Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

“Mort de cause naturelle”

Mes questionnements sur l'éventualité de don d'organes de mon amoureux ont été vite balayées, le suspens a pris fin hier, avec la réception du rapport d'autopsie.

Ce n'est pas moi qui l'ai reçu, évidemment, moi je ne suis rien aux yeux de la loi pour lui. Mais son père m'a appelée hier soir pour m'en lire les principales conclusions. 17 pages quand même, qu'il a lues en entier, lui, de l'examen superficiel aux analyses internes et toxicologiques, dont les résultats ont tout de même mis 3 mois à arriver. Je ne suis pas sûre d'avoir un jour le courage de lire le truc dans son intégralité mais de toute façon, rien ne m'y oblige. Laissons passer un peu de temps.

Je les attendais, ces résultats, j'avais l'impression que sans eux, mon deuil ne pourrait se faire complètement et maintenant qu'ils sont là, j'ai la sensation d'être revenue au 12 août à 8h45 et qu'il est en train de mourir pour la 2e fois.

Mon amoureux est mort de cause naturelle, d'embolies pulmonaires multiples antérieures (de 10 jours pour la plus ancienne à 2-3 jours pour les plus récentes) sur une pathologie cardio-vasculaire, plusieurs de ses organes ont été touchés par ces caillots qui se baladaient en silence dans son corps : son foie, ses poumons, son cœur, son cerveau, enfin.

Mon amoureux n'était pas en bonne santé mais il ne le savait pas, je ne le savais pas, la mort l'attendait et pouvait frapper à tout moment mais le rapport semble indiquer un stress intense qui a tout fait exploser (je parie sur la panne de sa voiture qui l'a contrarié au plus haut point, en plein milieu de nos vacances).

Il n'y avait rien à faire, j'aurais pû faire un massage cardiaque plus énergique 2 minutes plus tôt, c'était plié de toute façon. Il a dû souffrir énormément, le peu de temps que ça a duré et oui, son dernier mot (“désolé”) voulait bien dire qu'il savait qu'il était en train de mourir.

Ce rapport d'autopsie, contrairement à ce que je pouvais penser, ne m'apporte aucun soulagement, il ravive au contraire la blessure et le traumatisme de cette mort violente à laquelle j'ai assisté. Oui, j'ai été avec lui jusqu'au bout, j'ai été active et je lui ai parlé jusqu'à la dernière seconde. Oui, c'est bien qu'il ne soit pas mort tout seul. Maintenant que je le sais, est-ce que ça m'apporte du réconfort ? Non.

Il ne me reste que ce chagrin monstrueux qui m'étouffe et ce deuil que j'ai l'impression de recommencer à zéro. Mon Dieu, que c'est difficile... Je ne sais pas si je vais y arriver.

Les battements de cœur

Hier, avec une collègue et son mari, nous sommes allés replanter, dans les règles de l'art, le petit arbre du souvenir que les stagiaires de mon amoureux avaient tenu à mettre en terre le jour de la cérémonie de dispersion des cendres. C'était un geste symbolique qui m'avait beaucoup touché mais ce n'étaient pas des spécialistes et je voyais bien que ce petit chêne vert aurait mérité un peu plus de chances.

Hier, donc, à la veille de la Sainte-Catherine (où tout ce qui est planté prend racine, comme le dit le dicton), nous avons déterré l'arbre, creusé un trou plus profond, défait la motte où les racines étaient un peu à l'étroit, arrosé, mélangé la terre au terreau plus riche et coupé quelques unes des branches qui étaient mortes. Le mari de ma collègue (dont c'est le métier, de planter des arbres) m'a rassuré sur l'emplacement et ses chances de survie. D'ailleurs, quelques bourgeons récents étaient là pour attester de la bonne santé de cet arbre que je nomme “l'arbre du souvenir”.

Il y a maintenant plus de 3 mois que mon amoureux est parti, je pleure moins souvent, de manière moins inopinée qu'aux débuts. Je lui parle encore à voix haute, de temps en temps, comme s'il était à côté de moi. Il me manque dans toutes les petites choses du quotidien : pour lui faire partager un éclat de rire à la lecture d'une BD, pour commenter l'actualité, pour regarder les mésanges picorer dans la mangeoire sur le balcon.

