Un Spicilège

Tant que le café est encore chaud

Prêté par une amie qui me l'a chaudement recommandé, c'est avec une envie de douceur et de quiétude que j'ai lu Tant que le café est encore chaud. J'avais déjà entendu parler de ce court roman mais je n'en soupçonnais pas l'ampleur du succès que je ne trouve pas volé.

En effet, Tant que le café est encore chaud m'a semblé une petite bulle de poésie et de plaisir doux-amer, une fable dont l'ambiance semble bien être celle que j'imagine quand je songe au Japon. Il conte l'histoire d'un café un peu secret de Tokyo qui permet à qui connaît bien les règles de retourner un court instant dans le passé. Sachant dès le début que quoi qu'il s'y passe, cela ne changera pas leur présent, 4 femmes vont pourtant faire le voyage.

A travers ces 4 destins, le roman nous amène très doucement à notre propre introspection, notre rapport au temps, nos remords ou nos regrets passés. Pourtant, il est empreint d'une douce positivité, d'une philosophie toute nippone misant sur l'éveil personnel, la compréhension et la paix intérieure.

Écrit dans un style épuré qui fait la part belle aux émotions, il touche immédiatement par son ton gracieux et par sa pudeur délicate. Un court moment de lecture réconfortant, les effluves de café en prime.


Tant que le café est encore chaud | Toshikazu Kawaguchi | traduit par Miyako Slocombe | Le livre de poche

Patrick Dewaere - À part ça la vie est belle

Quand Patrick Dewaere est mort, j'avais 2 ans. Autant dire que ce n'est pas un acteur que j'ai connu de son vivant. Pourtant, je me rappelle exactement dans quel film je l'ai découvert pour la première fois. C'était dans La meilleure façon de marcher, un film de Claude Miller que je garde en grande affection, sans doute car le fait de l'avoir vu jeune l'a rendu d'autant plus marquant. Dewaere, dedans, est particulièrement détestable, et je crois que je n'ai jamais oublié, même après avoir découvert un peu plus de son travail, cette première impression.

Je fais une petite digression pour vous raconter que ce fut également le cas de Jean Carmet que j'ai découvert très jeune dans le très choquant (mais magistral) Dupont Lajoie. J'ai aimé passionnément le travail de Carmet mais je n'ai jamais pu totalement occulter George Lajoie dès que je le voyais.

Pour en revenir à Dewaere, après La meilleure façon de marcher, il y a eu Coup de tête, Série noire, d'autres dont évidemment... Les Valseuses. Film marquant s'il en est, je n'oublirai jamais ni la gêne, ni la fascination qu'il m'a provoquée. Je n'étais pas bien vieille, encore, je crois. Je retire de toutes ces découvertes un profond respect pour son travail et quand j'ai aperçu cette bande dessinée biographique, j'étais très curieuse d'en savoir plus sur l'artiste.

Dans cet ouvrage riche en anecdotes, les auteurs s'attachent à éclaircir un peu le mystère qui entoure le comédien. De son enfance tourmentée à son émancipation, des années Café de la gare à ses grands rôles au cinéma, de ses doutes à ses colères, c'est toute la sensibilité de Dewaere qui nous est contée, sublimée par le trait délicat de Maran Hrachyan qui correspond particulièrement bien à l'ambiance douce amère du récit.

Biographie fouillée à la narration soignée, ni voyeuriste, ni sensationnaliste, elle m'a appris nombre de choses. Balayant tous les aspects de la personnalité de l'artiste, le montrant dans ses triomphes comme dans ses fragilités, on y découvre un homme qui n'a sans doute jamais eu le mode d'emploi de la vie, qui la vivait trop fort jusqu'à s'y abîmer, qui la prenait en grippe jusqu'au geste fatal qui aura eu raison de lui.

Ironiquement, pour quelqu'un qui, semble-t-il, estimait n'avoir jamais assez de succès, je crois qu'il incarne parfaitement celui qui voit malheureusement son succès mieux reconnu après sa mort.

Parfait hommage à son talent et à son travail, la bande dessinée se lit d'une traite, avec plaisir et émotion, et a su combler les attentes de l'amatrice de cinéma français que je suis.


