Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

Vœux

Je l'appréhendais, cette période de la fin d'année. Noël sans lui me semblait insurmontable, je l'ai écrit ici et j'avais une sincère angoisse de ne pas tenir bon et de gâcher la fête pour ma famille. Nous sommes le 5 janvier, je suis toujours debout et j'ai traversé la période, tant bien que mal. Ma mère m'a tout de même dit hier que j'avais été tristounette, en retrait (et je me suis retenue de lui répondre vertement qu'évidemment, comment faire autrement).

En revanche, je n'avais pas du tout anticipé que le moment le plus difficile serait finalement le Nouvel An, avec ses vœux. Je me réjouissais de passer le Réveillon seule chez moi, j'ai refusé plusieurs propositions de la famille ou d'amis, presque satisfaite de rester tranquillement, sans pression ni enjeu. Et j'ai passé 2 jours entiers à pleurer toutes les larmes de mon corps, le 31 décembre et le 1er janvier.

Le 31, c'est toujours un peu l'occasion de faire le bilan de l'année écoulée et pour moi, cette année 2024 a un goût atroce de brûlé. Et puis de toute façon, après le 12 août, le temps s'est figé pour moi, j'ai vécu en pilote automatique (et c'est sans doute encore le cas aujourd'hui), dans une sorte de brouillard où je suis là mais pas entièrement. Je l'ai déjà écrit ici, j'ai perdu, avec mon amoureux, une bonne partie de moi-même, ma moitié, mon âme sœur, ma boussole, ma lumière, je ne me sens plus complète. Alors le bilan...

Le 1er, on reçoit des messages de vœux et je suis censée en formuler aussi. Une “bonne” année ? Je n'y crois tellement pas que je n'ai même pas été capable de l'écrire. Du bonheur, de la joie, des doux moments ? Bien sûr que je le souhaite à tout le monde (je suis en deuil mais je ne suis pas égoïste, je veux que les autres soient heureux) mais la mort incroyablement brutale et violente de mon amoureux, dans mes bras, me rappelle à tout moment la fragilité de tout ça. Vous êtes heureux, au plus profond de vous et en 10 min, tout ça est terminé.

Alors quoi ? Que faire ? Moi j'aimerais que la lumière revienne dans ma vie, j'aimerais que le chagrin relâche sa pression, doucement, j'aimerais pouvoir me souvenir des moments doux sans tristesse, j'aimerais pouvoir écrire ici sans que des flots de larmes ne dévalent mes joues. J'arrive parfois à penser à mon amoureux sans pleurer, sans peine mais c'est tellement fugace.

J'ai lu cette semaine une maxime sur le fait de penser à vivre comme si nous allions mourir demain. J'ai réfléchi et finalement, après ce que j'ai vécu il y a bientôt 5 mois, je devrais être particulièrement sensible à ce message or, il me laisse froide. J'ai pris douloureusement conscience de la fragilité de la vie, du bonheur, de l'amour mais pour autant, je ne vis pas comme si j'allais mourir demain. Cela n'a rien changé pour moi. Pourquoi ? Parce que je suis trop empêtrée dans mon chagrin et comme anesthésiée ? Parce que je me fiche de mourir demain ? Je ne sais pas. Sans doute un peu les deux.

Ce que j'aimerais pour 2025, c'est que le temps coule plus vite puisqu'il parait que c'est lui qui soigne le mieux.

Ce qui me manque de lui (1)

[oui, j'anticipe déjà qu'il y aura plusieurs notes à ce sujet...] * tenir sa main dans la mienne pour marcher (elle était si douce et si chaude). * ses yeux verts qui me regardent avec tout l'amour du monde. * qu'il me demande à tout bout de champ où sont passées ses affaires (ses clés, son bonnet, sa clé USB, son hand-spinner) et que ma réponse (“dans une de tes poches”) soit juste, 90% du temps. * son baiser du matin en me disant “Bonjour, chérie” dès que nous étions réveillés, et ce, tous les matins, même le dernier. * quand il me chopait les pieds pour me faire hurler de rire (je suis très chatouilleuse). * son regard après l'amour. * sa voix quand il chantait, on aurait dit celle de Gainsbourg jeune. * quand il buvait sa première longue gorgée de bière, il avait l'air si satisfait, c'était son plaisir minuscule. * ses blind tests musicaux improbables à l'heure de l'apéro. * les glaçons qu'il me mettait dans le cou, par surprise, même si je ne trouvais pas toujours ça drôle. * quand il interrompait la vaisselle, tout à coup, me prenait la main et me tirait vers la chambre en disant “Viens, je finirai plus tard”. * son rire sonore quand il appelait ses anciens collègues ou ses anciens protégés. * la tristesse et la douceur de sa voix quand il parlait de sa maman, partie trop tôt. * son indécision, toujours, au moment de sortir, à propos de sa tenue, de la chaleur de sa veste ou de sa casquette. * quand il me disait des mots doux (“ma belette”, “mon étoile polaire”). * ses petits textos à toute heure du jour, très brefs et souvent juste pour me dire qu'il m'aimait (j'ai gardé le dernier que je lui ai envoyé, quelques jours avant sa mort. Il disait “C'était magnifique, chéri”)

Il me manque à en crever. A chaque seconde.

