Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

Une vie pour une vie

Depuis cette nuit, je suis grand-mère. Je n'arrive pas encore à réaliser, même si j'ai eu de longs mois pour m'y préparer. Et je repense, depuis la nouvelle arrivée sur mon téléphone accompagnée d'une jolie photo, à cette phrase d'une de mes amies de lycée qui avait perdu son grand-père un été où nous voyagions ensemble : “Une vie pour une vie”. Son grand-père était mort mais une petite cousine était née presque en même temps.

Mon amoureux est mort et ma petite-fille est née 6 mois plus tard. Une vie pour une vie.

C. ne remplacera évidemment pas mon amoureux, personne ne pourra le faire. Elle m'aidera peut-être en revanche à reconstruire le lien défait avec mon fils aîné, depuis mon départ et mon divorce, qu'il a eu du mal à encaisser. Comme pour le deuil, cela prendra du temps. Et puis je me sens si peu mère, depuis le début et encore moins depuis ma séparation d'avec mon ex-mari et la brouille avec mes fils, que je me demande si et quand je me sentirai (ne serait-ce qu'un peu) grand-mère.

Je ressens néanmoins un authentique bonheur et une certaine fierté à l'annonce de cette naissance. Cette petite fille est un nouveau maillon de la famille, une promesse d'avenir. Dans quelques années, elle serait sûrement tombée sous le charme de mon amoureux qui déclarait détester les enfants mais qui avait un véritable don pour les apprivoiser. Elle n'aura hélas pas la chance de le connaître mais elle aura bien d'autres choses à vivre. Que son existence soit longue et lumineuse.

Encore et toujours

J'ai enfin rêvé de mon amoureux, un rêve où je le voyais, et même un rêve dans lequel je le prenais dans mes bras. Cela fait maintenant presque 6 mois que j'attendais ce moment et ces deux rêves sont arrivés coup sur coup, à quelques jours d'intervalle, balayant les certitudes que je commençais à avoir sur le deuil. Tout recommencer, encore.

Enfin, pas tout, non. C'est un peu ce que m'a dit la psy que je suis finalement retournée voir pour parler de ces loopings émotionnels qui m'épuisent. Je ne recommence pas tout, je passe à de nouvelles phases, et je fais du lien avec mon amoureux, à travers ces rêves, ce qui est pour elle plutôt bon signe.

Les deux rêves de la semaine dernière avaient lieu dans des transports en commun et dans une foule. La vie serait un voyage ou un chemin dont mon amoureux serait descendu trop vite, trop tôt, mais je l'ai vu souriant, les deux fois. Il me regardait avec amour et malice, il n'a jamais prononcé un mot mais ce sourire valait tous les discours du monde. Comme dans les messages qu'il laissait sur mon répondeur, il est là, il me regarde et il m'aime, pour toujours.

Avoir enfin rêvé de lui, l'avoir revu quelques secondes dans mon cerveau endormi ne m'a finalement apporté aucune joie, ni aucun soulagement. Une petite frustration et un grand désarroi. Peut-être parce que je n'ai pas eu le temps de lui parler, de lui dire combien il me manque et combien je regrette de ne pas lui avoir dit une dernière fois que je l'aimais avant qu'il ne s'éteigne.

Mais comme l'a dit la psy, ce sont aussi des rêves qui laissent entendre ma volonté de le laisser partir. Pour l'instant, c'est peut-être trop tôt, je suis tiraillée entre ce désir et celui de le garder contre moi, le plus longtemps possible. Et c'est ça le deuil, aussi. Cet écartèlement entre le chagrin de la perte et le souhait de continuer à avancer. J'en suis toujours là, encore et toujours et il est possible que ça dure quelques mois encore.

Cette semaine, cela fera la moitié d'une année qu'il est mort. Très sincèrement, je souffre comme s'il était parti il y a quelques jours à peine. Il me manque comme s'il était parti il y a quelques jours à peine. Et je l'aime comme s'il était encore vivant. C'est le truc le plus fou qui me soit jamais arrivé. Parfois, quand j'y pense, mon cerveau a comme un bug interne, je me dis que je suis ravagée. Mais en fait, en l'écrivant, c'est évident : je l'aime comme s'il était encore vivant parce que son souvenir l'est, parce qu'il est en moi, dans mon cœur, dans ma peau, vivant comme jamais, vivant pour toujours.

