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Madame A.F. rejoint la France en 2019, sans visa. Elle est née aux Comores. Elle va avoir 21 ans.

La France parce que son père y vit et est français, parce qu'elle rêve de ce pays.

A son arrivée, elle s'adresse au Tribunal d'instance pour obtenir un certificat de nationalité française. C'est l'article 18 du code civil : “Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français”.

En novembre 2021, le Directeur des services de greffe judiciaire lui oppose un refus : “L'intéressée nous a saisi d'une demande de délivrance de certificat de nationalité française. Elle n'apporte pas la preuve de sa nationalité française. A l'appui de sa demande, A.F. produit son acte de naissance étranger, l'acte de mariage étranger de ses parents et la déclaration de nationalité française de son père. Attendu que la filiation paternelle de l'enfant n'a d'effet sur la nationalité que si elle est établie soit par le mariage des parents, soit par une reconnaissance après la naissance faite par le père avant la majorité de l’enfant, Que l'acte de mariage des parents établi le 31 décembre 1998 fait état d'une célébration en date du 20 décembre 1998, Que ce mariage n'est pas mentionné sur l'acte de naissance des parents, qu'à la date du mariage, le père était marié avec A.M. (Je précise : qui n'est pas la mère d'A.F., mais la précédente épouse de son père dont il a officiellement divorcé en 1987), comme mentionné sur l'acte de naissance, Qu'en l'état la filiation paternelle ne peut être établie”

Il y a une énorme “erreur” dans les faits tels qu'avancés par le DSGJ, une “erreur” volontaire sans aucun doute. Sait on jamais, peut-être que Madame va renoncer.

En bref, je traduis : “t'es une bâtarde, puis t'es pas une vraie française, tu viens des colonies, c'est non”

Mais “Stoi le bâtard, on t'a vu, maintenant tu vas voir”

*Je retranscris ici mes première écritures, concises”

//Madame A.F. est de nationalité française en application de l'article 18 du Code civil qui prévoit : « Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français ».

Le père de Madame, Monsieur A.S., est de nationalité française.

Il a conservé la nationalité française par déclaration souscrite le 26 décembre 1977. Il est titulaire d’un certificat de nationalité française, d’une carte nationale d’identité et d’un passeport.

Madame A.F. a présente à l’appui de sa demande de nationalité française une copie intégrale d’acte de naissance délivré par la Mairie de K. Cet acte a été légalisé par les autorités consulaires comoriennes à Paris le 25 juillet 2022.

Pour refuser de délivrer à Madame A.F. un certificat de nationalité française, le directeur des services de greffe judiciaire a considéré que la filiation entre Madame A.F. et Monsieur A.S. n’est pas établie.

Le Directeur des services de greffes judiciaires a commis une erreur de fait :

« Que l’acte de mariage des parents établi le 31 décembre 1998 fait état d’une célébration en date du 20 décembre 1998 »

A été confondu l’acte de mariage des parents avec la copie intégrale de l’acte de naissance de Madame A.F. – Madame est née le 20 décembre 1998 et sa naissance a été inscrite le 31 décembre 1998. – Ses parents se sont mariés le 24 novembre 1989 et leur mariage a été inscrit le 27 novembre 1989.

Madame A.F. justifie de son lien de filiation avec Monsieur A.S.

Elle sera reconnue dans sa nationalité française.//

Et bien évidemment, le Procureur de la République, qui est notre adversaire devant le Tribunal judiciaire, pôle de nationalité, fait son mauvais joueur.

Il ne répond pas, demande un report de clôture d'instruction au dernier moment, l'obtient, évidemment. Il a 6 mois de plus pour répondre..

Il répond : “Gnagnagna, bon c'est vrai MAIS l'acte de naissance de Madame A.F. n'est pas fiable, il n'est pas légalisé correctement”

On répond : “Ben si, on te l'a déjà dit mais on te le redit”

A son tour, puis au nôtre et ainsi de suite jusqu'à ce que les juges considèrent qu'ils sont suffisamment “éclairés” pour juger.

