Un Spicilège

Le Vautour

Je ne connaissais pas Gil Scott-Heron lorsqu'on m'a offert Le Vautour. Je ne savais pas encore quel impact il avait eu sur le milieu de la musique ou quel poète il était.
J'ai découvert Gil Scott-Heron à travers ce roman qui est son tout premier, écrit en 1969 alors qu'il avait 20 ans.

J'ai découvert une plume dure et sombre, qui fait le portrait de l'Amérique noire des années soixante, plongeant dans les rues d'un New York vivant au gré des drames, des fêtes et des trafics de drogue.
J'ai découvert une histoire grave, commençant par son apogée : la mort d'un jeune dealer, et cherchant des raisons à ce crime dans des retours en arrière dans la vie de ceux qui l'ont côtoyés.
J'ai découvert un univers sombre et désenchanté, dans lequel la plupart des jeunes ne se sentent même pas autorisés à s'en sortir, dans lequel tout est bon pour tirer un peu son épingle du jeu, dans lequel les militants pataugent, doutent, trébuchent...

Ne prends pas pour un affront ce qui n'est que plaisanterie. Si quelqu'un te lance du sel, tu n'en éprouveras nulle douleur, à moins que ta chair soit à vif.

J'ai découvert certaines pages remplies de poésie, certains paragraphes d'une beauté obscure, d'une crudité choquante, d'une vérité criante...
J'ai découvert un talent brut, qui nous dépeint le réel visage de la société de l'époque, sa profonde iniquité, sa redoutable duplicité, tout en réussissant à faire éclore des vrais moments de noblesse.

J'ai découvert, un peu tard, un grand Monsieur.


Le Vautour | Gil Scott-Heron | Traduit par Jean-François Ménard | Editions de l'Olivier / Points

Blackfish

Difficile de comprendre pourquoi ce documentaire a un tel aura de succès.

Certes, le sujet (la captivité des grands animaux aquatiques) est important (tout comme l'est la cause animale dans son ensemble). Certes, les faits relatés (accidents à répétition, certains mortels) sont tragiques. Si le film a permis une prise de conscience globale (et il semble effectivement avoir eu un certain effet), tant mieux. Pour ma part je m'attendais à tellement mieux.
Le traitement vraiment sensationnaliste des accidents mortels m'a gêné, tout comme les interviews extrêmement malaisantes des proches des victimes. Avec une telle réputation, je m'attendais à quelque chose de tellement plus subtil. Je n'ai pas eu besoin des quelque 80 minutes du film pour en comprendre le message principal tant il est rabâché : le fautif (l'UNIQUE fautif) c'est SeaWorld. Une grande entreprise avide de pognon, gérée apparemment par des suppôts de Satan.
C'est sans doute très vrai, mais le manque de remise en question des autres protagonistes (les anciens dresseurs venus faire un drôle de mea culpa –“ce n'est pas de ma faute, je n'y connaissais rien”–? le public ?) et le manque de perspective autour du problème sociétal qui est celui d'estimer qu'un animal peut avoir une fonction de divertissement m'a ôté tout intérêt pour le film.
J'en ressors bien déçue.


Blackfish | Gabriela Cowperthwaite | 2013

Vertèbres

D'accord, Jonathan n'est plus le même. Mais c'est toujours ton fils, Marylou. C'est toujours ton bébé en sucre. C'est toujours le seul vestige qu'il te reste de Fred. Et tu es sa maman. Quoi qu'il advienne.
Allez. Du cran. Ce n'est pas important, que ses yeux s'écartent chaque jour davantage. Que le duvet sur ses bras et ses jambes noircisse.

Avec Vertèbres, Morgane Caussarieu revisite habilement le mythe du loup-garou en y instillant une bonne dose de nostalgie, construisant un roman horrifique mettant en scène des jeunes adolescents marginaux en proie à la transformation de leur ami en une drôle de bestiole ; le tout se passant à la fin des années 90 : grosse vague de références en vue !

L'intrigue est parfaitement menée et se lit avec plaisir. 2 choses sont pour moi les points forts du roman, et en font quelque chose de plus profond qu'il n'y paraît : le parallèle qui est fait entre la transformation du loup-garou et la puberté des personnages qui, si elle est une référence classique du mythe du loup-garou est ici fait avec assez de subtilité pour être un enjeu fort de l'histoire, et le fait que l'intrigue ne soit vu qu'à travers les yeux de 2 protagonistes féminines : une jeune fille de 10 ans se rêvant garçon, baignant dans une famille dysfonctionnelle et la mère du garçon en transformation, atteinte de troubles dont on devine assez facilement la nature.
L'alternance des points de vue, s'il est audacieux, m'a tout de même rendu parfois la lecture pénible. Le point de vue d'une enfant de 10 ans s'il est bien retranscrit, en est du coup souvent limité, et le personnage de la mère est tout de même assez détestable.
Je n'aurais tout de même pas craché sur un peu plus de profondeur, ou de complexité. Le sujet et les qualités d'écriture de l'auteure le permettaient largement.