Ces derniers temps, une chouette hulotte a élu domicile près de chez nous. Je l'entends quand je rentré à la nuit tombée et parfois aussi le matin en partant de bonne heure, quand le jour n'est pas encore complètement levé. C'est nouveau, cette chouette et je ne peux m'empêcher de penser qu'à travers ses hululements, c'est mon amoureux qui m'envoie un petit signe. Je deviens un peu cinglée, je crois... ;–)

En terminant une série hier, j'ai réalisé que mon amoureux était un fervent défenseur du don d'organes. Il avait harcelé ses parents pour qu'ils fassent une carte de donneurs quand il était étudiant, c'est son papa qui m'a raconté ça récemment. Lorsqu'il est mort, tout a été si vite et son corps étant parti à la morgue pour autopsie judiciaire, je n'ai même pas pensé à le signaler et je me demande si, le sachant, il aurait été possible de faire des prélèvements quand même (à mon avis non).

Dans la série que je regardais, la jeune veuve écoute le cœur de son mari défunt battre dans la poitrine d'un receveur à qui il a sauvé la vie. J'aurais tellement aimé que des organes de mon amoureux puissent aider d'autres personnes...

L'abandon

Il est possible que lundi, je n'aie pas pleuré, à nouveau. Je ne me souviens pas bien. Mais aujourd'hui, j'ai bien rééquilibré la balance en pensant à Noël (ainsi qu'à l'autre Noëlle, ma tante Alzheimer qui ne va pas bien du tout). Il y a des jours comme ça où la tristesse est omniprésente, dans la confiture du matin (qu'on avait faite ensemble, avec mon amoureux), dans les préparatifs des fêtes de fin d'année, dans les mangeoires à oiseaux (qu'on installait ensemble, avant), dans la première neige, peut-être demain (qui l'aurait mis en joie).

J'ai écrit ce matin une phrase qui m'interpelle ce soir. En parlant de ce qui me ferait plaisir comme cadeau de Noël, le truc qui m'est venu tout seul (et qui m'a fait sangloter pendant 20 min), c'est qu'on me rende mon amoureux. “Rendre”, comme si on me l'avait volé. Comme si la vie, le destin, le karma, Dieu ou qui sais-je, me l'avait volé. C'est un peu idiot d'avoir dit ça. Mon amoureux ne m'appartenait pas, d'abord. Et puis, il n'y pas eu vol ni malveillance. Sa vie s'est arrêtée net et puis c'est tout.

Je mets parfois des mots étranges sur ce que je vis. Je reproche par exemple à mon amoureux de m'avoir abandonnée, lâchée. Le terme d'abandon revient souvent dans mes pensées, comme s'il avait sciemment voulu me laisser tomber. Bien sûr que non et son dernier mot (”Désolé”) le dit clairement. Je me sens abandonnée mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Il va falloir que je creuse ça...

Tout à l'heure, je suis tombée sur cette carte à la librairie :

Citation de Victor Hugo "Tu n'es plus là où tu étais mais tu es partout là où je suis"

C'est très vrai, je vais plutôt retenir ça de cette journée.

Toutes les premières fois

On m'a prévenue : “Tu verras, les premières fois sans lui, ça sera difficile”. Là, j'anticipe déjà les premières fêtes de Noël sans lui et rien que d'y penser remplit mes yeux de larmes, surtout qu'on va le passer comme les deux années précédentes dans ma famille, dans ce gîte un peu kitsch qui a l'immense avantage que nous soyons tout près de mes tantes âgées (dont l'une en EHPAD). Mais lui ne sera pas là, il ne sera plus jamais là, décidément je ne me fais pas à l'idée.

Il y a eu un jour cette semaine où je n'ai pas pleuré, pas du tout, même pas les yeux humides. Je l'ai réalisé seulement le lendemain matin, brusquement et je me suis dit que j'étais sur le bon chemin. C'était la première fois depuis le 12 août. Quelques heures plus tard, je ruinais mon mascara au collège, en salle des profs, l'équilibre était rétabli.