Patrick Dewaere – À part ça la vie est belle | LF Bollée et Maran Hrachyan | Glénat

Une vie de saint

Si vous me suivez depuis un moment, vous avez entendu parler de Christophe Siébert, et si vous ne voyez pas de qui je parle, je vous invite à faire un tour dans la liste de mes billets de blog et d'y rechercher son nom pour vous ouvrir à une nouvelle dimension d'écriture.

Dans Une vie de saint, il continue d'étoffer l'univers de Mertvecgorod pour la plus grande satisfaction de notre curiosité vicieuse et morbide. Plus qu'un roman, c'est un évangile. Celui de Nikolaï le Svatoj. Criminel, terroriste, prophète, martyr... saint. Le saint en question. Celui dont cet opus de près de 500 pages tente de retranscrire la vie, en compilant des textes écrits par Nikolaï lui-même avec d'autres écrits, issus d'auteurs divers s'apparentant presque donc à des évangélistes. Il n'est cependant pas seulement question de miracles dans la vie de Nikolaï et de ceux qui le côtoient, mais également et surtout, comme il devient habituel dans l'univers de Mertvecgorod, de déviances, de perversions, de l'énumération presque exhaustive de tous les vices et violences qu'il est possible de faire subir à un être vivant. Il faut le talent d'écriture de Christophe Siébert, VRAIEMENT, pour percevoir, au-delà de l'accumulation de scènes tellement infâmes qu'elles anesthésient notre perception même du bien et du mal et qu'elles finissent par glisser sur une indifférence clinique (dissociation, refoulement ou... accoutumance ?), le point névralgique d'une histoire qui passe par le choc pour distiller des propos bien plus graves, bien plus engageants que sensationnalistes. En ramifiant et dévoilant toujours plus les recoins cachés de Mertvecgorod, il regarde en face l'homme dans ce qui le caractérise le plus. Ses excès, ses frayeurs, sa faiblesse intrinsèque qui le conduit toujours à sa perte.

Christophe Siébert est et reste encore avec ce dernier roman une des plumes les plus exigeantes qu'il m'ait été donné de lire. L'excellence de son écriture va de pair avec l'intensité de ses propos et il est évident qu'on ne lit pas ses ouvrages sans en ressortir éveillé, tant le miroir qu'il nous tend reflète l'insoupçonné.


Une vie de saint | Christophe Siébert | Au Diable Vauvert

Le Bâton d'Euclide

J'ai eu envie de renouer avec les talents de conteurs de Jean-Pierre Luminet, qui a toujours su me passionner pour l'histoire des sciences.

Avec Le Bâton d'Euclide, il centre son récit sur l'histoire de la bibliothèque d'Alexandrie et des savants qui l'ont fréquentée. Quand l'histoire commence, un général des armées du Calife Omar arrive à Alexandrie avec l'ordre de mettre le feu à la bibliothèque. Les savants présents, Philopon, sa nièce Hypathie et le jeune médecin Rhazès, cherchent alors à le faire changer d'avis en lui comptant l'histoire des savants qui ont fréquenté la bibliothèque.

Cette trame permet donc à l'auteur d'explorer la vie des savants antiques, d'Euclide donc, dont le fameux bâton servira de fil rouge et de passage de relais symbolique entre tous les savants, à Hypathie d'Alexandrie, en passant par Archimède, Eratosthène, Hipparque ou Ptolémée...

En tout plusieurs siècles de découvertes scientifiques, en astronomie, en cartographie, en mathématiques... À cette époque bouillonnante où l'homme commence à comprendre les lois qui régissent son monde, qu'il réussit à déterminer la distance entre les astres, la circonférence de la Terre, et émet l'hypothèse sulfureuse de l'héliocentrisme...

On peut compter sur Jean-Pierre Luminet pour rendre le tout limpide, digeste et passionnant. On enchaîne l'histoire des savants avec celle des guerres d'influence et on est plongé dans l'ambiance de l'antiquité dans le pourtour méditerranéen. En introduisant une touche de romanesque, il permet de lier les histoires et d'introduire un enjeu qui rend la lecture encore plus attractive. Encore un excellent moment de lecture pour qui aime l'histoire des sciences et l'épistémologie.


