Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

Et parfois, comme une petite victoire

Il y a les jours où je suis au fond du gouffre et où rien ne semble pouvoir me faire sortir de là et puis, depuis peu, il y a aussi des jours où je ne pleure (presque) plus. Des jours où le chagrin reste en surface. L’œil un peu humide, la voix pas très assurée mais tout en maitrise, voire même dans un début d'acceptation de la situation.

Cela m'a frappée tout à l'heure, où après m'être vraiment bottée les fesses pour sortir un peu de chez moi, je me suis retrouvée, tout naturellement, sur le petit chemin qui passe à côté de la forêt où j'ai dispersé les cendres de mon amoureux, il y a quelques semaines. Écouteurs dans les oreilles, j'ai lancé LA playlist, celle du jour J, celle qui m'a accompagnée depuis qu'il est mort et je suis partie tranquillement faire mon petit tour. J'ai vu l'arbre planté par ses stagiaires, je suis allée examiner son feuillage, son pied puis j'ai poussé dans le sous-bois, jusqu'à l'endroit où repose mon amoureux. Il y avait plein de petits champignons planqués sous les lierres, un peu de vent dans les sapins, et même quand la chanson est passée, celle de la dispersion des cendres, mon chagrin est resté en surface. Un sanglot a gonflé ma poitrine mais il est resté là, sagement, et j'ai continué ma promenade, en pensant que cet endroit était vraiment beau et apaisant et j'étais heureuse de savoir qu'il était là.

Plus loin, tout en continuant à marcher, j'ai repensé à toute cette histoire, la nôtre, si belle, si intense, et puis tout à coup, à celle qui me reste à vivre, sans lui. Parce qu'évidemment, pour l'instant, son absence me fait un mal de chien mais je vais bien finir par la dompter et mon histoire à moi, sans lui, reste encore à écrire.

Alors oui, quand le chagrin reste en surface, comme aujourd'hui, c'est une petite victoire.

Là où on s'aime, il ne fait jamais nuit

Notre première rencontre a eu lieu une chaude journée de juillet, au sortir du confinement. Je me souviens comme si c'était hier du moment où je l'ai aperçu, sur cette place où il m'attendait (j'étais en retard), de son regard, de son sourire, d'avoir posé mon sac à dos pour me jeter dans ses bras et de ses premiers mots : “On y est”.

Nous nous sommes serrés fort, puis très vite, nos bouches se sont trouvées et le clodo qui était assis sur le banc pas loin a été le seul témoin de ce baiser d'anthologie qui venait sceller un amour tout neuf et durable.

La journée s'est passée comme dans un rêve. Nous avons déambulé dans les rues, le long de la Saône, sur les pavés, nous arrêtant tous les 10m pour nous regarder, nous embrasser encore et encore. Je pense ne pas avoir lâché sa main des heures durant.

Nous sommes allés voir une expo de photos, nous avons grignoté un morceau, nous avons parlé encore et encore, nous avons exploré nos corps à travers nos vêtements, comme des ados timides qui flirtent cachés. Nous nous sommes regardés, embrassés tellement que le soir venu, j'avais encore la sensation de sa bouche sur la mienne, des heures après l'avoir quitté.

En le raccompagnant au train, je lui ai offert un livre et une carte, écrite le jour-même, au crayon à papier parce que je n'avais pas de stylo sur moi.

Je viens de la retrouver, en triant ses papiers personnels. Cette carte comporte un symbole rouge, probablement d'une langue disparue. Au-dessus est inscrit “Là où on s'aime, il ne fait jamais nuit” (proverbe africain).

Et au dos, j'ai écrit : “Et donc, en chacun d'entre nous, il ne fera plus nuit. Parce que je t'aime, que tu es venu illuminer ma vie, la réveiller, me réchauffer. Je t'aime, mon feu d'artifice, ma lumineuse évidence. Merci pour cette merveilleuse journée que je n'oublierai jamais. Et rendez-vous pour les prochaines que j'espère nombreuses

Il faut absolument que je repense à cette phrase, il ne fera plus jamais nuit, même en ces temps où j'ai l'impression que le jour n'existe plus.