Je ressors tout de même assez positivement de cette lecture qui, malgré quelques défauts, est une version moderne assez réussie d'une figure typique du fantastique, avec une ambiance rétro loin d'être déplaisante.


Vertèbres | Morgane Caussarieu | Au Diable Vauvert

La Grande Route du Nord

Vance avait assisté à de nombreux interrogatoires, il avait vu de nombreuses personnes choquées, dans le déni, hostiles, désireuses de paraître innocentes. DiRito ne mentait pas, il en était sûr. Toutefois, la vérité était subjective.

J'ai lu l'intégrale de La Grande Route du Nord dans le cadre de mon challenge 12 mois, 12 livres, 12 (masto)potes (challenge qui, comme vous pouvez le constater, a pris un peu de retard, mais en même temps, peu importe !). Il m'a été conseillé par Stéphane Desienne et je l'en remercie beaucoup. Si vous ne connaissez pas Stéphane, sachez que c'est un auteur que j'affectionne particulièrement, vous pouvez découvrir ou retrouver l'ensemble de son travail sur son site internet.
Cela faisait très, très, très longtemps que je ne m'étais pas lancée dans la lecture d'une fresque de science fiction de cette ampleur. Depuis l'adolescence, je pense, moment où je dévorais les grands classiques du space opera comme Dune, Les Cantos d'Hypérion ou le génialissime Cycle de Fondation... En règle générale, mon intérêt se porte sur des romans plus courts, rarement sur des sagas, ce fut donc un vrai défi de me lancer dans cette lecture.

Bien heureusement, Peter Hamilton sait y faire pour rendre ce bloc de près de 1000 pages tout à fait séduisant grâce à une intrigue suffisamment complexe pour être intéressante, sans perdre le lecteur pour autant. Il sépare d'ailleurs son récit entre deux fils de narrations différents, tous les deux liés au meurtre à Newcastle d'un membre de la plus puissante famille de la ville, qui exploite aussi le portail permettant d'accéder à la planète St Libra, colonisée et exploitée pour ses ressources. Le premier suit l'équipe de la police chargée de l'enquête, le second une expédition scientifique et militaire lancée dans la jungle hostile de St Libra.
S'il m'a fallu quelques dizaines (une à deux centaines... mais on ne compte plus à ce stade) pour me mettre dans le rythme du roman qui démarre un peu âprement, c'est avec tout le plaisir lié aux grands récits d'aventures que j'ai lu la suite. L'auteur sait parfaitement insuffler un souffle épique et évocateur à son histoire, tout en y mêlant une intrigue policière, bientôt politique, des plus intrigantes.
J'ai cependant accusé le coup d'une petite baisse de rythme pendant le 2nd tiers du récit, facilement compréhensible, mais qui a tout de même nécessité un peu de motivation pour en sortir, pour ensuite ne plus quitter ma lecture qu'à regret tant le mystère me tenait en haleine.

Je suis donc ravie que Stéphane m'ait bousculé dans mes habitudes pour retrouver le plaisir de lire un récit au temps long, à l'intrigue particulièrement élaborée et à la dimension épique certaine.


La Grande Route du Nord | Peter F. Hamilton | Traduit par Nenad Savic | Bragelonne

RIP, T5 - Fanette, Mal dans la peau des autres

Décidément, cette série de BD ne cesse de confirmer ses qualités, et ce dernier tome est tout à fait à la hauteur des précédents.
Pour ceux qui ne connaissent pas, RIP nous présente un univers centré autour d'une bande de drôles de personnages qui exercent le métier de nettoyeurs de lieu de mort : quand certaines personnes meurent dans l'indifférence générale, ils sont chargés de faire le ménage. Chaque tome de la série se focalise sur l'un d'entre eux, et ces différents récits entremêlés tissent le canevas d'une intrigue policière complexe et sordide.

Ce sont des BD particulièrement violentes, autant physiquement que socialement. Quand on croit qu'on a atteint l'abîme, on se rend compte qu'on n'a fait qu'en effleurer la profondeur. Difficile d'avoir une lecture empathique. On est plutôt dans le dégoût et la curiosité malsaine.
Il faut dire que Gaet's sait y faire pour créer une histoire à tiroirs dans laquelle je n'ai pour l'instant trouvé aucune faille. C'est précis, parfaitement orchestré, et le suspens est distillé pour nous garder vraiment en haleine.
S'ajoutent à cela les dessins de Julien Monier, auxquels j'accroche vraiment d'autant plus que la couleur est superbe !