[Message de service : je me rends compte que je me répète beaucoup, depuis le début. C'est parce que j'écris vraiment au feeling, en suivant les sujets qui me tracassent ou m'interrogent, quand ils viennent. Mais c'est aussi parce que je ne me relis jamais ou au mieux, la note précédente parce qu'elle s'affiche quand j'ouvre cette page. De même, je n'ai jamais consulté les statistiques de lecture et lorsqu'à la faveur d'un message, j'ai découvert que j'étais lue bien au-delà du petit cercle fédiversien que je pensais, cela a été un petit choc. Pour autant, cela ne changera rien à ma façon d'écrire, très intuitive et maladroite. J'écris surtout pour moi, pour coucher sur l'écran les pensées qui me traversent suite à ce deuil qui a bouleversé ma vie. Mais les échanges que j'ai pu avoir avec certaines et certains sur Mastodon m'ont aussi aidée dans ce cheminement. Alors merci à vous qui lisez, en silence ou pas et pardon pour les bégaiements...]

Et après... ?

C'est une question qui me traverse l'esprit souvent, depuis que mon amoureux est mort : où est-il, maintenant ?

Je l'ai déjà dit ici, j'ai été élevée dans la foi catholique et une famille pratiquante. Quand j'étais petite, je croyais dur comme fer au paradis ou tout du moins à une autre vie après la mort. En grandissant, ça s'est transformé un peu. J'ai connu quelques décès familiaux à l'adolescence et je pensais que les disparus étaient là, qu'ils pouvaient tout voir, tout entendre, même mes bêtises, même ce que je faisais dans l'intimité. Cela ne me faisait pas peur, cela ne me dérangeait pas, je ne me “cachais” pas d'eux, ils étaient là, c'était comme ça. De temps en temps, cette idée me revenait en tête, mes morts me voyaient grandir, devenir adulte, me mettre en couple, construire ma vie. Ils savaient tout.

Puis j'ai cessé de penser à tout ça, probablement parce que j'ai eu la chance de ne plus connaître de décès autour de moi pendant assez longtemps. Quand ma grand-mère paternelle est décédée, dernière de mes grands-parents et de sa génération, j'étais enceinte de mon premier enfant. J'ai eu de la peine qu'elle ne le connaisse pas mais je ne l'ai jamais imaginée autour de moi, comme je le faisais à l'adolescence, j'avais d'autres soucis et plus trop d'états d'âme sur les questions métaphysiques.

Il y a belle lurette que j'ai pris mes distances avec la religion en tant qu'institution, je ne vais plus à la messe, même pour Noël. Pour autant, je n'ai pas abandonné une certaine forme de foi, je pense. Je suis incapable de la caractériser : c'est probablement plus une forme de mysticisme qu'autre chose. Je maudis souvent les religions qui selon moi, privent l'Homme de son libre-arbitre mais, du fait de cette éducation que j'ai reçue, je garde le plus grand respect pour les gens qui croient et qui pratiquent leur foi, quelle qu'elle soit, de manière sincère. J'aime la paix des églises, les chants religieux m'émeuvent plus que de raison et je n'ai aucun mal à comprendre pourquoi certaines et certains choisissent de se retirer du monde pour prier.

Mon amoureux se fichait pas mal de tout ça. Quand il était petit, ses parents lui avaient donné le choix entre le catéchisme et le foot, il avait évidemment choisi le foot ! Mais sa maman lui avait offert (à quel moment, je ne le sais pas, je ne l'ai pas connue) un chapelet et je l'ai retrouvé dans ses affaires, récemment. Plié dans un petit sachet en organza, avec le “Je vous salue Marie” écrit de son écriture à lui, comme pour ne pas oublier.

Le jour de sa mort, j'ai été amenée à entrer en contact avec son père que je n'avais jamais vu ni entendu car ils étaient fâchés depuis plus de 10 ans. Et il a commencé à me parler des obsèques, à me demander ce qu'il convenait de faire. Il n'y avait pas 2 heures que son fils était mort et je n'avais aucune idée sur la question, encore hébétée par la violence de cette disparition brutale. En un sens, le fait qu'il y ait une autopsie m'a donné le temps de réfléchir et de faire valoir ce qui me semblait bien, à moi, à savoir ne pas enfermer l'urne contenant ses cendres dans un caveau à l'autre bout de la France (mon amoureux était un peu claustro...)

