Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

Un monde silencieux

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer plusieurs fois le sentiment de vide survenu après la disparition de mon amoureux. Il remplissait ma vie, de plein de façons différentes et son absence est en elle-même douloureuse.

C'est qu'il prenait de la place, cet homme ! Pas tant dans sa corpulence (je prends plus de place que lui) que dans sa façon de vivre, de parler, de bouger, de réfléchir. Il parlait fort (mais détestait que les autres le fassent, ça lui cassait les oreilles), vite, souvent. Sa pensée sautait du coq à l'âne sans cesse et ses paroles aussi, ce qui a souvent été cause de fous-rires parce que je ne suivais pas toujours... Nous nous retrouvions souvent bien loin du point de départ de notre conversation mais il se faisait toujours un point d'honneur de remonter à la source des bifurcations. Son débit de parole était toujours proportionnel à son enthousiasme, c'est-à-dire rapide et j'ai remarqué, lors de ses conversations téléphoniques avec des collègues ou stagiaires, qu'il laissait parfois peu de place à la parole de l'autre. Tout à coup, il s'en rendait compte et écoutait religieusement, avec une attention incroyable, comme si sa vie en dépendait. De temps en temps, il se mettait à chanter et à esquisser quelques pas chaloupés, lui qui avait horreur de danser. Et quand c'était trop calme à son goût, il se ruait sur moi pour me chatouiller pour j'en hurle de rire.

Bref, c'était un personnage intense, quoi qu'il ait toujours dit le contraire. Un homme plein de vie, de joie, d'humour et ... de bruit (je ne parle même pas de la musique, du blues entre autres, qui était le terreau de sa passion)

Autant vous dire que sans lui, je trouve la vie d'une fadeur inouïe, d'un calme inquiétant et d'un silence pesant. Depuis qu'il n'est plus là, je me remise à écouter la radio, ce que nous ne faisions plus (pas besoin, il me commentait les nouvelles mieux que personne et ses playlists étaient extraordinaires) et parfois, quand je mange, seule, à la cuisine, ce silence me trouble et m'ennuie. Alors je mets de la musique, je parle tout haut aussi (à lui, évidemment).

Il y a bien la télé de la vieille dame du dessus, les apéros joyeux chez les voisins d'à côté, les souffleuses à feuilles dans la rue, les mésanges qui pépient sur mon balcon dans la mangeoire à oiseaux mais ma vie est tout de même tombée dans un silence qui m'étouffe.

Comment te dire adieu

Je ne vais plus chez la psy, écrire ici me convient mieux et me semble plus utile, ainsi que les retours que je reçois parfois, via Mastodon. Le partage d'expériences, les commentaires des autres m'aident à avancer sur ce chemin interminable et vallonné qu'est le deuil.

Cette nuit, j'ai rêvé de mon amoureux. Une fois de plus, bien que le rêve soit très réaliste et très scénarisé, il était là mais je ne le voyais pas. Nous étions très amoureux et entourés par ma famille, à l'occasion d'une fête quelconque et nous attendions le moment béni où nous pourrions nous retrouver, rien que tous les deux, pour nous aimer, loin du regard des autres. C'était un rêve très doux, très tendre, plein d'amour et de complicité, de désir aussi.

En me réveillant, j'ai été frustrée qu'encore une fois, il ait été là sans que je le voie. Une simple présence mais pas d'image. Je rêve beaucoup, de tout le monde sur Terre mais lui, je ne vois jamais, en tout cas, pas depuis qu'il est mort. Cela m'agace profondément.

Et puis j'ai réfléchi sur le sens de tout ça, sur cette “présence” sans corps et tout à coup, entre deux tartines, m'est revenu le souvenir d'une série vue récemment, dans laquelle un personnage disait qu'il aurait donné tout ce qu'il avait pour revoir, ne serait-ce que quelques secondes son amour décédé 11 ans auparavant. J'avais ressenti exactement la même chose : je donnerais n'importe quoi pour revoir mon amoureux, au moins une fois. J'ai alors réfléchi, pourquoi ? La réponse est arrivée presque instantanément : pour pouvoir lui dire adieu, correctement et lui dire une dernière fois tout l'amour que j'ai pour lui et à quel point il va me manquer.