Un puits sans fond

Le deuil est une sorte de monstre qui prend des formes parfois différentes mais aux effets toujours terrifiants. Parfois, c'est une chape de plomb qui s'abat sur moi et me cloue au sol. Parfois juste un voile de chagrin qui semble léger mais qui ne se déchire jamais, un brouillard qui floute tout et dont on a l'impression qu'on en sortira jamais.

Parfois, comme ces derniers jours, c'est un puits sans fond qui absorbe tout sur son passage et dont on sent qu'il sera impossible d'aller chercher ce qu'il a entrainé parce que c'est tombé si loin que c'est hors d'atteinte. Le puits sans fond des derniers jours a pris mon envie de lire (c'est bien la première fois que ça m'arrive depuis mes 5 ans), mon envie de dessiner, de broder, de faire des choses avec mes mains, mon goût pour la cuisine (je bricole, juste ce qu'il faut pour tenir debout ou alors je mange n'importe quoi parce que c'est là). Je n'ai même plus envie de partir en voyage avec ma famille aux prochaines vacances, rien que leurs messages de préparatifs me fait me sentir sur une autre planète. Je n'ai plus envie de sortir, ni de parler à personne, même aux gens que j'aime et qui sont tellement gentils avec moi. Plus envie de sourire. Plus envie de vivre, même.

Ce puits sans fond est un monstre terrifiant. Une de mes collègues a perdu son fils de 19 ans il y a 15 mois et elle est encore au fond de ce trou dont elle ne parvient pas à sortir. Je ne me risque à aucune comparaison, elle et moi sommes des personnalités vraiment différentes et elle a eu une vie absolument abominable avant ce drame absolu mais des fois, ça me fait peur.

J'ai passé la journée entière de samedi à pleurer mon amour perdu, la colère qu'il m'ait abandonnée, mon chagrin de devoir vivre seule et supporter l'absence, l'injustice de cet amour immense qui n'a eu le temps de s'épanouir*. C'est fatigant de pleurer, c'est épuisant.

Mais si j'arrive à reboucher le fond, peut-être qu'à force de pleurer, je vais le remplir, ce puits et finir par remonter à la surface ?

  • et tout ça parce que j'ai lavé et fait sécher ses caleçons avant de les porter au recyclage

La culpabilité

Je sais, le sujet est à la mode depuis que Mona Chollet a commis un bouquin sur le sujet. Il faudrait probablement que je le lise, même si je sais déjà que je vais me reconnaître dans beaucoup de situations. Je suis quelqu'un qui se sent coupable tout le temps, c'est inscrit dans mon patrimoine génétique. Et ce sentiment de culpabilité est apparu avec la maternité, tiens donc.

Concernant la mort de mon amoureux, la culpabilité a refait surface plusieurs fois. J'en ai déjà parlé mais imaginez si je découvre un jour, à la lecture du rapport d'autopsie, que j'aurais pu faire quelque chose pour qu'il ne meure pas. J'y pense tout le temps. “Et si tu l'avais mis en PLS de l'autre côté ? Et si tu avais entamé le massage cardiaque tout de suite et plus fort ?

Si je remonte quelques jours avant le décès, lors de notre panne automobile sur la route des vacances qui l'a mis dans un stress incroyable : et si j'avais pris les choses en main ? Et si j'avais été plus rassurante, plus constructive ? (je ne l'ai pas fait parce que d'expérience, quand il est dans cet état, il n'écoute rien et devient agressif).

