Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

La culpabilité

Je sais, le sujet est à la mode depuis que Mona Chollet a commis un bouquin sur le sujet. Il faudrait probablement que je le lise, même si je sais déjà que je vais me reconnaître dans beaucoup de situations. Je suis quelqu'un qui se sent coupable tout le temps, c'est inscrit dans mon patrimoine génétique. Et ce sentiment de culpabilité est apparu avec la maternité, tiens donc.

Concernant la mort de mon amoureux, la culpabilité a refait surface plusieurs fois. J'en ai déjà parlé mais imaginez si je découvre un jour, à la lecture du rapport d'autopsie, que j'aurais pu faire quelque chose pour qu'il ne meure pas. J'y pense tout le temps. “Et si tu l'avais mis en PLS de l'autre côté ? Et si tu avais entamé le massage cardiaque tout de suite et plus fort ?

Si je remonte quelques jours avant le décès, lors de notre panne automobile sur la route des vacances qui l'a mis dans un stress incroyable : et si j'avais pris les choses en main ? Et si j'avais été plus rassurante, plus constructive ? (je ne l'ai pas fait parce que d'expérience, quand il est dans cet état, il n'écoute rien et devient agressif).

Je me sens également coupable d'avoir immédiatement fait prévenir son père, qu'il appelait “son connard de père”, auquel il n'avait plus donné signe de vie depuis 13 ans et d'avoir passé des heures aux téléphone avec lui, pour parler de son fils et de ces dernières années dont il avait été tenu éloigné. J'entendais mon amoureux me souffler à l'oreille de laisser tomber, de l'envoyer balader mais moi, ça me faisait du bien de l'évoquer avec son seul parent encore vivant et de combler les blancs de son histoire traumatique. J'ai quand même réussi à imposer les conditions des funérailles parce que j'ai senti que je m'en serais voulu de le faire enterrer dans le caveau familial et heureusement, son père m'a entendue et laissé faire parce qu'il a compris qu'il y avait une véritable histoire d'amour derrière.

Aujourd'hui, je me sens coupable de trier ses vêtements et d'avoir jeté au recyclage ses t-shirts d'il y a 35 ans, troués sous les bras et usés à la corde, coupable de jeter sa collection de “Libé” et une partie de ses archives constituées d'articles découpés de journaux dont je ne sais que faire, lui seul avait la clé et savait pourquoi il les avait gardés.

Coupable de rester dans le même appartement, d'avoir terminé seule la série qu'on avait commencée la veille de sa mort, coupable de sourire parfois, de continuer à préparer le voyage prévu le mois prochain avec mes parents et mes sœurs, coupable de continuer à vivre presque comme avant mais tout est dans le presque.

Coupable d'être vivante alors que lui non (encore que bien souvent, j'ai l'impression d'être morte à l'intérieur de moi)

Ce qu'on dit

Ce matin, à la question automatique “Ça va ?”, j'ai répondu tout aussi automatiquement “Oui” puis immédiatement après “Non”. Mon interlocuteur est sympa, il sait pour mon amoureux, il était là pour la dispersion des cendres, il s'est tout de suite excusé pour sa question qui est plus une politesse d'usage qu'une vraie question. Et je me suis également excusée pour ma franchise mais bon, j'en ai marre de dire ça va quand ça ne va pas, et encore plus quand ça ne va pas du tout. On a fini par en sourire.

Dans les messages de condoléances reçus de collègues de mon amoureux, deux m'ont fait tiquer et pourtant, je sais que ça partait d'un bon sentiment, authentique et sincère. Elles me disaient en substance être heureuses qu'il ne soit pas mort seul mais avec moi et dans un endroit qu'il aimait. J'avoue ne pas avoir répondu à cet argument en particulier. Oui, bien sûr que c'est peut-être mieux que j'aie été avec lui dans ce moment douloureux plutôt qu'il soit mort tout seul ou dans une chambre impersonnelle d’hôpital mais, pardonnez mon langage, bordel de merde, pour moi, c'est un traumatisme dont il est probable que je ne me remettrai jamais. D'ailleurs, je l'avais un peu évacué les premières semaines mais depuis que j'en ai parlé ici, j'y repense tout le temps et ça me fait un mal de chien (une vraie douleur physique, localisée dans la poitrine).