Ce matin d'août, j'étais là, avec lui, je l'ai accompagné jusqu'à son dernier souffle mais je n'ai pas prononcé ces mots, parce qu'à aucun moment je n'ai pensé qu'il allait mourir ! J'ai cru, avec l'optimisme et la candeur qui est la mienne que les pompiers allaient le réanimer, qu'il allait à nouveau respirer et qu'il s'en sortirait, que ce n'était pas si grave, que ce n'était qu'un malaise. Je n'ai même pas essayé de le “retenir”, de le frapper pour qu'il reste conscient. Je ne lui ai même pas dit “Ne meurs pas, je t'interdis de me laisser!”. J'étais tellement certaine qu'ils allaient le sauver que je m'étais habillée, j'avais pris ses papiers dans mon sac pour pouvoir l'accompagner, en hélicoptère s'il le fallait. Quand le médecin du SAMU m'a annoncé que c'était fini et qu'ils n'avaient pas réussi, j'ai eu un moment de totale sidération, quelques secondes pendant lesquelles ce qu'il venait de dire a frayé un chemin à travers mes neurones, a démoli mes certitudes et les barrières que je m'étais construites avant de m'exploser dans la tête. Mes pleurs sont devenus cris, je me suis effondrée mais il a fallu quelques secondes.

Après les prélèvements et le départ du SAMU, pendant que mon amoureux était allongé dans la cuisine, sous un drap, dans la chaleur de cette matinée, la gendarme m'a dit que je pouvais aller lui dire au revoir, si je voulais. Je n'attendais que ça, je n'avais pas encore osé demander, je n'étais pas sûre de ma réaction. Elle m'a accompagnée, a soulevé le drap sur le haut de son corps et nous a laissés, en fermant la porte. Je me suis assise par terre, à côté de lui. Je l'ai touché, je lui ai parlé à voix haute un petit moment, je lui ai dit que je l'aimais et je lui ai dit adieu avant de l'embrasser, sur la bouche. Il était encore chaud, je me souviens bien, je l'ai caressé, je me suis serrée contre lui.

Il y a eu plus tard deux temps de cérémonies funéraires, pendant lesquels je lui ai parlé et redit adieu. Alors pourquoi ce sentiment de ne pas avoir dit ce qu'il fallait ? Pourquoi ces adieux n'ont-t-ils pas suffi ? Parce que je ne croyais pas vraiment qu'il était mort, parce que j'étais dans la sidération ? Et aujourd'hui, 5 mois plus tard, suis-je plus à même de lui re-re-dire cet adieu, suis-je plus consciente de sa mort, l'ai-je définitivement bien intégrée ? Certains jours, je me pose honnêtement la question...

“Apprivoiser l'ombre”

Lors de la cérémonie d'hommage qui fut rendue à mon amoureux, début septembre, j'ai lu ce poème de René-Guy Cadou :

Pour apprivoiser l'ombre Il me suffit d'un arbre

Pour approuver le vent Il me suffit d'une herbe

D'un souvenir Pour que le ciel s'éclaire

De ton regard Pour donner sens au monde

Alors, comment ça se passe pour moi, maintenant qu'il n'est plus là, que je n'ai plus son regard pour donner sens au monde ?

Les lignes bougent, imperceptiblement. Le chagrin ne m'étouffe plus constamment, il y a des moments où je me sens bien et où j'intègre complètement la solitude qui est désormais la mienne. Il y a des jours sans larmes, ou alors juste un petit sanglot refoulé qui vient mourir à la surface de mes yeux, un petit tremblement dans ma voix quand je parle de lui.

J'arrive à revivre sans drame ce moment terrible, ce petit matin d'août qui a bouleversé ma vie telle que je la connaissais et qui a dévasté les mois qui ont suivi. Par contre, j'ai toujours du mal à comprendre comment j'ai pu assister à cela sans m'effondrer complètement, le jour J. Il faut croire que j'ai trouvé en moi les ressources nécessaires.