Je me sens également coupable d'avoir immédiatement fait prévenir son père, qu'il appelait “son connard de père”, auquel il n'avait plus donné signe de vie depuis 13 ans et d'avoir passé des heures aux téléphone avec lui, pour parler de son fils et de ces dernières années dont il avait été tenu éloigné. J'entendais mon amoureux me souffler à l'oreille de laisser tomber, de l'envoyer balader mais moi, ça me faisait du bien de l'évoquer avec son seul parent encore vivant et de combler les blancs de son histoire traumatique. J'ai quand même réussi à imposer les conditions des funérailles parce que j'ai senti que je m'en serais voulu de le faire enterrer dans le caveau familial et heureusement, son père m'a entendue et laissé faire parce qu'il a compris qu'il y avait une véritable histoire d'amour derrière.

Aujourd'hui, je me sens coupable de trier ses vêtements et d'avoir jeté au recyclage ses t-shirts d'il y a 35 ans, troués sous les bras et usés à la corde, coupable de jeter sa collection de “Libé” et une partie de ses archives constituées d'articles découpés de journaux dont je ne sais que faire, lui seul avait la clé et savait pourquoi il les avait gardés.

Coupable de rester dans le même appartement, d'avoir terminé seule la série qu'on avait commencée la veille de sa mort, coupable de sourire parfois, de continuer à préparer le voyage prévu le mois prochain avec mes parents et mes sœurs, coupable de continuer à vivre presque comme avant mais tout est dans le presque.

Coupable d'être vivante alors que lui non (encore que bien souvent, j'ai l'impression d'être morte à l'intérieur de moi)

Ce qu'on dit

Ce matin, à la question automatique “Ça va ?”, j'ai répondu tout aussi automatiquement “Oui” puis immédiatement après “Non”. Mon interlocuteur est sympa, il sait pour mon amoureux, il était là pour la dispersion des cendres, il s'est tout de suite excusé pour sa question qui est plus une politesse d'usage qu'une vraie question. Et je me suis également excusée pour ma franchise mais bon, j'en ai marre de dire ça va quand ça ne va pas, et encore plus quand ça ne va pas du tout. On a fini par en sourire.

Dans les messages de condoléances reçus de collègues de mon amoureux, deux m'ont fait tiquer et pourtant, je sais que ça partait d'un bon sentiment, authentique et sincère. Elles me disaient en substance être heureuses qu'il ne soit pas mort seul mais avec moi et dans un endroit qu'il aimait. J'avoue ne pas avoir répondu à cet argument en particulier. Oui, bien sûr que c'est peut-être mieux que j'aie été avec lui dans ce moment douloureux plutôt qu'il soit mort tout seul ou dans une chambre impersonnelle d’hôpital mais, pardonnez mon langage, bordel de merde, pour moi, c'est un traumatisme dont il est probable que je ne me remettrai jamais. D'ailleurs, je l'avais un peu évacué les premières semaines mais depuis que j'en ai parlé ici, j'y repense tout le temps et ça me fait un mal de chien (une vraie douleur physique, localisée dans la poitrine).

Tu verras, ça va être long, un deuil, on peut mettre plusieurs années à s'en remettre”. Je sais. J'ai eu la chance de ne pas encore passer par là mais je sais. C'est gentil de prévenir. Moi, ça ne fait même pas 2 mois et j'ai déjà envie de crever, je n'avais pas tellement besoin qu'on me mettre une échéance. “Le temps va faire son œuvre”, c'est vrai aussi, en tout cas, c'est ce qui est écrit dans les livres. On m'avait aussi dit ça quand mes enfants ont décidé de ne plus me parler quand j'ai quitté leur père et 4 ans plus tard, l'un d'eux n'a toujours pas bougé d'un iota, y compris quand il a appris que je venais de perdre mon compagnon dans des conditions brutales. Alors le temps reste quelque chose dont je me méfie, qu'il va falloir que j'apprivoise.

