Claire WXYZ

Parcours de Diassé, entré mineur en France il y a 7 ans.

Avec son autorisation et en changeant son prénom, je retranscris ici une partie du recours adressé au tribunal quand le Préfet de l'Ain a décidé que NON, pas de carte de séjour (une partie seulement pour vous épargner les textes de loi et le développement visant à faire coller la situation de fait au droit – le II : Discussion. A la place, vous aurez II- Des nouvelles, il sort à l'instant de mon bureau)

I -Faits et Procédure (c'est chirurgical. Le parcours d'exil, ses raisons, sa rudesse, ses traumatismes, c'est pas le problème de l'Administration préfectorale ni du juge administratif)

Diassé entre en France le 22 février 2017, il a 16 ans.

Il est titulaire d’une carte d’identité malienne, d’un acte de naissance et du jugement supplétif afférent.

Il se présente le 23 février 2017 à la Cellule de recueil d'information préoccupante d’Auxerre.

Mineur et isolé, il est pris en charge au sein de l’association Enfance et Jeunesse en Avallonnais.

Le 3 mars 2017, intervient une ordonnance de placement provisoire du Procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Auxerre.

Le 6 mars 2017, il est admis aux services de l’aide sociale à l’enfance du département de l’Ain et accueilli à la Résidence Les 3 Saules, de Bourg en Bresse.

Il effectue plusieurs stages d’observation et de sensibilisation en entreprise et s’engage dans une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle au sein du CFA CECOF d’Ambérieu en Bugey.

Il est ainsi inscrit en classe de CAP « Commercialisation et Services HCR » à compter du 1er octobre 2017 et jusqu’au 31 août 2019.

Cette formation se déroule dans le cadre d’un contrat d’apprentissage. Une autorisation de travail est délivrée par la DIRRECTE.

Ses résultats scolaires sont très bons. Il obtient des encouragements au premier semestre et des félicitations au second.

Hébergé au foyer « Les 3 saules » dans un premier temps, il intègre dès le 17 janvier 2018 un logement au sein d’une résidence étudiante.

(Jusqu'ici, tout va bien, exceptionnellement bien même).

En mars 2018, il présente une demande de titre de séjour au Préfet de l’Ain, en application des dispositions de l’article L. 313-15 du Ceseda (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile).

Aucun récépissé de demande de titre de séjour ne lui est délivré, en infraction aux dispositions réglementaires du Ceseda.

A quelques semaines de sa majorité, le 16 juin 2018, Diassé, accompagné par les travailleurs sociaux en charge de son suivi, demande au Département de l’Ain la poursuite de sa prise en charge dans le cadre d’un contrat « jeune majeur ».

Par décision du 13 juillet 2018, sa demande est refusée considérant que « la demande de titre de séjour a été envoyée en mars 2018. Dans l’attente de la réponse de celle-ci, vous ne pourrez pas travailler après votre date d’anniversaire le .. août 2018 » (légalement, il peut poursuivre son apprentissage tant qu'il est mineur sous couvert de l'autorisation de travail de la Direction du travail mais plus après 18 ans car il faut justifier d'un droit au séjour donc d'un droit au travail)

Diassé saisit le tribunal administratif de cette décision de fin de prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance, considérant qu’elle est illégale à plusieurs titres (on a tout perdu, “il n'est pas particulièrement vulnérable”)

Par décision du 3 août 2018, le Préfet de l’Ain refuse à Diassé la délivrance d’un titre de séjour et assortit sa décision d’une obligation de quitter le territoire français à destination du Mali.

Il est contraint de quitter le logement qu’il occupe le .. août 2018, jour de sa majorité.

Le juge des enfants l’a en effet confié aux services de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité et le Département de l’Ain n’a pas accédé à sa demande de poursuite de prise en charge dans le cadre d’un contrat « jeune majeur ».

Diassé contacte par l’intermédiaire de ses éducateurs le 115, qui refuse sa prise en charge en hébergement d’urgence du fait de la décision préfectorale de refus de séjour et d’obligation de quitter le territoire français.

Il vit « à la rue » avec les quelques subsides que lui rapporte son contrat d’apprentissage. Il explique rester « Place des bons enfants », à Bourg en Bresse, et dormir comme il le peut, dans un coin ou sur un banc (son contrat d'apprentissage est suspendu le .. août 2018, jour de sa majorité parce qu'il n'a pas de titre de séjour, il n'a donc plus aucune ressource)

Diassé introduit un recours en annulation contre la décision préfectorale de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français.

