Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

Je me souviens (1)

Je me souviens de nos premiers échanges, sur un réseau social libre et décentralisé. Je me souviens du seul mot “blues” inscrit dans ta bio, qui m'a fait lever un sourcil puis sourire, dans une sorte de divine surprise.

Je me souviens de nos bonjours, tu répondais toujours en privé, déjà le goût du secret mais je ne le savais pas.

Je me souviens du manque que j'éprouvais lorsque tu ne répondais pas rapidement à mes messages (je ne savais pas non plus que tu ne correspondais que d'un ordi, je ne savais rien de toi)

Je me souviens que je ne cherchais rien mais qu'à un moment donné, je me suis dit qu'il se passait quelque chose, là.

Je me souviens de ce sentiment de connivence, de cette convergence incroyable de points communs et je me souviens aussi que je freinais des quatre fers lorsque je me disais “serait-il possible que ?”.

Je me souviens de la première fois que j'ai entendu ta voix, à la radio. J'avais l'impression que découvrir quelqu'un d'autre.

Je me souviens de ton fou-rire en messagerie privée lorsque tu m'as demandé comment je t'imaginais physiquement et que j'ai répondu “Jeune, grand, mince et brun”.

Je me souviens que j'étais persuadée qu'il fallait cesser ce “marivaudage” entre nous parce que tu avais sans doute 20 ans de moins que moi et que ça allait être compliqué.

Puis je me souviens du message où nous avons commencé à parler de nous, de nos vies et du soulagement quand j'ai réalisé que tu n'avais que 2 ans de moins de moi !

Je me souviens de l'accélération de nos échanges, de l'urgence que nous y mettions soudain et de la joie qui m'étreignait quand tu me répondais. Je me souviens du sourire qui ne me quittait plus quand j'étais en ligne avec toi.

Je me souviendrai toute ma vie de cette émission de radio que tu enregistrée rien que pour moi et du moment précis, du lieu précis où lorsque je l'ai écoutée en replay, j'ai compris que j'étais amoureuse de toi. Je me souviens des larmes qui ont dévalé sur mes joues, bonheur, peur, incrédulité, bon sang, cela faisait si longtemps que je n'avais pas éprouvé ce qu'était l'amour...

Je me souviens du soir-même où je t'ai écrit “je crois que je t'aime et je ne sais pas que faire de ça”, tu m'as alors envoyé ton numéro de téléphone et nous avons enfin pu nous parler, on aurait deux collégiens qui s'abordent timidement.

Je me souviens de nos conversations tous les matins et tous les soirs, quand j'étais sur le chemin du boulot. Je me souviens de mon rire qui résonnait dans les rues, de la légèreté qui était la mienne et de tes mots d'amour qui devenaient ma drogue quotidienne.

Je me souviens de la première fois que tu m'as appelée “mon amour”.

Et puis je me souviens de nos projets de rencontre à Paris, “pour en avoir le cœur net”, de mon appréhension, de la culpabilité que je commençais à éprouver de mentir à mon mari, mes fils. Et de la déception mêlée de soulagement que j'ai éprouvée quand on nous annoncé le confinement et l'interdiction de se déplacer, qui mettait à terre notre rencontre pour une durée indéterminée.

Je me souviens de la difficulté que cela a été pour moi de me retrouver enfermée chez moi avec un homme que je n'aimais plus, alors que je t'aimais toi. Je me sentais prisonnière mais à distance, tu m'aidais à m'évader.

Je me souviens des combines pour m'échapper afin de te téléphoner, de l'opération “bergamote coronavirée”, des balades de nuit pour ne croiser personne au prétexte de marcher un peu, dans mon kilomètre autorisé.

Je me souviens t'avoir proposé une visio, j'en faisais toute la journée dans mon bureau du fond du couloir alors pourquoi pas. Je me souviens que nous l'avons faite la veille du jour où nous devions nous rencontrer pour de vrai à Paris, pour conjurer le sort.

Je me souviens du moment où ton visage est apparu, je me souviens de ton relatif silence en voyant le mien, tu m'as dit plus tard que j'étais tellement belle que ça t'avait coupé le souffle (n'importe quoi). Et je me souviens qu'on en a fait régulièrement ensuite, quand les conditions s'y prêtaient.