J'ai la chance d'être entourée de personnes qui ont de bonnes intentions, qui sont sincèrement touchées par mon deuil, qui le partagent aussi parfois et le vivent aussi douloureusement que moi. Je reçois de petits gestes extrêmement touchants, parfois de la part de personnes dont je n'étais pas particulièrement proches ou de gens dont je m'étais éloignée. Je me sens choyée et je leur suis tellement reconnaissante. Mais en même temps, en ce moment où je ne vais vraiment pas bien, je crois que je me sens plus proche de ceux qui ne savent pas quoi dire et donc ne disent rien. Est-ce que c'est une nouvelle phase du deuil ? (c'est une vraie question)

Toujours plus profond

Quand je rentre du boulot, ou bien du yoga, ou bien de n’importe où mais quand je rentre chez moi, après avoir refermé la porte, je pleure. Parfois même, je n’attends même pas d’avoir franchi la porte. Ce soir, je pleurais déjà en montant le boulevard, au volant de ma voiture. Parfois c’est en ouvrant la boîte aux lettres (vide, le plus souvent) que ça me prend.

Le journal que je ne trouverai plus le soir en rentrant, l’absence de la veste de mon amoureux sur le porte-manteau ou de ses chaussures qui traînent dans l’entrée, le manque de ses petits messages pour me dire qu’il arrive et que le train a encore 20 min de retard, sa voix le vendredi soir à la radio en direct.

Le manque de lui est une douleur à laquelle je pensais m’habituer avec le temps mais j’ai l'impression que c’est le contraire qui se produit. C’est de plus en plus oppressant, de plus en plus triste.

Ce soir, la première chose à laquelle j’ai pensée en rentrant après une journée particulièrement longue et difficile était que continuer à vivre sans lui n’avait aucun sens, aucun goût, aucun intérêt. Et c’est ce que je ressens la plupart du temps. Jusqu’à présent, cela m’avait épargné au boulot mais cette semaine, j’ai senti monter ce manque en moi plus d’une fois.

J’ai l’impression de tomber de plus en plus profond dans le gouffre de la tristesse. Plus envie de rien.

J’en rêve

J’ai toujours été une dormeuse qui rêve. Je fais souvent des rêves extrêmement complexes, avec des scénarios réalistes ou pas mais dont je me souviens presque toujours dans les grandes lignes au réveil. Il m’est même arrivé de me réveiller à un moment crucial d’un rêve que je ne voulais pas voir finir et à réussir à me rendormir pour le terminer.

A une époque, je notais mes rêves dans un petit carnet. Je l’ai retrouvé par hasard récemment et c’est incroyable comme de lire ces récits m’a immédiatement renvoyée dans l’univers de ces rêves, pourtant très anciens. Il existe des rêves dont je me souviens encore parfaitement alors que je les ai fait il y a plus de 30 ans.

Malgré ça, je n’ai encore pas rêvé de mon amoureux depuis qu’il est mort. Si, une toute petite fois, fugace, dans un demi-sommeil sur le canapé où je m’étais assoupie d’épuisement. Mon amoureux s’approchait de moi et m’embrassait. Je me suis aussitôt réveillée dans la douceur de ce geste, je sentais encore sa bouche sur la mienne, c’était juste merveilleux. Comme dans la vraie vie, la vie d’avant.

Depuis, je rêve de rêver de lui. Je m’endors le soir en ayant concentré mes pensées sur lui, en regardant la photo de lui qui est posée sur la table de nuit. Parfois, je passe mon bras autour de l’oreiller posé à mes côtés comme si c’était autour de lui. Je renifle son déodorant, pour que son odeur soit la dernière chose que je sente avant de sombrer, espérant qu’ensuite, il vienne me visiter dans mes songes, me parler, me regarder, me toucher. Pouvoir le voir bouger, le voir vivant encore une fois.

Cela n’a jamais fonctionné. Je n’ai jamais cauchemardé à son propos non plus. Il n’est vraiment plus là, même dans mes rêves.

Je ne désespère pas mais cela m’attriste. J’ai le sentiment que rêver de lui me permettrait de lui dire adieu correctement.

La douleur

A l'heure qu'il est, soit un mois et 12 jours après la mort de mon amoureux, je ne sais toujours pas ce qui lui est arrivé exactement. Et je sais que cela prendra peut-être des semaines, voire des mois avant que son père et moi n'ayons accès aux conclusions du médecin légiste. La procédure n'est pas bien claire, d'ailleurs.