Tu verras, ça va être long, un deuil, on peut mettre plusieurs années à s'en remettre”. Je sais. J'ai eu la chance de ne pas encore passer par là mais je sais. C'est gentil de prévenir. Moi, ça ne fait même pas 2 mois et j'ai déjà envie de crever, je n'avais pas tellement besoin qu'on me mettre une échéance. “Le temps va faire son œuvre”, c'est vrai aussi, en tout cas, c'est ce qui est écrit dans les livres. On m'avait aussi dit ça quand mes enfants ont décidé de ne plus me parler quand j'ai quitté leur père et 4 ans plus tard, l'un d'eux n'a toujours pas bougé d'un iota, y compris quand il a appris que je venais de perdre mon compagnon dans des conditions brutales. Alors le temps reste quelque chose dont je me méfie, qu'il va falloir que j'apprivoise.

J'ai la chance d'être entourée de personnes qui ont de bonnes intentions, qui sont sincèrement touchées par mon deuil, qui le partagent aussi parfois et le vivent aussi douloureusement que moi. Je reçois de petits gestes extrêmement touchants, parfois de la part de personnes dont je n'étais pas particulièrement proches ou de gens dont je m'étais éloignée. Je me sens choyée et je leur suis tellement reconnaissante. Mais en même temps, en ce moment où je ne vais vraiment pas bien, je crois que je me sens plus proche de ceux qui ne savent pas quoi dire et donc ne disent rien. Est-ce que c'est une nouvelle phase du deuil ? (c'est une vraie question)

Toujours plus profond

Quand je rentre du boulot, ou bien du yoga, ou bien de n’importe où mais quand je rentre chez moi, après avoir refermé la porte, je pleure. Parfois même, je n’attends même pas d’avoir franchi la porte. Ce soir, je pleurais déjà en montant le boulevard, au volant de ma voiture. Parfois c’est en ouvrant la boîte aux lettres (vide, le plus souvent) que ça me prend.

Le journal que je ne trouverai plus le soir en rentrant, l’absence de la veste de mon amoureux sur le porte-manteau ou de ses chaussures qui traînent dans l’entrée, le manque de ses petits messages pour me dire qu’il arrive et que le train a encore 20 min de retard, sa voix le vendredi soir à la radio en direct.

Le manque de lui est une douleur à laquelle je pensais m’habituer avec le temps mais j’ai l'impression que c’est le contraire qui se produit. C’est de plus en plus oppressant, de plus en plus triste.

Ce soir, la première chose à laquelle j’ai pensée en rentrant après une journée particulièrement longue et difficile était que continuer à vivre sans lui n’avait aucun sens, aucun goût, aucun intérêt. Et c’est ce que je ressens la plupart du temps. Jusqu’à présent, cela m’avait épargné au boulot mais cette semaine, j’ai senti monter ce manque en moi plus d’une fois.

J’ai l’impression de tomber de plus en plus profond dans le gouffre de la tristesse. Plus envie de rien.

J’en rêve

J’ai toujours été une dormeuse qui rêve. Je fais souvent des rêves extrêmement complexes, avec des scénarios réalistes ou pas mais dont je me souviens presque toujours dans les grandes lignes au réveil. Il m’est même arrivé de me réveiller à un moment crucial d’un rêve que je ne voulais pas voir finir et à réussir à me rendormir pour le terminer.

A une époque, je notais mes rêves dans un petit carnet. Je l’ai retrouvé par hasard récemment et c’est incroyable comme de lire ces récits m’a immédiatement renvoyée dans l’univers de ces rêves, pourtant très anciens. Il existe des rêves dont je me souviens encore parfaitement alors que je les ai fait il y a plus de 30 ans.

Malgré ça, je n’ai encore pas rêvé de mon amoureux depuis qu’il est mort. Si, une toute petite fois, fugace, dans un demi-sommeil sur le canapé où je m’étais assoupie d’épuisement. Mon amoureux s’approchait de moi et m’embrassait. Je me suis aussitôt réveillée dans la douceur de ce geste, je sentais encore sa bouche sur la mienne, c’était juste merveilleux. Comme dans la vraie vie, la vie d’avant.

Depuis, je rêve de rêver de lui. Je m’endors le soir en ayant concentré mes pensées sur lui, en regardant la photo de lui qui est posée sur la table de nuit. Parfois, je passe mon bras autour de l’oreiller posé à mes côtés comme si c’était autour de lui. Je renifle son déodorant, pour que son odeur soit la dernière chose que je sente avant de sombrer, espérant qu’ensuite, il vienne me visiter dans mes songes, me parler, me regarder, me toucher. Pouvoir le voir bouger, le voir vivant encore une fois.