Le Bâton d'Euclide | Jean-Pierre Luminet | JC Lattès/Le livre de poche

J'ai eu la surprise, à quelques jours d'intervalle, d'entendre un auteur que j'aime beaucoup, Philippe Jaenada, intervenir dans 2 podcasts différents. Si, comme moi, tu suis son travail récent, tu dois te douter de quoi ces podcasts parlent. Cela m'a donné envie d'en faire un billet de blog pour en présenter quelques-uns, parfaits pour occuper l'été.

Cerno

Cerno

Le premier podcast dont je voulais parler, c'est Cerno, la fameuse anti-enquête du journaliste Julien Cernobori. Alors qu'il apprend qu'un tueur a vécu autrefois dans son immeuble, il décide de partir sur les traces de ce fait divers macabre. Le tueur en question, c'est Jean-Thierry Mathurin, complice de Thierry Paulin, surnommé le “tueur de vieilles dames”, qui sévissait à Paris dans les années 80. Mais bien au-delà de l'histoire criminelle, c'est l'approche originale et le goût de Julien Cernobori pour les gens qui frappe avant tout. À chaque rencontre, il laisse les personnes s'exprimer et c'est toute une galerie de portraits qui nous est proposée. Série fleuve, elle comporte pour l'instant 140 épisodes, et n'est pas terminée. J'en suis au 99e. C'est un chemin long, pris à petite vitesse, et s'il n'évite pas les égarements, c'est dans l'ensemble véritablement passionnant pour qui aime découvrir les autres. Philippe Jaenada intervient à l'épisode 93, cueilli par surprise dans le café dans lequel il a ses habitudes. Il travaillait alors sur Sans preuve et sans aveu...

Qui a tué Maurice ?

qui a tué maurice

Contrairement à Cerno, Qui a tué Maurice ? est beaucoup plus court. Pendant 5 épisodes d'environ 30 minutes, la journaliste Louise Régent, refait l'enquête du meurtre de son propre grand-père, le notaire Maurice Régent, retrouvé assassiné dans la cave de son étude. C'est intrigant et dynamique, et l'angle original de cette série de podcasts criminels est bien que l'enquête se fait en grande partie au sein de la cellule familiale. Philippe Jaenada intervient plusieurs fois, afin de guider l'enquêtrice amateur.

Délits mineurs

Délits mineurs

Moins léger, Délits mineurs raconte la justice de l'intérieur, par le point de vue d'une assesseure au tribunal pour enfants de Bobigny. Les assesseurs sont des bénévoles qui accompagnent les juges en salle d'audience. Suivre le parcours de cette personne amène à être confronté aux parcours de vie des jeunes qui comparaissent pour des délits graves, ou des crimes. On y découvre succintement leur histoire, mais également celle de ceux qui tentent de les accompagner. C'est parfois très dur, mais également très éclairant. Sur la précarité, sur les circonstances qui finissent par amener les jeunes au tribunal, sur les échecs également. De la justice, des affaires sociales, des familles... des jeunes eux-mêmes aussi. Pas de Jaenada, dans celui-ci, mais alors que le dernier des 21 épisodes a été publié il y a quelques jours, je voulais rendre hommage à ce magnifique travail...


Cerno | Julien Cernobori | Patreon Qui a tué Maurice ? | Louise Régent | Arte Radio Delits mineurs | Séverine Kakpo | Arte Radio

Anatole Bernolu a disparu C'est un petit bijou d'écriture comme seul Le Dilettante a réussi à m'en faire découvrir que ce premier roman de Pauline Toulet. On y lit les histoires inattendues d'Anatole Bernolu, un personnage atypique, discret, étrange et surtout, un personnage assez seul, persuadé d'avoir fait une grande découverte au sujet de Claude Lévi-Strauss et déterminé à le faire savoir. Mais au-delà d'un récit en trompe-l'œil, c'est avant tout l'écriture inventive et maîtrisée de Pauline Toulet qui m'a réjouie pendant cette lecture.

Cela dit, votre comité de lecture aurait dû noter cette absence, déclare Jérôme avec cette générosité qui consiste à partager les torts qui sont pleinement les siens.