Quand j'ai reçu les messages de condoléances qui ont afflué les semaines suivantes, certaines personnes m'ont dit qu'elles l'avaient confié à “plus grand que nous”, qu'elles priaient pour lui, ou pour moi, que “là où il était”, il continuait à veiller sur moi. Cette petite phrase ne cesse de trotter dans ma tête, encore maintenant.

Là où il est. D'accord, mais où est-il ? J'ai eu une phase de quelques jours, juste après sa mort, où j'ai physiquement senti sa présence auprès de moi, sa main sur mon épaule quand je marchais. Puis j'ai eu une longue période où je me suis dit qu'il était dans ce petit bois où nous avons dispersé ses cendres, derrière chez moi. J'y suis allée régulièrement pour lui parler à voix haute, pour pleurer aussi, beaucoup. Et il y a eu les moments terribles où il n'était nulle part, parce qu'on m'avait menti toute ma vie. Quand on est mort, on n'est plus, point barre et ceux qui prétendent le contraire sont des naïfs, des peureux, des lâches qui essaient de embrouiller avec des superstitions à la con pour qu'on ait moins peur de notre propre mort. Aujourd'hui, presque 6 mois après son décès, je suis plus apaisée sur cette question. Certains jours, quand je suis en colère, je lui dis que je vais arrêter de lui parler parce que de toute façon, il n'est nulle part pour m'écouter. Mais la plupart du temps, je me dis qu'il est là, un peu à la manière des morts de mon enfance, il est partout où je suis, comme disait Victor Hugo.

Il est dans ces accords de guitare qui résonnent dans la voiture, il est dans la bouchée de dessert que je savoure en pensant à lui, il est dans le vent qui souffle dehors et qui caresse mon visage, il est là dans le hululement de la chouette qui sort toujours les jours où il me manque, il est là dans les larmes qui dévalent mes joues alors que j'écris ici, il est là dans le sourire de mes élèves, il est là dans mes choix et mes indécisions, il est là à sa façon.

Il n'est évidemment pas là comme j'aimerais qu'il soit, en chair et en os, en rires et en mots, en baiser et en caresses mais il est là, de l'autre côté de moi-même et peut-être qu'il sera là pour le reste de ma vie. Et peut-être que c'est ça, l'au-delà.

Un monde silencieux

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer plusieurs fois le sentiment de vide survenu après la disparition de mon amoureux. Il remplissait ma vie, de plein de façons différentes et son absence est en elle-même douloureuse.

C'est qu'il prenait de la place, cet homme ! Pas tant dans sa corpulence (je prends plus de place que lui) que dans sa façon de vivre, de parler, de bouger, de réfléchir. Il parlait fort (mais détestait que les autres le fassent, ça lui cassait les oreilles), vite, souvent. Sa pensée sautait du coq à l'âne sans cesse et ses paroles aussi, ce qui a souvent été cause de fous-rires parce que je ne suivais pas toujours... Nous nous retrouvions souvent bien loin du point de départ de notre conversation mais il se faisait toujours un point d'honneur de remonter à la source des bifurcations. Son débit de parole était toujours proportionnel à son enthousiasme, c'est-à-dire rapide et j'ai remarqué, lors de ses conversations téléphoniques avec des collègues ou stagiaires, qu'il laissait parfois peu de place à la parole de l'autre. Tout à coup, il s'en rendait compte et écoutait religieusement, avec une attention incroyable, comme si sa vie en dépendait. De temps en temps, il se mettait à chanter et à esquisser quelques pas chaloupés, lui qui avait horreur de danser. Et quand c'était trop calme à son goût, il se ruait sur moi pour me chatouiller pour j'en hurle de rire.

Bref, c'était un personnage intense, quoi qu'il ait toujours dit le contraire. Un homme plein de vie, de joie, d'humour et ... de bruit (je ne parle même pas de la musique, du blues entre autres, qui était le terreau de sa passion)

Autant vous dire que sans lui, je trouve la vie d'une fadeur inouïe, d'un calme inquiétant et d'un silence pesant. Depuis qu'il n'est plus là, je me remise à écouter la radio, ce que nous ne faisions plus (pas besoin, il me commentait les nouvelles mieux que personne et ses playlists étaient extraordinaires) et parfois, quand je mange, seule, à la cuisine, ce silence me trouble et m'ennuie. Alors je mets de la musique, je parle tout haut aussi (à lui, évidemment).