3 ans de procédure plus tard, intervient un jugement, concis, qui évacue toutes les digressions lamentables et pétries de préjugés racistes du procureur de la République

“En l'espère, pour justifier de son lien de filiation avec A.S, A.F produit l'acte de mariage de des parents, dont l'authenticité n'est pas valablement contestée, en vertu duquel ils se sont mariés le 24 novembre 1989 de sorte que l'intéressée est née pendant le mariage de A.S et de M.M. Il en résulte que A.F. justifie de son lien de filiation légalement établi lors de sa minorité à l'égard de A.S.

Au demeurant, il ressort de la déclaration de nationalité produite par A.F. que A.S. a conservé la nationalité française par déclaration souscrite en 1977 et a ainsi conservé la qualité de français. il s'est ensuite vu délivrer un certificat de nationalité française en 1978 par le juge du tribunal d'Instance de Saint Denis.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que A.F. est de nationalité française comme étant née d'un père français.

Sur les autres demandes : En l'espèce, le ministère public étant partie perdante (Uhuhuh), l'Etat versera à Maître Z une somme qu'il est équitable de fixer à 1500 euros, en application de l'article 700 du code civil”.

Maintenant, il va falloir faire exécuter le jugement, soit on tombe sur le bon agent, soit sur le pas bon agent, mais le plus dur est passé ; les années de précarité extrême, sans papier, sans droit au travail sans aide sociale, juste avec la solidarité familiale avec ses bons côtés et ses moins bons (et encore là, elle a existé), c'est fini.

M. M. est algérien, de nationalité.

Il ne connait pas l'Algérie. Entré en France à l'âge de deux mois avec sa mère, orphelin de père, c'est ici qu'il a grandi, a suivi des études d'informatique, a eu un grave accident qui l'a contraint à arrêter son travail, il a 37 ans, il ne parle pas l'arabe, sa mère est enterrée en France.

Il vit seul, dans son appartement, qu'il peine à garder avec ses seules ressources, l'allocation pour adulte handicapé.

Ses droits à l'AAH sont interrompus parce que l'administration préfectorale traîne à renouveler sa carte de résident, pas que sa situation administrative pose problème, non, mais parce qu'elle traîne. Il va perdre son logement. Il l'explique, le démontre, l'Administration s'en fout “on a du retard, c'est pour tout le monde pareil, patientez”.

Il décompense, se rend au commissariat, caillasse une voiture de flic et crie “Allah Akbar”. Il est arrêté, condamné a 10 mois de prison ferme, sa peine est aménagée en semi liberté (Il présente des garanties, et le juge de l'application des peines ne considère pas qu'il est une menace pour l'ordre public, dire une bêtise dans une situation qui était la sienne est entendue).

Au dernier pointage, le 16 décembre, la police lui notifie une décision du Ministre de l'intérieur, un arrêté d'expulsion vers l'Algérie. Il est placé au centre de rétention administrative de Lyon pour mise en oeuvre de son expulsion.

Même si un recours est déposé contre cette décision d'expulsion, elle n'est pas suspendue dans l'attente du jugement du tribunal.

Au centre de rétention, son état de santé se dégrade, très vite – les conditions d'enfermement sont celles qu'on connait, il est seul, sans famille, son état de santé était déjà très précaire, il a peur.

A deux reprises, il est présenté au Juge des libertés et de la détention, celui qui contrôle à échéances régulières la nécessité de l'enfermement et ses alternatives, les diligences de l'administration pour obtenir un départ dans les meilleurs délais, la compatibilité de l'état de santé avec cet enfermement.

Mais on ne libère pas un terroriste.

Hier, il a été hospitalisé en urgence, il ne sera pas devant la Cour d'appel ce matin ensuite d'un appel sur la seconde prolongation de sa rétention pour une nouvelle période de 30 jours décidée par le premier juge mercredi.

Le juge d'appel prolongera sa rétention, malgré les circonstances.

On ne libère pas un terroriste.

Nâzim Hikmet – Autobiographie

Ce n'est pas un article personnel mais un poème de Nâzim Hikmet.