Je me souviens de nos longues conversations à voix basse, de tout ce que nous sommes dit, de la découverte de ton histoire et toi de la mienne, je me souviens de cet amour, de notre amour qui a grandi de jour en jour alors que la moitié de l'humanité était confinée.

Je me souviens de tes doutes, aussi, des jours où tu ne te sentais pas “à la hauteur”, où tu te demandais si je ne devrais pas plutôt retourner à ma vie parce que tu n'avais rien à m'offrir (quelle vaste blague, tu m'as offert bien plus que mon ex en plus de 30 ans).

Je me souviens de larmes, parfois mais aussi et surtout de messages enflammés qui nous consumaient de désir.

Je me souviens m'être inquiétée pour toi parce que cet amour prenait toute la place dans ta vie confinée et que je craignais que si quelque chose tournait mal, cela ne finisse par te démolir.

Je me souviens du mois de mai, radieux et plein de nuages en même temps, de nos hésitations sur la suite et de notre rupture, qui m'a laissée le cœur déchiré en deux, à tel point que je me suis dit tout de suite qu'il n'était pas possible de passer à côté d'un amour pareil, quel qu'en soit le prix. Je me souviens t'avoir immédiatement relancé et persuadé que cela ne pouvait pas s'arrêter comme ça.

Je me souviens qu'alors que je savais pas si l'histoire était finie ou non, tu m'as envoyé un message pour me dire que tu avais réservé un billet de train pour venir me voir, maintenant que le confinement se levait petit à petit et je me souviens de mon cœur qui a raté quelques battements.

Je me souviens de l'attente de notre première rencontre, j'étais conquise et conquérante, sûre désormais d'avoir fait le bon choix.

Et puis je me souviens de ta silhouette sur la place des Archives, de ton sourire quand tu m'as vue arriver. Je me souviens.

(à suivre)

Ci-gît l'amour

Serai-je capable un jour d'écrire sur ce journal sans pleurer toutes les larmes de mon corps ? Je le pense, oui, mais ce ne sera sans doute pas aujourd'hui. Je pleure moins souvent, ce sont souvent juste des larmes qui restent en bordure de paupière, juste un sanglot dans la voix que j'ai appris à maitriser, la plupart du temps. Parfois, si je suis seule ou alors cachée (comme dans l'obscurité d'une salle de concert, par exemple), les larmes dévalent en silence mes joues où elles sèchent seules, en restant inaperçues aux yeux des autres.

Il me semble qu'il y a longtemps que je n'ai pas parlé d'amour ici. Ou alors j'en parle tout le temps, je ne sais plus.

L'absence de mon amoureux est devenue une compagne familière. Je me fais à l'idée, il ne sera plus jamais là. J'ai passé un long moment ce week-end à nettoyer son ordinateur qui va être donné à quelqu'un, l'occasion d'une rétrospective globale sur sa vie, en mettant de côté les photos, les musiques qu'il aimait, des écrits perso que je découvre (il ne me les avait jamais fait lire). Je supprime également les comptes qu'il avait en ligne et qu'il n'utilisera plus. Je fais ça proprement, méthodiquement, comme il l'aurait fait aussi, soucieux de ne pas laisser plus de traces qu'il n'en faut. Me restent deux disques durs externes et un nombre incalculable de clés USB qui vont aller rejoindre la valise des souvenirs de lui que j'ai constituée. Un jour peut-être, je les formaterai, mais pas tout de suite.

J'ai commencé à refaire la déco du bureau, qui me le rappelait trop. J'ai épuré les affichages, mis de nouvelles choses, histoire de changer d'air. Seule la photo de nous deux est restée à sa place. C'est la seule photo où nous sommes côte à côte, heureux, alors que nous randonnions en Bretagne. La seule photo de nous deux.

Bien sûr, son corps me manque. Son odeur, sa douceur, ses baisers, ses caresses. Évidemment. Mais je crois que ce qui me manque le plus de lui, c'est son amour. Moi, je l'aime encore, de cet amour incroyable qu'on a pour les gens qui sont partis et qui ne cesse de m'étonner, jour après jour (comment une telle chose est-elle possible ? aimer après la mort, vraiment ? mais oui !) Cependant, cet amour est désormais à sens unique et ce qu'il me renvoyait, dans la relation extraordinaire qui était la nôtre, me manque terriblement. Je ne suis plus aimée de lui, et cela crée un vide immense qui m'aspire parfois toute entière. Le regard qu'il portait sur moi, la confiance en moi qu'il m'avait rendue, le sentiment d'être puissante, invincible, irrésistible car passionnément aimée, tout cela s'est effacé petit à petit avec le deuil. J'essaie de ne pas oublier ce sentiment que me procurait cet amour, cette sécurité, cette assurance et j'essaie aussi de me dire que je dois les garder, en mémoire de lui mais ce n'est pas encore évident.