Je n'ai toujours pas acheté de calendrier 2025 mais ce n'est pas un blocage psychologique, c'est juste que je ne l'ai pas fait, c'est tout. Après ces deux jours que j'ai passés à pleurer en continu sur mon malheur, sur l'insoutenable perte, j'ai, semble-t-il, tourné une page symbolique qui me permet d'envisager un avenir.

J'ai rassemblé les objets que je souhaite garder de lui ainsi que des papiers, des photos, le livre d'or de la cérémonie, le calendrier 2024 et j'ai tout mis dans une jolie valise en carton, ma valise de lui, mon kit du souvenir, celle que je pourrai ouvrir quand j'aurai envie de le retrouver un peu. Ce geste très banal m'a permis de franchir un nouveau cap : celui de m'autoriser à envisager la suite de ma vie sans lui.

Ce n'est pas facile tout le temps et je sais que je ne suis pas à l'abri de nouveaux tours de montagnes russes du chagrin mais voilà, il y a des jours où je peux, sans pleurer, sans m'effondrer, penser à demain sans lui et c'est doux. C'est doux parce que je sais que c'est ce qu'il aurait voulu, lui qui m'aimait tellement et qui ne souhaitait qu'une chose : que je sois heureuse. Je ne le suis plus depuis qu'il est parti mais ça reviendra, je le crois. Il le faudra, pour lui.

Je suis en train d'apprivoiser l'ombre.

Ce qui me manque de lui (2)

  • La douceur incroyable de sa peau de bébé (il était roux et ne se mettait jamais au soleil)
  • Quand il dégainait son peigne à barbe, mille fois par jour à peu près (j'en retrouve encore des poils dans un tiroir de la salle de bains, 5 mois plus tard)
  • Sa concentration extrême quand il regardait un film ou une série, rien ne pouvait le distraire, même pas moi
  • Ses baisers, bien sûr, d'une douceur absolue, d'une tendresse infinie, les plus doux que j'aie jamais reçus de toute ma vie
  • Sa manie de placer des citations de film dans le quotidien, tout le temps (puis de refaire tout le dialogue, dans la foulée)
  • Son appétit pour la bonne chère (c'était un bonheur de le regarder manger, de cuisiner pour lui), sa soif pour les bonnes bouteilles, la vie
  • Les petits mots griffonnés sur le bloc-note pour les courses, quand il partait le matin avant que je me lève (je les ai tous gardés, dans une enveloppe), pour me souhaiter une bonne journée et me dire qu'il m'aimait
  • Quand il prenait tout à coup sa “voix de radio” pour me faire fondre
  • La façon qu'il avait de s'intéresser aux gens avec lesquels il parlait, dans un rapport toujours sincère et ouvert
  • Quand il venait se coller contre moi, dans mon dos, sous la couette, ma bouillotte naturelle
  • Qu'il me dise tous les jours, au moins une fois, qu'il m'aimait, pour toujours...

Il me manque, tellement, tellement fort. J'ai l'impression de sortir un peu la tête de l'eau ces derniers jours et quand je sens le chagrin pointer son nez, je repense à ses mots : “Je t'aime, Céline, ne l'oublie jamais”.

Vœux

Je l'appréhendais, cette période de la fin d'année. Noël sans lui me semblait insurmontable, je l'ai écrit ici et j'avais une sincère angoisse de ne pas tenir bon et de gâcher la fête pour ma famille. Nous sommes le 5 janvier, je suis toujours debout et j'ai traversé la période, tant bien que mal. Ma mère m'a tout de même dit hier que j'avais été tristounette, en retrait (et je me suis retenue de lui répondre vertement qu'évidemment, comment faire autrement).

En revanche, je n'avais pas du tout anticipé que le moment le plus difficile serait finalement le Nouvel An, avec ses vœux. Je me réjouissais de passer le Réveillon seule chez moi, j'ai refusé plusieurs propositions de la famille ou d'amis, presque satisfaite de rester tranquillement, sans pression ni enjeu. Et j'ai passé 2 jours entiers à pleurer toutes les larmes de mon corps, le 31 décembre et le 1er janvier.