Je suis vraiment accro à cette série ! J'ai hâte d'en savoir plus, de connaitre tous les tenants et les aboutissant de l'intrigue, tant celle-ci est captivante.


RIP, T5 – Fanette, Mal dans la peau des autres | Scénario de Gaet's | Dessins de Julien Monier | Petit à petit

Les mille et une vies de Billy Milligan

La notion d'irresponsabilité en matière pénale est une question grave. On risque de mal interpréter sa prise de position, de jeter le discrédit sur les autres patients présentant ce syndrome, sur le témoignage psychiatrique et la profession tout entière. Si le juge Flowers accepte de considérer ce trouble de la personnalité — classé jusque-là dans la catégorie des névroses — comme un motif d'irresponsabilité mentale, cette décision fera date dans l'histoire de la jurisprudence de l'Ohio et même probablement des Etats-Unis.

De Daniel Keyes j'ai lu avec beaucoup d'émotion le splendide Des fleurs pour Algernon, qui laissait transparaitre chez cet auteur une formidable humanité. C'est ce qui m'a convaincue de lire Les mille et une vies de Billy Milligan bien que je sois d'une grande méfiance dès que le sujet de la maladie mentale est abordé.
William Stanley Milligan est en effet un criminel américain assez connu pour avoir été accusé de 3 viols et extorsion de fonds et jugé non responsable de ses crimes en raison de son trouble dissociatif de l'identité (TDI). Ce livre est le résultat des nombreuses heures d'entretien que ses différentes personnalités ont accordées à l'auteur, lui permettant de reconstituer le plus précisément possible ce qui a été la vie de cet homme particulier, et comment il en est arrivé à commettre les actes qui ont fini par l'accuser.

Si le traitement assez sensationnaliste des faits, surtout au début, m'a quelque peu gênée, d'autres lecteurs m'ont permis de remettre ce livre dans le contexte de son époque, au moment où on découvrait presque complètement ce trouble mental. J'ai aimé cependant que l'auteur évacue complètement l'idée d'excuser ou non les actes de Billy Milligan pour se concentrer sur la description minutieuse de sa vie. En effet, elle permet de comprendre l'enchaînement de circonstances et de connaître un peu mieux l'affection dont il souffre, sans tomber dans l'angélisme, Billy Milligan ne m'étant pas particulièrement apparu comme sympathique au cours du récit.
Impossible cependant pour moi de ne pas être révoltée par le traitement (ou plutôt l'absence de traitement ou de prise en charge correcte) dont il a souffert toute sa vie, le maintenant dans la souffrance, et, le plus souvent, dans l'échec quand des améliorations semblaient possibles.

Daniel Keyes confirme ses formidables talents d'écrivain et son infinie humanité dans ce livre tellement riche d'enseignements et d'émotions. Écrit comme un roman à suspense, richement documenté, il nous plonge au cœur de nombreuses réflexions. S'il faut le prendre avec un peu de recul aujourd'hui qu'on en sait un peu plus sur le TDI et que le cas Billy Milligan ne se présente plus comme représentatif à lui tout seul de l'immense complexité de ce trouble, on y trouve tout de même un certain nombre de clés de compréhension, en rendant sa lecture particulièrement enrichissante.


Les mille et une vies de Billy Milligan | Daniel Keyes | Traduit par Jean-Pierre Carasso | Calmann-Levy

Underscore

Excellente série documentaire au ton originale et à la réalisation particulièrement moderne proposée par Arte. Pas étonnant quand on sait que ceux qui se cachent derrière ces émissions sont Quentin Boëton (plus connu sous le nom de Alt 236) et Gilles Stella.

Quand on a grandi avec internet on a du mal à concevoir le moment où l'on regardera des émissions qui surfent sur la nostalgie du web. On a une impression de modernité, presque d'éternité. On s'imagine qu'il ne sera pas possible, un jour, de jeter un regard en arrière sur ce nouveau média, déterrant les archives de ce qui nous semble pourtant effroyablement d'actualité.
C'est pourtant ce que fait cette série, avec brio, se concentrant sur la contre-culture issue d'internet. Chaque épisode en explore une thématique (les gifs, les creepypastas, les memes...) et nous en rappelle l'histoire, tout en commençant par une introduction fictionnelle particulièrement dérangeante.

À l'instar du contenu, la façon dont les émissions sont conçues est tout aussi intéressante. Les images, le montage, la voix hypnotique du narrateur, la musique... tout est fait pour qu'on passe un très bon moment.


