Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

Un goût de larmes

Ce matin, j’ai pleuré en regardant un écureuil virevolter autour du tronc d’un arbre, par la fenêtre du collège. Mon amoureux, c’était mon écureuil roux, mon feu follet. Il sautait du coq à l’âne, tout le temps, avec brio et intelligence, me perdant en route la plupart du temps mais j’avais fini par me faire une raison : cet homme était définitivement bien plus brillant que moi, à sa manière atypique et déroutante. La vie avec lui était un feu d’artifice permanent (ou presque), c’était stimulant.

Le fait que cet amoureux de la vie, cet esprit vif, toujours en mouvement, soit tombé comme ça, d'un coup et qu'en moins de 15 min, il soit parti est proprement inconcevable pour moi. Le vide qu'il laisse est vertigineux. Le simple fait de penser qu'il ne sera plus jamais là me suffoque et fait déborder mes yeux.

Au début, c'était tout le temps. Aujourd'hui, un mois après, il y a des moments où j'ai l'impression d'avoir intégré l'idée. Et puis elle me rattrape violemment et en fait non, je n'ai pas du tout accepté cette réalité, elle me broie le cœur, encore et toujours.

Je me demande encore comment je vais faire sans lui. Le risque est grand que je ne trouve plus goût à rien. C’est le cas actuellement. Je n’ai plus envie de cuisiner, de me balader, de regarder une série (même celle que nous avions commencée ensemble, la veille de sa mort), je n’ai même plus goût à la lecture, ce qui ne m’est jamais arrivé en près de 50 ans. Je me force, un peu.

Tout à l'heure, en rentrant du boulot, j'ai vu un autre écureuil roux. Mort, celui-là, sur le bord de la route. J'ai pleuré encore. Et encore une fois en ouvrant la boite aux lettres, vide. Et en ouvrant la porte sur laquelle son nom est écrit.

La vie a un goût de cendres et de larmes, c'est de la merde, je n'en veux pas.

Allongée par terre, dans la cuisine, je contemple la dernière chose qu'a vue mon amoureux afin de rendre son dernier souffle. Le plafond, blanc et constellé de petites taches, sans doute des éclaboussures liées à la cuisson, elles étaient déjà là quand j'ai loué l'appartement.

J'aurais aimé avoir été la dernière chose qu'il a vue mais à mon souvenir, ses yeux mi-clos ne me voyaient pas, ils ne voyaient peut-être même pas ce foutu plafond dégueulasse, peut-être qu'ils voyaient déjà l'autre côté. Je lui parlais, je lui disais de continuer à respirer calmement comme il le faisait, après cette violente crise qu'il venait de faire, je lui disais que c'était bien, que les pompiers arrivaient, tu les entends, ils seront bientôt là.

Et puis cette respiration un peu forcée s'est ralentie, je l'ai vu arriver, pendant quelques secondes, le moment où à force de ralentir, elle allait s'arrêter. Je lui ai parlé, massé la poitrine, j'avais envie de le frapper, de le cogner, il ne fallait pas qu'il s'arrête de respirer, non, ne t'arrête pas. J'étais terrifiée.

Le dernier souffle a été si léger que je l'ai à peine entendu.

Allongée par terre, dans la cuisine, je ferme les yeux, comme il l'a fait. Je crois qu'il savait, lui, que c'était fini.

Moi, un mois plus tard, je ne suis toujours pas tout à fait sûre que ça l'est. Par moments, cette incertitude me ravage les tripes. Il n'est pas possible qu'il m'ait laissée comme ça, sur le sol de la cuisine, c'est une possibilité nulle, ça ne peut pas être arrivé. Je suis dans un cauchemar, il va revenir, il est en déplacement, il me fait une blague.

Lui avait conscience que c'était fini. Avant sa dernière série de respirations laborieuses, il s'est tourné vers moi et m'a dit “Désolé...”. Ce mot me coupe le souffle, encore maintenant.

Avant-propos

Le 12 aout 2024, à l'heure du petit-déjeuner, mon amoureux est mort. Il n'était pas malade, il n'avait pas de problèmes de santé ni de condition médicale particulière, il n'était pas vieux, nous rentrions de vacances où nous avions joyeusement marché sur les sentiers de Lozère pendant une semaine quand tout à coup, il a fait un malaise et voilà. Ni les premiers soins donnés par les pompiers, ni les grands moyens déployés à coup d'hélicoptère n'ont permis de le sauver. Il était mort quand ils sont arrivés et il n'y a pas eu de miracle.

Depuis, je survis. J'oscille entre incompréhension et colère, entre chagrin et souvenirs, dans cette zone grise où je n'ai pas encore tiré un trait sur lui, sur nous, sur ce que nous avions construit et ce qu'il nous restait à vivre. Ma vie est entrée brutalement dans une sorte de tourbillon qui m'aspire vers le grand vide qui réside au fond de mon ventre.

Demain, cela fera 31 jours. Il a été incinéré, conformément aux seuls souhaits qu'il avait formulés un jour, puis ses cendres ont été dispersées dans la forêt qu'il aimait tant, une initiative que j'ai prise seule mais je pense qu'il aurait apprécié. Beaucoup de gens sont venus lui rendre hommage, cela a été un beau moment, de l'avis général, plein d'émotions et d'humanité.

Et aujourd'hui, je me retrouve seule, face à l'immensité de son absence qui me dévore le bide et qui par moments, me submerge de chagrin.

Alors je vais écrire. Je ne sais pas encore bien quelle forme cela va prendre mais je vais essayer de poser des mots sur cette disparition, pour apprivoiser cette “vie d'après lui”.