Le 31, c'est toujours un peu l'occasion de faire le bilan de l'année écoulée et pour moi, cette année 2024 a un goût atroce de brûlé. Et puis de toute façon, après le 12 août, le temps s'est figé pour moi, j'ai vécu en pilote automatique (et c'est sans doute encore le cas aujourd'hui), dans une sorte de brouillard où je suis là mais pas entièrement. Je l'ai déjà écrit ici, j'ai perdu, avec mon amoureux, une bonne partie de moi-même, ma moitié, mon âme sœur, ma boussole, ma lumière, je ne me sens plus complète. Alors le bilan...

Le 1er, on reçoit des messages de vœux et je suis censée en formuler aussi. Une “bonne” année ? Je n'y crois tellement pas que je n'ai même pas été capable de l'écrire. Du bonheur, de la joie, des doux moments ? Bien sûr que je le souhaite à tout le monde (je suis en deuil mais je ne suis pas égoïste, je veux que les autres soient heureux) mais la mort incroyablement brutale et violente de mon amoureux, dans mes bras, me rappelle à tout moment la fragilité de tout ça. Vous êtes heureux, au plus profond de vous et en 10 min, tout ça est terminé.

Alors quoi ? Que faire ? Moi j'aimerais que la lumière revienne dans ma vie, j'aimerais que le chagrin relâche sa pression, doucement, j'aimerais pouvoir me souvenir des moments doux sans tristesse, j'aimerais pouvoir écrire ici sans que des flots de larmes ne dévalent mes joues. J'arrive parfois à penser à mon amoureux sans pleurer, sans peine mais c'est tellement fugace.

J'ai lu cette semaine une maxime sur le fait de penser à vivre comme si nous allions mourir demain. J'ai réfléchi et finalement, après ce que j'ai vécu il y a bientôt 5 mois, je devrais être particulièrement sensible à ce message or, il me laisse froide. J'ai pris douloureusement conscience de la fragilité de la vie, du bonheur, de l'amour mais pour autant, je ne vis pas comme si j'allais mourir demain. Cela n'a rien changé pour moi. Pourquoi ? Parce que je suis trop empêtrée dans mon chagrin et comme anesthésiée ? Parce que je me fiche de mourir demain ? Je ne sais pas. Sans doute un peu les deux.

Ce que j'aimerais pour 2025, c'est que le temps coule plus vite puisqu'il parait que c'est lui qui soigne le mieux.

Ce qui me manque de lui (1)

[oui, j'anticipe déjà qu'il y aura plusieurs notes à ce sujet...] * tenir sa main dans la mienne pour marcher (elle était si douce et si chaude). * ses yeux verts qui me regardent avec tout l'amour du monde. * qu'il me demande à tout bout de champ où sont passées ses affaires (ses clés, son bonnet, sa clé USB, son hand-spinner) et que ma réponse (“dans une de tes poches”) soit juste, 90% du temps. * son baiser du matin en me disant “Bonjour, chérie” dès que nous étions réveillés, et ce, tous les matins, même le dernier. * quand il me chopait les pieds pour me faire hurler de rire (je suis très chatouilleuse). * son regard après l'amour. * sa voix quand il chantait, on aurait dit celle de Gainsbourg jeune. * quand il buvait sa première longue gorgée de bière, il avait l'air si satisfait, c'était son plaisir minuscule. * ses blind tests musicaux improbables à l'heure de l'apéro. * les glaçons qu'il me mettait dans le cou, par surprise, même si je ne trouvais pas toujours ça drôle. * quand il interrompait la vaisselle, tout à coup, me prenait la main et me tirait vers la chambre en disant “Viens, je finirai plus tard”. * son rire sonore quand il appelait ses anciens collègues ou ses anciens protégés. * la tristesse et la douceur de sa voix quand il parlait de sa maman, partie trop tôt. * son indécision, toujours, au moment de sortir, à propos de sa tenue, de la chaleur de sa veste ou de sa casquette. * quand il me disait des mots doux (“ma belette”, “mon étoile polaire”). * ses petits textos à toute heure du jour, très brefs et souvent juste pour me dire qu'il m'aimait (j'ai gardé le dernier que je lui ai envoyé, quelques jours avant sa mort. Il disait “C'était magnifique, chéri”)

Il me manque à en crever. A chaque seconde.