Underscore | Quentin Boëton & Gilles Stella | 2022

La nuit était chez elle

En même temps, avais-je vraiment envie de faire face au défi d'une nouvelle rencontre ? De surmonter tous ces moments gênants, ce retard à rattraper pour retrouver une intimité qui ne serait jamais qu'une approximation de celle que j'avais connue ?

Le Correspondant local Alex Lolya revient donc pour une nouvelle enquête après avoir réussi à me plaire dans un genre pour lequel j'avais pourtant un peu de désintérêt. Cette fois-ci, il est aux prises avec un mystérieux manuscrit semblant avoir été écrit de la main de Louis-Ferdinand Céline, attirant la convoitise et semant la violence sur son passage.
Une fois de plus, j'ai suivi ce récit sans déplaisir, contente que j'étais de retrouver l'ambiance du village du Sud-Ouest situé au cœur du livre. Je me suis attachée à Alex Lolya, son flegme et son côté désabusé que de nouvelles péripéties viennent bousculer un peu. J'y ai retrouvé des personnages, des lieux et des situations familières, qui nourrissent l'univers du livre et lui apportent toute sa crédibilité.

Laurent Queyssi manie de nouveau sa plume évocatrice pour nous offrir un récit rythmé de nombreux rebondissements, au suspense souvent critique et à la violence froide. J'ai en effet trouvé que La nuit était chez elle nous épargnait peu, nous cueillant au sein de l'histoire par une brutalité inattendue, rendant la lecture délicieusement éprouvante.

Par la maîtrise de ce second volume centré autour d'Alex Loyla, l'auteur confirme que ce personnage et l'univers dans lequel il évolue ont bien la substance suffisante à la création de nouvelles histoires, et je ne serais ni fâchée, ni surprise que d'autres aventures nous soient proposées.


La nuit était chez elle | Laurent Queyssi | Alibi

Cinq nouvelles du cerveau

Un film documentaire qui présente les travaux de 5 scientifiques étudiant le cerveau, la conscience ou encore l'intelligence artificielle, questionnant les frontières expérimentales et éthiques complexes liées à ces matières .

Sur un sujet propice à la peur, le réalisateur prend le parti de faire un film plus contemplatif que sensationnaliste, qui présente autant les personnes que leurs travaux. On y apprend tout de même pas mal de choses, et on se pose également beaucoup de questions.

Le temps fort a été pour moi ce moment ou l'un des chercheurs indique à un de ses étudiants qu'il n'y a pour l'instant rien dans le fonctionnement du cerveau qu'on ne puisse pas reproduire artificiellement, et qu'il avait donc abandonné l'idée que notre cerveau puisse avoir quelque chose de spécial. Je trouve cela assez glaçant, au final...


Cinq nouvelles du cerveau | Jean-Stéphane Bron | 2021

Requiem en catastrophe majeure

Des décors qui tombent, des départs d'incendie dans les coulisses... quand le café des distributeurs a été remplacé par de la chicorée, nous avons compris que nous avions affaire à un maniaque capable du pire.

Après avoir bien apprécié le premier opus des aventures d'Évariste Cosson (j'en parlais à l'époque sur mon ancien blog), j'étais très contente de le retrouver dans la suite de ses aventures. Etant donné que ce personnage réussi toujours parfaitement à se mettre dans le pétrin, c'est assez jouissif de suivre ses tribulations en imaginant s'il va réussir à s'en sortir (et de quelle façon...).
Dans ce roman, le voilà en train de se débattre avec une ancienne gloire du rock qui, s'il vient pourtant de passer l'arme à gauche, n'en a manifestement pas fini avec les concerts, tandis que son camarade, le très charismatique Gidéon Bomba, l'entraine dans une effraction aux multiples conséquences.

Digne successeur d'Évariste, j'ai retrouvé dans Requiem en catastrophe majeure toute cette ambiance à la fois fantasque et très ancrée dans une réalité de petit entrepreneur parisien. Olivier Gechter continue à enrichir un univers vaste et cohérent, auquel on n'a aucun mal à adhérer et qui nous laisse alors pleinement profiter du récit.
Son sens de l'humour n'étant en outre plus à démontrer, j'en apprécie particulièrement le cynisme et la finesse. Evariste Cosson manie avec brio le sarcasme et affronte ses déconvenues avec un détachement étrangement sophistiqué. Si on ajoute à tout cela une intrigue originale et solide, menée de plus à bon rythme, on obtient le cocktail parfait pour passer un moment de lecture particulièrement récréatif !


Requiem en catastrophe majeure | Olivier Gechter | Mnémos