Il y a bien la télé de la vieille dame du dessus, les apéros joyeux chez les voisins d'à côté, les souffleuses à feuilles dans la rue, les mésanges qui pépient sur mon balcon dans la mangeoire à oiseaux mais ma vie est tout de même tombée dans un silence qui m'étouffe.

Comment te dire adieu

Je ne vais plus chez la psy, écrire ici me convient mieux et me semble plus utile, ainsi que les retours que je reçois parfois, via Mastodon. Le partage d'expériences, les commentaires des autres m'aident à avancer sur ce chemin interminable et vallonné qu'est le deuil.

Cette nuit, j'ai rêvé de mon amoureux. Une fois de plus, bien que le rêve soit très réaliste et très scénarisé, il était là mais je ne le voyais pas. Nous étions très amoureux et entourés par ma famille, à l'occasion d'une fête quelconque et nous attendions le moment béni où nous pourrions nous retrouver, rien que tous les deux, pour nous aimer, loin du regard des autres. C'était un rêve très doux, très tendre, plein d'amour et de complicité, de désir aussi.

En me réveillant, j'ai été frustrée qu'encore une fois, il ait été là sans que je le voie. Une simple présence mais pas d'image. Je rêve beaucoup, de tout le monde sur Terre mais lui, je ne vois jamais, en tout cas, pas depuis qu'il est mort. Cela m'agace profondément.

Et puis j'ai réfléchi sur le sens de tout ça, sur cette “présence” sans corps et tout à coup, entre deux tartines, m'est revenu le souvenir d'une série vue récemment, dans laquelle un personnage disait qu'il aurait donné tout ce qu'il avait pour revoir, ne serait-ce que quelques secondes son amour décédé 11 ans auparavant. J'avais ressenti exactement la même chose : je donnerais n'importe quoi pour revoir mon amoureux, au moins une fois. J'ai alors réfléchi, pourquoi ? La réponse est arrivée presque instantanément : pour pouvoir lui dire adieu, correctement et lui dire une dernière fois tout l'amour que j'ai pour lui et à quel point il va me manquer.

Ce matin d'août, j'étais là, avec lui, je l'ai accompagné jusqu'à son dernier souffle mais je n'ai pas prononcé ces mots, parce qu'à aucun moment je n'ai pensé qu'il allait mourir ! J'ai cru, avec l'optimisme et la candeur qui est la mienne que les pompiers allaient le réanimer, qu'il allait à nouveau respirer et qu'il s'en sortirait, que ce n'était pas si grave, que ce n'était qu'un malaise. Je n'ai même pas essayé de le “retenir”, de le frapper pour qu'il reste conscient. Je ne lui ai même pas dit “Ne meurs pas, je t'interdis de me laisser!”. J'étais tellement certaine qu'ils allaient le sauver que je m'étais habillée, j'avais pris ses papiers dans mon sac pour pouvoir l'accompagner, en hélicoptère s'il le fallait. Quand le médecin du SAMU m'a annoncé que c'était fini et qu'ils n'avaient pas réussi, j'ai eu un moment de totale sidération, quelques secondes pendant lesquelles ce qu'il venait de dire a frayé un chemin à travers mes neurones, a démoli mes certitudes et les barrières que je m'étais construites avant de m'exploser dans la tête. Mes pleurs sont devenus cris, je me suis effondrée mais il a fallu quelques secondes.

Après les prélèvements et le départ du SAMU, pendant que mon amoureux était allongé dans la cuisine, sous un drap, dans la chaleur de cette matinée, la gendarme m'a dit que je pouvais aller lui dire au revoir, si je voulais. Je n'attendais que ça, je n'avais pas encore osé demander, je n'étais pas sûre de ma réaction. Elle m'a accompagnée, a soulevé le drap sur le haut de son corps et nous a laissés, en fermant la porte. Je me suis assise par terre, à côté de lui. Je l'ai touché, je lui ai parlé à voix haute un petit moment, je lui ai dit que je l'aimais et je lui ai dit adieu avant de l'embrasser, sur la bouche. Il était encore chaud, je me souviens bien, je l'ai caressé, je me suis serrée contre lui.