Mais passer Noël sans lui, fêter quoi que ce soit sans lui (la fête des Lumières, le Nouvel An, Pâques, mon anniversaire) me semble une épreuve insurmontable, là, tout de suite. Je n'arrive même pas à concevoir la chose dans ma tête, quelque chose bloque. Je ne serai pas seule, je serai au milieu des miens, dans le bruit et l'agitation, on va faire des jeux de société, on va cuisiner à tour de rôle, on va aller se balader s'il fait beau mais sans lui, bon sang... Sans lui, quel sens trouver à tout ça ?! Comment se réjouir, faire la fête alors que le chagrin est toujours là, au creux de mon ventre, de mon cœur, au fond de mes yeux, qu'il a jeté un voile gris sur toute mon existence et qu'il me piège comme un insecte dans une toile d'araignée ?

Hier, j'ai réalisé que je commençais parfois à m'habituer à son absence et cela m'a horrifiée. Je crois que je suis dans cet entre-deux où je veux aller de l'avant, quel que soit le temps que cela va prendre, et où en même temps je refuse de m'habituer à sa mort, de l'accepter.

Vivre sans lui, je ne sais pas comment je vais faire. Je préfère ne pas trop y penser de peur d'avoir juste envie de lâcher prise et me laisser couler.

La solitude – suite

J'écrivais il y a quelques temps mon sentiment de solitude, même au milieu de l'avalanche de témoignages d'amitié que j'ai reçue à l'annonce du décès de mon amoureux.

Les semaines ont passé et ce qui devait arriver est arrivé : plus de messages, plus de textos ou de mails, plus de coups de fil, seuls mes proches continuent à prendre régulièrement des nouvelles, ainsi que quelques amis ici ou là. C'est ainsi que cela doit être, il y a forcément un moment où je vais devoir reprendre ma vie sans béquilles, redevenir quelqu'un de “normal” et non plus la pauvre femme qui a brutalement perdu son compagnon cet été.

Cela ne me gêne pas. Sans doute que j'ai besoin de ce retour à un regard plus neutre sur moi pour continuer à avancer et puis de toute façon, que je le veuille ou non, je suis bien obligée de rencontrer des gens qui ne sont pas au courant et qui n'ont pas besoin de savoir ce qui m'est arrivé.

Je me rends compte que je n'ai jamais vraiment vécu seule dans ma vie. La seule exception a été cette période où j'ai quitté mon mari mais je n'étais pas seule dans ma tête puisque mon amoureux était là, dans mon cœur et au téléphone tous les jours et dans mon lit tous les quinze jours. J'ai apprécié cette période, la liberté qu'elle m'apportait après 50 ans sans avoir jamais connu ça mais celle que je commence maintenant est d'une toute autre nature. Je suis désormais vraiment seule et il ne serait pas déconnant de penser que cette situation dure jusqu'à la fin de ma vie (oui, je sais ce que vous allez dire, tu as encore toute une vie devant toi, tu es encore jeune et gnagnagna...) Pour l'instant, je n'y pense pas trop parce que je ne sais pas trop que faire de cette affirmation. J'essaie d'apprivoiser le concept doucement, je ne suis pas certaine d'y arriver.

Mon amoureux prenait beaucoup de place dans ma vie, dans mes pensées, dans mon quotidien (je le dis avec gratitude, sans regret aucun), cet homme était un feu follet et passer une semaine sans lui était compliqué, déjà, j'avais l'impression de manquer d'air. Alors le reste de ma vie sans lui... ?

Je vais y arriver. Je le sais, je le sens. Je pleure encore un peu tous les jours, il me manque à en crever et il m'arrive encore de formuler à voix haute l'impossibilité d'accepter qu'il m'ait abandonnée comme ça mais je progresse, jour après jour. Le temps m'apprendra sûrement à dompter ce sentiment de solitude et à combler le trou que mon amoureux a laissé dans ma vie. Aussi fou que cela puisse paraitre, je suis confiante.

Toujours debout (round 2)

J'ai réussi à tenir aussi pendant ces vacances, passées, il est vrai, loin de chez moi et en compagnie de 8 autres personnes de ma famille, 24h/24h : ça aide à penser à autre chose qu'à son propre nombril ou en l'occurrence, qu'à son chagrin.