Pour la première fois en plus de 40 ans, je dois exister sans l'amour d'un homme. Et bien sûr que je vais y arriver mais quel manque, quelle perte... Je crois que je ne pensais pas que ce serait cela qui serait le plus difficile.

Que viennent les beaux jours...

Je ne sais plus quoi écrire ici que je n'ai pas déjà répété mille fois. On ne peut pas dire que je vais mieux, mais je ne vais pas plus mal non plus. La vie continue, avec ses hauts et ses bas, ses promesses et ses incertitudes. Je suis toujours un peu perdue, avec cette impression presque constante de vivre à côté du monde (ce qui n'est pas plus mal en ce moment).

Après quelques mois, je comprends tellement mieux ce qu'écrivait Joan Didion dans “L'année de la pensée magique”... Effectivement, comme elle, je pense encore parfois que la mort de mon amoureux n'est pas arrivée, qu'il va revenir. Cela parait incroyable, dit comme ça, mais il y a tellement de petits moments où cette pensée me traverse ! Ce peuvent être des moments du quotidien ou bien encore des moments professionnels, peu importe, je secoue la tête en me disant intérieurement que ce n'est pas possible que ce soit arrivé.

Il y a bien sûr beaucoup d'autres moments où sa disparition est intégrée. J'ai l'impression de moins souvent lui parler à voix haute, je me sens moins seule quand je dîne à la cuisine ou quand je remets seule cette foutue housse de couette qui ne va jamais comme je voudrais.

Et puis il y a eu, la semaine dernière, le moment incroyable où j'ai reçu, après des mois de bagarre et de relances, son assurance-vie. Celle qu'il avait pris le soin de mettre à mon nom, dès les premières semaines de notre rencontre, il y a 5 ans. Cela a été comme un signe de lui, par-delà la mort, un cadeau d'une infinie générosité au moment-même où je commençais à regarder les petites annonces immobilières pour chercher un nouveau nid. Je suis très bien dans cet appartement mais chaque soir, au retour du boulot, chaque week-end, chaques vacances, la présence de ce fantôme se fait sentir, au point que je m'échappe dès que je dois passer plusieurs jours d'affilée chez moi, pour ne pas sombrer dans la déprime. Je ne parle pas de fantôme réel mais juste du souvenir de mon amoureux dans ces murs, du bonheur qui a été le nôtre ici, de la construction de notre vie ensemble, tout s'est joué là. Sans parler de la cuisine dans laquelle il est mort et dans laquelle je ne peux m'empêcher de scruter le sol et la mémoire de ce terrible matin d'août, chaque jour... Chaque. Jour.

J'ai donc l'impression d'aller un peu de l'avant, tout en n'étant toujours pas redevenue celle que j'étais (mais le redeviendrai-je jamais ? Il est à peu près certain que non), tout en cherchant encore l'issue de ce chagrin qui continue de me terrasser, de préférence aux moments où j'y pense le moins.

Les jours s'allongent. Les oiseaux recommencent à chanter, l'estragon a refait des pousses dans la jardinière sur le balcon. On va vers les beaux jours et je ne peux m'empêcher de penser que c'est aussi le cas pour moi, tout doucettement. J'ai survécu à l'hiver, au manque de lumière, au froid et à la neige, aux souvenirs sombres de mes amours perdues. Que vienne le printemps, je suis prête à l'accueillir, pas vaillante mais toujours là.

Une vie pour une vie

Depuis cette nuit, je suis grand-mère. Je n'arrive pas encore à réaliser, même si j'ai eu de longs mois pour m'y préparer. Et je repense, depuis la nouvelle arrivée sur mon téléphone accompagnée d'une jolie photo, à cette phrase d'une de mes amies de lycée qui avait perdu son grand-père un été où nous voyagions ensemble : “Une vie pour une vie”. Son grand-père était mort mais une petite cousine était née presque en même temps.

Mon amoureux est mort et ma petite-fille est née 6 mois plus tard. Une vie pour une vie.

