Un Spicilège

iNTELLIGENCE

Découvert un peu par hasard (avant tout parce que la vignette mettait en avant l'acteur principal, Vincent Macaigne, que j'adore), le (très) court métrage iNTELLIGENCE est une pépite de poésie et de trouvailles visuelles. Sur une idée assez classique, celle d'un homme qui, découvrant sa mort prochaine et constatant l'échec de sa vie, essaie de réussir sa mort, les deux réalisateurs Jeanne Frenkel et Cosmé Castro signent une œuvre originale, unique en son genre.

Tourné entièrement dans leur atelier de travail, sur fond bleu, tous les décors du film sont issus d'un logiciel de jeu vidéo. De nombreux médiums ont été ensuite ajoutés comme de la peinture, du dessin, et toutes sortes de textures qui donnent à iNTELLIGENCE une allure unique, entre rétrofuturisme et abstraction.

Mais au-delà des images, la voix et le jeu de Vincent Macaigne marquent tout autant. Des monologues infiniment tristes ponctuent cette histoire étrange mêlée de fantômes qui parle de solitude, de peur et de regret. L'élégance parfaite d'Alma Jodorowsky, qui sublime chacune de ses apparitions a fini d'emporter mon adhésion.


iNTELLIGENCE | Jeanne Frenkel et Cosmé Castro | 2023

Myala : touches d'espoir

Après le très convainquant Seconde chance (dont je parle ici), Lilian Peschet signe le retour des aventures du Capitaine Myala Muller, cette ancienne criminelle qui tente de réduire sa peine en prenant l'uniforme. Cette fois-ci, elle et son équipe sont confrontés à une série de crimes qui semblent liés à l'experte informatique de leur groupe, aussi incarcérée. On retrouve dans ce second opus tout ce qui faisait l'intérêt du premier : un univers sombre et amer, solidement charpenté et même étoffé par cette nouvelle intrigue, des personnages profonds, soignés, nuancés, une histoire sordide, complexe, dans la veine des grands polars noirs.

La densité de la narration est parfois déroutante. Ça va vite, c'est rythmé et le nombre d'informations transmises en quelques paragraphes est parfois intense. Il ne faut pas perdre le fil : le roman ne t'attend pas. Comme s'il était lui-même conscient de la gravité de la situation, il ne peut pas se permettre de ralentir.

C'est donc dans un sentiment d'urgence parfois douloureux que se fait la lecture, l'auteur sachant parfaitement transmettre les peurs, les doutes et les rages de ses personnages. Particulièrement brillant dans l'écriture des scènes d'actions, on s'y engouffre comme si on le vivait avec eux et on sort de tout ça exténué.


Myala : touches d'espoir | Lilian Peschet | Éditions du 38

L'Ethologie (presque) facile

L'éthologie, c'est l'un de mes plus anciens amours. Avant le reste, il y a eu une première fascination pour l'approche scientifique du comportement animal. C'est cet intérêt qui m'a en grande partie poussée vers des études de biologie (qui dériveront bien vite vers la biologie des populations et l'écologie, mais c'est une autre histoire). Je ne compte plus les nouvelles passions depuis (mais je me soigne), je garde cependant un attrait immodéré pour la discipline et ce qu'elle dit de nous.

Dans ce livre richement illustré par Marine Joumard, Agatha Liévin-Bazin signe la parfaite initiation à cette science fascinante. En effet, après en avoir dessiné l'histoire, elle en présente les grands principes ainsi que les principales avancées qu'elle a permises. Au-delà d'une meilleure compréhension de l'animal, l'éthologie permet en effet de questionner nombres de notions psychologiques, éthiques et nous invite fatalement à nous demander ce qui fait de nous, humains, un animal comme les autres ou non. C'est une immersion fascinante à la recherche de ces réponses que nous propose l'auteur, démystifiant au passage quelques idées reçues.

