Un Spicilège

Écrire Mazan

Cela fait longtemps que je suis le travail d'Élise Costa que je tiens pour la chroniqueuse judiciaire dont j'apprécie le plus le travail. Je n'avais cependant pas lu les papiers qu'elle a dédiés à l'affaire Mazan pour le magazine Slate.fr. L'histoire était trop lourde, omniprésente, je ne m'en sentais pas la force. En revanche, ce livre, je voulais le lire. Car il ne parle pas seulement de l'affaire. Il parle aussi de la façon dont elle va être racontée. Et comment raconter l'indicible ? Par quel angle ramener un peu d'humanité dans l'horreur ?

Elise Costa propose dans cet ouvrage de plonger au cœur de son métier. Sur la page de droite, on retrouve le texte des 6 longs articles qu'elle a consacrés à l'affaire pour Slate.fr ; sur la page de gauche, une reproduction du carnet qu'elle a tenu : des notes, des croquis, des réflexions éclairant le texte.

Ce fut une lecture extrêmement éprouvante tout autant qu'émouvante. S'abîmer dans les détails d'un procès si tragique, qui a fait cohabiter l'immoral avec l'abject n'est pas chose facile. Élise Costa a cependant cette virtuosité dans l'écriture qui lui permet de nous emmener très loin sans pour autant nous abîmer. Elle écrit toujours avec pudeur, délicatesse et tact. On sent qu’elle a à cœur de retransmettre au plus près la vérité, sans nier l’émotion. Ses notes permettent finalement de comprendre comment elle élabore le récit qu'elle souhaite nous transmettre. Comment elle choisit son angle, quel aspect est le plus important. Elle s'est en effet appliquée, pour chacun de ces articles à mettre en avant des personnes sur lesquelles l'affaire a eu un impact : un officier de gendarmerie, le magistrat chargé des relations du parquet avec la presse, l'avocate commis d'office de l'un des accusés... À travers leurs yeux, c'est un autre aspect de l'affaire qui est décrit, et on se rendra vite compte de la terrible portée qu'un tel dossier peut aussi avoir sur certains professionnels.

Écrire Mazan est passionnant autant pour la chronique judiciaire d’une affaire hors-norme qui a bousculé la société que pour les notes d’écritures développant les rouages d'un métier complexe. Je le conseille aux personnes désireuses de comprendre les mécanismes d'écriture du réel.


Écrire Mazan | Élise Costa | Marchialy

Panorama

Je ne connaissais pas du tout Lilia Hassaine avant de me plonger dans Panorama qui est pourtant son troisième roman. Ce qui m'a séduite avant tout, c'est l'intrigue de ce thriller d'anticipation : dans une France qui, par dérive sécuritaire, a cédé à la transparence absolue (les murs mêmes des habitations le sont), une famille entière disparaît un beau matin, sous le regard de ses voisins. L'enquête sera confiée à Hélène, une policière bien déterminée à mener enfin une enquête dans ce monde dans lequel son métier ne sert d'habitude plus à grand-chose. L'accroche est efficace ! Le roman l'est tout autant. Il est même un des plus réussis que j'ai lus ces derniers temps.

Lilia Hassaine parvient à proposer une intrigue très maligne, couplée à une réflexion plutôt énervée sur les dérives dans lesquelles un système peut basculer. En effet, ce qui est intéressant, déjà, c'est comment on en est arrivés là. Ce que dit d'une société sa volonté de tout montrer, de tout regarder, de tout surveiller. Ce que ça aliène. Ce que ça détruit : la spontanéité, la passion, les aspérités.

La dérive sécuritaire a permis de pousser les gens à accepter l’inacceptable : la transparence totale. Le prix à payer est infini : les gens sont enfermés dans leur propre enfer, prisonniers de l'image.

L'évolution du personnage d'Hélène (un petit bijou narratif, ceci dit en passant) qui est la voix de ce récit, incarne parfaitement cette thématique et la lie à l'enquête qui, en plus de maintenir la lecture sous tension, permet de révéler les coulisses de cette société aliénée.

L'écriture de Lilia Hassaine est assez âpre, froide, clinique. C'est assez déroutant mais il faut reconnaître que ça colle parfaitement avec le sujet et que ça participe même à l'ambiance très désincarnée du roman.