C. ne remplacera évidemment pas mon amoureux, personne ne pourra le faire. Elle m'aidera peut-être en revanche à reconstruire le lien défait avec mon fils aîné, depuis mon départ et mon divorce, qu'il a eu du mal à encaisser. Comme pour le deuil, cela prendra du temps. Et puis je me sens si peu mère, depuis le début et encore moins depuis ma séparation d'avec mon ex-mari et la brouille avec mes fils, que je me demande si et quand je me sentirai (ne serait-ce qu'un peu) grand-mère.

Je ressens néanmoins un authentique bonheur et une certaine fierté à l'annonce de cette naissance. Cette petite fille est un nouveau maillon de la famille, une promesse d'avenir. Dans quelques années, elle serait sûrement tombée sous le charme de mon amoureux qui déclarait détester les enfants mais qui avait un véritable don pour les apprivoiser. Elle n'aura hélas pas la chance de le connaître mais elle aura bien d'autres choses à vivre. Que son existence soit longue et lumineuse.

Encore et toujours

J'ai enfin rêvé de mon amoureux, un rêve où je le voyais, et même un rêve dans lequel je le prenais dans mes bras. Cela fait maintenant presque 6 mois que j'attendais ce moment et ces deux rêves sont arrivés coup sur coup, à quelques jours d'intervalle, balayant les certitudes que je commençais à avoir sur le deuil. Tout recommencer, encore.

Enfin, pas tout, non. C'est un peu ce que m'a dit la psy que je suis finalement retournée voir pour parler de ces loopings émotionnels qui m'épuisent. Je ne recommence pas tout, je passe à de nouvelles phases, et je fais du lien avec mon amoureux, à travers ces rêves, ce qui est pour elle plutôt bon signe.

Les deux rêves de la semaine dernière avaient lieu dans des transports en commun et dans une foule. La vie serait un voyage ou un chemin dont mon amoureux serait descendu trop vite, trop tôt, mais je l'ai vu souriant, les deux fois. Il me regardait avec amour et malice, il n'a jamais prononcé un mot mais ce sourire valait tous les discours du monde. Comme dans les messages qu'il laissait sur mon répondeur, il est là, il me regarde et il m'aime, pour toujours.

Avoir enfin rêvé de lui, l'avoir revu quelques secondes dans mon cerveau endormi ne m'a finalement apporté aucune joie, ni aucun soulagement. Une petite frustration et un grand désarroi. Peut-être parce que je n'ai pas eu le temps de lui parler, de lui dire combien il me manque et combien je regrette de ne pas lui avoir dit une dernière fois que je l'aimais avant qu'il ne s'éteigne.

Mais comme l'a dit la psy, ce sont aussi des rêves qui laissent entendre ma volonté de le laisser partir. Pour l'instant, c'est peut-être trop tôt, je suis tiraillée entre ce désir et celui de le garder contre moi, le plus longtemps possible. Et c'est ça le deuil, aussi. Cet écartèlement entre le chagrin de la perte et le souhait de continuer à avancer. J'en suis toujours là, encore et toujours et il est possible que ça dure quelques mois encore.

Cette semaine, cela fera la moitié d'une année qu'il est mort. Très sincèrement, je souffre comme s'il était parti il y a quelques jours à peine. Il me manque comme s'il était parti il y a quelques jours à peine. Et je l'aime comme s'il était encore vivant. C'est le truc le plus fou qui me soit jamais arrivé. Parfois, quand j'y pense, mon cerveau a comme un bug interne, je me dis que je suis ravagée. Mais en fait, en l'écrivant, c'est évident : je l'aime comme s'il était encore vivant parce que son souvenir l'est, parce qu'il est en moi, dans mon cœur, dans ma peau, vivant comme jamais, vivant pour toujours.

[Message de service : je me rends compte que je me répète beaucoup, depuis le début. C'est parce que j'écris vraiment au feeling, en suivant les sujets qui me tracassent ou m'interrogent, quand ils viennent. Mais c'est aussi parce que je ne me relis jamais ou au mieux, la note précédente parce qu'elle s'affiche quand j'ouvre cette page. De même, je n'ai jamais consulté les statistiques de lecture et lorsqu'à la faveur d'un message, j'ai découvert que j'étais lue bien au-delà du petit cercle fédiversien que je pensais, cela a été un petit choc. Pour autant, cela ne changera rien à ma façon d'écrire, très intuitive et maladroite. J'écris surtout pour moi, pour coucher sur l'écran les pensées qui me traversent suite à ce deuil qui a bouleversé ma vie. Mais les échanges que j'ai pu avoir avec certaines et certains sur Mastodon m'ont aussi aidée dans ce cheminement. Alors merci à vous qui lisez, en silence ou pas et pardon pour les bégaiements...]