Poète turc, militant communiste, emprisonné quinze ans et déchu de sa nationalité, il écrit en 1961 ce poème, une autobiographie.

Il mourra en 1963 avec un passeport polonais.

AUTOBIOGRAPHIE

Je suis né en 1902 Je ne suis jamais revenu dans ma ville natale Je n’aime pas les retours. À l’âge de trois ans à Alep, je fis profession de petit-fils de pacha à dix-neuf ans, d’étudiant à l’université communiste de Moscou à quarante-neuf ans à Moscou, d’invité du Comité central, et depuis ma quatorzième année, j’exerce le métier de poète. Il y a des gens qui connaissent les diverses variétés de poissons moi celles des séparations. Il y a des gens qui peuvent citer par cœur le nom des étoiles, moi ceux des nostalgies. J’ai été locataire et des prisons et des grands hôtels, J’ai connu la faim et aussi la grève de la faim et il n’est pas de mets dont j’ignore le goût. Quand j’ai atteint trente ans on a voulu me pendre, à ma quarante huitième année on a voulu me donner le Prix mondial de la Paix et on me l’a donné. Au cours de ma trente-sixième année, j’ai parcouru en six mois quatre mètres carrés de béton. Dans ma cinquante-neuvième année j’ai volé de Prague à La Havane en dix-huit heures. Je n’ai pas vu Lénine, mais j’ai monté la garde près de son catafalque en 1924. En 1961 le mausolée que je visite, ce sont ses livres. On s’est efforcé de me détacher de mon Parti ça n’a pas marché Je n’ai pas été écrasé sous les idoles qui tombent. En 1951 sur une mer, en compagnie d’un camarade, j’ai marché vers la mort. En 1952, le cœur fêlé, j’ai attendu la mort quatre mois allongé sur le dos. J’ai été fou de jalousie des femmes que j’ai aimées. Je n’ai même pas envié Charlot pour un iota. J’ai trompé mes femmes Mais je n’ai jamais médit derrière le dos de mes amis. J’ai bu sans devenir ivrogne, Par bonheur, j’ai toujours gagné mon pain à la sueur de mon front. Si j’ai menti c’est qu’il m’est arrivé d’avoir honte pour autrui, J’ai menti pour ne pas peiner un autre, Mais j’ai aussi menti sans raison. J’ai pris le train, l’avion, l’automobile, la plupart des gens ne peuvent les prendre. Je suis allé à l’opéra la plupart des gens ne peuvent y aller et en ignorent même le nom, Mais là où vont la plupart des gens, je n’y suis pas allé depuis 1921 : à la Mosquée, à l’église, à la synagogue, au temple, chez le sorcier, mais j’ai lu quelquefois dans le marc de café. On m’imprime dans trente ou quarante langues mais en Turquie je suis interdit dans ma propre langue. Je n’ai pas eu de cancer jusqu’à présent, On n’est pas obligé de l’avoir je ne serai pas Premier ministre, etc. et je n’ai aucun penchant pour ce genre d’occupation. Je n’ai pas fait la guerre, Je ne suis pas descendu la nuit dans les abris, Je n’étais pas sur les routes d’exode, sous les avions volant en rase-mottes, mais à l’approche de la soixantaine je suis tombé amoureux. En bref, camarade, aujourd’hui à Berlin, crevant de nostalgie comme un chien, Je ne puis dire que j’ai vécu comme un homme mais le temps qu’il me reste à vivre, et ce qui pourra m’arriver qui le sait ?

Quand un service public déraille #1

A Mensonge et Corruption, on répond par On vous a vu et Menace

Est retranscrit un échange de mails entre le conseil des usagers et les services de la Préfecture

23 octobre 2024, le conseil :

“Madame, Monsieur,

Je vous saisis de manière urgente pour Monsieur D qui s'est présenté ce jour avec son partenaire, Monsieur L, pour enregistrement de sa demande de titre de séjour.

Cette demande de RDV a été faite le 21 novembre 2023 et nous avions enfin pu obtenir un RDV ce jour. Le dossier a été préparé par mes soins.