Tête-à-tête avec mon chagrin

Ça y est, Noël est passé. Et je suis toujours debout, évidemment. Et j'ai même passé quelques bons moments, évidemment. Et j'ai caché mon chagrin, évidemment.

Je ne vais pas raconter des salades non plus, il y a aussi eu des moments difficiles, des moments où ma solitude (même très entourée) m'a sauté au visage, des moments de pure tristesse et un sentiment de totale injustice parce qu'il n'était pas là pour faire honneur au poulet aux morilles de mon papa, aux truffes de ma tante, pour jouer au tarot avec mes neveux et nièces, pour construire un chat en Légo avec la petite dernière (qui l'adorait), pour regarder tomber la neige puis aller marcher dedans (c'était le premier Noël blanc depuis des années)...

Il ne connaîtra plus jamais ces joies simples et familiales, les engueulades autour du “petit” qu'on n'a pas mené au bout, les sourires en regardant les autres ouvrir leurs cadeaux ou les négociations sur les tours de vaisselle, il ne m'offrira plus des dizaines de bouquins ni le calendrier de l'Avent des thés Damman, il ne vivra plus aucun hiver, aucune fête et moi je dois continuer à vivre tout ça sans lui, c'est tellement injuste et difficile.

Je me suis pas mal réfugiée dans la lecture, ma fidèle compagne depuis que j'ai 6 ans, cela m'a permis de regarder d'un œil un peu distant ce gentil “bazar” familial. J'ai participé, un peu mais j'ai très souvent eu le sentiment de ne pas être vraiment là, avec eux. Eux qui ont tourné la page plus facilement que moi, eux qui continuent leur petit bonhomme de chemin (et c'est tant mieux). J'ai essayé de ne pas trop parler de lui, comme j'ai tendance à le faire naturellement (je pense que je fais ça pour que personne ne l'oublie). J'ai fait ce que j'ai pu pour ne pas plomber l'ambiance mais 6 jours en famille, c'est un peu le maximum que je pouvais donner.

Ma mère a commencé à poser des jalons pour le Réveillon du 31, cela lui pèse de savoir que je puisse être seule pour passer le seuil de cette nouvelle année. Je lui ai dit que si je choisissais d'être seule, ce n'était pas grave, que je serai pas malheureuse. Mais la vérité, c'est que j'ai besoin d'être en tête-à-tête avec mon chagrin, un peu.

Loopings

C'est très fatigant, ces montagnes russes émotionnelles qui me font passer du plus bas (cf ma dernière note sur Noël) à des moments que je ne qualifierais pas de hauts mais où j'arrive à penser à mon amoureux, à nous, à sa mort, à notre histoire prématurément terminée sans pleurer et avec une certaine sérénité.

C'est très fatigant de passer du rire aux larmes, des moments professionnels où j'agis “normalement” (ou presque) à ces temps plus solitaires et intimes de profond chagrin dont j'ai l'impression que je sortirai jamais.

C'est épuisant, vraiment, surtout quand le passage d'un état à l'autre se fait en quelques heures, généralement entrecoupées d'un temps de sommeil (la nuit porterait-elle conseil ?)

De même, les conversations téléphoniques avec mes proches, qui semblent “normales” en apparence mais qui sont inévitablement suivies d'une crise de larmes, dès que j'ai raccroché, un peu comme si j'avais besoin d'évacuer quelque chose sitôt revenue à ma solitude.

Je suis épuisée par ces loopings émotionnels incessants et en même temps, je ne vois pas ce que je pourrais faire pour arriver à un état plus stable, plus équilibré pour l'instant.

Je suis à fleur de peau et fatiguée de cet entre-deux.

Noël

Si j'étais comédienne et que je ne savais pas pleurer sur commande, je pourrais tenter de penser aux “fêtes” de fin d'année qui vont démarrer dans 10 jours. Succès garanti, quel que soit le cadre : maison (sanglots irrépressibles), boulot, train, vie associative (larmes plus ou moins discrètes qui dévalent mes joues sans bruit).