Et après... ?

C'est une question qui me traverse l'esprit souvent, depuis que mon amoureux est mort : où est-il, maintenant ?

Je l'ai déjà dit ici, j'ai été élevée dans la foi catholique et une famille pratiquante. Quand j'étais petite, je croyais dur comme fer au paradis ou tout du moins à une autre vie après la mort. En grandissant, ça s'est transformé un peu. J'ai connu quelques décès familiaux à l'adolescence et je pensais que les disparus étaient là, qu'ils pouvaient tout voir, tout entendre, même mes bêtises, même ce que je faisais dans l'intimité. Cela ne me faisait pas peur, cela ne me dérangeait pas, je ne me “cachais” pas d'eux, ils étaient là, c'était comme ça. De temps en temps, cette idée me revenait en tête, mes morts me voyaient grandir, devenir adulte, me mettre en couple, construire ma vie. Ils savaient tout.

Puis j'ai cessé de penser à tout ça, probablement parce que j'ai eu la chance de ne plus connaître de décès autour de moi pendant assez longtemps. Quand ma grand-mère paternelle est décédée, dernière de mes grands-parents et de sa génération, j'étais enceinte de mon premier enfant. J'ai eu de la peine qu'elle ne le connaisse pas mais je ne l'ai jamais imaginée autour de moi, comme je le faisais à l'adolescence, j'avais d'autres soucis et plus trop d'états d'âme sur les questions métaphysiques.

Il y a belle lurette que j'ai pris mes distances avec la religion en tant qu'institution, je ne vais plus à la messe, même pour Noël. Pour autant, je n'ai pas abandonné une certaine forme de foi, je pense. Je suis incapable de la caractériser : c'est probablement plus une forme de mysticisme qu'autre chose. Je maudis souvent les religions qui selon moi, privent l'Homme de son libre-arbitre mais, du fait de cette éducation que j'ai reçue, je garde le plus grand respect pour les gens qui croient et qui pratiquent leur foi, quelle qu'elle soit, de manière sincère. J'aime la paix des églises, les chants religieux m'émeuvent plus que de raison et je n'ai aucun mal à comprendre pourquoi certaines et certains choisissent de se retirer du monde pour prier.

Mon amoureux se fichait pas mal de tout ça. Quand il était petit, ses parents lui avaient donné le choix entre le catéchisme et le foot, il avait évidemment choisi le foot ! Mais sa maman lui avait offert (à quel moment, je ne le sais pas, je ne l'ai pas connue) un chapelet et je l'ai retrouvé dans ses affaires, récemment. Plié dans un petit sachet en organza, avec le “Je vous salue Marie” écrit de son écriture à lui, comme pour ne pas oublier.

Le jour de sa mort, j'ai été amenée à entrer en contact avec son père que je n'avais jamais vu ni entendu car ils étaient fâchés depuis plus de 10 ans. Et il a commencé à me parler des obsèques, à me demander ce qu'il convenait de faire. Il n'y avait pas 2 heures que son fils était mort et je n'avais aucune idée sur la question, encore hébétée par la violence de cette disparition brutale. En un sens, le fait qu'il y ait une autopsie m'a donné le temps de réfléchir et de faire valoir ce qui me semblait bien, à moi, à savoir ne pas enfermer l'urne contenant ses cendres dans un caveau à l'autre bout de la France (mon amoureux était un peu claustro...)

Quand j'ai reçu les messages de condoléances qui ont afflué les semaines suivantes, certaines personnes m'ont dit qu'elles l'avaient confié à “plus grand que nous”, qu'elles priaient pour lui, ou pour moi, que “là où il était”, il continuait à veiller sur moi. Cette petite phrase ne cesse de trotter dans ma tête, encore maintenant.