Cela n’a jamais fonctionné. Je n’ai jamais cauchemardé à son propos non plus. Il n’est vraiment plus là, même dans mes rêves.

Je ne désespère pas mais cela m’attriste. J’ai le sentiment que rêver de lui me permettrait de lui dire adieu correctement.

La douleur

A l'heure qu'il est, soit un mois et 12 jours après la mort de mon amoureux, je ne sais toujours pas ce qui lui est arrivé exactement. Et je sais que cela prendra peut-être des semaines, voire des mois avant que son père et moi n'ayons accès aux conclusions du médecin légiste. La procédure n'est pas bien claire, d'ailleurs.

Je n'ai pas regardé, au moment où j'ai eu ce papier à disposition, ce qu'avait indiqué le médecin du Samu qui a prononcé le décès à la rubrique “cause de la mort”. Probablement quelque chose de très vague du genre “arrêt cardio-respiratoire”. Et quand j'y ai pensé, ce papier était parti avec le corps de mon amoureux à l'institut médico-légal et depuis, plus de nouvelles.

Mais moi, j'y pense, de temps en temps. Je ne vais pas vous dire que ça me travaille toute la journée mais parfois, je revis la scène et j'ai besoin de savoir ce qui a fait qu'à un moment, il a rendu son dernier souffle dans mes bras. Rien que cette phrase déjà, j'ai du mal à m'en remettre.

Un jour sans doute, nous aurons les conclusions et j'ai peur. J'ai peur de découvrir que si j'avais été plus rapide pour entreprendre un massage cardiaque, j'aurais pu le sauver. Ou que si j'avais appelé les pompiers 3 min plus tôt, cela aurait pu changer la donne. Le médecin m'a bien expliqué qu'ils avaient tout mis en œuvre pendant 45 min sans y arriver et donc que cela n'aurait rien changé, je ne peux pas m'empêcher d'y penser, encore et encore.

Je suis documentaliste et j’aime comprendre les choses, alors évidemment que je suis allée lire comment ça se présente, une crise cardiaque et beaucoup de choses concordent fortement : l'effondrement, la sueur abondante, les lèvres bleues, la douleur (lui n'a pas été capable d'identifier la source de cette douleur), le halètement anormal.

Je pense alors à mon amoureux, cette “force de la nature”, comme il disait : jamais malade, santé de fer, son grand-père a vécu jusqu'à 105 ans et il avait sa constitution... Mais aussi ce grand anxieux (à un stade pathologique, j'y reviendrai sûrement), ce phobique des aiguilles (”une prise de sang, n'y pensez même pas !”) et des médecins (”qui vous trouvent toujours quelque chose”), cet homme douillet qui faisait toute une comédie quand il se cognait quelque part.

Il a dû avoir tellement mal, pendant cette crise, tellement mal et pendant si longtemps (10, 15 min ?). C'est long, 10 min quand tu te tords de douleur et que tu te rends compte que peut-être que c'en est bientôt fini de ta vie. Mon Dieu, l'idée qu'il ait eu si mal si longtemps me rend malade, je n'arrive pas à évacuer ça de mon esprit. Ni son visage contracté, sa peau qui rougit, ses lèvres et ses oreilles qui deviennent bleues, ses yeux injectés de sang. C'était horrible. L'horreur absolue de vivre ça et de ne rien pouvoir ou savoir faire pour l'aider, le soulager. Je n'arrive pas à chasser cette scène de mon esprit.

Ce que je vais dire est abominable mais j'aurais préféré qu'il meure en tombant d'un coup, en une seconde, ou dans son sommeil. Ces insupportables minutes de torture qu'il a endurées sont marquées en moi comme une cicatrice qui ne se refermera jamais tout à fait. Ma propre mort, je m'en fiche, elle ne me fait pas peur, quelles que soient les circonstances mais la sienne, j'aurais tellement aimé qu'elle soit à son image, douce.

Ne pas l'oublier

Ce matin, je commence à voir les premières couleurs de l'automne dans les forêts alentour. Mon amoureux n'aura pas vu celles de cette année, il ne connaitra plus jamais les joies de se promener dans les feuilles mortes, de sentir l'odeur d'humus dans le sous-bois derrière chez nous, d'écouter les glands chuter sur la route ou sur le toit de sa voiture.

