Un Spicilège

Kafka à Paris

Xavier Mauméjean est un nom que je vois passer depuis longtemps. Pour ses romans parus chez des maisons d'édition que j'affectionne, pour ses participations à des projets que j'ai suivis, pour son expertise sur Sherlock Holmes. Jamais, cependant, je ne m'étais encore attaquée à l'un de ses ouvrages, et quel oubli !

Kafka à Paris m'a interpellée sur la table de la librairie des Utopiales, d'abord car c'est un bel objet, ensuite parce que j'aime l'œuvre de Kafka et Paris (et c'est difficile de faire un meilleur titre), enfin car le résumé de ce roman m'a immédiatement intriguée. En effet, à partir d'un fait apparemment réel (les quelques jours que Franz Kafka a passés à Paris avec son ami Max Brod en 1911) Xavier Mauméjean s'est attaché à développer tous les détails possibles d'une épopée.

En multipliant les références, Xavier Mauméjean signe un texte généreux et drôle. Une histoire passionnante à découvrir, enrichie par le plaisir immense de déceler ici et là les clins d'œil à l'œuvre de Kafka ou à l'histoire. On en affectionne les personnages et leur charme désuet, on y adore l'ambiance du Paris du début du XXème siècle, si merveilleusement retranscrite.

Installés à une table comme au spectacle, jambes croisées pour en essorer la fatigue, ils observèrent la cohue en gaieté ou morose, cette précision dans le rapport humain qui sans cesse calcule sa façon d'être. Les Parisiens, que l'on tient à tort pour blasés, ne cessaient de changer d'attitude.

Mais au-delà de la justesse de l'intrigue, ce sont les immenses qualités littéraires de l'ouvrage qui m'ont subjuguée. Cela faisait des années, je pense, que je n'étais pas tombée à ce point amoureuse d'une écriture comme je peux l'être de celle de Xavier Mauméjean. Chaque idée, chaque phrase, chaque tournure, chaque mot même semble soigneusement choisi pour tisser un texte d'une finesse remarquable, incroyablement doux à la lecture et terriblement évocateur. Autant de justesse est difficile à se figurer. J'aimerais littéralement en garder chaque phrase.

J'ai pris une gigantesque claque et j'ai eu un profond coup de cœur pour ce livre et cet auteur, que je vais rapidement retrouver.


Kafka à Paris | Xavier Mauméjean | Alma Éditeur

La danse de Gengis Cohn

Il y a sans doute des dizaines d'interprétations à faire de La danse de Gengis Cohn et de la manière dont il s'inscrit dans la bibliographie de Romain Gary. Elles sont d'ailleurs faciles à trouver, et pour la plupart, assez intéressantes. Il faut dire que Gary, en plus d'être un écrivain talentueux, est également un personnage fascinant, de par ses origines et son histoire. Quant à La danse de Gengis Cohn, c'est un livre tellement foisonnant, tellement dense, tellement indescriptible qu'il n'est pas étonnant qu'il inspire autant de monde.

J’ai froid dans le dos. Je sens soudain « qu’un danger terrible plane sur ceux de ma race : des nazis qui ne seraient pas antisémites. Vous imaginez un peu le mal que ça peut nous faire, un Hitler qui ne serait pas du tout contre les Juifs, au contraire, qui serait seulement contre les nègres ? Les Allemands ont failli nous avoir. Heureusement qu’ils étaient racistes.

L'histoire part d'une farce. Celle d'un commissaire de police allemand, ancien nazi, hanté sans relâche par l'esprit de l'une de ses victimes, un comique juif. Il hérite de l'enquête autour de la mort de 22 personnes, toutes retrouvées sans pantalons et extatiques.

Pour ma part, j'ai avant tout beaucoup ri à la lecture de cet oeuvre dont l'extravagance m'a surprise. Romain Gary s'est absolument tout autorisé, et pousse l'humour noir dans ses retranchements avec beaucoup de talent. On y découvre, au milieu d'un délire sans retenue, son humanité absolue, sa rage, ses accès de colère contre l'imbécilité, contre la violence systémique. En effet, la farce du début permettra à l'auteur de développer en seconde partie beaucoup plus allégorique, personnifiant la vie et la mort elle-même, tournant autour d'un mauvais goût assumé délicieusement mordant.

Il ne faut pas être intellectuel pour apprécier La danse de Gengis Cohn, ni d'en décortiquer chaque ligne. Je suis sans doute passée à côté de la moitié des références. J'ai pris de plein fouet, en revanche le talent de Gary pour les mots, les excès et les rires.