Il n'y a pas beaucoup de reproches à faire à ce roman qui fut une très agréable surprise si ce n'est un côté un peu trop léché. Je ne crache jamais sur un peu plus d'irrévérence ou de folie, mais cela ne m'a pas empêchée de beaucoup apprécier cette lecture. Lilia Hassaine signe ici un roman très solide, aux idées fortes et à la réalisation quasi parfaite (cette évolution de personnage, encore une fois, m'a scotchée : un sans-faute !).


Panorama | Lilia Hassaine | Gallimard/Folio

Hitler à Hollywood

Avec un titre pareil et datant de 2011, Hitler à Hollywood ne pouvait être qu'un film belge. Assez inclassable, il s'agit d'un faux documentaire racontant comment, au moment où l'actrice Maria de Medeiros est en train d'élaborer un (autre) documentaire hommage à Micheline Presle, celle-ci lui explique avoir tourné pendant la guerre un film qui n'est jamais sorti d'un réalisateur ayant complètement disparu. S'en suivra une véritable enquête bientôt entravée par des personnages mystérieux, suggérant l'existence d'un drôle de complot.

Il fallait tout de même la trouver, cette idée ! Sur cette trame, Frédéric Sojcher signe un film hors norme, mêlant une réalisation qui se veut immersive avec un traitement de l'image très artificiel, saturant la couleur de ses actrices principales, notamment les tenues chatoyantes de Maria de Medeiros. Celle-ci porte d'ailleurs une bonne partie du long métrage sur ses seules épaules et s'en tire plutôt bien. Sur le fond le film présente une réflexion opposant cinéma hollywoodien et cinéma européen qui aurait pu être mieux traitée. Dommage qu'au-delà de certains poncifs, le réalisateur n'aille pas plus loin dans son propos. Dommage aussi que le manque de naturel de certains dialogues nous sorte vite de l'illusion d'un documentaire.

Hitler à Hollywood vaut quand même son visionnage pour l'objet filmique complètement improbable qu'il est. Pour son ton loufoque et ses scènes cocasses. Pour son parti pris esthétique mettant en valeur la lumineuse Maria de Medeiro. Pour le plaisir de retrouver la merveilleuse Micheline Presle.


Hitler à Hollywood | Frédéric Sojcher | 2011

L'anthropologie n'est pas un sport dangereux

L’intérêt que je porte à l'anthropologie n'a cessé de croître avec les années. Quand j'ai entendu parler de Nigel Barley, un anthropologue qui vulgarise sa pratique sous la forme d'essai qui s'avèrent en plus très drôles, je ne pouvais que craquer. L'anthropologie n'est pas un sport dangereux est loin d'être son premier ouvrage, mais c'est le premier de sa série consacrée à l'Indonésie. Il y raconte son séjour sur l'île isolée de Sulawesi et tout ce qui en a découlé (notamment la visite de certains des habitants à Londres).

On suit donc l'auteur dans ses périgrinations, alors qu'il ne nous cache rien de ses galères matérielles. Entre deux tirades fustigeant le tourisme, il nous dira tout de ses interactions avec les Torajas, ceux qui peuplent cette île reculée.

C'était ma première phrase en indonésien adressée à un Indonésien. Est-ce que ça marcherait ? Vue de l'extérieur, une langue ressemble toujours à une fiction peu plausible.

L’anthropologie, vue de l’intérieur, est aussi passionnante que je l’imaginais. Tout du moins présentée de la manière dont le fait Nigel Barley. En effet, il nous plonge dans les aspects les plus pratiques de la discipline avec nonchalance et un humour détaché qui m'a tout de suite séduite et son écriture très directe donne un dynamisme fou à l'histoire. Au delà d'un récit de voyage ou d'un compte rendu d'étude, ce livre est avant tout le récit de rencontres, celle qui permettent au chercheur d'analyser et d'interpréter les différences, comme le disait Lévi-Strauss. Je ne sais pas si c'est son statut d'anthropologue qui veut ça, mais l'humanité avec laquelle Nigel Barley évoque toute ses aventures est palpable à la lecture et la rend d'autant plus plaisante. La curiosité, si elle est dépourvue de jugement, est une qualité rare que ce livre met particulièrement en avant.


