Avant le début de la trêve hivernale, on vide les squats, on arrête les étrangers, mineurs ou pas.
Alassane a 16 ans.
Il est né à Foungbesso, un village de Côte d’Ivoire.
Ses parents ne sont pas mariés. La mère d'Alassane est chassée alors qu’elle est enceinte.
Alassane ne connaît pas son père, sa mère refuse de lui parler de lui.
Alassane et sa mère rejoignent Abidjan, il est scolarisé à l’école franco-arabe. Il a 7 ans. Pendant les vacances scolaires, il retourne chez Massandie, sa grand-mère, à Foungbesso.
La mère d'Alassane se marie ; il est renvoyé définitivement chez Massandie.
Il assiste aux cours du soir de lecture et d’écriture avec ses amis. Il n'y a pas d'école.
Parce qu'il n'est plus scolarisé, il décide de partir de chez sa grand-mère pour aller à Abidjan et retrouver sa mère, il a 14 ans.
Il se renseigne à la gare, aux marchés et y fait la rencontre de jeunes et d’un adulte de nationalité malienne, Ibrahim.
Il reste avec eux, aide au portage des bagages et reçoit en échange quelques pièces.
Puis Ibrahim propose à Alassane et à un autre jeune de son âge, Moussa, de partir au Mali. Ils acceptent.
D’Abidjan, ils vont à Bouaké puis à Sikasso, en car.
A Sikasso, Ibrahim les emmène chez sa tante, qui les nourrit et les loge durant deux jours.
Ils montent à bord d’un camion pour Tombouctou. A Tombouctou, ils n’ont plus d’argent. Une personne leur propose de l’argent contre de l’aide pour monter une clôture. Cela durera une semaine.
Puis, à la place de l’argent, on leur propose de monter à bord d’un pick-up 4x4 pour rejoindre la frontière algérienne, à Inafra.
Ils rencontrent d’autres migrants dans un « foyer de repos ». Le lendemain, ils marchent de 5h à 11h du matin et arrivent dans un village d’« hommes en turban ». Une personne vient les chercher à la gare du village suivant et les emmène dans une maison. Ils restent un jour.
Alassane veut « retourner » mais les adultes lui expliquent qu’ils doivent continuer.
Le lendemain, une voiture les conduit de nuit à la frontière tunisienne, juste avant Tozeur.
C'est l'été, ils rejoignent Tunis.
A Tunis, ils travaillent sur un chantier pour 2800 dinars.
Janvier, ils tentent une traversée de nuit avec une vingtaine de personnes, des femmes, des enfants.
A 4 heures du matin, ils gonflent le bateau.
Ils naviguent jusque 16h, “le vent est fort, les vagues hautes. A la troisième grande vague, Moussa et d’autres tombent dans l’eau. On appelle « la balise des secours » qui arrivent le lendemain à 9h”
Un bateau de la Croix Rouge les secoure. Le corps de Moussa est repêché.
Ils sont débarqués à Lampedusa.
Alassane est conduit au camps pour mineurs, à Palerme.
Il y reste une semaine et fuit le camp avec un jeune guinéen, Seydou.
Ils prennent le train de Messine à Milan puis à Turin et Oulx.
Ils sont accueillis dans une église et nourris. C’est ici qu’on leur explique comment « passer la montagne ». Ils marchent la nuit, dans la neige, avec deux adultes, un syrien et un algérien.
Ils arrivent le matin à Briançon.
L’« association » à Briançon paie un billet de bus pour Grenoble.
A Grenoble, une personne (« un ancien mineur isolé devenu majeur ») lui paie le bus jusque Lyon.
Il dort à la « gare du métro » et se présente au Centre de mise à l'abri et d'évaluation le lendemain (Le centre de mise à l'abri et d'évaluation est un “lieu d'accueil” mis en place par la Métropole, sa mission est d'évaluer la minorité et l'isolement des jeunes étrangers qui pourraient relever de l'aide sociale à l'enfance)
Il est “déposé” dans un hôtel, seul, sans aide ni soutien, alors que son état physique et psychologique est très préoccupant.
Un mois passe avant qu'il soit entendu par “les évaluateurs” s’agissant de sa minorité et de son isolement.
Intervient la décision des services de la métropole de Lyon qui refusent de l’admettre auprès des services de l’aide sociale à l’enfance.
Il est mis dehors.
Recueilli par un collectif de citoyens, il peut rejoindre un squat, le temps que le juge des enfants soit directement saisi et statue sur sa situation – décide de le confier à l'aide sociale à l'enfance ou pas.
Il va à “l'école du Secours Populaire”, il est pris en charge par Médecins du Monde.
Nous sommes en août.
La juge des enfants décide jeudi 17 octobre de son placement à l'aide sociale à l'enfance. Alassane sourit, oui il sourit, pour la première fois depuis que je l'ai rencontré en août.
On n'a pas encore le jugement entre les mains, la juge est informée de l’imminence de l'évacuation du squat.
Ce matin, 7h le squat est évacué par les forces de l'ordre. 5 personnes sont arrêtés par la Police aux frontières, dont Alassane. Il explique sa situation, montre sa convocation de jeudi chez la juge des enfants, peu importe.
10h, la juge des enfants transmet sa décision de confier Alassane aux services de l'aide sociale à l'enfance.
Alassane sort de chez la police, les bénévoles l'attendent et l'accompagnent à la Métropole forts de la décision judiciaire, fini la rue, fini le squat, refini la rue, Alassane aura ce soir un toit que personne ne pourra lui enlever.