse et la furieuse affection qui déborde à chaque portrait qu'il fait des amitiés qu'il a forgées à l'époque.

Récits du cœur et surtout du ventre, histoire crue de ceux qui ont fait le choix de vivre sans compromis, Les Rois du rock m'a émue aux larmes.

Les rois du Rock | Thierry Pelletier | Editions Libertalia

Makin off

J'ai vu cette nuit le film Making oFF, de Cedric Dupuis, présent sur la plateforme Shadowz.

Il s'agit d'une comédie horrifique française, très gore, au budget minimaliste. Les premières minutes m'ont fait craindre une catastrophe, mais elle s'est avérée au final une bonne surprise : à la fois drôle et dérangeant.

Par contre attention c'est extrêmement EXTRÊMEMENT cradingue. Ai-je eu des hauts le cœur pendant une certaine scène ? C'est possible... (ceux qui connaissent mes limites pourront en deviner la nature).

Cependant, même avec de telles extrémités et des comédiens encore en devenir pour la plupart, le film ne tombe pas dans la lourdeur. Il y a des choses intéressantes. Ce n'est pas aussi gratuit qu'on voudrait bien le croire et la satyre est belle et bien présente.

J'ai été récemment invitée par Christophe du blog Post Tenebras Lire à répondre au tag de Nevertwhere : Les incontournables (récents) de la SFFF

Je n'ai pas beaucoup l'habitude des tags, mais :

Et d'une : c'est gentiment demandé ! Et de deux : ça me permet de revenir sur quelques billets parmi mes préférés de mon ancien blog ! C'est donc parti pour mes 6 incontournables (récents) de la SFFF !

Le plus subtile : Allison de Laurent Queyssi

Une petite bulle de fantastique au service de la chronique douce-amer de ce moment charnière qu'est l'adolescence. Sagace et tendre, avec en prime un bel hommage au rock alternatif.

Ma chronique A travers la marelle

Le plus aliénant : Bonheur™ de Jean Baret

Dystopie des plus extrême qui fait d'une société ayant poussé au maximum le concept de la consommation le véritable personnage principal de l'intrigue. Lecture entêtante, hypnotique, dérangeante, et des plus intelligente !

Ma chronique A travers la marelle

Le plus onirique : Moi, Peter Pan de Michael Roch

Un véritable poème dans lequel chaque mot est choisi pour ciseler un texte métaphorique d'une immense beauté !

Ma chronique A travers la marelle

Le plus torturé : Mondocane de Jacques Barbéri

Le post-apo le plus déchiré, ravagé, évocateur de cauchemar que j'ai pu découvrir. Un coup de poing qui est également étrangement optimiste.

Ma chronique A travers la marelle

Le plus drôle : The Rook de Daniel O'Malley

Une saga extravagante à l'humour à l'anglaise prononcé et aux personnages forts ! L'univers est solide et cohérent, l'intrigue passionnante!

Ma chronique A travers la marelle

Le plus monumental : Futu.re de Dmitry Glukhovsky

Véritable fresque dystopique, une de mes lectures les plus intenses de cette année. Elle a peuplé mes nuits d'intenses réflexions tandis que j''étais happée par le caractère addictif de l'intrigue. D'une lucidité rare.

Ma chronique A travers la marelle

Felicità

Il m'est arrivé une très jolie histoire aujourd'hui... Je suis allée voir le film de Bruno Merle Felicità. C'est un film amer mais lumineux, bouleversant dans son histoire autant que par l'immense talent de ses comédiens.

J'en suis sortie sans doute si émue et joyeuse que sur le parvis du cinéma, une dame m'a abordée pour me dire que mon sourire lui faisait vraiment plaisir à voir. Elle s'est retrouvée fort émue elle-même quand les larmes que j'aie retenues dans la salle se sont mises à couler et nous avons passé quelques minutes à nous réconforter maladroitement quand je lui ai expliqué les raisons de mon état. Elle m'a dit qu'elle qui n'allait plus au cinéma avait à présent très envie d'aller voir le film.

Bref, regardez Felicità, et j'espère que vous passerez un aussi bon moment que moi.

Et si vous croisez Nadine, que ce virus m'a empêchée d'étreindre, souriez-lui.

J'espère qu'elle l'aimera.