La demande de titre de séjour de Monsieur n'a pas été enregistrée. Monsieur s'est retrouvé face à un agent, guichet 49, qui lui a instamment conseillé de ne pas déposer de demande de titre de séjour car il était certain qu'un refus de séjour avec obligation de quitter le territoire lui serait opposé par la Préfète. Selon l'agent du guichet “la “loi Darmanin” ne permet plus aux étrangers en situation irrégulière de déposer une demande de titre de séjour”.

Je reçois ce couple en ce moment, profondément choqué par ce qu'ils viennent de vivre à un guichet du service public et demande qu'un rendez-vous soit fixé à Monsieur D dans les délais les plus brefs.

Je tiens à votre disposition les coordonnées de l'agent, coordonnées qu'il a proposé à mes clients.

Sans retour de votre part dans des délais très brefs, je saisirai le Défenseur des droits de cette situation.

Dans l'attente”

25 octobre 2024, la Préfecture :

“Bonjour, Suite à votre demande, je vous informe qu'un rendez-vous a été fixé à M. D le 05/11/2024 à 8h30. La convocation, envoyée sur votre adresse mail, est à transmettre à l'intéressé car elle est nécessaire lors de sa présentation à l'accueil. Merci d'informer l'intéressé qu'il doit venir avec toutes les pièces justificatives pour sa demande de titre. La préfecture se réserve le droit de ne pas enregistrer tout dossier incomplet. Vous en remerciant par avance. Cordialement”

A bientôt pour Quand un service public déraille #2 (On n'oublie jamais, on accumule Pierre Bachelet) ((La guerre, c'est la guerre))

Avant le début de la trêve hivernale, on vide les squats, on arrête les étrangers, mineurs ou pas.

Alassane a 16 ans.

Il est né à Foungbesso, un village de Côte d’Ivoire.

Ses parents ne sont pas mariés. La mère d'Alassane est chassée alors qu’elle est enceinte.

Alassane ne connaît pas son père, sa mère refuse de lui parler de lui.

Alassane et sa mère rejoignent Abidjan, il est scolarisé à l’école franco-arabe. Il a 7 ans. Pendant les vacances scolaires, il retourne chez Massandie, sa grand-mère, à Foungbesso.

La mère d'Alassane se marie ; il est renvoyé définitivement chez Massandie.

Il assiste aux cours du soir de lecture et d’écriture avec ses amis. Il n'y a pas d'école.

Parce qu'il n'est plus scolarisé, il décide de partir de chez sa grand-mère pour aller à Abidjan et retrouver sa mère, il a 14 ans.

Il se renseigne à la gare, aux marchés et y fait la rencontre de jeunes et d’un adulte de nationalité malienne, Ibrahim.

Il reste avec eux, aide au portage des bagages et reçoit en échange quelques pièces.

Puis Ibrahim propose à Alassane et à un autre jeune de son âge, Moussa, de partir au Mali. Ils acceptent.

D’Abidjan, ils vont à Bouaké puis à Sikasso, en car.

A Sikasso, Ibrahim les emmène chez sa tante, qui les nourrit et les loge durant deux jours.

Ils montent à bord d’un camion pour Tombouctou. A Tombouctou, ils n’ont plus d’argent. Une personne leur propose de l’argent contre de l’aide pour monter une clôture. Cela durera une semaine.

Puis, à la place de l’argent, on leur propose de monter à bord d’un pick-up 4x4 pour rejoindre la frontière algérienne, à Inafra.

Ils rencontrent d’autres migrants dans un « foyer de repos ». Le lendemain, ils marchent de 5h à 11h du matin et arrivent dans un village d’« hommes en turban ». Une personne vient les chercher à la gare du village suivant et les emmène dans une maison. Ils restent un jour.

Alassane veut « retourner » mais les adultes lui expliquent qu’ils doivent continuer.

Le lendemain, une voiture les conduit de nuit à la frontière tunisienne, juste avant Tozeur.

C'est l'été, ils rejoignent Tunis.

A Tunis, ils travaillent sur un chantier pour 2800 dinars.

