Cycle de 11 poèmes pour un homme qui n'a rien compris
I
J'ai raté les aurores boréales
L'arboretum a son système
Solaire à lui tout seul,
Immobile, où je déambule,
En deuil,
Où je me promène,
Seule.
Le soleil de l'arboretum
Cogne fort au fond de mon oeil brûlé
Et d'abord je ne te vois pas.
L'arboretum est flamboyant
De fruits acides, il fait si froid,
Marchons un peu.
Tiens-moi, ou le vent me disperse
Avec les braises.
Les baies ne sont pas seules dans leur rougeur.
Rouge – c'est une couleur que tu vois
N'est-ce pas ?
L'arboretum part en fumée. Tu n'as rien vu.
II
Un aveu
Je me verrais bien nue sur tes genoux ; tu cherches mes yeux timides qui se sentent dévorés à la moindre ébauche d'une rencontre ; et bien que leur couleur te soit inconnue, tu sais tout du reste ; car tu me rends transparente en caressant mes hanches. Je t'enveloppe et je fonds. Ce n'est pas juste. Pourquoi ne puis-je pas prendre tes souvenirs avec tout le reste ? Est-ce que je t'enserrerai jamais assez fort pour sentir qui tu es ?
III
Plie-moi
Plie-moi, je suis flexible excessive
En implosion constante
Et languis de te jouer
La mélodie de tous mes os.
Plie-moi !
Je plongerais volontiers
– si des mots caressants
ne la retenaient pas -
Ma tête dans le vide cosmique
Qui hurle en travers de mon ventre
Indolore et insupportable
Et nouerais mes orteils derrière mes vertèbres
Bouquet de membres
Prêt à l'emploi
Prêt à offrir
Prêt à broyer
Vivent les mariés
Plie-moi, je me nourris de meurtrissures
Comme une avaleuse de sabres
Affamée dès l'aurore
Comme un pantin qui cherche son amant
Dans un brouillard mouillé de lames de rasoir
Plie-moi jusqu'au Pôle Nord
Que le blizzard sacré de Dieu
Me transperce de stalactites
Et m'insuffle la paix
Dans un désert de glace
IV
Perdue pour la science
Il pleut un ennui blanc
Et des fourmis volantes
Du plafond dont le temps
Détricote l'amiante
Sur les neurones de la nation
De la Salle des Murmures
A la Salle des Lucarnes
Où sous ma couverture
La névrose s'incarne
Tu marches avec obstination
Pour ne pas t'endormir
Alors qu'un monde entier
Délire, tangue et chavire
J'ai renoncé, tu sais
La clé du soleil sur ma langue
Me tiendra éveillée
Jusqu'au bout du contrat
Et toi, mon invité
Tant que tu le voudras
Sous les poussières d'or du Big Bang
Et les microplastiques
Chamarrés
Hynotiques
Viens sombrer
L'avenir est une notion ancienne
La dernière hypothèse
Qui m'importe en cette heure
Plaintive, ne t'en déplaise
Concerne la douceur
De ta peau nue contre la mienne
V
Maintenant m'effondrer
Si tu m'avais vue
Me tenant toute seule par la main
Titubant au bord
Du goufre entre les crépuscules
Qui pique les yeux
Et bénie soit ta rêverie
Pique les yeux
Et bénie soit ta rêverie
Mon écran accablé
De galets, de gravats
A ne plus distinguer mes doigts
Si tu m'avais lue
Engoufrée entre deux virgules
Grise au visage
Vérolée de regrets
J'en suis revenue
Me tenant toute seule par la main
(Est-ce bien la même ?)
Alourdie de pièces du puzzle
Quel drôle de jeu
Et bénie soit ta rêverie
Drôle de jeu
Et bénie soit ta rêverie
VI
Croqueuse
Je suis la croqueuse,
Je suis la sorcière
dévoreuse de garçons
Recroquevillés dans les coeurs d'hommes.
Crois-tu te cacher
dans les enfractuosités
Les ondulations inondées
perforées de broussailles
De ce terrain noueux
Qu'est ta mémoire ?
Je me penche sur toi, rien que sur toi
avec mon monocle de corbeau, je te vois.
Livre-toi entier je te cueille
dans ma main douce ;
Pense une seule seconde
à courir, sois occis
par ma griffe : choisis.
Je ne rends qu'aux lâches
(Dieu sait s'il y en a) la douleur
Qui m'a faite immortelle.
Je me penche sur toi, rien que sur toi
avec mon monocle de corbeau, je te vois.
Tous les glorieux petits désastres
Tels que l'enfance laissent des fils qui dépassent
Détails de toi ébouriffés
Chair de poule sous la carapace
Soluble dans le vent
Soluble dans mon corps
Personne d'autre n'a fait tes pas,
Ne s'est piqué au même chardon
En admirant le même ciel
Moucheté des mêmes montgolfières
Personne d'autre n'a filé ce coton
Rêche et nébuleux, merveilleux, amer
Et tout ça m'appartient.
Je suis la croqueuse,
Je suis la sorcière
dévoreuse de garçons
Recroquevillés dans les coeurs d'hommes.