Je n'ai pas regardé, au moment où j'ai eu ce papier à disposition, ce qu'avait indiqué le médecin du Samu qui a prononcé le décès à la rubrique “cause de la mort”. Probablement quelque chose de très vague du genre “arrêt cardio-respiratoire”. Et quand j'y ai pensé, ce papier était parti avec le corps de mon amoureux à l'institut médico-légal et depuis, plus de nouvelles.

Mais moi, j'y pense, de temps en temps. Je ne vais pas vous dire que ça me travaille toute la journée mais parfois, je revis la scène et j'ai besoin de savoir ce qui a fait qu'à un moment, il a rendu son dernier souffle dans mes bras. Rien que cette phrase déjà, j'ai du mal à m'en remettre.

Un jour sans doute, nous aurons les conclusions et j'ai peur. J'ai peur de découvrir que si j'avais été plus rapide pour entreprendre un massage cardiaque, j'aurais pu le sauver. Ou que si j'avais appelé les pompiers 3 min plus tôt, cela aurait pu changer la donne. Le médecin m'a bien expliqué qu'ils avaient tout mis en œuvre pendant 45 min sans y arriver et donc que cela n'aurait rien changé, je ne peux pas m'empêcher d'y penser, encore et encore.

Je suis documentaliste et j’aime comprendre les choses, alors évidemment que je suis allée lire comment ça se présente, une crise cardiaque et beaucoup de choses concordent fortement : l'effondrement, la sueur abondante, les lèvres bleues, la douleur (lui n'a pas été capable d'identifier la source de cette douleur), le halètement anormal.

Je pense alors à mon amoureux, cette “force de la nature”, comme il disait : jamais malade, santé de fer, son grand-père a vécu jusqu'à 105 ans et il avait sa constitution... Mais aussi ce grand anxieux (à un stade pathologique, j'y reviendrai sûrement), ce phobique des aiguilles (”une prise de sang, n'y pensez même pas !”) et des médecins (”qui vous trouvent toujours quelque chose”), cet homme douillet qui faisait toute une comédie quand il se cognait quelque part.

Il a dû avoir tellement mal, pendant cette crise, tellement mal et pendant si longtemps (10, 15 min ?). C'est long, 10 min quand tu te tords de douleur et que tu te rends compte que peut-être que c'en est bientôt fini de ta vie. Mon Dieu, l'idée qu'il ait eu si mal si longtemps me rend malade, je n'arrive pas à évacuer ça de mon esprit. Ni son visage contracté, sa peau qui rougit, ses lèvres et ses oreilles qui deviennent bleues, ses yeux injectés de sang. C'était horrible. L'horreur absolue de vivre ça et de ne rien pouvoir ou savoir faire pour l'aider, le soulager. Je n'arrive pas à chasser cette scène de mon esprit.

Ce que je vais dire est abominable mais j'aurais préféré qu'il meure en tombant d'un coup, en une seconde, ou dans son sommeil. Ces insupportables minutes de torture qu'il a endurées sont marquées en moi comme une cicatrice qui ne se refermera jamais tout à fait. Ma propre mort, je m'en fiche, elle ne me fait pas peur, quelles que soient les circonstances mais la sienne, j'aurais tellement aimé qu'elle soit à son image, douce.

Ne pas l'oublier

Ce matin, je commence à voir les premières couleurs de l'automne dans les forêts alentour. Mon amoureux n'aura pas vu celles de cette année, il ne connaitra plus jamais les joies de se promener dans les feuilles mortes, de sentir l'odeur d'humus dans le sous-bois derrière chez nous, d'écouter les glands chuter sur la route ou sur le toit de sa voiture.

Il y a tant de choses désormais qu'il ne fera plus jamais et que je vais me retrouver à faire sans lui, en pensant à lui. J'en ai le cœur en miettes.

L'automne était sa saison préférée.