Anatole Bernolu a disparu est un roman désopilant, qui fait la part belle aux figures de style, aux belles formules et à une rédaction originale, toute en connivence avec le lecteur, qui nous fait penser que le narrateur nous raconte un scénario qu'il semble découvrir tout en en connaissant déjà la fin (je vous assure que c'est bien ça). Il en a fallu du savoir-faire, à Pauline Toulet, pour nous proposer un roman qui, sous des airs de chronique légère, cache une telle élégance, une vision si juste des travers de nos contemporains, mais également un hommage appuyé à l'Oulipo. Elle a su pourtant emporter mon adhésion en quelques chapitres, par une histoire bien plus impactante qu'on ne pourrait l'imaginer. Il y a de la vérité dans cet ouvrage, et je ne peux que recommander la lecture rafraîchissante des histoires d'Anatole Bernolu.


Anatole Bernolu a disparu | Pauline Toulet | Le Dilettante

Au fond du trou

Après le très atypique mais très réussi 18H30, Maxime Chamoux et Sylvain Gouverneur signent une nouvelle mini-série sur arte.tv, Au fond du trou, avec une nouvelle approche originale.
Tournée dans une unité de lieu et de temps (un minigolf, une après-midi) elle suit, le temps de ses 6 épisodes (chacun d'une 15aine de minutes), 6 histoires différentes, 6 trajectoires mettant en scène des personnages originaux. Parfait théâtre de la vie, ce sont des petits drames, à chaque fois, qui se jouent, transformant en tribunal ce lieu festif et léger qu'est le minigolf. Frôlant parfois l'absurde sans y tomber complètement, cette série mêle habilement l'humour et la gravité, sait doser la sensibilité et réussit à conserver le ton parfait pour mettre en exergue les travers des uns et des autres.


Au fond du trou | Maxime Chamoux et Sylvain Gouverneur | 2023

Jamais trop tard

Prêté par un ami, Jamais trop tard est un de ces livres que je n'aurais jamais pu découvrir autrement que conseillé par quelqu'un. En effet, je n'en connaissais pas l'auteur, et la quatrième de couverture ne m'aurait sans doute pas convaincue. Pourtant, Jamais trop tard est de ces délices cachés qui ne se dévoilent qu'à force d'intérêt et de patience. Lorsqu'on abaisse les barrières de nos certitudes de lecteur, il se révèle des plus enrichissant.

Contant l'histoire de la disparition impromptue d'une jeune femme, Donna et de la quête incessante de son compagnon, Art, pour la retrouver, Jamais trop tard n'a pourtant rien d'un livre policier ou d'une chronique sentimentale. Construit sans aucune respiration, c'est le récit d'une quête sans fin, sans ordre. La quête d'un signe, d'une aide, d'une compréhension. Plaçant la ville (New York) et ses habitants au cœur de l'intrigue, l'auteur en fait ressortir toutes les discordances. Elle est noire de monde mais bercée d'une indifférence mêlée de violence, elle est foisonnante sans que l'on puisse en suivre les méandres, elle ne s'arrête jamais de vivre mais on peut s'y évanouir sans laisser de trace.

Sillonnant sans interruption ce décor urbain étouffant, notre héros, Art, oscille entre prosaïsme et naïveté touchante et ne cesse de nous étonner, au milieu de tant d'incongruités, par la justesse de certaines de ses pensées.

Car l'absurdité survient, aussi subtile que l'écriture de Stephen Dixon, berçant le récit d'une perspective kafkaïenne qui en réhausse d'autant plus la qualité. Cette chronique ininterrompue prend alors des allures d'épopée fantastique, tragique, à l'image de la noirceur des rues New Yorkaises et nous laisse, finalement, autant de perspectives que de limites.

Note: Lu dans l'ancienne édition des éditions Balland, j'ai préféré indiquer les références de l'édition actuelle, toujours disponible aux éditions Cambourakis.


Jamais trop tard | Stephen Dixon | Traduit par Isabelle El Guedj | Éditions Cambourakis

Kafka à Paris

Xavier Mauméjean est un nom que je vois passer depuis longtemps. Pour ses romans parus chez des maisons d'édition que j'affectionne, pour ses participations à des projets que j'ai suivis, pour son expertise sur Sherlock Holmes. Jamais, cependant, je ne m'étais encore attaquée à l'un de ses ouvrages, et quel oubli !