Là où il est. D'accord, mais où est-il ? J'ai eu une phase de quelques jours, juste après sa mort, où j'ai physiquement senti sa présence auprès de moi, sa main sur mon épaule quand je marchais. Puis j'ai eu une longue période où je me suis dit qu'il était dans ce petit bois où nous avons dispersé ses cendres, derrière chez moi. J'y suis allée régulièrement pour lui parler à voix haute, pour pleurer aussi, beaucoup. Et il y a eu les moments terribles où il n'était nulle part, parce qu'on m'avait menti toute ma vie. Quand on est mort, on n'est plus, point barre et ceux qui prétendent le contraire sont des naïfs, des peureux, des lâches qui essaient de embrouiller avec des superstitions à la con pour qu'on ait moins peur de notre propre mort. Aujourd'hui, presque 6 mois après son décès, je suis plus apaisée sur cette question. Certains jours, quand je suis en colère, je lui dis que je vais arrêter de lui parler parce que de toute façon, il n'est nulle part pour m'écouter. Mais la plupart du temps, je me dis qu'il est là, un peu à la manière des morts de mon enfance, il est partout où je suis, comme disait Victor Hugo.

Il est dans ces accords de guitare qui résonnent dans la voiture, il est dans la bouchée de dessert que je savoure en pensant à lui, il est dans le vent qui souffle dehors et qui caresse mon visage, il est là dans le hululement de la chouette qui sort toujours les jours où il me manque, il est là dans les larmes qui dévalent mes joues alors que j'écris ici, il est là dans le sourire de mes élèves, il est là dans mes choix et mes indécisions, il est là à sa façon.

Il n'est évidemment pas là comme j'aimerais qu'il soit, en chair et en os, en rires et en mots, en baiser et en caresses mais il est là, de l'autre côté de moi-même et peut-être qu'il sera là pour le reste de ma vie. Et peut-être que c'est ça, l'au-delà.

Un monde silencieux

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer plusieurs fois le sentiment de vide survenu après la disparition de mon amoureux. Il remplissait ma vie, de plein de façons différentes et son absence est en elle-même douloureuse.

C'est qu'il prenait de la place, cet homme ! Pas tant dans sa corpulence (je prends plus de place que lui) que dans sa façon de vivre, de parler, de bouger, de réfléchir. Il parlait fort (mais détestait que les autres le fassent, ça lui cassait les oreilles), vite, souvent. Sa pensée sautait du coq à l'âne sans cesse et ses paroles aussi, ce qui a souvent été cause de fous-rires parce que je ne suivais pas toujours... Nous nous retrouvions souvent bien loin du point de départ de notre conversation mais il se faisait toujours un point d'honneur de remonter à la source des bifurcations. Son débit de parole était toujours proportionnel à son enthousiasme, c'est-à-dire rapide et j'ai remarqué, lors de ses conversations téléphoniques avec des collègues ou stagiaires, qu'il laissait parfois peu de place à la parole de l'autre. Tout à coup, il s'en rendait compte et écoutait religieusement, avec une attention incroyable, comme si sa vie en dépendait. De temps en temps, il se mettait à chanter et à esquisser quelques pas chaloupés, lui qui avait horreur de danser. Et quand c'était trop calme à son goût, il se ruait sur moi pour me chatouiller pour j'en hurle de rire.

Bref, c'était un personnage intense, quoi qu'il ait toujours dit le contraire. Un homme plein de vie, de joie, d'humour et ... de bruit (je ne parle même pas de la musique, du blues entre autres, qui était le terreau de sa passion)

Autant vous dire que sans lui, je trouve la vie d'une fadeur inouïe, d'un calme inquiétant et d'un silence pesant. Depuis qu'il n'est plus là, je me remise à écouter la radio, ce que nous ne faisions plus (pas besoin, il me commentait les nouvelles mieux que personne et ses playlists étaient extraordinaires) et parfois, quand je mange, seule, à la cuisine, ce silence me trouble et m'ennuie. Alors je mets de la musique, je parle tout haut aussi (à lui, évidemment).

Il y a bien la télé de la vieille dame du dessus, les apéros joyeux chez les voisins d'à côté, les souffleuses à feuilles dans la rue, les mésanges qui pépient sur mon balcon dans la mangeoire à oiseaux mais ma vie est tout de même tombée dans un silence qui m'étouffe.

Comment te dire adieu

Je ne vais plus chez la psy, écrire ici me convient mieux et me semble plus utile, ainsi que les retours que je reçois parfois, via Mastodon. Le partage d'expériences, les commentaires des autres m'aident à avancer sur ce chemin interminable et vallonné qu'est le deuil.