Hier, j'ai fait quelques emplettes pour les cadeaux et j'ai trouvé plein de choses que j'aurais aimé offrir à mon amoureux. Lui aurait déjà sans doute commandé plein de livres pour moi qui attendraient sous le sapin mural mais qu'il aurait du mal à tenir secrets jusqu'au jour J (”Allez, on en ouvre qu'un” puis un 2e, un 3e...)

La simple idée de fêter Noël sans lui me déchire le cœur en mille confettis, c'est juste inenvisageable.

Cela fait déjà une semaine que je pleure tous les jours, plusieurs fois par jour, même et j'en ai encore pour une autre semaine. Après, ce seront les retrouvailles avec la famille dans ce gîte qu'il aimait bien et il n'y aura plus trop de temps pour le chagrin. Comme pendant le voyage en Grèce, nous vivrons dans le bruit et l'agitation de cette période particulière, entre tarots endiablés et repas riches, une dizaine de personnes autour de la table et pas trop d'espace pour être seule avec mon chagrin.

Il y aura les souvenirs aussi, de ces 3 derniers Noëls avec lui, où il a apprivoisé ma famille remuante et s'est fait une place de choix dans le cœur de tous, une place que je n'ai pas vraiment mesurée jusqu’au jour où il est mort et où mes proches ont été plongés brutalement dans un deuil presque aussi douloureux que le mien (je l'ai bien vu lors des 2 cérémonies et dans leur façon d'être autour de moi).

Je suis désemparée, je ne sais pas si je vais y arriver. Cela fait si mal, c'est si douloureux... Je n'ai pas envie que Noël arrive, je voudrais arrêter le temps et puis tant qu'à faire, le remonter jusqu'aux jours où mon amoureux était vivant, avec moi.

Je pensais avoir fait le plus dur mais non, le plus dur est encore devant moi et je ne sais pas si j'aurai la force, le courage d'affronter ça. Je crois que je n'y arrive plus, après avoir fait illusion jusque là. Et je n'ai même plus envie d'y arriver. Je me sens si fatiguée, je n'ai souvent même plus envie de vivre. Cela demande trop d'efforts et pour trop peu de sens puisqu'il n'est plus là. Je me demande où tout cela va bien me mener.

La colère

Je me rends compte qu'en ce moment, je suis en colère, tout le temps, contre peu près tout. La politique, le temps, les élèves, l’Éducation Nationale, les gens (#lesgens). Tout m'énerve et lorsque je parle avec d'autres personnes, j'ai vite fait de m'emporter et de monter dans les tours, alors que d'ordinaire, je suis plutôt calme, modérée et réfléchie. Ça finit par se voir.

J'ai l'impression de me radicaliser. Il y a tant de choses révoltantes, ces temps-ci, tant d'injustices que cela a eu raison de ma tiédeur habituelle. Je suis même en colère contre moi-même, j'ai envie de me secouer par le col et de me frapper, parfois, tellement j'ai le sentiment de ne plus être la même, d'être une autre que je n'aime pas : triste, défaitiste, sombre, impatiente, injuste parfois. Et puis je suis en colère d'être en colère. C'est le serpent qui se mord la queue.

Je sais bien que la colère est parfois salutaire lorsqu'elle est saine mais je ne crois pas qu'elle le soit, celle-ci.

Je tourne en rond dans cette colère latente, je crois que j'en veux à l'univers tout entier de m'avoir privée de cet amour extraordinaire, de cet homme qui illuminait mon existence, auquel je m'étais attachée sans retenue ni arrière-pensée, parce qu'il était bon pour moi, parce qu'il me faisait du bien, parce qu'avec lui, j'avais l'impression de revivre après des années d'existence tristounette et sans relief. En moins d'un quart d'heure, tout cela a disparu et presque 4 mois plus tard, me voilà devenue amère et colérique, une bien vilaine personne, à vrai dire.

Ce soir, 8 décembre, c'est la Fête des Lumières à Lyon et dans sa région (et pour tous les Lyonnais autour du monde, qui sont attachés à cette fête populaire). Je ne sais même pas si je vais aller chercher mes petites bougies à la cave pour les disposer sur mon balcon et ce serait bien la première fois en 54 ans que cela se produirait. Parce que pour moi, la lumière est partie le 12 août et que j'ai l'impression qu'elle ne reviendra plus.

“Mort de cause naturelle”

Mes questionnements sur l'éventualité de don d'organes de mon amoureux ont été vite balayées, le suspens a pris fin hier, avec la réception du rapport d'autopsie.