L'anthropologie n'est pas un sport dangereux | Nigel Barley | Traduit par Bernard Blanc | Payot

Le Maître du Haut Château

Beaucoup de choses ont déjà été dites sur Le Maître du Haut Château, une des œuvres les plus connues de Philip K. Dick, classique parmi les classiques de la science-fiction et de l'uchronie. Adapté en série il y a quelques années, tout le monde ou presque connaît le postulat de base : l'intrigue se déroule dans un monde alternatif dans lequel les Allemands et les Japonais ont gagné la Seconde Guerre mondiale.

Je ne l'avais jamais lu, je n'ai toujours pas vu l'adaptation, mais j'en connaissais suffisamment l'intrigue, et j'ai déjà lu suffisamment de Philip K. Dick pour me retrouver en terrain familier.

Il a pourtant de quoi surprendre, voire déstabiliser, ce roman. Avec un tel postulat, on pourrait s'attendre à lire une fresque politique ou militaire. Au contraire, Philip K. Dick s'attache à centrer son intrigue sur les actions et les réflexions d'une poignée de personnages, la plupart situés dans la partie ouest des États-Unis, sous domination japonaise. C'est ce qui fait tout l'intérêt du roman : il ne décrit pas comment l'occupation a lieu mais quel impact elle a sur l'existence et sur les états d'âme des protagonistes : comment ils perçoivent et intériorisent cette soumission forcée. Hautement philosophique, Le Maître du Haut Château est également un livre qui questionne sans cesse le réel. Par l'omniprésence du Yi King, ou Livre des transformation, véritable oracle qui guide spirituellement les personnages, et qui rappelle que la réalité peut basculer à tout instant, et par celle d'un autre livre, la Sauterelle pèse lourd écrit par le fameux maître, qui imagine un monde dans lequel les alliés auraient gagné la seconde guerre mondiale, et qui finit par brouiller les pistes entre le réel et l'imaginaire.

Loin d'être une épopée épique, Le Maître du Haut Château est un roman au rythme choisi, à la complexité intime, dont l'uchronie est le parfait prétexte à questionner l'identité et la réalité elle-même.


Le Maître du Haut Château | Philip K. Dick | traduit par Jacques Parsons | J'ai Lu

Les animaux dénaturés

Il en a fallu, à Vercors, de la virtuosité pour réussir à mettre autant d'humour dans un livre qui commence pourtant par la mort d'un nouveau-né, tué par son géniteur. Il lui en a fallu du talent pour nous glisser au milieu d'un roman philosophique une histoire d'amour qui est parmi les plus improbables que j'ai lues.

Dans les années 1950, Vercors s'interroge sur la définition de ce qu'est un Homme. Ne parvenant pas à une réponse claire, il imagine ce roman dans lequel une équipe de scientifiques, à la recherche du “chaînon manquant”, découvre une nouvelle espèce d'hominidés qu'ils sont bien incapables de classer en tant qu'“Hommes” ou “animaux”. La question devant être tranchée rapidement pour contrecarrer les vues de certains industriels sur cette main d'œuvre bon marché providentielle, ils imaginent un moyen pour obliger les autorités à prendre position. S'en suivra une véritable tornade judiciaire et politique qui aura pour mission de répondre à cette question insoluble : qu'est-ce qui distingue l'animal de l'Homme, cet animal dénaturé ?

Ce n'est pas que c'est difficile, mon vieux, c'est que c'est arbitraire. Il vaudrait mieux tirer au sort, cela irait plus vite. Et ce ne serait pas moins exact. Il y a trois cents ans que Locke a demandé, à propos des monstres humains, quelle est la borne entre la figure humaine et l'animale, quel est le point de monstruosité auquel il faut se fixer pour ne pas baptiser un enfant, pour ne pas lui accorder une âme. Vous voyez que ce n'est pas nouveau. Alors vous comprenez que ce n'est ni en trois jours ni en trois mois qu'on fixera un point qui traîne depuis des siècles.

Roman hautement réflexif, Les animaux dénaturés emprunte à la biologie, à l'anthropologie, à la philosophie, à la théologie pour répondre à cette question centrale. On y verra s'affronter divers experts représentant divers courants de pensées scientifiques ou sociologiques et on touchera surtout du doigt à quel point la question est complexe et le champ de recherche étendu. L'auteur n'en oublie pas pour autant l'intrigue, et développe des personnages atypiques, qui permettent quelques respirations et intermèdes incongrus salutaires.