Cette nuit, j'ai rêvé de mon amoureux. Une fois de plus, bien que le rêve soit très réaliste et très scénarisé, il était là mais je ne le voyais pas. Nous étions très amoureux et entourés par ma famille, à l'occasion d'une fête quelconque et nous attendions le moment béni où nous pourrions nous retrouver, rien que tous les deux, pour nous aimer, loin du regard des autres. C'était un rêve très doux, très tendre, plein d'amour et de complicité, de désir aussi.

En me réveillant, j'ai été frustrée qu'encore une fois, il ait été là sans que je le voie. Une simple présence mais pas d'image. Je rêve beaucoup, de tout le monde sur Terre mais lui, je ne vois jamais, en tout cas, pas depuis qu'il est mort. Cela m'agace profondément.

Et puis j'ai réfléchi sur le sens de tout ça, sur cette “présence” sans corps et tout à coup, entre deux tartines, m'est revenu le souvenir d'une série vue récemment, dans laquelle un personnage disait qu'il aurait donné tout ce qu'il avait pour revoir, ne serait-ce que quelques secondes son amour décédé 11 ans auparavant. J'avais ressenti exactement la même chose : je donnerais n'importe quoi pour revoir mon amoureux, au moins une fois. J'ai alors réfléchi, pourquoi ? La réponse est arrivée presque instantanément : pour pouvoir lui dire adieu, correctement et lui dire une dernière fois tout l'amour que j'ai pour lui et à quel point il va me manquer.

Ce matin d'août, j'étais là, avec lui, je l'ai accompagné jusqu'à son dernier souffle mais je n'ai pas prononcé ces mots, parce qu'à aucun moment je n'ai pensé qu'il allait mourir ! J'ai cru, avec l'optimisme et la candeur qui est la mienne que les pompiers allaient le réanimer, qu'il allait à nouveau respirer et qu'il s'en sortirait, que ce n'était pas si grave, que ce n'était qu'un malaise. Je n'ai même pas essayé de le “retenir”, de le frapper pour qu'il reste conscient. Je ne lui ai même pas dit “Ne meurs pas, je t'interdis de me laisser!”. J'étais tellement certaine qu'ils allaient le sauver que je m'étais habillée, j'avais pris ses papiers dans mon sac pour pouvoir l'accompagner, en hélicoptère s'il le fallait. Quand le médecin du SAMU m'a annoncé que c'était fini et qu'ils n'avaient pas réussi, j'ai eu un moment de totale sidération, quelques secondes pendant lesquelles ce qu'il venait de dire a frayé un chemin à travers mes neurones, a démoli mes certitudes et les barrières que je m'étais construites avant de m'exploser dans la tête. Mes pleurs sont devenus cris, je me suis effondrée mais il a fallu quelques secondes.

Après les prélèvements et le départ du SAMU, pendant que mon amoureux était allongé dans la cuisine, sous un drap, dans la chaleur de cette matinée, la gendarme m'a dit que je pouvais aller lui dire au revoir, si je voulais. Je n'attendais que ça, je n'avais pas encore osé demander, je n'étais pas sûre de ma réaction. Elle m'a accompagnée, a soulevé le drap sur le haut de son corps et nous a laissés, en fermant la porte. Je me suis assise par terre, à côté de lui. Je l'ai touché, je lui ai parlé à voix haute un petit moment, je lui ai dit que je l'aimais et je lui ai dit adieu avant de l'embrasser, sur la bouche. Il était encore chaud, je me souviens bien, je l'ai caressé, je me suis serrée contre lui.

Il y a eu plus tard deux temps de cérémonies funéraires, pendant lesquels je lui ai parlé et redit adieu. Alors pourquoi ce sentiment de ne pas avoir dit ce qu'il fallait ? Pourquoi ces adieux n'ont-t-ils pas suffi ? Parce que je ne croyais pas vraiment qu'il était mort, parce que j'étais dans la sidération ? Et aujourd'hui, 5 mois plus tard, suis-je plus à même de lui re-re-dire cet adieu, suis-je plus consciente de sa mort, l'ai-je définitivement bien intégrée ? Certains jours, je me pose honnêtement la question...