Il y a eu le voyage, la beauté de ce pays jusque là inconnu, le soleil et la chaleur, les montagnes, la mer (et les baignades), les sites antiques, les histoires mythologiques racontées à mes petites nièces par ma sœur (qui, si elle se lasse de son boulot, pourrait se reconvertir en guide touristique), les repas où l'on parle fort et les nuits à 6 dans une pièce.

Moi j'ai beaucoup suivi le mouvement, participant parfois activement, d'autres fois moins. Il y a aussi eu quelques moments difficiles où le chagrin, tapi en embuscade, m'a repris par surprise, me laissant loin derrière le groupe. Je ne voulais pas gâcher la fête alors j'ai essayé de pleurer en solitaire (mais peu d'occasion d'intimité dans ce contexte), j'ai un peu camouflé ma tristesse par moments et bon gré mal gré, j'ai tenu bon, dans cette communauté familiale bruyante et joyeuse, à mon rythme.

J'ai aussi rêvé de mon amoureux, pour la première fois depuis qu'il est mort. Un rêve d'une tristesse infinie, où il me quittait sans que je sache vraiment pourquoi, ni si c'était définitif (mais au fond de moi, je savais que ça l'était). Ce rêve assez court m'a éveillée en larmes et voulant le poursuivre dans l'espoir d'une réponse, j'ai fait aussitôt après un autre rêve professionnel où toutes les personnes que j'appréciais et sur qui je pouvais compter m'abandonnaient, elles aussi. Je compte explorer ce sentiment profond d'abandon dans les temps qui viennent car il n'est pas nouveau.

Je suis rentrée chez moi hier. J'aurais pû attendre aujourd'hui mais je crois que j'étais pressée de retrouver mon appartement, encore plein de mon amoureux et surtout, la première chose que j'ai faite, c'est d'aller revoir l'endroit où ses cendres sont dispersées parce que je crois que cela m'avait manqué. C'était beau comme un sous-bois dans la lumière du couchant, apaisant, rassurant. La photo est là

Je lui parle moins à voix haute, je pleure un peu moins aussi, je sens que le travail de deuil progresse doucement. Lundi, je reprends le boulot, celui qui m'avait aidé à tenir debout, au début. On va voir comment tout cela va se passer...

Tenir

Jusque là, on va être honnête, c'est le boulot qui m'a fait tenir. Parfois de manière un peu bancale (les larmes systématiques pendant les quart d'heure lecture avec les élèves, le manque de patience parfois quand les loustics devenaient un peu relous, moins de sourires et pour l'instant, pas de prise en charge de cas de harcèlement parce que je ne me sens pas en état émotionnel d’accueillir des choses trop difficiles) mais j'ai tenu bon : mes cours ont eu lieu, j'ai géré les merdes sur le réseau informatique quand il le fallait, j'ai assisté à toutes les p**** de réunions qui me concernaient, je me suis occupée seule du club journal où mon effectif a doublé cette année, je me suis même engagée dans 2 missions nouvelles liées à des projets ponctuels et à accompagner le voyage en Angleterre en février (yay!).

Je suis crevée (pas plus que les autres années à la même époque) mais les vacances d'automne qui débutent, là, elles sont un peu compliquées. Tenir sans le boulot ? J'ai commencé à pleurer sitôt le portail du collège refermé hier, trop plein d'émotions, de tensions à relâcher. Et puis après, il y avait la cérémonie de remise des diplômes du brevet à nos anciens élèves. D'ordinaire un moment de fête et de retrouvailles, où l'on mesure les changements qui se sont opérés déjà chez eux maintenant qu'ils sont au lycée ou en apprentissage, où l'on est contents de voir qu'ils vont bien et que leur vie continue, loin de nous désormais. Et là, c'est le drame. Je n'ai tenu que les 20 min de remise des diplômes et le temps de discuter du bout des lèvres avec 2 élèves qui étaient des piliers du CDI. J'en aurais bien vu d'autres mais c'était trop dur.

Ces élèves, mon amoureux les connaissait tous sans jamais les avoir vus, parce que je lui en parlais, qu'il s'y intéressait, qu'il avait vu leurs bouilles sur Pronote et hier soir, il m'aurait sûrement demandé ce qu'ils devenaient, si elles avaient l'air heureuses. Et avec sa mémoire d'éléphant, il m'aurait demandé si S. se plaisait dans son école de conducteurs routiers, si M. commençait un peu à s'ouvrir aux autres, si W. était toujours aussi désagréable.

