Le bout du chemin ?
Il y a 6 mois presque, je commençais ce blog. Et il y a 3 semaines, je passais ma soutenance à Montpellier... Cette fois, ça y est, je suis diplômée, d'un master 2 Humanités numériques. C'est le moment de jeter un coup d'œil par dessus mon épaule.
Regards en arrière
On m'a parfois dit durant ces années de reprise d'études : c'est courageux... peut-être, mais je ne m'en suis pas aperçue ! Il est vrai aussi que j'ai bénéficié des conditions idéales pour mener ce travail, c'est un facteur important. J'ai été portée aussi par ma curiosité et bientôt mon enthousiasme pour les Humanités numériques, leurs formes multiples qui font d'ailleurs débat, concept si difficile encore à expliquer simplement à mes proches... j'ai peut-être bien succombé à l'envoutante richesse des chemins qu'elles ouvrent, chemins qui semblent s'éloigner et puis convergent à nouveau... J'ai ainsi pu avoir comme objectif de garder du plaisir à apprendre et travailler. Sans idéaliser le parcours, je retiens surtout les moments de découverte par les lectures, les temps de mises en pratique, les avancées malgré les doutes, le plaisir d'écrire aussi, laborieux souvent, mais quelle satisfaction quand le fil logique finit par apparaître en évidence...
Le charme des chemins exploratoires
J'ai enfin pu creuser la notion d'écrits d'écran d'Emmanuel Souchier, aux côtés souvent d'Yves Jeanneret. J'ai trouvé fascinant la façon dont l'histoire de ces écrits d'écran s'inscrit dans celle des supports papier : le retour du rotulus, le geste de tourner les pages qui se retrouve sur le balayage d'écran, et de façon plus cachée, l'emprunt aux codes utilisés dans les manuscrits dans le langage informatique, comme ce pied de mouche...
Le c majuscule barré verticalement en début de ligne signale le changement de paragraphe. Pour plus d'informations, cliquez ici (1).
J'ai trouvé riche l'approche par la notion d'énonciation éditoriale, qui prend en compte l'ensemble du contexte matériel, économique, culturel de la conception d'un écrit d'écran y compris la possibilité d'évolution de ce support, une caractéristique du numérique. J'ai aimé la notion de signes-passeurs, expression parlante (ce qui fait signe pour désigner un passage vers un autre contenu), qui fait jouer à plein la sémiotique. J'ai aimé aussi le concept d'image de texte, avec une double acception : l'image que l'on a du texte dans son contexte à l'écran, avec Emmanuel Souchier et Yves Jeanneret à nouveau, et l'image au sens numérique avec Marie-Anne Paveau, quand il s'agit d'une capture d'écran ou d'une photographie de texte, complexe à traiter dans le cadre de l'accessibilité mais aussi perturbante pour nos sens et qui nous renvoie à cette image bien connue...
Tableau de Magritte – Ceci n'est pas une pipe
La sémiologie avec le couple signifiant/signifié est presque un jeu à pratiquer : quels codes sont mis en œuvre, quelles références ? Quelles évidences ne le sont finalement pas ? J'ai découvert le webdesign avec Nicole Pignier, avec un petit voyage dans le temps parce que l'ouvrage qui m'a servi de base date des débuts du web... ce qu'elle y dit reste bien sûr pertinent, mais il m'a fait faire un retour dans le passé (merci archives.org !) qui permet de voir l'évolution du net.
Capture d'écran de la fin de l'animation de la page d'accueil du site Dior en 2004 à partir du site archive.org. Pour voir l'animation, cliquez ici.
J'ai connu ces interfaces qui nous semblent aujourd'hui si datées, et où la technologie reste apparente, mais le flux des pages qui défilent sous nos yeux tous les jours nous les fait oublier... Inscrire une observation d'un site dans cette histoire du web n'est pas inutile : que restera-t-il dans 10 ans de ce dont la présence nous semble indispensable et évidente aujourd'hui sur nos écrans ? Quand on réfléchit à un site en terme de robustesse, cette question est incontournable, surtout dans la visée de l'accessibilité.
J'ai aimé aussi le regard sur les sites de gestion de bases de données, avec Marie Després-Lonnet, notamment. Là, le lien avec ma pratique professionnelle d'aujourd'hui est fort, puisque je nourris la base de données du centre de documentation où je travaille, et j'essaie d'accompagner au mieux les élèves dans la manipulation de l'outil.