“Apprivoiser l'ombre”

Lors de la cérémonie d'hommage qui fut rendue à mon amoureux, début septembre, j'ai lu ce poème de René-Guy Cadou :

Pour apprivoiser l'ombre Il me suffit d'un arbre

Pour approuver le vent Il me suffit d'une herbe

D'un souvenir Pour que le ciel s'éclaire

De ton regard Pour donner sens au monde

Alors, comment ça se passe pour moi, maintenant qu'il n'est plus là, que je n'ai plus son regard pour donner sens au monde ?

Les lignes bougent, imperceptiblement. Le chagrin ne m'étouffe plus constamment, il y a des moments où je me sens bien et où j'intègre complètement la solitude qui est désormais la mienne. Il y a des jours sans larmes, ou alors juste un petit sanglot refoulé qui vient mourir à la surface de mes yeux, un petit tremblement dans ma voix quand je parle de lui.

J'arrive à revivre sans drame ce moment terrible, ce petit matin d'août qui a bouleversé ma vie telle que je la connaissais et qui a dévasté les mois qui ont suivi. Par contre, j'ai toujours du mal à comprendre comment j'ai pu assister à cela sans m'effondrer complètement, le jour J. Il faut croire que j'ai trouvé en moi les ressources nécessaires.

Je n'ai toujours pas acheté de calendrier 2025 mais ce n'est pas un blocage psychologique, c'est juste que je ne l'ai pas fait, c'est tout. Après ces deux jours que j'ai passés à pleurer en continu sur mon malheur, sur l'insoutenable perte, j'ai, semble-t-il, tourné une page symbolique qui me permet d'envisager un avenir.

J'ai rassemblé les objets que je souhaite garder de lui ainsi que des papiers, des photos, le livre d'or de la cérémonie, le calendrier 2024 et j'ai tout mis dans une jolie valise en carton, ma valise de lui, mon kit du souvenir, celle que je pourrai ouvrir quand j'aurai envie de le retrouver un peu. Ce geste très banal m'a permis de franchir un nouveau cap : celui de m'autoriser à envisager la suite de ma vie sans lui.

Ce n'est pas facile tout le temps et je sais que je ne suis pas à l'abri de nouveaux tours de montagnes russes du chagrin mais voilà, il y a des jours où je peux, sans pleurer, sans m'effondrer, penser à demain sans lui et c'est doux. C'est doux parce que je sais que c'est ce qu'il aurait voulu, lui qui m'aimait tellement et qui ne souhaitait qu'une chose : que je sois heureuse. Je ne le suis plus depuis qu'il est parti mais ça reviendra, je le crois. Il le faudra, pour lui.

Je suis en train d'apprivoiser l'ombre.

Ce qui me manque de lui (2)

  • La douceur incroyable de sa peau de bébé (il était roux et ne se mettait jamais au soleil)
  • Quand il dégainait son peigne à barbe, mille fois par jour à peu près (j'en retrouve encore des poils dans un tiroir de la salle de bains, 5 mois plus tard)
  • Sa concentration extrême quand il regardait un film ou une série, rien ne pouvait le distraire, même pas moi
  • Ses baisers, bien sûr, d'une douceur absolue, d'une tendresse infinie, les plus doux que j'aie jamais reçus de toute ma vie
  • Sa manie de placer des citations de film dans le quotidien, tout le temps (puis de refaire tout le dialogue, dans la foulée)
  • Son appétit pour la bonne chère (c'était un bonheur de le regarder manger, de cuisiner pour lui), sa soif pour les bonnes bouteilles, la vie
  • Les petits mots griffonnés sur le bloc-note pour les courses, quand il partait le matin avant que je me lève (je les ai tous gardés, dans une enveloppe), pour me souhaiter une bonne journée et me dire qu'il m'aimait
  • Quand il prenait tout à coup sa “voix de radio” pour me faire fondre
  • La façon qu'il avait de s'intéresser aux gens avec lesquels il parlait, dans un rapport toujours sincère et ouvert
  • Quand il venait se coller contre moi, dans mon dos, sous la couette, ma bouillotte naturelle
  • Qu'il me dise tous les jours, au moins une fois, qu'il m'aimait, pour toujours...

Il me manque, tellement, tellement fort. J'ai l'impression de sortir un peu la tête de l'eau ces derniers jours et quand je sens le chagrin pointer son nez, je repense à ses mots : “Je t'aime, Céline, ne l'oublie jamais”.