Janvier, ils tentent une traversée de nuit avec une vingtaine de personnes, des femmes, des enfants.

A 4 heures du matin, ils gonflent le bateau.

Ils naviguent jusque 16h, “le vent est fort, les vagues hautes. A la troisième grande vague, Moussa et d’autres tombent dans l’eau. On appelle « la balise des secours » qui arrivent le lendemain à 9h”

Un bateau de la Croix Rouge les secoure. Le corps de Moussa est repêché.

Ils sont débarqués à Lampedusa.

Alassane est conduit au camps pour mineurs, Ă  Palerme.

Il y reste une semaine et fuit le camp avec un jeune guinéen, Seydou.

Ils prennent le train de Messine Ă  Milan puis Ă  Turin et Oulx.

Ils sont accueillis dans une église et nourris. C’est ici qu’on leur explique comment « passer la montagne ». Ils marchent la nuit, dans la neige, avec deux adultes, un syrien et un algérien.

Ils arrivent le matin à Briançon.

L’« association » à Briançon paie un billet de bus pour Grenoble.

A Grenoble, une personne (« un ancien mineur isolé devenu majeur ») lui paie le bus jusque Lyon.

Il dort à la « gare du métro » et se présente au Centre de mise à l'abri et d'évaluation le lendemain (Le centre de mise à l'abri et d'évaluation est un “lieu d'accueil” mis en place par la Métropole, sa mission est d'évaluer la minorité et l'isolement des jeunes étrangers qui pourraient relever de l'aide sociale à l'enfance)

Il est “déposé” dans un hôtel, seul, sans aide ni soutien, alors que son état physique et psychologique est très préoccupant.

Un mois passe avant qu'il soit entendu par “les évaluateurs” s’agissant de sa minorité et de son isolement.

Intervient la décision des services de la métropole de Lyon qui refusent de l’admettre auprès des services de l’aide sociale à l’enfance.

Il est mis dehors.

Recueilli par un collectif de citoyens, il peut rejoindre un squat, le temps que le juge des enfants soit directement saisi et statue sur sa situation – décide de le confier à l'aide sociale à l'enfance ou pas.

Il va à “l'école du Secours Populaire”, il est pris en charge par Médecins du Monde.

Nous sommes en août.

La juge des enfants décide jeudi 17 octobre de son placement à l'aide sociale à l'enfance. Alassane sourit, oui il sourit, pour la première fois depuis que je l'ai rencontré en août.

On n'a pas encore le jugement entre les mains, la juge est informée de l’imminence de l'évacuation du squat.

Ce matin, 7h le squat est évacué par les forces de l'ordre. 5 personnes sont arrêtés par la Police aux frontières, dont Alassane. Il explique sa situation, montre sa convocation de jeudi chez la juge des enfants, peu importe.

10h, la juge des enfants transmet sa décision de confier Alassane aux services de l'aide sociale à l'enfance.

Alassane sort de chez la police, les bénévoles l'attendent et l'accompagnent à la Métropole forts de la décision judiciaire, fini la rue, fini le squat, refini la rue, Alassane aura ce soir un toit que personne ne pourra lui enlever.

Parcours de Diassé, entré mineur en France il y a 7 ans.

Avec son autorisation et en changeant son prénom, je retranscris ici une partie du recours adressé au tribunal quand le Préfet de l'Ain a décidé que NON, pas de carte de séjour (une partie seulement pour vous épargner les textes de loi et le développement visant à faire coller la situation de fait au droit – le II : Discussion. A la place, vous aurez II- Des nouvelles, il sort à l'instant de mon bureau)

I -Faits et Procédure (c'est chirurgical. Le parcours d'exil, ses raisons, sa rudesse, ses traumatismes, c'est pas le problème de l'Administration préfectorale ni du juge administratif)

Diassé entre en France le 22 février 2017, il a 16 ans.

Il est titulaire d’une carte d’identité malienne, d’un acte de naissance et du jugement supplétif afférent.

Il se présente le 23 février 2017 à la Cellule de recueil d'information préoccupante d’Auxerre.