Il y a tant de choses désormais qu'il ne fera plus jamais et que je vais me retrouver à faire sans lui, en pensant à lui. J'en ai le cœur en miettes.

L'automne était sa saison préférée.

J'ai parfois peur de commencer à oublier des choses qu'il aimait faire, des choses qu'il m'a dites, j'ai parfois peur de l'oublier un jour. Cette éventualité me semble encore lointaine, ma vie est encore pleine de lui, de ses objets, de ses vêtements, de son odeur, de son empreinte. Mais un jour, cela finira par arriver et l'idée me terrifie.

Alors j'ai fait tirer des photos de lui que j'ai placées un peu partout, pour être sûre de ne pas oublier son visage, ses yeux rieurs et sa barbe rousse qu'il portait fièrement. Il regarde l'objectif, il me regarde puisque c'est moi qui ai pris la plupart de ces photos.

Je n'ai encore pas eu le courage de laver le dernier drap dans lequel nous avons dormi et fait l'amour, ni la taie de l'oreiller que j'avais glissée sous sa tête en attendant les pompiers. Je dors avec toutes les nuits. Cela fait plus d'un mois, il va quand même bien falloir que je le fasse. Cette semaine, allez, c'est décidé.

J'ai aussi conservé une bombe de son déodorant, presque terminée. Je ne fais qu'en renifler l'embout, je ne veux pas gâcher le peu qu'il reste dedans. Ce parfum me propulse 4 ans en arrière, lors de notre première rencontre, notre première étreinte, notre premier baiser, il sentait bon, je lui ai dit.

En revanche, il est une chose de lui que je ne pourrai pas oublier, c'est sa voix. J'ai récupéré et gravé sur un disque dur la soixantaine d'émissions de radio qu'il avait enregistrées ces 18 derniers mois, j'ai aussi retrouvé quelques messages audio qu'il m'avait envoyé pendant le confinement et notre histoire clandestine. J'aimerais bien aussi récupérer l'émission de son ancienne radio qui m'avait révélé, un matin de février 2020 que j'étais amoureuse de cet homme mais pour l'instant, elle me résiste techniquement. La voix de mon amoureux m'accompagnera pour longtemps, de ça, je suis sûre.

Le gouffre du dimanche

Je vais dire les choses crûment : les ouikendes, depuis 2 semaines que je les passe seule, ce sont des gouffres de tristesse. Au début, on marche au bord en allant faire le marché, en voyant un peu des gens, en répondant au téléphone et il y a toujours un moment, de préférence le dimanche, où l'on finit par tomber au fond du trou, quel que soit l'état du moral en se levant. Et le trou peut se révéler profond.

Aujourd'hui, j'ai cuisiné (ce qui n'était pas évident les premiers temps, pas envie, à quoi bon pour manger en tête à tête avec le mur). J'ai fait à manger pour 3 repas, tant qu'à faire, j'anticipe déjà les soirs de fatigue, de flemme, de déprime. Ce faisant, je me suis mis une petite playlist musicale de “petites douceurs”.

Mais quand on écoute vraiment les chansons, ce qu'elles disent (en anglais), c'est l'horreur. Des histoires d'amour perdu, des histoires d'amour naissant mais que je ne peux plus mettre qu'au passé, des regrets, des routes à ne pas prendre, des chansons qui me font penser à mon amoureux, des titres sur lesquels nous n'aurons jamais eu l'occasion de danser.

Me voici donc au fond du trou, du gouffre de tristesse du dimanche. Je n'ai pas terminé mon assiette et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps en faisant la vaisselle. Je suis tellement triste qu'il ne serait pas déconnant que j'aille m'allonger dans la forêt, là où il repose, pour attendre moi aussi de passer de l'autre côté.

Rassurez-vous, cela ne va pas arriver. Mais je suis tellement démunie face à ces moments où même l'envie de vivre me déserte totalement. Je vais être honnête : il n'y a pas un jour depuis le 12 août dernier où je n'y ai pas pensé, même fugacement. Et finalement, la seule chose qui, même au fond du trou, me fait remonter à la surface, c'est lui. Regarder cette photo de lui où il sourit, où ses yeux pétillent et me disent : “Bien sûr que non, petite F” (F comme forte, c'est une blague entre nous).