La danse de Gengis Cohn | Romain Gary | Gallimard/Folio

Ceux qui rougissent

C'est une série très tendre que je viens de découvrir sur arte.tv. Ceux qui rougissent, de et avec Julien Gaspar-Oliveri m'a rappelé mes années de collège et les cours de théâtre que j'y ai suivis. Mon professeur aussi nous en a fait, des cours atypiques, basés sur l'expression corporelle ou l'exacerbation des sentiments. Cela m'a beaucoup marqué et “quelques” années après, je m'en souviens encore. Je me souviens également de l'impact que ces cours ont eu sur mon estime de moi, la perception que j'ai de mon corps... C'est sans doute pour ça que j'ai été si touchée par cette série.

On y retrouve en effet l'histoire d'un groupe de lycéens dont le cours de théâtre va être chamboulé par l'arrivée d'un professeur remplaçant qui bouscule rapidement la troupe, plutôt habituée jusqu'ici à réciter mollement du Shakespeare. Portée avant tout par son réalisme extrême, proche du documentaire, et par son casting de jeunes absolument parfait (mention spéciale à Nicolas Kessler, particulièrement bluffant) Ceux qui rougissent parle avant tout de l'adolescence, cette période pendant laquelle la construction est si difficile, l'estime fragile et l'égo handicapant. Tournée dans un gymnase qui gomme les provenances, on ne s'attache qu'aux personnalités et aux échanges. Ces adolescents qui se ressemblent dans leurs disparités et ce jeune professeur de théâtre, qui ne sera jamais nommé, dont la sensibilité et la détermination portent le groupe.

Une très jolie découverte, un peu frustrante de par son format court (8 fois 10 minutes environ), qui a su me happer et m'a laissée toute émue.


Ceux qui rougissent | Julien Gaspar-Oliveri | 2024

À la recherche de mon frère

C'est la seconde fois que je me laisse tenter par un ouvrage des Éditions Goutte d'Or après La pierre jaune qui m'avait déjà laissée un peu sur ma faim. C'est également le constat que je dresse après avoir terminé À la recherche de mon frère. Malgré un sujet passionnant (le complotisme et comment réagir face à un proche qui s'y engouffre) Elliot Wax signe un livre, certes intéressant, mais dont certains aspects m'ont laissée dubitative.

En effet, face aux dérives bien réelles dans lesquelles s'engouffre son frère, il commence par essayer de le comprendre en infiltrant un organe de presse puis le camp d'un homme politique, tous deux taxés de complotistes (tout a été anonymisé dans le livre mais 2 clics permettent facilement de savoir de quoi et qui on parle exactement). Cet aspect du bouquin est particulièrement intéressant. Mettant à mal une bonne dose de certitudes, Elliot Wax semble y croiser des personnes loin d'être volontairement malveillantes. J'aurais vraiment aimé qu'il pousse plus loin ses investigations mais malheureusement ces infiltrations tournent rapidement court. Parallèlement, il cherche un moyen de renouer avec son frère, voire de trouver les bons arguments pour le faire abandonner toutes ses croyances. C'est la partie du livre qui a peiné à me convaincre. Outre le fait qu'on a l'impression dès le début qu'il fait tout à l'envers, on a du mal à déceler, sans doute à cause d'une trop grande pudeur (mais à ce moment-là, pourquoi écrire un livre qui dévoile absolument tout de la vie de son frère ?) les bonnes motivations derrière ses actes, et, alors qu'une prise de conscience tardive (liée au fait qu'il interroge enfin les bons interlocuteurs) le pousse à la confession, je me suis surprise à comprendre et à ressentir bien plus d'empathie pour son grand frère complotiste.

Cela fait que je suis ressortie de cette lecture sans savoir vraiment quoi en penser. J'y ai appris des choses, c'est indéniable, il y a des éléments intéressants dedans, mais les motivations de l'auteur gâchent un peu tout.


À la recherche de mon frère | Elliot Wax | Éditions Goutte d'Or

L'anomalie du train 006

Quand j'ai envie ou besoin de me réjouir de ma lecture, je me tourne vers Vis Comica, un excellent site traitant de littérature humoristique tenu par Francis Mizio. Je n'ai jamais été déçue par ses recommandations et c'est là que j'ai découvert L'anomalie du train 006, chaudement recommandé.