J'ai parfois peur de commencer à oublier des choses qu'il aimait faire, des choses qu'il m'a dites, j'ai parfois peur de l'oublier un jour. Cette éventualité me semble encore lointaine, ma vie est encore pleine de lui, de ses objets, de ses vêtements, de son odeur, de son empreinte. Mais un jour, cela finira par arriver et l'idée me terrifie.

Alors j'ai fait tirer des photos de lui que j'ai placées un peu partout, pour être sûre de ne pas oublier son visage, ses yeux rieurs et sa barbe rousse qu'il portait fièrement. Il regarde l'objectif, il me regarde puisque c'est moi qui ai pris la plupart de ces photos.

Je n'ai encore pas eu le courage de laver le dernier drap dans lequel nous avons dormi et fait l'amour, ni la taie de l'oreiller que j'avais glissée sous sa tête en attendant les pompiers. Je dors avec toutes les nuits. Cela fait plus d'un mois, il va quand même bien falloir que je le fasse. Cette semaine, allez, c'est décidé.

J'ai aussi conservé une bombe de son déodorant, presque terminée. Je ne fais qu'en renifler l'embout, je ne veux pas gâcher le peu qu'il reste dedans. Ce parfum me propulse 4 ans en arrière, lors de notre première rencontre, notre première étreinte, notre premier baiser, il sentait bon, je lui ai dit.

En revanche, il est une chose de lui que je ne pourrai pas oublier, c'est sa voix. J'ai récupéré et gravé sur un disque dur la soixantaine d'émissions de radio qu'il avait enregistrées ces 18 derniers mois, j'ai aussi retrouvé quelques messages audio qu'il m'avait envoyé pendant le confinement et notre histoire clandestine. J'aimerais bien aussi récupérer l'émission de son ancienne radio qui m'avait révélé, un matin de février 2020 que j'étais amoureuse de cet homme mais pour l'instant, elle me résiste techniquement. La voix de mon amoureux m'accompagnera pour longtemps, de ça, je suis sûre.

Le gouffre du dimanche

Je vais dire les choses crûment : les ouikendes, depuis 2 semaines que je les passe seule, ce sont des gouffres de tristesse. Au début, on marche au bord en allant faire le marché, en voyant un peu des gens, en répondant au téléphone et il y a toujours un moment, de préférence le dimanche, où l'on finit par tomber au fond du trou, quel que soit l'état du moral en se levant. Et le trou peut se révéler profond.

Aujourd'hui, j'ai cuisiné (ce qui n'était pas évident les premiers temps, pas envie, à quoi bon pour manger en tête à tête avec le mur). J'ai fait à manger pour 3 repas, tant qu'à faire, j'anticipe déjà les soirs de fatigue, de flemme, de déprime. Ce faisant, je me suis mis une petite playlist musicale de “petites douceurs”.

Mais quand on écoute vraiment les chansons, ce qu'elles disent (en anglais), c'est l'horreur. Des histoires d'amour perdu, des histoires d'amour naissant mais que je ne peux plus mettre qu'au passé, des regrets, des routes à ne pas prendre, des chansons qui me font penser à mon amoureux, des titres sur lesquels nous n'aurons jamais eu l'occasion de danser.

Me voici donc au fond du trou, du gouffre de tristesse du dimanche. Je n'ai pas terminé mon assiette et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps en faisant la vaisselle. Je suis tellement triste qu'il ne serait pas déconnant que j'aille m'allonger dans la forêt, là où il repose, pour attendre moi aussi de passer de l'autre côté.

Rassurez-vous, cela ne va pas arriver. Mais je suis tellement démunie face à ces moments où même l'envie de vivre me déserte totalement. Je vais être honnête : il n'y a pas un jour depuis le 12 août dernier où je n'y ai pas pensé, même fugacement. Et finalement, la seule chose qui, même au fond du trou, me fait remonter à la surface, c'est lui. Regarder cette photo de lui où il sourit, où ses yeux pétillent et me disent : “Bien sûr que non, petite F” (F comme forte, c'est une blague entre nous).