Le juge administratif annule ces décisions le 12 février 2019 et demande au Préfet de l'Ain de réexaminer la situation dans un délai de deux mois, en attendant Diassé a une autorisation provisoire de séjour et peut reprendre son apprentissage.

Le Préfet de l'Ain délivrera un titre de séjour à Diassé le 22 octobre 2019 (après 4 saisines du tribunal depuis le 12 février 2019 parce que le Préfet ne rendait pas de nouvelle décision alors qu'il avait injonction (uhuhuh) de le faire dans les 2 mois)

II – Des nouvelles

Diassé a 23 ans.

Il a survécu à cette énième violence qu'a été cette décision de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire alors qu'il n'avait que 18 ans. Il a survécu à la vie à la rue qui a duré plus d'un an. Il bosse, dans l'entreprise où il a fait son apprentissage. Il est papa. Il se dit heureux. Il veut demander la nationalité française.

Elle a 23 ans, il en a 22, elle est française, il est sans papiers. Ils se sont rencontrés dans un foyer. Aujourd’hui, ils sont les parents d’une petite fille de 18 mois.

Monsieur s’est fait contrôler près de la gare le 11 septembre – près des gares, pas besoin de raison.

Il n’a pas encore son titre de séjour même s’il y a droit. Il est le père d’une enfant française et contribue à son entretien et à son éducation (il ne suffit pas de vivre avec l’enfant, il faut apporter des preuves, attestations des organismes publics ou privés – crèche, école, médecin, enfin qui voudra bien le faire et à qui on raconte sa situation) Aussi, la Préfecture exige un certificat de nationalité française de l’enfant (même si un des parents est français et donc qu’il n’y a aucun doute sur la nationalité de l’enfant, il faut ce certificat, c’est long pour l’obtenir)

Les démarches pour le titre de séjour sont en cours auprès d’une « agence privée ». Oui, il n’y a plus d’accès possible, en personne, au guichet de la Préfecture – les étrangers ne sont pas des administrés comme les autres. Tout est dématérialisé. (Au passage, l’« agence privée » se gave, les délais pour être « aidés » sont longs, la procédure dématérialisée imbitable et régulièrement en carafe).

En audition police, Monsieur explique sa situation, administrative et familiale.

L’audition part chez la Préfète, qui décide en quelques heures d’une obligation de quitter le territoire français et d’une interdiction de retour en France pour un an (oui triple peine mais c’est légalement prévu) : « Monsieur n’a pas de carte de séjour, il n’a pas déposé de demande, il n’apporte pas les justificatifs au soutien de ses déclarations (à aucun moment la police ne demande aux personnes de réunir les justificatifs et de les transmettre, les préfectures se dépêchent, une retenue ne peux pas durer plus de 24h, et autant aller vite pour ajouter une petite barrette, une oqtf, une barrette, on fait du chiffre et on est bon élève auprès du Ministère de l’Intérieur)

La préfète décide aussi du placement en centre de rétention de Monsieur – oui, il a dit qu’il ne voulait pas rentrer dans son pays de nationalité pour rester auprès de sa famille – il présente un risque de fuite, alors on l’enferme (encore une petite barrette) en attendant d’organiser son renvoi.

Nous sommes le 12 septembre.

Il présente un recours le 14 septembre contre les décisions de la Préfète, il est accompagné par une association de juristes qui bossent dans le centre de rétention.

Audience le 18 septembre.

96 heures pour réunir ce qu’on peut, sachant que pour bosser correctement, on a besoin des pièces de la procédure, que la Préfecture transmet le 17/09 à 18h30 et son mémoire en défense qu’elle balance le 18 septembre à 9h45 , 15 minutes avant l’audience.

L’audience est difficile pour Madame et Monsieur. Il arrive encadré par la police, il est inquiet et fatigué, 7 jours dans un centre de rétention c’est long et difficile (En France on peut garder les gens enfermés 90 jours au maximum dans des conditions indignes et insécures le temps d’organiser leur renvoi), le représentant du Préfet ne connaît pas le dossier, il s’en fout, il défend avec des lieux communs et des préjugés insupportables, c’est dur à entendre pour Madame et Monsieur. Il ajoute de la violence à la violence et à la violence..

Puis mise en délibéré, la juge, unique, rendra son jugement bientôt, ce soir ou demain ou après demain, bientôt quoi. Encore de la violence à la violence.

Monsieur repart au centre rétention, Madame et la petite à la maison. Maintenant il faut attendre.