Cela faisait des années que je n'avais pas lu de pastiche. Avec ce livre, j'ai été gâtée : ce n'est pas un mais bien six auteurs auxquels s'attaque Pascal Fioretto. S'il est facile de penser à Hervé Le Tellier grâce au titre, il est moins évident, mais tout aussi désopilant de reconnaître Joël Dicker, Virginie Despentes, Emmanuel Carrère, Aurélie Valognes ou Sylvain Tesson.

C'est un véritable amusement de distinguer les tropes employés à outrance par tous nos auteurs (Hervé Le Tellier en tête, passablement étrillé, mais n'en gardant apparemment pas rancune puisqu'il signe la préface) et je salue par la même le formidable talent de Pascal Fioretto qui signe un texte pétri d'humour et de références tout en appuyant sur les facilités trop souvent empruntées par certains auteurs.

Les très grandes qualités de style de l'ouvrage nous permettent rapidement de pardonner ces petites taquineries et tout le monde ressort grandi de cette lecture extrêmement drôle.


L'anomalie du train 006 | Pascal Fioretto | Éditions Heriodos

Les morts ont la parole

J’ai découvert le Docteur Boxho (comme beaucoup, je crois) à travers ses interviews dans un podcast aussi célèbre que décrié. J'avais vite décroché, cependant, car l'interview m’agaçait un peu. Trop sensationnaliste, trop superficiel, il m'était difficile d’accrocher au personnage à travers l'angle choisi.

Cependant, j’ai un très vif intérêt pour la médecine légale et quand il s’est agit de choisir un nouveau livre audio pour m’accompagner dans mes footings, je me suis laissée tenter par son tout premier ouvrage, me disant qu’il serait à minima suffisamment distrayant pour détourner mon attention de mes efforts.

J’ai été assez surprise de découvrir que dans son livre, le Docteur Boxho est tout ce qu’il n’est pas dans les interviews dont je parlais au-dessus : humble, pédagogue, respectueux et ayant avant tout à cœur de partager des connaissances autour de cette profession fascinante qui, sans nul doute, est devenue une passion. (Petite parenthèse pour me dire que finalement, mon aversion venait sans doute plus de mes intérêts complètement divergents avec l'interviewer que de l'interviewé).

Les morts ont la parole permet en effet d'en découvrir beaucoup plus sur le métier de médecin légiste et sur le système judiciaire belge, puisque c'est le pays dans lequel exerce le Docteur Boxho. Outre de nombreux rappels historiques, il se sert de certains cas qu'il a eu à traiter au cours de sa carrière pour détailler les techniques employées, leur évolution, leurs intérêts et leurs limites. C'est une véritable mine d'or pour qui s'intéresse à la discipline. Les cas en question, s'ils sont souvent insolites, présentent avant tout ce qui fait l'essentiel du quotidien d'un médecin légiste : beaucoup de suicides et quelques morts suspectes.

Au-delà de l'aspect scientifique, je n'ai pu m'empêcher de ressentir une sorte d'hommage dans la volonté du docteur Boxho de faire toute la lumière sur la manière dont ces personnes ont disparu. Il transparaît, à la lecture, qu'il a à cœur de traiter les défunts avec égards. Le tout avec une pointe d'humour belge (un des meilleurs du monde) qualité supplémentaire à ajouter à un ouvrage qui n'en manque déjà pas.

Je ne regrette donc pas mon choix, ayant passé un excellent moment (les douleurs dans les jambes en moins) à la découverte de cette discipline captivante.


Les morts ont la parole | Docteur Philippe Boxho | Kennes Éditions/Audiolib

Fragile

Je connais Nicolas Martin essentiellement par son métier de journaliste et de vulgarisateur scientifique : pour l'excellente émission La méthode scientifique, pour le podcast Les idées claires, entre autres. Pourtant, de par mon intérêt pour l'imaginaire français, j'entendais de plus en plus souvent son nom. Et puis je l'ai vu dans des tables rondes, j'ai lu une nouvelle (dans l'anthologie des Utopiales 22) et je me suis surprise à apprécier de plus en plus ses prises de parole et son écriture. C'est tout naturellement, alors, que je me suis intéressée à son premier roman (après moultes nouvelles et quelques essais), paru de plus aux éditions Au Diable Vauvert, gage supplémentaire de qualité.

Dans Fragile/s Nicolas Martin nous plonge dans une société française sclérosée, fascisante, grandement affaiblie par une baisse drastique de la fécondité entraînant des naissances multipliées d'enfants touchés par des polyhandicaps : les fragiles. C'est dans ce contexte que l'on suit l'histoire de Typhaine, qui, avec son mari Gauthier, sont choisis pour participer à un programme de fertilité leur permettant d'avoir un enfant sain. La position de Gauthier, travaillant pour l'État, y est pour beaucoup, et Typhaine ne tarde pas à se rendre compte que le prix à payer pour cet enfant inquiétant est très lourd : surveillance, pressions et mise à l'écart de sa grande fille fragile...