Outre le fond, je salue également la forme de cet ouvrage particulièrement attractif. Les quizz en fin de chapitres m'ont beaucoup plu ! Si la passionnée en moi aurait bien sûr aimé un peu plus de profondeur, je me dois de reconnaître que L'Éthologie (presque) facile reste une mise en bouche parfaite pour qui veut découvrir le sujet.


L'Éthologie (presque) facile | Agatha Liévin-Bazin | Delachaux et Niestlé

Pleurons sous la pluie

Pleurons sous la pluie est un court texte d'une auteure que j'apprécie beaucoup. Je l'ai découverte il y a un paquet d'années chez feu la maison d'édition L'Oxymore (dont je garde les ouvrages précieusement, tant ce sont de beaux objets) et j'ai toujours apprécié ses écrits.

Dans cette nouvelle, datant de 1987, elle nous dépeint un avenir glaçant, dans lequel le dérèglement du climat et autres pollutions atmosphériques entraînent la chute drastique de l'espérance de vie d'une grande partie de la population, tandis que des ultra-riches tirent leur épingle du jeu en vivant protégés.

Le soleil n'en finissait pas de s'éteindre. Arbres squelettiques, tours abandonnées, clôtures et palissades, le paysage sinistre se détachait contre cette apothéose.

Je ne sais pas si c'est l'effroyable réalisme qui se dégage de l'histoire, le talent de l'auteur pour brosser en quelques mots des portraits d'une justesse folle ou le désenchantement palpable que ce récit inspire, mais, en quelques dizaines de minutes, ce livre a réussi à me bouleverser. L'appareil critique fourni par les éditions Le Passager Clandestin contribue à faire de cette édition une réussite. L'auteure et la nouvelle sont en effet présentées et surtout remises en contexte. Cela permet d'en savoir plus sur l'histoire des pollutions, des retombées radioactives, mais également de la situation politique et sociale de l'Angleterre des années 80 dans laquelle cette nouvelle est née.

Il est sans doute encore plus facile d'imaginer un avenir de ce genre de nos jours, mais pas de le faire avec le talent de Tanith Lee.


Pleurons sous la pluie | Tanith Lee | Traduit par Iawa Tate | Le Passager Clandestin

Pourquoi les méduses ne vieillissent pas...

Je me rappelle avoir pris ce livre en ne m'étant arrêtée qu'à son titre. Je m'attendais alors plutôt à un livre de vulgarisation en biologie, tournant peut-être autour des particularités ou des grands mystères du monde animal. J'aurais dû m'attarder un peu plus sur son sous-titre : et autres secrets de la longévité de la nature et creuser même un peu plus pour accueillir ce livre pour ce qu'il est : un panorama complet et détaillé de toutes les recherches et avancées faites par la science autour du vieillissement.

Tout d'abord surprise pas le tournant que prenait ma lecture, je fus vite intérressée par un sujet qui, en temps nomal, ne me passionne guère (on voit pourtant à l'utilisation de ce mot, “guère”, que je devrais peut-être me sentir plus concernée!). Il faut dire que l'auteur s'avère être particulièrement minutieux dans son approche, et de très nombreux facteurs, aussi bien biologiques que sociaux, sont passés au crible de ses investigations. J'ai rapidement été conquise par son approche pragmatique du phénomène : dans ce livre, ni élucubrations, ni fausses promesses, mais plutôt des constatations et quelques réfutations de mythes et fausses croyances (notamment sur certains compléments alimentaires).

J'ai aimé avant tout que, loin de présenter le vieillissement comme une fatalité qu'il faudrait absolument combattre, il soit avant tout montré comme ce qu'il est : un phénomène biologique banal, qui ne doit ni nous effrayer ni nous attrister, mais qu'il est passionnant d'étudier pour mieux connaître la vie.

Une lecture particulièrement enrichissante, portée par une grande solidité scientifique, qui m'a fait découvrir nombre de choses dans des domaines variés.