Mineur et isolé, il est pris en charge au sein de l’association Enfance et Jeunesse en Avallonnais.

Le 3 mars 2017, intervient une ordonnance de placement provisoire du Procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Auxerre.

Le 6 mars 2017, il est admis aux services de l’aide sociale à l’enfance du département de l’Ain et accueilli à la Résidence Les 3 Saules, de Bourg en Bresse.

Il effectue plusieurs stages d’observation et de sensibilisation en entreprise et s’engage dans une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle au sein du CFA CECOF d’Ambérieu en Bugey.

Il est ainsi inscrit en classe de CAP « Commercialisation et Services HCR » à compter du 1er octobre 2017 et jusqu’au 31 août 2019.

Cette formation se déroule dans le cadre d’un contrat d’apprentissage. Une autorisation de travail est délivrée par la DIRRECTE.

Ses résultats scolaires sont très bons. Il obtient des encouragements au premier semestre et des félicitations au second.

Hébergé au foyer « Les 3 saules » dans un premier temps, il intègre dès le 17 janvier 2018 un logement au sein d’une résidence étudiante.

(Jusqu'ici, tout va bien, exceptionnellement bien mĂŞme).

En mars 2018, il présente une demande de titre de séjour au Préfet de l’Ain, en application des dispositions de l’article L. 313-15 du Ceseda (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile).

Aucun récépissé de demande de titre de séjour ne lui est délivré, en infraction aux dispositions réglementaires du Ceseda.

A quelques semaines de sa majorité, le 16 juin 2018, Diassé, accompagné par les travailleurs sociaux en charge de son suivi, demande au Département de l’Ain la poursuite de sa prise en charge dans le cadre d’un contrat « jeune majeur ».

Par décision du 13 juillet 2018, sa demande est refusée considérant que « la demande de titre de séjour a été envoyée en mars 2018. Dans l’attente de la réponse de celle-ci, vous ne pourrez pas travailler après votre date d’anniversaire le .. août 2018 » (légalement, il peut poursuivre son apprentissage tant qu'il est mineur sous couvert de l'autorisation de travail de la Direction du travail mais plus après 18 ans car il faut justifier d'un droit au séjour donc d'un droit au travail)

Diassé saisit le tribunal administratif de cette décision de fin de prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance, considérant qu’elle est illégale à plusieurs titres (on a tout perdu, “il n'est pas particulièrement vulnérable”)

Par décision du 3 août 2018, le Préfet de l’Ain refuse à Diassé la délivrance d’un titre de séjour et assortit sa décision d’une obligation de quitter le territoire français à destination du Mali.

Il est contraint de quitter le logement qu’il occupe le .. août 2018, jour de sa majorité.

Le juge des enfants l’a en effet confié aux services de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité et le Département de l’Ain n’a pas accédé à sa demande de poursuite de prise en charge dans le cadre d’un contrat « jeune majeur ».

Diassé contacte par l’intermédiaire de ses éducateurs le 115, qui refuse sa prise en charge en hébergement d’urgence du fait de la décision préfectorale de refus de séjour et d’obligation de quitter le territoire français.

Il vit « à la rue » avec les quelques subsides que lui rapporte son contrat d’apprentissage. Il explique rester « Place des bons enfants », à Bourg en Bresse, et dormir comme il le peut, dans un coin ou sur un banc (son contrat d'apprentissage est suspendu le .. août 2018, jour de sa majorité parce qu'il n'a pas de titre de séjour, il n'a donc plus aucune ressource)

Diassé introduit un recours en annulation contre la décision préfectorale de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français.

Le juge administratif annule ces décisions le 12 février 2019 et demande au Préfet de l'Ain de réexaminer la situation dans un délai de deux mois, en attendant Diassé a une autorisation provisoire de séjour et peut reprendre son apprentissage.

Le Préfet de l'Ain délivrera un titre de séjour à Diassé le 22 octobre 2019 (après 4 saisines du tribunal depuis le 12 février 2019 parce que le Préfet ne rendait pas de nouvelle décision alors qu'il avait injonction (uhuhuh) de le faire dans les 2 mois)

II – Des nouvelles

Diassé a 23 ans.