Ce n'est pas moi qui l'ai reçu, évidemment, moi je ne suis rien aux yeux de la loi pour lui. Mais son père m'a appelée hier soir pour m'en lire les principales conclusions. 17 pages quand même, qu'il a lues en entier, lui, de l'examen superficiel aux analyses internes et toxicologiques, dont les résultats ont tout de même mis 3 mois à arriver. Je ne suis pas sûre d'avoir un jour le courage de lire le truc dans son intégralité mais de toute façon, rien ne m'y oblige. Laissons passer un peu de temps.

Je les attendais, ces résultats, j'avais l'impression que sans eux, mon deuil ne pourrait se faire complètement et maintenant qu'ils sont là, j'ai la sensation d'être revenue au 12 août à 8h45 et qu'il est en train de mourir pour la 2e fois.

Mon amoureux est mort de cause naturelle, d'embolies pulmonaires multiples antérieures (de 10 jours pour la plus ancienne à 2-3 jours pour les plus récentes) sur une pathologie cardio-vasculaire, plusieurs de ses organes ont été touchés par ces caillots qui se baladaient en silence dans son corps : son foie, ses poumons, son cœur, son cerveau, enfin.

Mon amoureux n'était pas en bonne santé mais il ne le savait pas, je ne le savais pas, la mort l'attendait et pouvait frapper à tout moment mais le rapport semble indiquer un stress intense qui a tout fait exploser (je parie sur la panne de sa voiture qui l'a contrarié au plus haut point, en plein milieu de nos vacances).

Il n'y avait rien à faire, j'aurais pû faire un massage cardiaque plus énergique 2 minutes plus tôt, c'était plié de toute façon. Il a dû souffrir énormément, le peu de temps que ça a duré et oui, son dernier mot (“désolé”) voulait bien dire qu'il savait qu'il était en train de mourir.

Ce rapport d'autopsie, contrairement à ce que je pouvais penser, ne m'apporte aucun soulagement, il ravive au contraire la blessure et le traumatisme de cette mort violente à laquelle j'ai assisté. Oui, j'ai été avec lui jusqu'au bout, j'ai été active et je lui ai parlé jusqu'à la dernière seconde. Oui, c'est bien qu'il ne soit pas mort tout seul. Maintenant que je le sais, est-ce que ça m'apporte du réconfort ? Non.

Il ne me reste que ce chagrin monstrueux qui m'étouffe et ce deuil que j'ai l'impression de recommencer à zéro. Mon Dieu, que c'est difficile... Je ne sais pas si je vais y arriver.

Les battements de cœur

Hier, avec une collègue et son mari, nous sommes allés replanter, dans les règles de l'art, le petit arbre du souvenir que les stagiaires de mon amoureux avaient tenu à mettre en terre le jour de la cérémonie de dispersion des cendres. C'était un geste symbolique qui m'avait beaucoup touché mais ce n'étaient pas des spécialistes et je voyais bien que ce petit chêne vert aurait mérité un peu plus de chances.

Hier, donc, à la veille de la Sainte-Catherine (où tout ce qui est planté prend racine, comme le dit le dicton), nous avons déterré l'arbre, creusé un trou plus profond, défait la motte où les racines étaient un peu à l'étroit, arrosé, mélangé la terre au terreau plus riche et coupé quelques unes des branches qui étaient mortes. Le mari de ma collègue (dont c'est le métier, de planter des arbres) m'a rassuré sur l'emplacement et ses chances de survie. D'ailleurs, quelques bourgeons récents étaient là pour attester de la bonne santé de cet arbre que je nomme “l'arbre du souvenir”.

Il y a maintenant plus de 3 mois que mon amoureux est parti, je pleure moins souvent, de manière moins inopinée qu'aux débuts. Je lui parle encore à voix haute, de temps en temps, comme s'il était à côté de moi. Il me manque dans toutes les petites choses du quotidien : pour lui faire partager un éclat de rire à la lecture d'une BD, pour commenter l'actualité, pour regarder les mésanges picorer dans la mangeoire sur le balcon.

Ces derniers temps, une chouette hulotte a élu domicile près de chez nous. Je l'entends quand je rentré à la nuit tombée et parfois aussi le matin en partant de bonne heure, quand le jour n'est pas encore complètement levé. C'est nouveau, cette chouette et je ne peux m'empêcher de penser qu'à travers ses hululements, c'est mon amoureux qui m'envoie un petit signe. Je deviens un peu cinglée, je crois... ;–)

En terminant une série hier, j'ai réalisé que mon amoureux était un fervent défenseur du don d'organes. Il avait harcelé ses parents pour qu'ils fassent une carte de donneurs quand il était étudiant, c'est son papa qui m'a raconté ça récemment. Lorsqu'il est mort, tout a été si vite et son corps étant parti à la morgue pour autopsie judiciaire, je n'ai même pas pensé à le signaler et je me demande si, le sachant, il aurait été possible de faire des prélèvements quand même (à mon avis non).