Pourquoi les méduses ne vieillissent pas... | Nicklas Brendborg | Traduit par Julien Bambaggi | Leduc

c'était un rendez-vous

À l'occasion d'une discussion autour des plans-séquences, j'ai revu C'était un rendez-vous, le court métrage si iconique de Claude Lelouch.

Au-delà des anecdotes (ma préférée restant tout de même que le film aurait été tourné avec les restes de pellicules de Si c'était à refaire, limitant par la même sa longueur), au-delà de l'exploit de tenir plus de 8 minutes pied au plancher en plein Paris sans accident (même à 5h30 du matin), au-delà de la mise en avant de la mécanique qui me laisse de marbre (même avec une bande-son doublée avec le son d'une Ferrari, escroc!), au-delà des multiples clins d'œil et autres remakes qui ont pullulé depuis sa sortie (mais je conseille tout de même vivement It's a date, le court métrage de Nadia Parfan qui transpose l'histoire en 2022 dans un Kiev en pleine guerre), ce qui me frappera toujours, ce qui fera que je ne me lasse pas de ces images, ce qui me fera à jamais sourire à la fin, ce qui semble parfois malheureusement oublié, c'est le fond de cette histoire émouvante dans sa simplicité et son universalité : un homme, une femme, un élan d'urgence qui passe avant tout, jusqu'à des retrouvailles aux airs d'assouvissement.


C'était un rendez-vous | Claude Lelouch | 1976

Ruby Moonlight - Couverture

Ruby Moonlight est un court texte, âpre et puissant, à l'image des thèmes qu'il aborde. Ali Cobby Eckermann choisit en effet la poésie pour nous parler d'amour dans un contexte bien particulier : l'Australie, à la fin du XIXème siècle, au temps de la colonisation. C'est durant cette période trouble qu'une jeune aborigène esseulée par le massacre de toute sa famille fera la connaissance d'un trappeur irlandais isolé par son travail et qu'ils s'uniront, envers et contre toute autorité ou morale.

à chaque pleine lune il bricole une intimité fait germer une graine de confiance

Le reste est une histoire onirique, une fable grave dans laquelle la beauté se mèle à la cruauté. Les poèmes se succèdent,l'histoire, belle et tragique, se précipite. Tant de grâce, de majesté, d'émotion se dégagent de ces lignes. On peut, en peu de mots, évoquer tant de choses...

Un souffle et un tremblement, avant de refermer le livre.


Ruby Moonlight | Ali Cobby Eckermann | traduit par Mireille Vignol | Au vent des îles

Circulez, la ville sous surveillance

Le problème de la surveillance dans l'espace public semble de plus en plus préoccupant. Il me manquait cependant un peu de contexte et d'histoire pour l'appréhender. Circulez, la ville sous surveillance me paraissait le livre tout indiqué pour commencer à creuser le sujet.

Dans ce livre, le journaliste Thomas Jusquiame mène en effet son enquête dans le monde de ceux qui qui conçoivent l'espace urbain : les autorités, les mairies, les sociétés de transports publiques, les sociétés privées, surtout, omniprésentes. Celles qui fournissent le matériel, celles qui proposent des services d'analyse algorithmique des images. Il poussera ses investigations jusqu'à se faire embaucher comme commercial dans l'une d'elles, afin de comprendre de l'intérieur ce qui est promis et vendu.

Mais continuons la rêverie : des parcs ouverts toute la nuit et la disparition des mobiliers défensifs provoqueraient-ils un afflux de sans-abri dans les villes ? Et si oui, ce phénomène ne serait-il pas une prise de conscience collective intéressante pour remédier au problème ? À quoi ressembleraient les villes si chacun pouvait prendre l’initiative d'aménager un bout d'espace public en se concertant avec ses voisins ? Cela provoquerait des conflits d’usage importants, me dirait-on. «Et alors?» serais-je tenté de répondre, le conflit est aussi le début d’un échange qui peut déboucher sur une solution.