Il y a eu plus tard deux temps de cérémonies funéraires, pendant lesquels je lui ai parlé et redit adieu. Alors pourquoi ce sentiment de ne pas avoir dit ce qu'il fallait ? Pourquoi ces adieux n'ont-t-ils pas suffi ? Parce que je ne croyais pas vraiment qu'il était mort, parce que j'étais dans la sidération ? Et aujourd'hui, 5 mois plus tard, suis-je plus à même de lui re-re-dire cet adieu, suis-je plus consciente de sa mort, l'ai-je définitivement bien intégrée ? Certains jours, je me pose honnêtement la question...

“Apprivoiser l'ombre”

Lors de la cérémonie d'hommage qui fut rendue à mon amoureux, début septembre, j'ai lu ce poème de René-Guy Cadou :

Pour apprivoiser l'ombre Il me suffit d'un arbre

Pour approuver le vent Il me suffit d'une herbe

D'un souvenir Pour que le ciel s'éclaire

De ton regard Pour donner sens au monde

Alors, comment ça se passe pour moi, maintenant qu'il n'est plus là, que je n'ai plus son regard pour donner sens au monde ?

Les lignes bougent, imperceptiblement. Le chagrin ne m'étouffe plus constamment, il y a des moments où je me sens bien et où j'intègre complètement la solitude qui est désormais la mienne. Il y a des jours sans larmes, ou alors juste un petit sanglot refoulé qui vient mourir à la surface de mes yeux, un petit tremblement dans ma voix quand je parle de lui.

J'arrive à revivre sans drame ce moment terrible, ce petit matin d'août qui a bouleversé ma vie telle que je la connaissais et qui a dévasté les mois qui ont suivi. Par contre, j'ai toujours du mal à comprendre comment j'ai pu assister à cela sans m'effondrer complètement, le jour J. Il faut croire que j'ai trouvé en moi les ressources nécessaires.

Je n'ai toujours pas acheté de calendrier 2025 mais ce n'est pas un blocage psychologique, c'est juste que je ne l'ai pas fait, c'est tout. Après ces deux jours que j'ai passés à pleurer en continu sur mon malheur, sur l'insoutenable perte, j'ai, semble-t-il, tourné une page symbolique qui me permet d'envisager un avenir.

J'ai rassemblé les objets que je souhaite garder de lui ainsi que des papiers, des photos, le livre d'or de la cérémonie, le calendrier 2024 et j'ai tout mis dans une jolie valise en carton, ma valise de lui, mon kit du souvenir, celle que je pourrai ouvrir quand j'aurai envie de le retrouver un peu. Ce geste très banal m'a permis de franchir un nouveau cap : celui de m'autoriser à envisager la suite de ma vie sans lui.

Ce n'est pas facile tout le temps et je sais que je ne suis pas à l'abri de nouveaux tours de montagnes russes du chagrin mais voilà, il y a des jours où je peux, sans pleurer, sans m'effondrer, penser à demain sans lui et c'est doux. C'est doux parce que je sais que c'est ce qu'il aurait voulu, lui qui m'aimait tellement et qui ne souhaitait qu'une chose : que je sois heureuse. Je ne le suis plus depuis qu'il est parti mais ça reviendra, je le crois. Il le faudra, pour lui.

Je suis en train d'apprivoiser l'ombre.

Ce qui me manque de lui (2)

  • La douceur incroyable de sa peau de bébé (il était roux et ne se mettait jamais au soleil)
  • Quand il dégainait son peigne à barbe, mille fois par jour à peu près (j'en retrouve encore des poils dans un tiroir de la salle de bains, 5 mois plus tard)
  • Sa concentration extrême quand il regardait un film ou une série, rien ne pouvait le distraire, même pas moi
  • Ses baisers, bien sûr, d'une douceur absolue, d'une tendresse infinie, les plus doux que j'aie jamais reçus de toute ma vie
  • Sa manie de placer des citations de film dans le quotidien, tout le temps (puis de refaire tout le dialogue, dans la foulée)
  • Son appétit pour la bonne chère (c'était un bonheur de le regarder manger, de cuisiner pour lui), sa soif pour les bonnes bouteilles, la vie
  • Les petits mots griffonnés sur le bloc-note pour les courses, quand il partait le matin avant que je me lève (je les ai tous gardés, dans une enveloppe), pour me souhaiter une bonne journée et me dire qu'il m'aimait
  • Quand il prenait tout à coup sa “voix de radio” pour me faire fondre
  • La façon qu'il avait de s'intéresser aux gens avec lesquels il parlait, dans un rapport toujours sincère et ouvert
  • Quand il venait se coller contre moi, dans mon dos, sous la couette, ma bouillotte naturelle
  • Qu'il me dise tous les jours, au moins une fois, qu'il m'aimait, pour toujours...