J'ai tenu 20 min et je suis partie en douce au début du pot d'honneur. Mes collègues ont bien vu que je n'étais pas bien et elles m'ont fait signe d'y aller. Je n'étais pas arrivée au pied des marches du bâtiment que je pleurais déjà à gros bouillons. Dans ma voiture, il m'a fallu 5 min de sanglots avant de pouvoir démarrer et j'ai pleuré tout le trajet (20 km, je sais c'est dangereux mais j'ai fait gaffe). Et puis encore au moins 30 min en arrivant enfin chez moi. Je ne pouvais plus m'arrêter. Et j'ai compris pourquoi : parce que j'avais l'impression que je ne pourrais plus jamais être heureuse pour le reste de ma vie.

Je sais bien que c'est faux, qu'il y aura un moment où les choses vont basculer mais là, à cet instant, plus de lumière possible, le fond du fond du gouffre, la douleur morale à l'état pur, aucune issue possible. J'ai été à deux doigts d'envoyer un message à mes sœurs pour annuler le voyage que je dois faire en Grèce avec ma famille pendant ces vacances, de peur que cette tristesse infinie ne soit un boulet pour tout le monde.

Et puis c'est passé. J'ai dormi. Et aujourd'hui, j'ai rencontré des gens (dont certains m'ont encore fait pleurer, avec leur gentillesse si sincère et leurs attentions) et j'ai marché, beaucoup, ce qui fait beaucoup de bien.

Si les autres n'existaient pas, si je n'avais pas d'amis, de collègues, de famille, de gens qui m'entourent (dans la vraie vie ou par écran interposé), je pense qu'il y a des semaines que je serais plus en vie. Alors merci. A tous, toutes. Vous êtes là, je vous sens, je vous sais là et c'est grâce à vous que je sortirai de ce deuil si difficile.

Faire le vide

Je reviens d'une deuxième expédition à la benne où sont récupérés les vêtements et chaussures pour du recyclage. La première fois, c'était il y a 15 jours et j'avais porté 2 sacs. Aujourd'hui, j'en avais 2 nouveaux mais une descente à la cave pour aller chercher des confitures (celles que nous avions faites ensemble fin juillet, une dizaine de jours avant sa mort) m'a fait sauter aux yeux qu'il restait là des vieilleries qui pouvaient prendre la même direction, donc 2 sacs de plus.

Je n'ai mis dedans que des choses qui ne sont pas “donnables” : tissus usés jusqu'à la corde, chaussures déglinguées ou trouées, bref, du chiffon. Le reste, la majorité, je le donnerai à Emmaüs pour que cela profite à d'autres (de toute façon, mon amoureux n'achetait qu'en recycleries, la boucle sera bouclée).

Depuis, je pleure à gros bouillons. Je pleure ce qu'il faut jeter, le vide qu'il laisse dans les armoires, dans la cave mais surtout dans ma vie, je le maudis, lui et son foutu mini-syndrôme de Diogène qui me demande un travail de titan pour trier tout ce qu'il conservait, je lui demande pardon de jeter ses affaires, je pleure de rage qu'il soit parti comme ça en me laissant tout ce sale boulot qui me déchire le cœur.

Et je n'en suis qu'à 6 sacs. Il m'en reste 10 fois plus à porter à Emmaüs. Je découpe en petits tronçons ces moments de déchirement total, pour me préserver mais je me demande si finalement, je ne devrais pas remplir ma voiture une fois pour toute et en finir.

En tout cas, il va falloir que je retourne acheter des mouchoirs. J'arrive au bout de tous les paquets entamés trouvés dans ses poches en triant ses affaires (plus d'une dizaine). Il va m'en falloir des neufs. L'ironie.

Celui qui n'aimait pas les fins

Mon amoureux, cet homme merveilleux, était – sans avoir été jamais diagnostiqué officiellement – neuroatypique. Une seule fois, un psychiatre avec lequel il était en contact dans le cadre de son boulot (qui consistait à prendre en charge des jeunes sous main de justice) lui avait dit, de manière très décontractée, qu'il présentait des signes d'un “petit Asperger” (sic).