Il a survécu à cette énième violence qu'a été cette décision de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire alors qu'il n'avait que 18 ans. Il a survécu à la vie à la rue qui a duré plus d'un an. Il bosse, dans l'entreprise où il a fait son apprentissage. Il est papa. Il se dit heureux. Il veut demander la nationalité française.

Elle a 23 ans, il en a 22, elle est française, il est sans papiers. Ils se sont rencontrés dans un foyer. Aujourd’hui, ils sont les parents d’une petite fille de 18 mois.

Monsieur s’est fait contrôler près de la gare le 11 septembre – près des gares, pas besoin de raison.

Il n’a pas encore son titre de séjour même s’il y a droit. Il est le père d’une enfant française et contribue à son entretien et à son éducation (il ne suffit pas de vivre avec l’enfant, il faut apporter des preuves, attestations des organismes publics ou privés – crèche, école, médecin, enfin qui voudra bien le faire et à qui on raconte sa situation) Aussi, la Préfecture exige un certificat de nationalité française de l’enfant (même si un des parents est français et donc qu’il n’y a aucun doute sur la nationalité de l’enfant, il faut ce certificat, c’est long pour l’obtenir)

Les démarches pour le titre de séjour sont en cours auprès d’une « agence privée ». Oui, il n’y a plus d’accès possible, en personne, au guichet de la Préfecture – les étrangers ne sont pas des administrés comme les autres. Tout est dématérialisé. (Au passage, l’« agence privée » se gave, les délais pour être « aidés » sont longs, la procédure dématérialisée imbitable et régulièrement en carafe).

En audition police, Monsieur explique sa situation, administrative et familiale.

L’audition part chez la Préfète, qui décide en quelques heures d’une obligation de quitter le territoire français et d’une interdiction de retour en France pour un an (oui triple peine mais c’est légalement prévu) : « Monsieur n’a pas de carte de séjour, il n’a pas déposé de demande, il n’apporte pas les justificatifs au soutien de ses déclarations (à aucun moment la police ne demande aux personnes de réunir les justificatifs et de les transmettre, les préfectures se dépêchent, une retenue ne peux pas durer plus de 24h, et autant aller vite pour ajouter une petite barrette, une oqtf, une barrette, on fait du chiffre et on est bon élève auprès du Ministère de l’Intérieur)

La préfète décide aussi du placement en centre de rétention de Monsieur – oui, il a dit qu’il ne voulait pas rentrer dans son pays de nationalité pour rester auprès de sa famille – il présente un risque de fuite, alors on l’enferme (encore une petite barrette) en attendant d’organiser son renvoi.

Nous sommes le 12 septembre.

Il présente un recours le 14 septembre contre les décisions de la Préfète, il est accompagné par une association de juristes qui bossent dans le centre de rétention.

Audience le 18 septembre.

96 heures pour réunir ce qu’on peut, sachant que pour bosser correctement, on a besoin des pièces de la procédure, que la Préfecture transmet le 17/09 à 18h30 et son mémoire en défense qu’elle balance le 18 septembre à 9h45 , 15 minutes avant l’audience.

L’audience est difficile pour Madame et Monsieur. Il arrive encadré par la police, il est inquiet et fatigué, 7 jours dans un centre de rétention c’est long et difficile (En France on peut garder les gens enfermés 90 jours au maximum dans des conditions indignes et insécures le temps d’organiser leur renvoi), le représentant du Préfet ne connaît pas le dossier, il s’en fout, il défend avec des lieux communs et des préjugés insupportables, c’est dur à entendre pour Madame et Monsieur. Il ajoute de la violence à la violence et à la violence..

Puis mise en délibéré, la juge, unique, rendra son jugement bientôt, ce soir ou demain ou après demain, bientôt quoi. Encore de la violence à la violence.

Monsieur repart au centre rétention, Madame et la petite à la maison. Maintenant il faut attendre.