Il me manque, tellement, tellement fort. J'ai l'impression de sortir un peu la tête de l'eau ces derniers jours et quand je sens le chagrin pointer son nez, je repense à ses mots : “Je t'aime, Céline, ne l'oublie jamais”.

Vœux

Je l'appréhendais, cette période de la fin d'année. Noël sans lui me semblait insurmontable, je l'ai écrit ici et j'avais une sincère angoisse de ne pas tenir bon et de gâcher la fête pour ma famille. Nous sommes le 5 janvier, je suis toujours debout et j'ai traversé la période, tant bien que mal. Ma mère m'a tout de même dit hier que j'avais été tristounette, en retrait (et je me suis retenue de lui répondre vertement qu'évidemment, comment faire autrement).

En revanche, je n'avais pas du tout anticipé que le moment le plus difficile serait finalement le Nouvel An, avec ses vœux. Je me réjouissais de passer le Réveillon seule chez moi, j'ai refusé plusieurs propositions de la famille ou d'amis, presque satisfaite de rester tranquillement, sans pression ni enjeu. Et j'ai passé 2 jours entiers à pleurer toutes les larmes de mon corps, le 31 décembre et le 1er janvier.

Le 31, c'est toujours un peu l'occasion de faire le bilan de l'année écoulée et pour moi, cette année 2024 a un goût atroce de brûlé. Et puis de toute façon, après le 12 août, le temps s'est figé pour moi, j'ai vécu en pilote automatique (et c'est sans doute encore le cas aujourd'hui), dans une sorte de brouillard où je suis là mais pas entièrement. Je l'ai déjà écrit ici, j'ai perdu, avec mon amoureux, une bonne partie de moi-même, ma moitié, mon âme sœur, ma boussole, ma lumière, je ne me sens plus complète. Alors le bilan...

Le 1er, on reçoit des messages de vœux et je suis censée en formuler aussi. Une “bonne” année ? Je n'y crois tellement pas que je n'ai même pas été capable de l'écrire. Du bonheur, de la joie, des doux moments ? Bien sûr que je le souhaite à tout le monde (je suis en deuil mais je ne suis pas égoïste, je veux que les autres soient heureux) mais la mort incroyablement brutale et violente de mon amoureux, dans mes bras, me rappelle à tout moment la fragilité de tout ça. Vous êtes heureux, au plus profond de vous et en 10 min, tout ça est terminé.

Alors quoi ? Que faire ? Moi j'aimerais que la lumière revienne dans ma vie, j'aimerais que le chagrin relâche sa pression, doucement, j'aimerais pouvoir me souvenir des moments doux sans tristesse, j'aimerais pouvoir écrire ici sans que des flots de larmes ne dévalent mes joues. J'arrive parfois à penser à mon amoureux sans pleurer, sans peine mais c'est tellement fugace.

J'ai lu cette semaine une maxime sur le fait de penser à vivre comme si nous allions mourir demain. J'ai réfléchi et finalement, après ce que j'ai vécu il y a bientôt 5 mois, je devrais être particulièrement sensible à ce message or, il me laisse froide. J'ai pris douloureusement conscience de la fragilité de la vie, du bonheur, de l'amour mais pour autant, je ne vis pas comme si j'allais mourir demain. Cela n'a rien changé pour moi. Pourquoi ? Parce que je suis trop empêtrée dans mon chagrin et comme anesthésiée ? Parce que je me fiche de mourir demain ? Je ne sais pas. Sans doute un peu les deux.

Ce que j'aimerais pour 2025, c'est que le temps coule plus vite puisqu'il parait que c'est lui qui soigne le mieux.

