Les grands enfants
J'ai eu un véritable coup de cœur pour ce livre de Régis de Sà Moreira que j'ai trouvé naturellement empilé, bien en vue, sur l'une des tables de la librairie qui me fournit, modestement orné d'une étiquette “les libraires ont adoré”.
Il m'a épaté par son propos : l'histoire d'un film improbable, celui de deux frères, l'un scénariste, l'autre réalisateur qui, alors que les confinements se succèdent, décident de se retrouver pour donner corps à leur œuvre majeure. Ils accoucheront d'un film étrange, une histoire de robot, qui pourrait sembler anecdotique, mais qui aura pourtant un impact inimaginable.
Il m'a épaté par sa forme : une succession de prises de parole souvent brèves, anarchiques, quand chacun des protagonistes de cette aventure, du figurant à la grande star, du technicien au chef opérateur, se donne tour à tour le rôle du héros de sa propre vie, le tout finissant par donner corps à une fresque bien plus large que le simple tournage du film.
Il m'a épaté par son sous-texte : mettant beaucoup en lumière les figures de l'ombre. Les dires de ce figurant ne souhaitant pas devenir personnage, de ce chef opérateur conscient du caractère indispensable de sa discrétion, sont parmi les textes m'ayant le plus touchée.
Lorsque vous comprenez que vous êtes avant tout un support pour le monde intérieur des autres, votre importance se réduit en même temps que votre pouvoir augmente.
Il m'a épaté par sa virtuosité : quand les paragraphes se succèdent, décousus et disparates, mais finissent par esquisser une histoire ample ; quand les sous-entendus des uns comblent les blancs des autres ; quand certains détails discrets mettant un doute en tête finissent par ne plus pouvoir être ignorés et qu'on se rend compte des différences.
Les grands enfants, sous ses airs ordinaires, cache en fait un récit subtil et émouvant, fait de portraits terriblement touchants au service d'une intrigue originale et captivante. Ce fut un plaisir immense d'en découvrir toutes les facettes.
Les grands enfants | Régis de Sà Moreira | Albin Michel