Le style souffre un peu d'un certain classicisme mais l'auteur use de multiples procédés narratifs qui rendent la lecture dynamique. Outre l'analepse initiale, on passera d'un récit romantique à un roman épistolaire, d'un essai scientifique à une fable philosophique en passant par le pamphlet, le discours, la satire.

Passionnée par la question, j'ai lu Les animaux dénaturés en quelques jours, emballée par l'histoire, conquise par l'humour féroce et persuadée de nourrir mes propres réflexions sur la nature humaine, réflexions qui hantaient déjà mes cours de biologie sur les bancs de la fac. Vercors réussit ici parfaitement à rendre digestes un amas d'informations pointues et disparates, tout en égratignant au passage grands patrons, savants, politiques et cléricaux. Un roman parfait pour qui veut se nourrir intellectuellement.


Les animaux dénaturés | Vercors | Le livre de poche

La valse des pantins

Beaucoup de films de Scorsese m'ont touchée, mais je viens de revoir La valse des pantins et j'en suis restée sonnée. Il semble toujours un peu à part, un peu oublié dans la filmographie de son réalisateur, mais représente, selon moi, l'une de ses plus belles créations.

Abordant le thème de l'obsession, celle de la reconnaissance pour le personnage principal, Rupert Pupkin, prêt à tout pour devenir la nouvelle star de l'humour, La valse des pantins (The king of Comedy en VO) étale tout au long de la pellicule sa bêtise naïve confrontée au cynisme et à la violence aiguë de ceux qui l'entourent.

De Niro et sa moustache improbable y est magistral, Jerry Lewis, dans son premier rôle dramatique, est bluffant. Des thèmes abordés à la violence ordinaire qu'il offre, de la direction d'acteur aux improvisations inspirées, tout est maestria et le tout n'a pas pris une ride dans notre monde où la moindre réalisation doit être mise en scène.

À voir et à revoir pour ce qu'il est : une oeuvre magistrale et inspirante (ce qui n'a pas manqué d'arriver,avec brio).


La valse des pantins | Martin Scorsese | 1983

Tant que le café est encore chaud

Prêté par une amie qui me l'a chaudement recommandé, c'est avec une envie de douceur et de quiétude que j'ai lu Tant que le café est encore chaud. J'avais déjà entendu parler de ce court roman mais je n'en soupçonnais pas l'ampleur du succès que je ne trouve pas volé.

En effet, Tant que le café est encore chaud m'a semblé une petite bulle de poésie et de plaisir doux-amer, une fable dont l'ambiance semble bien être celle que j'imagine quand je songe au Japon. Il conte l'histoire d'un café un peu secret de Tokyo qui permet à qui connaît bien les règles de retourner un court instant dans le passé. Sachant dès le début que quoi qu'il s'y passe, cela ne changera pas leur présent, 4 femmes vont pourtant faire le voyage.

A travers ces 4 destins, le roman nous amène très doucement à notre propre introspection, notre rapport au temps, nos remords ou nos regrets passés. Pourtant, il est empreint d'une douce positivité, d'une philosophie toute nippone misant sur l'éveil personnel, la compréhension et la paix intérieure.

Écrit dans un style épuré qui fait la part belle aux émotions, il touche immédiatement par son ton gracieux et par sa pudeur délicate. Un court moment de lecture réconfortant, les effluves de café en prime.


Tant que le café est encore chaud | Toshikazu Kawaguchi | traduit par Miyako Slocombe | Le livre de poche

Patrick Dewaere - À part ça la vie est belle

Quand Patrick Dewaere est mort, j'avais 2 ans. Autant dire que ce n'est pas un acteur que j'ai connu de son vivant. Pourtant, je me rappelle exactement dans quel film je l'ai découvert pour la première fois. C'était dans La meilleure façon de marcher, un film de Claude Miller que je garde en grande affection, sans doute car le fait de l'avoir vu jeune l'a rendu d'autant plus marquant. Dewaere, dedans, est particulièrement détestable, et je crois que je n'ai jamais oublié, même après avoir découvert un peu plus de son travail, cette première impression.

Je fais une petite digression pour vous raconter que ce fut également le cas de Jean Carmet que j'ai découvert très jeune dans le très choquant (mais magistral) Dupont Lajoie. J'ai aimé passionnément le travail de Carmet mais je n'ai jamais pu totalement occulter George Lajoie dès que je le voyais.