Tête-à-tête avec mon chagrin

Ça y est, Noël est passé. Et je suis toujours debout, évidemment. Et j'ai même passé quelques bons moments, évidemment. Et j'ai caché mon chagrin, évidemment.

Je ne vais pas raconter des salades non plus, il y a aussi eu des moments difficiles, des moments où ma solitude (même très entourée) m'a sauté au visage, des moments de pure tristesse et un sentiment de totale injustice parce qu'il n'était pas là pour faire honneur au poulet aux morilles de mon papa, aux truffes de ma tante, pour jouer au tarot avec mes neveux et nièces, pour construire un chat en Légo avec la petite dernière (qui l'adorait), pour regarder tomber la neige puis aller marcher dedans (c'était le premier Noël blanc depuis des années)...

Il ne connaîtra plus jamais ces joies simples et familiales, les engueulades autour du “petit” qu'on n'a pas mené au bout, les sourires en regardant les autres ouvrir leurs cadeaux ou les négociations sur les tours de vaisselle, il ne m'offrira plus des dizaines de bouquins ni le calendrier de l'Avent des thés Damman, il ne vivra plus aucun hiver, aucune fête et moi je dois continuer à vivre tout ça sans lui, c'est tellement injuste et difficile.

Je me suis pas mal réfugiée dans la lecture, ma fidèle compagne depuis que j'ai 6 ans, cela m'a permis de regarder d'un œil un peu distant ce gentil “bazar” familial. J'ai participé, un peu mais j'ai très souvent eu le sentiment de ne pas être vraiment là, avec eux. Eux qui ont tourné la page plus facilement que moi, eux qui continuent leur petit bonhomme de chemin (et c'est tant mieux). J'ai essayé de ne pas trop parler de lui, comme j'ai tendance à le faire naturellement (je pense que je fais ça pour que personne ne l'oublie). J'ai fait ce que j'ai pu pour ne pas plomber l'ambiance mais 6 jours en famille, c'est un peu le maximum que je pouvais donner.

Ma mère a commencé à poser des jalons pour le Réveillon du 31, cela lui pèse de savoir que je puisse être seule pour passer le seuil de cette nouvelle année. Je lui ai dit que si je choisissais d'être seule, ce n'était pas grave, que je serai pas malheureuse. Mais la vérité, c'est que j'ai besoin d'être en tête-à-tête avec mon chagrin, un peu.

Loopings

C'est très fatigant, ces montagnes russes émotionnelles qui me font passer du plus bas (cf ma dernière note sur Noël) à des moments que je ne qualifierais pas de hauts mais où j'arrive à penser à mon amoureux, à nous, à sa mort, à notre histoire prématurément terminée sans pleurer et avec une certaine sérénité.

C'est très fatigant de passer du rire aux larmes, des moments professionnels où j'agis “normalement” (ou presque) à ces temps plus solitaires et intimes de profond chagrin dont j'ai l'impression que je sortirai jamais.

C'est épuisant, vraiment, surtout quand le passage d'un état à l'autre se fait en quelques heures, généralement entrecoupées d'un temps de sommeil (la nuit porterait-elle conseil ?)

De même, les conversations téléphoniques avec mes proches, qui semblent “normales” en apparence mais qui sont inévitablement suivies d'une crise de larmes, dès que j'ai raccroché, un peu comme si j'avais besoin d'évacuer quelque chose sitôt revenue à ma solitude.

Je suis épuisée par ces loopings émotionnels incessants et en même temps, je ne vois pas ce que je pourrais faire pour arriver à un état plus stable, plus équilibré pour l'instant.

Je suis à fleur de peau et fatiguée de cet entre-deux.

Noël

Si j'étais comédienne et que je ne savais pas pleurer sur commande, je pourrais tenter de penser aux “fêtes” de fin d'année qui vont démarrer dans 10 jours. Succès garanti, quel que soit le cadre : maison (sanglots irrépressibles), boulot, train, vie associative (larmes plus ou moins discrètes qui dévalent mes joues sans bruit).