L'accessibilité, d'ailleurs : j'ai découvert, un peu effarée, l'inaccessibilité numérique de la plupart des sites, et je commence à développer le réflexe d'aller voir en bas de page si le site que je consulte est conforme. Je vais être désormais vigilante à mes propres pratiques, notamment en vidéo... Il semble que les choses bougent un peu, mais si on peut faire un peu pression... Je n'ai pas lu Amartya Sen, je n'en ai eu que des citations, mais son travail sur les capabilités me semble très porteur. J'ai aimé aussi l'approche de D. Chêne qui vise une accessibilité ciblée, en fonction des particularités de chacun : ne donner que les outils nécessaires pour telle particularité, sans encombrer d'outils dont on n'a que faire... Une sorte d'idéal qui peut sembler inaccessible mais qui peut servir de boussole...
Et si s'il y avait d'autres chemins à explorer ?
Vue depuis le Mont-Saint-Michel
Maintenant mon mémoire est terminé, il va bientôt être publié sur la plateforme Dumas. J'ai appris que sur le lieu de mon stage, où mon travail a été suivi avec attention, une formation sur l'accessibilité va bientôt avoir lieu... et dont la formatrice se trouve être Valérie Mansard, référente accessibilité numérique à l'ENS de Lyon, avec qui j'avais pu m'entretenir par téléphone juste avant la soutenance... C'est déjà une grande satisfaction d'avoir pu contribuer, si peu que ce fût, à cette évolution... J'ai quelques pistes à la fois pour poursuivre ma réflexion sur le sujet, et pour mettre en œuvre une médiation.
- Pour donner un cadre clair à mon projet, j'ai l'intention de créer une structure de type micro-entreprise.
- Ensuite, je compte me renseigner sur l'ergonomie du web, par les lectures de Jakob Nielsen et Bastien & Scapin, conseillées par mon jury. Cela me permettrait d'aller plus loin sur la mise en œuvre l'accessibilité numérique sur des sites, et notamment des sites avec des outils de recherche, car dans ce contexte, on sort du cadre relativement simple du texte et de l'image.
- J'aimerais axer ma réflexion sur les manuscrits : comment rendre accessible ce type de support ? Un manuscrit peut être remarquable par ses enluminures, par le texte même, par les annotations dans les marges... Qu'est-ce qui doit être rendu accessible ? Faut-il faire une mise en accessibilité globale avec accès à une transcription du texte, une traduction, un commentaire, une description de la présentation, de l'histoire ? Ou au contraire faut-il en cibler les points remarquables ? Faut-il rendre accessible le manuscrit entier, ou page par page ? Pour quel public ? Les chercheurs ? Un public de curieux ? Selon les situations, les moyens alloués, les réponses seront différentes... Mais y-a-t-il un minimum à donner systématiquement dans la visée d'une harmonisation des pratiques ?
- J'envisage de réaliser des vidéos pouvant être utilisées dans différents cadres : qu'est-ce qu'un manuscrit, quel vocabulaire est utilisé pour le décrire ? Comment fonctionne un visualiseur ? Comment peut-on identifier l'origine d'un manuscrit ?... un peu à la manière du laboratoire de l'historien de Thierry Buquet sur le site de La Lettre volée, avec un média plus actuel.
- J'ai envie de créer des pages Wikipédia sur différents “sites de chercheurs”, à commencer par la bibliothèque virtuelle du Mont-Saint-Michel. Là aussi, il faut au préalable que je me forme à l'édition dans ce contexte.
- Pourquoi pas créer ma propre plateforme de médiation...
Les pistes sont nombreuses... Je prends pour l'instant le temps de flâner et de retrouver de l'énergie, mais le désir est là de ne pas trop m'attarder et de poursuivre mon chemin... J'en profite pour remercier tous ceux qui m'ont accompagnée, mes proches, l'équipe du Pôle du Document numérique de la MRSH de Caen, ainsi que les enseignants du master qui ont impulsé en moi le désir de lectures, toujours là... J'ai déjà ouvert un nouvel espace dans mon logiciel de prise de notes : Projet – lectures...
(1) L'image est extraite du manuscrit 82 de la bibliothèque de Vendôme, folio 425.