Ce qui reste

Aujourd'hui, comme presque tous les jours depuis que mon amoureux est mort (à l'exception des 2 premières semaines où j'ai fui mon appartement et le drame qui s'y était produit parce que je n'étais tout simplement pas capable de vivre là), je trie, je classe, je jette des affaires.

Il y a les vêtements qu'il faut laver, trier (ceux qu'on va donner, ceux qui vont partir au recyclage, ceux que je vais garder), il y a les papiers dont on a eu besoin, son père et moi, pour la “succession” (je mets des guillemets parce que ce terme me parait tellement ridicule dans ce cas précis – c'est son père qui va hériter, vu qu'aux yeux de la loi, mon amoureux et moi n'étions rien et ça, ça l'aurait rendu dingue, au moins autant que d'avoir un gouvernement composé de gens qui ont perdu les élections mais bon, là, je m'égare). Il y a les objets que je trouve dans des endroits inattendus : ses poches, les innombrables boites qu'il collectionnait, les cartons de la cave dont je pensais qu'ils étaient vides mais non, les enveloppes cachées dans la bibliothèque, les tiroirs des armoires, les sacs à dos.

C'est en l’occurrence un travail de Titan parce que mon amoureux était du genre qui ne jetait rien. Il a toujours ses cours de fac, ses cartes d'étudiant, les cartes électorales de ces 20 dernières années, des tickets de musée, des carnets piqués dans des salons, des autocollants de la Fête de l'Huma, ses t-shirts de quand il jouait encore au foot, une dizaines de pots à crayons remplis et classés par couleurs dont une bonne partie n'écrit probablement plus.

Au début, j'y passais des demi-journées et puis je me suis rendue compte que ça me démolissait moralement, ce tri. Chaque objet me le rappelle, chaque vêtement porte encore un peu son odeur, tous ces souvenirs dont certains sont destinés à la poubelle parce qu'on ne peut pas tout garder et que ça n'a pas de sens, c'est difficile, émotionnellement.

Alors j'y vais doucement. Je fais des sacs, des piles, des tas en pleurant sur ce qu'il reste de mon homme, de sa vie. J'ai toujours des vêtements à lui qui sèchent avec les miens. C'est presque comme avant.

Ce matin, je suis passée dans la forêt où j'ai répandu ses cendres il y a 15 jours. Il n'y a plus trace de rien, la pluie de ces derniers jours a enfoui les cendres dans la terre. Seul un champignon poussait là, tout neuf, je me suis dit que c'était bien.

L'amour plus fort que la mort

Dans les premiers messages reçus après l'annonce du décès de mon amoureux, j'ai eu beaucoup de choses sur le fait que l'amour était plus fort que tout, qu'il survivait à la mort et qu'il serait éternel, quoi qu'il arrive. J'avoue avoir tiqué plus d'une fois, jusqu'à l'agacement, voire la colère.

Notre histoire d'amour était encore récente, nous étions (malgré notre âge “canonique”) un jeune couple, encore dans les émois des débuts, dans les frissons de l'amour toujours, dans les promesses d'une vie ensemble qui ne faisait que démarrer. Cet amour, nous nous le disions tous les jours, plusieurs fois par jour, nous nous le montrions tout le temps, les gens qui nous voyaient ensemble nous en parlaient.

Cet amour, nous l'avons construit dans l'adversité. Lui divorcé et blessé, moi piégée dans un mariage qui ne m'apportait plus d'amour. Nous nous sommes rencontrés par hasard sur les internets et vraiment, cette rencontre relève du miracle (lui, pas geek pour un sou et d'une méfiance absolue envers les réseaux sociaux). Et pourtant, l'alchimie a pris. En quelques semaines, nous nous sommes rendus compte que ce qui était né là, par messages interposés, c'était de l'amour. Pas une historiette à la con, pas juste un crush, non, un truc fou et d'une immensité vertigineuse. C'était comme si nous nous connaissions depuis des dizaines d'années.