Kafka à Paris m'a interpellée sur la table de la librairie des Utopiales, d'abord car c'est un bel objet, ensuite parce que j'aime l'œuvre de Kafka et Paris (et c'est difficile de faire un meilleur titre), enfin car le résumé de ce roman m'a immédiatement intriguée. En effet, à partir d'un fait apparemment réel (les quelques jours que Franz Kafka a passés à Paris avec son ami Max Brod en 1911) Xavier Mauméjean s'est attaché à développer tous les détails possibles d'une épopée.

En multipliant les références, Xavier Mauméjean signe un texte généreux et drôle. Une histoire passionnante à découvrir, enrichie par le plaisir immense de déceler ici et là les clins d'œil à l'œuvre de Kafka ou à l'histoire. On en affectionne les personnages et leur charme désuet, on y adore l'ambiance du Paris du début du XXème siècle, si merveilleusement retranscrite.

Installés à une table comme au spectacle, jambes croisées pour en essorer la fatigue, ils observèrent la cohue en gaieté ou morose, cette précision dans le rapport humain qui sans cesse calcule sa façon d'être. Les Parisiens, que l'on tient à tort pour blasés, ne cessaient de changer d'attitude.

Mais au-delà de la justesse de l'intrigue, ce sont les immenses qualités littéraires de l'ouvrage qui m'ont subjuguée. Cela faisait des années, je pense, que je n'étais pas tombée à ce point amoureuse d'une écriture comme je peux l'être de celle de Xavier Mauméjean. Chaque idée, chaque phrase, chaque tournure, chaque mot même semble soigneusement choisi pour tisser un texte d'une finesse remarquable, incroyablement doux à la lecture et terriblement évocateur. Autant de justesse est difficile à se figurer. J'aimerais littéralement en garder chaque phrase.

J'ai pris une gigantesque claque et j'ai eu un profond coup de cœur pour ce livre et cet auteur, que je vais rapidement retrouver.


Kafka à Paris | Xavier Mauméjean | Alma Éditeur

La danse de Gengis Cohn

Il y a sans doute des dizaines d'interprétations à faire de La danse de Gengis Cohn et de la manière dont il s'inscrit dans la bibliographie de Romain Gary. Elles sont d'ailleurs faciles à trouver, et pour la plupart, assez intéressantes. Il faut dire que Gary, en plus d'être un écrivain talentueux, est également un personnage fascinant, de par ses origines et son histoire. Quant à La danse de Gengis Cohn, c'est un livre tellement foisonnant, tellement dense, tellement indescriptible qu'il n'est pas étonnant qu'il inspire autant de monde.

J’ai froid dans le dos. Je sens soudain « qu’un danger terrible plane sur ceux de ma race : des nazis qui ne seraient pas antisémites. Vous imaginez un peu le mal que ça peut nous faire, un Hitler qui ne serait pas du tout contre les Juifs, au contraire, qui serait seulement contre les nègres ? Les Allemands ont failli nous avoir. Heureusement qu’ils étaient racistes.

L'histoire part d'une farce. Celle d'un commissaire de police allemand, ancien nazi, hanté sans relâche par l'esprit de l'une de ses victimes, un comique juif. Il hérite de l'enquête autour de la mort de 22 personnes, toutes retrouvées sans pantalons et extatiques.

Pour ma part, j'ai avant tout beaucoup ri à la lecture de cet oeuvre dont l'extravagance m'a surprise. Romain Gary s'est absolument tout autorisé, et pousse l'humour noir dans ses retranchements avec beaucoup de talent. On y découvre, au milieu d'un délire sans retenue, son humanité absolue, sa rage, ses accès de colère contre l'imbécilité, contre la violence systémique. En effet, la farce du début permettra à l'auteur de développer en seconde partie beaucoup plus allégorique, personnifiant la vie et la mort elle-même, tournant autour d'un mauvais goût assumé délicieusement mordant.

Il ne faut pas être intellectuel pour apprécier La danse de Gengis Cohn, ni d'en décortiquer chaque ligne. Je suis sans doute passée à côté de la moitié des références. J'ai pris de plein fouet, en revanche le talent de Gary pour les mots, les excès et les rires.


La danse de Gengis Cohn | Romain Gary | Gallimard/Folio