Hier, j'ai fait quelques emplettes pour les cadeaux et j'ai trouvé plein de choses que j'aurais aimé offrir à mon amoureux. Lui aurait déjà sans doute commandé plein de livres pour moi qui attendraient sous le sapin mural mais qu'il aurait du mal à tenir secrets jusqu'au jour J (”Allez, on en ouvre qu'un” puis un 2e, un 3e...)

La simple idée de fêter Noël sans lui me déchire le cœur en mille confettis, c'est juste inenvisageable.

Cela fait déjà une semaine que je pleure tous les jours, plusieurs fois par jour, même et j'en ai encore pour une autre semaine. Après, ce seront les retrouvailles avec la famille dans ce gîte qu'il aimait bien et il n'y aura plus trop de temps pour le chagrin. Comme pendant le voyage en Grèce, nous vivrons dans le bruit et l'agitation de cette période particulière, entre tarots endiablés et repas riches, une dizaine de personnes autour de la table et pas trop d'espace pour être seule avec mon chagrin.

Il y aura les souvenirs aussi, de ces 3 derniers Noëls avec lui, où il a apprivoisé ma famille remuante et s'est fait une place de choix dans le cœur de tous, une place que je n'ai pas vraiment mesurée jusqu’au jour où il est mort et où mes proches ont été plongés brutalement dans un deuil presque aussi douloureux que le mien (je l'ai bien vu lors des 2 cérémonies et dans leur façon d'être autour de moi).

Je suis désemparée, je ne sais pas si je vais y arriver. Cela fait si mal, c'est si douloureux... Je n'ai pas envie que Noël arrive, je voudrais arrêter le temps et puis tant qu'à faire, le remonter jusqu'aux jours où mon amoureux était vivant, avec moi.

Je pensais avoir fait le plus dur mais non, le plus dur est encore devant moi et je ne sais pas si j'aurai la force, le courage d'affronter ça. Je crois que je n'y arrive plus, après avoir fait illusion jusque là. Et je n'ai même plus envie d'y arriver. Je me sens si fatiguée, je n'ai souvent même plus envie de vivre. Cela demande trop d'efforts et pour trop peu de sens puisqu'il n'est plus là. Je me demande où tout cela va bien me mener.

La colère

Je me rends compte qu'en ce moment, je suis en colère, tout le temps, contre peu près tout. La politique, le temps, les élèves, l’Éducation Nationale, les gens (#lesgens). Tout m'énerve et lorsque je parle avec d'autres personnes, j'ai vite fait de m'emporter et de monter dans les tours, alors que d'ordinaire, je suis plutôt calme, modérée et réfléchie. Ça finit par se voir.

J'ai l'impression de me radicaliser. Il y a tant de choses révoltantes, ces temps-ci, tant d'injustices que cela a eu raison de ma tiédeur habituelle. Je suis même en colère contre moi-même, j'ai envie de me secouer par le col et de me frapper, parfois, tellement j'ai le sentiment de ne plus être la même, d'être une autre que je n'aime pas : triste, défaitiste, sombre, impatiente, injuste parfois. Et puis je suis en colère d'être en colère. C'est le serpent qui se mord la queue.

Je sais bien que la colère est parfois salutaire lorsqu'elle est saine mais je ne crois pas qu'elle le soit, celle-ci.

Je tourne en rond dans cette colère latente, je crois que j'en veux à l'univers tout entier de m'avoir privée de cet amour extraordinaire, de cet homme qui illuminait mon existence, auquel je m'étais attachée sans retenue ni arrière-pensée, parce qu'il était bon pour moi, parce qu'il me faisait du bien, parce qu'avec lui, j'avais l'impression de revivre après des années d'existence tristounette et sans relief. En moins d'un quart d'heure, tout cela a disparu et presque 4 mois plus tard, me voilà devenue amère et colérique, une bien vilaine personne, à vrai dire.

Ce soir, 8 décembre, c'est la Fête des Lumières à Lyon et dans sa région (et pour tous les Lyonnais autour du monde, qui sont attachés à cette fête populaire). Je ne sais même pas si je vais aller chercher mes petites bougies à la cave pour les disposer sur mon balcon et ce serait bien la première fois en 54 ans que cela se produirait. Parce que pour moi, la lumière est partie le 12 août et que j'ai l'impression qu'elle ne reviendra plus.