À travers l'histoire de l'aménagement urbain, on comprend mieux son évolution sécuritaire : le retrait des bancs où l'on peut stagner, la limitation de la végétation dense où l'on peut se dissimuler, la conception des places de manière à ce qu'on ne s'y attarde pas, etc. Quand à tout cela s'ajoute la vidéosurveillance (maquillée en vidéoprotection pour la rendre moins agressive) on finit par se demander (comme l'auteur) si le but recherché n'est pas de maintenir les gens dans un sentiment d'insécurité plutôt que de les en délivrer.

Statistiques à l'appui, Thomas Jusquiame fait tomber les discours commerciaux pour s'attaquer à ce qui est vraiment en jeu : les données. Celles qui aident les algorithmes à se perfectionner, celles qui sont pourtant protégées par le RGPD.

J'ai beaucoup aimé la manière dont est construit Circulez, la ville sous surveillance, qui développe son argumentaire de manière claire et implacable. Ce livre est parfait pour commencer à s'intéresser au sujet.


Circulez, la ville sous surveillance | Thomas Jusquiame | Marchialy

Couverture - L'agneau égorgera le lion

La couverture de cette novella m'avait déjà percutée sur l'une des nombreuses tables de la librairie des Utopiales. Ce court texte, intense et sauvage, est à l'image de ses personnages aux furieux désirs de liberté.

On trouve chez les squatteurs et les punks une forme d’hospitalité que je ne cesserai jamais d’apprécier. C’est quand on vient à manquer qu’on partage.

Danielle, une éternelle voyageuse, débarque un beau jour dans une ville squattée, autogérée par des anarchistes. Si elle se reconnaît dans cet endroit au point de songer y rester un peu, voire de nouer des relations avec certains de ses habitants, elle y vient surtout car son ami y a passé du temps avant de quitter l'endroit pour se suicider peu après.

Pourquoi est-ce qu'une société utopique ne peut pas marcher ? Parce qu'il y en a toujours un ou une pour casser les couilles, ai-je lu je ne sais où il n'y a pas très longtemps. Cette phrase m'est revenue en tête pendant ma découverte de cette histoire. Il y en a toujours un qui casse les couilles, et au final tout s'effondre. Mais plus encore, il y en aura toujours un ou une autre pour tenter de tout reconstruire. Au-delà d'une intrigue policière et mystique, qui emprunte à la magie, au chamanisme, L'agneau égorgera le lion parle de liberté, de justice et de marginalité avec brutalité.

D'une plume organique, grâce à laquelle il nous semble presque sentir l'odeur d'humus, de bois brûlé, Margaret Killjoy nous dit sa vérité, et ça touche profondément. L'agneau égorgera le lion est un texte empreint d'une sincérité poignante.


L'agneau égorgera le lion | Margaret Killjoy | Traduit par Mathieu Prioux | Argyll

Affiche-le tout nouveau testament

Dieu existe, il habite à Bruxelles

Par cette accroche, ce film de Jaco Van Dormael a immédiatement capté mon attention : Dieu existe et c'est un sale type. Sa fille décide donc de mettre la pagaille dans son travail avant de se barrer sur Terre.

On aurait pu s'attendre à une comédie à grosse ficelle, pourtant, le réalisateur à su faire du scénario qu'il a coécrit avec Thomas Gunzig (Tiens tiens...) une œuvre hors norme, un objet difficile à décrire si ce n'est que sa poésie transparaît à chaque instant. Dans des portraits de personnages inattendus, dans un jeu d'acteur atypique (mis à part Yolande Moreau, qui méritait mieux), dans la photographie d'une clarté irréelle, dans la musique, surtout, signée An Pierlé et véritablement sublime.

Une petite bulle tantôt cruelle, tantôt absurde, jolie avant tout.


Le Tout nouveau Testament | Jaco Van Dormael | 2015


Visible (encore quelques jours) sur Arte.tv