Dans la série que je regardais, la jeune veuve écoute le cœur de son mari défunt battre dans la poitrine d'un receveur à qui il a sauvé la vie. J'aurais tellement aimé que des organes de mon amoureux puissent aider d'autres personnes...

L'abandon

Il est possible que lundi, je n'aie pas pleuré, à nouveau. Je ne me souviens pas bien. Mais aujourd'hui, j'ai bien rééquilibré la balance en pensant à Noël (ainsi qu'à l'autre Noëlle, ma tante Alzheimer qui ne va pas bien du tout). Il y a des jours comme ça où la tristesse est omniprésente, dans la confiture du matin (qu'on avait faite ensemble, avec mon amoureux), dans les préparatifs des fêtes de fin d'année, dans les mangeoires à oiseaux (qu'on installait ensemble, avant), dans la première neige, peut-être demain (qui l'aurait mis en joie).

J'ai écrit ce matin une phrase qui m'interpelle ce soir. En parlant de ce qui me ferait plaisir comme cadeau de Noël, le truc qui m'est venu tout seul (et qui m'a fait sangloter pendant 20 min), c'est qu'on me rende mon amoureux. “Rendre”, comme si on me l'avait volé. Comme si la vie, le destin, le karma, Dieu ou qui sais-je, me l'avait volé. C'est un peu idiot d'avoir dit ça. Mon amoureux ne m'appartenait pas, d'abord. Et puis, il n'y pas eu vol ni malveillance. Sa vie s'est arrêtée net et puis c'est tout.

Je mets parfois des mots étranges sur ce que je vis. Je reproche par exemple à mon amoureux de m'avoir abandonnée, lâchée. Le terme d'abandon revient souvent dans mes pensées, comme s'il avait sciemment voulu me laisser tomber. Bien sûr que non et son dernier mot (”Désolé”) le dit clairement. Je me sens abandonnée mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Il va falloir que je creuse ça...

Tout à l'heure, je suis tombée sur cette carte à la librairie :

Citation de Victor Hugo "Tu n'es plus là où tu étais mais tu es partout là où je suis"

C'est très vrai, je vais plutôt retenir ça de cette journée.

Toutes les premières fois

On m'a prévenue : “Tu verras, les premières fois sans lui, ça sera difficile”. Là, j'anticipe déjà les premières fêtes de Noël sans lui et rien que d'y penser remplit mes yeux de larmes, surtout qu'on va le passer comme les deux années précédentes dans ma famille, dans ce gîte un peu kitsch qui a l'immense avantage que nous soyons tout près de mes tantes âgées (dont l'une en EHPAD). Mais lui ne sera pas là, il ne sera plus jamais là, décidément je ne me fais pas à l'idée.

Il y a eu un jour cette semaine où je n'ai pas pleuré, pas du tout, même pas les yeux humides. Je l'ai réalisé seulement le lendemain matin, brusquement et je me suis dit que j'étais sur le bon chemin. C'était la première fois depuis le 12 août. Quelques heures plus tard, je ruinais mon mascara au collège, en salle des profs, l'équilibre était rétabli.

Mais passer Noël sans lui, fêter quoi que ce soit sans lui (la fête des Lumières, le Nouvel An, Pâques, mon anniversaire) me semble une épreuve insurmontable, là, tout de suite. Je n'arrive même pas à concevoir la chose dans ma tête, quelque chose bloque. Je ne serai pas seule, je serai au milieu des miens, dans le bruit et l'agitation, on va faire des jeux de société, on va cuisiner à tour de rôle, on va aller se balader s'il fait beau mais sans lui, bon sang... Sans lui, quel sens trouver à tout ça ?! Comment se réjouir, faire la fête alors que le chagrin est toujours là, au creux de mon ventre, de mon cœur, au fond de mes yeux, qu'il a jeté un voile gris sur toute mon existence et qu'il me piège comme un insecte dans une toile d'araignée ?

Hier, j'ai réalisé que je commençais parfois à m'habituer à son absence et cela m'a horrifiée. Je crois que je suis dans cet entre-deux où je veux aller de l'avant, quel que soit le temps que cela va prendre, et où en même temps je refuse de m'habituer à sa mort, de l'accepter.

Vivre sans lui, je ne sais pas comment je vais faire. Je préfère ne pas trop y penser de peur d'avoir juste envie de lâcher prise et me laisser couler.