Ce qui me manque de lui (1)

[oui, j'anticipe déjà qu'il y aura plusieurs notes à ce sujet...] * tenir sa main dans la mienne pour marcher (elle était si douce et si chaude). * ses yeux verts qui me regardent avec tout l'amour du monde. * qu'il me demande à tout bout de champ où sont passées ses affaires (ses clés, son bonnet, sa clé USB, son hand-spinner) et que ma réponse (“dans une de tes poches”) soit juste, 90% du temps. * son baiser du matin en me disant “Bonjour, chérie” dès que nous étions réveillés, et ce, tous les matins, même le dernier. * quand il me chopait les pieds pour me faire hurler de rire (je suis très chatouilleuse). * son regard après l'amour. * sa voix quand il chantait, on aurait dit celle de Gainsbourg jeune. * quand il buvait sa première longue gorgée de bière, il avait l'air si satisfait, c'était son plaisir minuscule. * ses blind tests musicaux improbables à l'heure de l'apéro. * les glaçons qu'il me mettait dans le cou, par surprise, même si je ne trouvais pas toujours ça drôle. * quand il interrompait la vaisselle, tout à coup, me prenait la main et me tirait vers la chambre en disant “Viens, je finirai plus tard”. * son rire sonore quand il appelait ses anciens collègues ou ses anciens protégés. * la tristesse et la douceur de sa voix quand il parlait de sa maman, partie trop tôt. * son indécision, toujours, au moment de sortir, à propos de sa tenue, de la chaleur de sa veste ou de sa casquette. * quand il me disait des mots doux (“ma belette”, “mon étoile polaire”). * ses petits textos à toute heure du jour, très brefs et souvent juste pour me dire qu'il m'aimait (j'ai gardé le dernier que je lui ai envoyé, quelques jours avant sa mort. Il disait “C'était magnifique, chéri”)

Il me manque à en crever. A chaque seconde.

Tête-à-tête avec mon chagrin

Ça y est, Noël est passé. Et je suis toujours debout, évidemment. Et j'ai même passé quelques bons moments, évidemment. Et j'ai caché mon chagrin, évidemment.

Je ne vais pas raconter des salades non plus, il y a aussi eu des moments difficiles, des moments où ma solitude (même très entourée) m'a sauté au visage, des moments de pure tristesse et un sentiment de totale injustice parce qu'il n'était pas là pour faire honneur au poulet aux morilles de mon papa, aux truffes de ma tante, pour jouer au tarot avec mes neveux et nièces, pour construire un chat en Légo avec la petite dernière (qui l'adorait), pour regarder tomber la neige puis aller marcher dedans (c'était le premier Noël blanc depuis des années)...

Il ne connaîtra plus jamais ces joies simples et familiales, les engueulades autour du “petit” qu'on n'a pas mené au bout, les sourires en regardant les autres ouvrir leurs cadeaux ou les négociations sur les tours de vaisselle, il ne m'offrira plus des dizaines de bouquins ni le calendrier de l'Avent des thés Damman, il ne vivra plus aucun hiver, aucune fête et moi je dois continuer à vivre tout ça sans lui, c'est tellement injuste et difficile.

Je me suis pas mal réfugiée dans la lecture, ma fidèle compagne depuis que j'ai 6 ans, cela m'a permis de regarder d'un œil un peu distant ce gentil “bazar” familial. J'ai participé, un peu mais j'ai très souvent eu le sentiment de ne pas être vraiment là, avec eux. Eux qui ont tourné la page plus facilement que moi, eux qui continuent leur petit bonhomme de chemin (et c'est tant mieux). J'ai essayé de ne pas trop parler de lui, comme j'ai tendance à le faire naturellement (je pense que je fais ça pour que personne ne l'oublie). J'ai fait ce que j'ai pu pour ne pas plomber l'ambiance mais 6 jours en famille, c'est un peu le maximum que je pouvais donner.

Ma mère a commencé à poser des jalons pour le Réveillon du 31, cela lui pèse de savoir que je puisse être seule pour passer le seuil de cette nouvelle année. Je lui ai dit que si je choisissais d'être seule, ce n'était pas grave, que je serai pas malheureuse. Mais la vérité, c'est que j'ai besoin d'être en tête-à-tête avec mon chagrin, un peu.