Pour en revenir à Dewaere, après La meilleure façon de marcher, il y a eu Coup de tête, Série noire, d'autres dont évidemment... Les Valseuses. Film marquant s'il en est, je n'oublirai jamais ni la gêne, ni la fascination qu'il m'a provoquée. Je n'étais pas bien vieille, encore, je crois. Je retire de toutes ces découvertes un profond respect pour son travail et quand j'ai aperçu cette bande dessinée biographique, j'étais très curieuse d'en savoir plus sur l'artiste.

Dans cet ouvrage riche en anecdotes, les auteurs s'attachent à éclaircir un peu le mystère qui entoure le comédien. De son enfance tourmentée à son émancipation, des années Café de la gare à ses grands rôles au cinéma, de ses doutes à ses colères, c'est toute la sensibilité de Dewaere qui nous est contée, sublimée par le trait délicat de Maran Hrachyan qui correspond particulièrement bien à l'ambiance douce amère du récit.

Biographie fouillée à la narration soignée, ni voyeuriste, ni sensationnaliste, elle m'a appris nombre de choses. Balayant tous les aspects de la personnalité de l'artiste, le montrant dans ses triomphes comme dans ses fragilités, on y découvre un homme qui n'a sans doute jamais eu le mode d'emploi de la vie, qui la vivait trop fort jusqu'à s'y abîmer, qui la prenait en grippe jusqu'au geste fatal qui aura eu raison de lui.

Ironiquement, pour quelqu'un qui, semble-t-il, estimait n'avoir jamais assez de succès, je crois qu'il incarne parfaitement celui qui voit malheureusement son succès mieux reconnu après sa mort.

Parfait hommage à son talent et à son travail, la bande dessinée se lit d'une traite, avec plaisir et émotion, et a su combler les attentes de l'amatrice de cinéma français que je suis.


Patrick Dewaere – À part ça la vie est belle | LF Bollée et Maran Hrachyan | Glénat

Une vie de saint

Si vous me suivez depuis un moment, vous avez entendu parler de Christophe Siébert, et si vous ne voyez pas de qui je parle, je vous invite à faire un tour dans la liste de mes billets de blog et d'y rechercher son nom pour vous ouvrir à une nouvelle dimension d'écriture.

Dans Une vie de saint, il continue d'étoffer l'univers de Mertvecgorod pour la plus grande satisfaction de notre curiosité vicieuse et morbide. Plus qu'un roman, c'est un évangile. Celui de Nikolaï le Svatoj. Criminel, terroriste, prophète, martyr... saint. Le saint en question. Celui dont cet opus de près de 500 pages tente de retranscrire la vie, en compilant des textes écrits par Nikolaï lui-même avec d'autres écrits, issus d'auteurs divers s'apparentant presque donc à des évangélistes. Il n'est cependant pas seulement question de miracles dans la vie de Nikolaï et de ceux qui le côtoient, mais également et surtout, comme il devient habituel dans l'univers de Mertvecgorod, de déviances, de perversions, de l'énumération presque exhaustive de tous les vices et violences qu'il est possible de faire subir à un être vivant. Il faut le talent d'écriture de Christophe Siébert, VRAIEMENT, pour percevoir, au-delà de l'accumulation de scènes tellement infâmes qu'elles anesthésient notre perception même du bien et du mal et qu'elles finissent par glisser sur une indifférence clinique (dissociation, refoulement ou... accoutumance ?), le point névralgique d'une histoire qui passe par le choc pour distiller des propos bien plus graves, bien plus engageants que sensationnalistes. En ramifiant et dévoilant toujours plus les recoins cachés de Mertvecgorod, il regarde en face l'homme dans ce qui le caractérise le plus. Ses excès, ses frayeurs, sa faiblesse intrinsèque qui le conduit toujours à sa perte.

Christophe Siébert est et reste encore avec ce dernier roman une des plumes les plus exigeantes qu'il m'ait été donné de lire. L'excellence de son écriture va de pair avec l'intensité de ses propos et il est évident qu'on ne lit pas ses ouvrages sans en ressortir éveillé, tant le miroir qu'il nous tend reflète l'insoupçonné.


Une vie de saint | Christophe Siébert | Au Diable Vauvert