Fragile/s est le parfait titre pour cette histoire. En effet, on dit souvent qu'on peut juger une société à la manière dont elle traite les plus fragiles (et si vous voulez mon avis, cela marche à toutes les échelles : la société, le groupe, la famille, le couple, et même -surtout- l'individu) et Nicolas Martin dépeint admirablement ce qu'il en est pour les régimes autoritaires : au moindre problème, ils s'empressent d'accentuer les pressions sur les plus précaires : handicapés, immigrés, et bientôt les femmes. En faisant de tous ces fragiles le centre de son roman, Nicolas Martin donne la parole à ceux qui ne l'ont pas souvent. Le traitement qu'il fait du handicap (ceux qui me connaissent savent à quel point j'y suis sensible) m'a particulièrement touchée. Le personnage de Typhaine, crucial, lui permet de dresser un portrait de femme absolument superbe. Fragile, elle aussi, mais également farouche, révoltée, résistante. On ne peut que s'attacher à ses combats.

L'écriture de l'auteur est percutante, et ses choix de narration font mouche, en poussant au maximum l'art de faire passer un message sans le dire. C'est original, particulièrement bien trouvé et cela sert impeccablement l'intrigue. La construction du roman est implacable : on ressent l'étau se resserrer autour des personnages jusqu'au malaise. Un seul petit bémol à ce roman remarquable : un élément fantastique supplémentaire à la fin du récit que j'ai trouvé dispensable. Cela n'entache néanmoins en rien la lecture et j'ai refermé Fragile/s notablement bouleversée, me disant que je devais continuer à m'intéresser à la carrière de romancier de Nicolas Martin.


Fragile/s | Nicolas Martin | Au Diable Vauvert

Atlas inutile de Paris

Trouvé sur la table de la librairie du musée de la BNF (dont je recommande vivement la visite, en passant) l'Atlas inutile de Paris m'a tout de suite tapé dans l'œil. Son format, sa couverture, son titre avant tout. En effet, et je ne m'en cache pas : j'adore Paris. J'adore cette ville, j'aime son histoire, j'aime sa richesse, j'aime sa taille humaine, je n'ai que faire de ses mauvais côtés (il faut dire que, si je ne m'en suis guère éloignée, je n'y vis tout de même plus), j'aime les gens que j'y croise, leur éclectisme, leur excentricité, et même leur mauvaise humeur et leur mauvaise foi. Avant tout, j'aime Paris pour toutes les facettes différentes qu'elle offre. On peut passer une vie entière à découvrir Paris, et c'est bien ce que semble avoir fait Vincent Périat.

J'ai eu un coup de cœur absolu pour ce qu'il a décidé de faire de sa passion et de sa curiosité : un atlas qui, en déclinant le même fond de carte (celui tiré de l'ouvrage issu de l'exposition Paris Haussmann) une centaine de fois, nous raconte le Paris que j'adore. Celui qui est multiple. Le Paris historique, le Paris moderne, le Paris bucolique, le Paris administratif.... Une carte est souvent bien plus parlante que des dizaines de lignes, et à travers un petit bout de la lorgnette (la carte des rues pavées en bois en 1893, la carte des parcours les plus empruntés par les coureurs, la carte du parcours de la visite éclair d'Hitler en 1940, la carte du périmètre inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco...) on en apprend plus qu'en ayant lu des dizaines d'ouvrages. J'ai décortiqué chaque carte minutieusement, je me suis émerveillée 100 fois, je ne me lasserai jamais, je crois de le parcourir.

C'est très simple, cet Atlas inutile de Paris, j'aurais aimé l'avoir écrit...


Atlas inutile de Paris | Vincent Périat | Le Tripode

Antkind

J'ai découvert Charlie Kaufman en regardant (avec une certaine fascination) l'étrange (et très drôle – et pas seulement grâce à la coiffure de Cameron Diaz) film Dans la peau de John Malkovitch dont il signe le scénario. Foisonnant, déjà, étrange mais brillant. Puis il y a eu Eternal Sunshine of the Spotless Mind un autre scénario qui m'a fait pleurer. Ensuite j'ai essayé de regarder un de ses films : Je veux juste en finir sans réussir, pour le moment en tout cas, à aller au-delà des 40 minutes, ne sachant encore aujourd'hui si c'est brillant ou snob ou les deux, ou autre chose à laquelle je n'ai pas encore pensé...