VII
La comète
Soudain elle est
Soudain elle fuse
Rase de près
Les écluses
Dans les remous
Incandescents
Des froufrous
Impatients
Qui l'auréolent
Oui, la voici
Cabrioles
Et folies
A son passage les hommes de science
Se fracassent le crâne et s'élancent
“Pourquoi maintenant, pourquoi ici
Du néant quitte-t-elle le nid”
Micro, sthéto, et oscillo-
Scopes sondent mais demeurent idiots.
A son passage rayonnent les filles
Qui s'y reconnaissent et en rient.
Elle passe remplissant ma maison
Comme nulle autre, de cotillons,
De lanternes, lampions, lucioles,
Jusqu'à l'aube qui dégringole
Alors on entre sans frapper
Cherchant une raison détaillée
Mais ce n'est que moi, mes cernes, mon tablier.
VIII
Hautbois
Les rêves ne veulent ne savent ne peuvent
Plus s'arrêter et les désastres entravent
Mon diaphragme comment se concentrer
Quand tu es juste là et l'horloge détraquée
Tiens le hautbois
L'innocence même, pas une seule fois
Effleuré ni par moi
Ni par quelque amant, le hautbois
Au casque avec le dos bien droit
Impeccable, proche de la clarinette
Quand elle était brillante et nette
Détrouble-moi détourne-moi des obsessions
Verse le Valium dans mes vaisseaux de souillon
Réapprends-moi même en apnée à séparer
L'homme de la mélodie, sa main de la beauté
Son archet de l'écharde du désir
Qui à chaque sursaut de l'aiguille me déchire
Sérénité
Mais il se penche sur moi – son souffle contre moi -
Et son oreille savante “ah, tu aimes le hautbois ?
Je peux recommander...”
Et il faut tout recommencer.
IX
Non
Non
Non
Et re-non
Le mot d'ordre est “guérir”
Je dois rester chez moi
M'écouter, m'obéir
Et dire non à ta voix
Et dire non à ton nom
à l'écho de ton nom
Au concept de l'écho
Conduit par mes frissons
A travers tous mes os
Dès que j'entends du fond
De mon coeur en chaos
Ton nom
Ton nom
Ton nom
Presque un ré puis un fa
NON
Puis un bruissement d'aile
NON
Pas le soleil qui cajole cet étrange grain de jaspe incrusté dans l'écorce de ton iris
Ni celui qui se noie dans le noir dans le creux de la vague de cette mèche de cheveux
Ni ce craquement de braise d'un soupir quand les heures se désagrègent tu t'étires
Je renie le reflet de la courbe de cette joue
Cette bouche menue et tout ce qui en sort et tout ce qui s'y trouve
Tout ce qu'une hypothétique femme pourrait
Imaginons, trouver si peut-être elle ne tenait
Pas tant à,
Eventuellement, guérir
Non
Presque un ré puis un fa
Puis un bruissement d'aile
X
Merci pour la noyade
Mon petit mari
Si mignon quand il n'est pas soupe au lait
Mon mari je disais
M'appelle à lui
Au milieu de l'Isère où je m'agenouille
Où je dénombre
Les ombres d'ombres
Ou de grenouilles
Et les arcs et les larmes
De femmes tombées des arbres
Mon mari les deux pieds dans l'Isère
Ne croit pas aux sorcières
Avec délicatesse
D'une main saisit ma tresse
De l'autre mon menton
Dégoulinant
Et sur ce ton
Des grands moments
Sûr et joueur
Murmure “c'est l'heure”
Sa bouche mangeant la mienne
M'inonde d'oxygène
L'arboretum garde son système
Solaire et le seul homme que j'aime
Moi, petit baluchon trempé qu'on porte
Et qu'on exhorte
A vivre un peu
Moi ballottée
A qui mieux mieux
Emmaillottée
Sur une épaule
De soie, de tôle
Moi dans le lit
De mon mari
Qui gentiment
Me recouvre et reprend
Ses droits mais ton souvenir aqueux
Me noie c'est toi que je choisis
Encore et la viole dans la salle assourdie
Résonne
Encore et le grain de jaspe ton nom tes yeux
Encore
A égale distance de deux astres dans le vide
Mourra bien qui mourra de l'amour le plus apatride
XI
Épilogue angélique
La neige peut-être carbonique
Asphyxiait les fragments
Fantomatiques
Des derniers bâtiments
Et c'en était fini de nous depuis des lunes
Tu plaisantais je m'élançais
Brusquement après toi
Le ciel muet
Dévorant dans le froid
Nos rires sans un écho nos pas sans trace aucune
Au sol tu tombais capturé
Gigotant comme un diable
Et moi penchée
Sur ta bouille adorable
Avions-nous échoué avions-nous réussi
Nos vies au loin si loin si floues abasourdies
Et quand du bout des doigts j'allais presque par maladresse effleurer enfin cette brune et jolie joue rugueuse
Battant des ailes tu m'aveuglas d'un joyeux nuage de paillettes
Et puis
Le vent bourru souffla des milliards de pages blanches
Étions-nous amoureux était-ce de l'amitié
Ma vision vacille mais restera scintillée
De cette neige accueillante ;
Sois certain
Que la prochaine fois au temps un
De nos retrouvailles dans un tout autre univers
Je t'en écrase une belle bonne grosse boule en travers
De la gueule