Mais l'adversité n'était pas terminée : par un coup du sort incroyable, notre première rencontre en chair et en os aurait dû avoir lieu le 19 mars 2020. “Nous sommes en guerre”, interdiction de sortir de chez soi, de se déplacer, la pandémie a confiné chez elle la moitié de l'humanité... Et nous, chacun chez soi, à 450 km de distance. Les appels en cachette, les photos échangées, les visios finalement, parce que nous en avions besoin. L'histoire a pris un tour inattendu et a finalement donné une profondeur à cet amour, qu'il n'aurait sans doute pas atteint sans ça. Notre première rencontre en juillet a été d'une beauté absolue et a scellé l'histoire, définitivement.

J'ai quitté mon mari, il a quitté son boulot pour venir me rejoindre et voilà, nous vivions enfin l'amour fou. Chaque moment de la journée était preuve d'amour, même les jours de tensions. Chaque journée commençait dans les rires et les baisers, chaque soirée se terminait dans la promesse du lendemain et de l'avenir, du plus tard, du quand on sera vieux.

Alors quand il est tombé et qu'on m'a annoncé qu'il était mort, j'ai eu du mal, pardonnez-moi, à croire à l'amour par-delà la mort. Comment je pouvais aimer quelqu'un qui n'est plus là, qui ne sera plus jamais là, quelqu'un que je ne pourrai plus serrer dans mes bras, que je ne pourrai plus embrasser, caresser. Non vraiment, c'étaient des conneries, ces histoires de l'amour plus fort que tout. J'ai refusé d'en entendre parler plus longtemps.

Plus d'un mois a passé, je commence tout juste à l'accepter. Oui, il est mort mais je l'aime encore et probablement que je l'aimerai toujours. Je le lui ai promis quand il était allongé sur le sol de la cuisine, allongé sous son drap. Il fera toujours partie de moi, de mon histoire, il restera dans mon cœur à jamais, même si un jour, peut-être, quelqu'un d'autre arrive dans ma vie.

Il adorait me dire (et m'écrire) qu'il m'aimait pour toujours. Je le trouvais bien présomptueux, eu égard à nos expériences respectives de mariages ratés. En fait, il avait raison. Il m'aimera pour toujours et la moindre des choses que je puisse faire pour honorer notre histoire, c'est de lui rendre la pareille.

Moi aussi, je t'aime pour toujours, mon amour merveilleux.

Les larmes

Je crois que je n'ai jamais pleuré autant de toute mon existence. Et pourtant, je pleure facilement, dans la vie de tous les jours. Un film émouvant, une chanson qui me touche, un mot gentil, l'eau déborde de mes yeux à de nombreuses occasions. Depuis un mois et quatre jours, je pleure tous les jours et plusieurs fois par jour. Le chagrin, la solitude, le manque, les souvenirs des moments heureux qui n'arriveront plus, je pleure doucement ou à gros bouillons, c'est selon.

Je pleure allongée dans le noir quand le sommeil me déserte, je pleure en cuisinant ou en faisant la vaisselle, je pleure en plein milieu d'une page de livre (sans rapport avec ce que j'essaie de lire – la lecture est compliquée en ce moment, j'ai la capacité de concentration d'un poisson rouge), je pleure sous la douche, je pleure en marchant dans la forêt, je pleure en conduisant (ne faites pas ça chez vous, c'est dangereux).

Je me demande comment il est possible que le corps puisse produire autant de larmes... (et je comprends mieux le médecin qui m'a conseillé de beaucoup boire).

Aujourd'hui, il fallait bien que ça arrive, j'ai craqué devant les élèves. J'avais réussi jusque là à esquiver en me sauvant dans le couloir lorsque je sentais l'émotion monter mais là, je n'ai pas pu. Ils ont eu l'air un peu inquiets alors je leur ai expliqué pourquoi je pleurais, en plein comité de rédaction du journal du collège (il y avait un lien avec mon amoureux) et que ce n'était pas grave, que j'étais juste triste mais que ça allait passer et effectivement, rapidement, on est passé à autre chose. C'est bête, c'était la première fois que je remettais du mascara depuis le jour funeste...

Je me dis que les larmes finiront par s'estomper, j'y crois dur comme fer. D'ailleurs, il me semble déjà qu'elles sont moins fréquentes. Dans ces larmes, j'évacue la peine, la colère, le sentiment d'injustice, le vide dans lequel je suis plongée. Alors je les laisse faire, je ne lutte pas (trop). Par contre, je vais me démaquiller à titre préventif pour ce soir : la semaine dernière, on a commencé le cours de yoga par la position dite du “cadavre” et j'avoue, j'ai un peu sangloté en silence.