Antkind, cependant, je voulais vraiment m'y frotter : un pavé de 900 pages, une histoire cocasse, le tout traduit par l'excellent Claro (lui qui a signé entre autres la traduction de La maison des feuilles, de Jérusalem, ces autres œuvres dont le gigantisme va de pair avec la sinuosité...) et magnifiquement édité par les Éditions du sous-sol... Je ne pouvais pas passer à côté.

Je me doutais que ma lecture serait chaotique, que cette histoire de critique littéraire tombant sur un chef-d'œuvre et se retrouvant à devoir le reconstituer après que les seuls bobines existantes aient été détruites dans un incendie ne serait que les prémices d'une intrigue bien plus luxuriante. Je ne m'attendais pas cependant, après avoir refermé ce roman et avoir pris quelques minutes pour relire les innombrables notes prises pendant ma lecture, à me rendre compte que j'avais fait un tel voyage. Un voyage qui passe par une école pour gardiens de zoo, un lit-fauteuil, un illusioniste, un duo comique, une entreprise de vente de chaussures, une femme-clown, une marionnette d'âne, un homme de presque 9 mètres, une armée de robots Trump, une grotte... et encore, ce n'est qu'une infime partie des centaines d'idées développées dans l'étrange frénésie de mots que constitue ce roman.

Je fais toujours ce qu’il faut. Mais faut-il vraiment faire ce qu’il faut ? Ou est-ce que faire ce qu’il faut est un truc de lâche ? Ne pas faire de vagues ? Veiller à ne jamais s’attirer de critiques ?

Il est assez difficile de tirer des conclusions sur le roman dans son ensemble, sans doute car il n'a pratiquement ni queue, ni tête, mais également car il est d'un éclectisme rare. Le style de Charlie Kaufman peut varier pratiquement d'une ligne à l'autre, cependant, je dois lui reconnaître de nombreuses qualités. Il écrit bigrement bien et a pondu avec un cynisme non dissimulé un personnage principal d'une drôlerie folle, aussi fascinant que détestable. Certains passages m'ont fait grande impression, par le brillant point de vue que l'auteur a sur certains aspects de la vie comme l'amour (bien sûr!), l'orgueil, la postérité... mais également sur la société américaine qu'il étrille une paire de fois.

Je ne pense pas : Ducon, pourquoi tu portes tes lunettes de soleil sur la nuque ? Je ne pense pas : Pourquoi tu ne m’aimes pas ? Je ne pense pas : Pourquoi tu ne m’aimes pas ? Je ne pense pas : Pourquoi tu ne m’aimes pas ? Je ne pense pas : Le monde serait plus agréable si les gens arrêtaient de s’ériger en juges.

Antkind n'est pas facile à lire, et sans doute que tous les chapitres n'ont pas le même intérêt, mais comme cela m'est déjà arrivé avec d'autres œuvres, je pense que son opulence, que son excentricité font partie intégrante de son charme. Patience et persévérance sont récompensées.


Antkind | Charlie Kaufman | Traduit par Claro | Éditions du sous-sol

iNTELLIGENCE

Découvert un peu par hasard (avant tout parce que la vignette mettait en avant l'acteur principal, Vincent Macaigne, que j'adore), le (très) court métrage iNTELLIGENCE est une pépite de poésie et de trouvailles visuelles. Sur une idée assez classique, celle d'un homme qui, découvrant sa mort prochaine et constatant l'échec de sa vie, essaie de réussir sa mort, les deux réalisateurs Jeanne Frenkel et Cosmé Castro signent une œuvre originale, unique en son genre.

Tourné entièrement dans leur atelier de travail, sur fond bleu, tous les décors du film sont issus d'un logiciel de jeu vidéo. De nombreux médiums ont été ensuite ajoutés comme de la peinture, du dessin, et toutes sortes de textures qui donnent à iNTELLIGENCE une allure unique, entre rétrofuturisme et abstraction.

Mais au-delà des images, la voix et le jeu de Vincent Macaigne marquent tout autant. Des monologues infiniment tristes ponctuent cette histoire étrange mêlée de fantômes qui parle de solitude, de peur et de regret. L'élégance parfaite d'Alma Jodorowsky, qui sublime chacune de ses apparitions a fini d'emporter mon adhésion.


iNTELLIGENCE | Jeanne Frenkel et Cosmé Castro | 2023