Pour ma part, sans être une experte des TND mais ayant longtemps travaillé avec des gamins à haut potentiel intellectuel et toutes les joyeusetés qui vont souvent avec, j'en avais surtout conclu que mon amoureux avait un trouble de l'attention assez caractéristique.

Je ne vais pas tout vous raconter mais un point m'a particulièrement sauté aux yeux ce weekend, alors que je grimpais des centaines de marches d'escalier avec ma sœur, histoire de changer d'air.

Mon amoureux ne lisait plus de livres depuis belle lurette, pas plus qu'il ne regardait de films en entier s'ils duraient plus d'une heure et demie. C'était trop long pour lui, de se concentrer aussi longtemps sur une activité. Un autre détail, curieux, pour le grand amateur de musique qu'il était : il n'écoutait jamais un morceau jusqu'au bout. Lorsqu'il écumait les plateformes à la recherche de morceaux à partager dans son émission de radio, il n'écoutait souvent que le tout début et cela lui suffisait à décider si oui ou non, ce titre avait sa place dans le set qu'il constituait.

Souvent, à l'heure de l'apéro, il me lançait des défis de blind-tests où il fallait reconnaitre un morceau dès les premières secondes. Et quand bien même je le reconnaissais et l'appréciais, je devais insister lourdement pour qu'on ait le droit d'en écouter un ou deux jusqu'au bout. Ceci était valable pour toute la musique qu'il écoutait, même ses titres préférés. Quelques dizaines de secondes avant la fin, hop, il arrêtait tout. Hyper frustrant pour moi...

Pour autant, mon amoureux avait une culture littéraire, cinématographique et musicale hors du commun car il lisait par contre beaucoup d'articles, de critiques, de synthèses et avec cela, on n'aurait jamais soupçonné ce secret des fins tronquées.

Mon amoureux n'aimait pas les fins. Cette phrase, en la prononçant à voix haute dimanche, m'a coupé le souffle. Il n'aimait pas les fins et la sienne a été si rapide qu'elle ne m'a laissé aucune chance de protester ou de réclamer qu'il aille jusqu’au bout de l'histoire. Il a tout coupé quelques secondes avant la fin (les 2 min qu'il a manqué aux pompiers pour avoir peut-être une chance de le sauver – bon sang, il a cessé de respirer, on entendait les sirènes qui approchaient, ils étaient dans la rue !)

Alors, comme me l'a justement fait remarquer ma sœur, bien sûr qu'il aurait certainement voulu écouter ce morceau-là jusqu'au bout, vivre cette histoire jusqu'au bout. Il ne s'était pas engagé avec moi à la légère, il savait ce qu'il faisait et m'avait dit plus d'une fois qu'il voulait qu'on vieillisse ensemble. Nous avions des projets, plein. Cela n'arrivera pas, cela n'arrivera plus jamais.

Mon amoureux n'aimait pas les fins et il a bâclé la sienne.

La dépression

J'ai reçu un mail promotionnel aujourd'hui qui me vantait les mérites d'un programme pour sortir de la fatigue mentale. Je cochais toutes les cases : difficultés à se concentrer, fatigue et perte de motivation, irritabilité et sautes d'humeur.

Évidemment, je sais bien à quoi tout cela est dû. On est dans un schéma classique de deuil, avec une phase bien basse où rien ne semble pouvoir me sortir du gouffre. J'ai arrêté l'anxiolytique, je dors relativement bien sans alors stoppons la chimie le plus possible. Je suis fatiguée le soir, mais c'est aussi la période automnale, son changement de luminosité, les presque 6 semaines de boulot dans les pattes aussi, qui n'ont pas été de tout repos malgré la bienveillance dont font preuve mes collègues.

Ceci dit, LA journée de petite victoire évoquée ici a été la seule, pour l'instant. Tous les autres jours, je pleure, je rumine, je cherche du sens à mon existence et surtout, je crève de l'absence de mon amoureux dont je me répète en boucle, tel un mantra, qu'il ne reviendra jamais, histoire de bien me faire entrer cette idée dans la tête.

Je ne vais pas bien. Alors j'ai franchi l'étape supplémentaire, celle dont je pensais peut-être que l'écriture allait m'affranchir : je suis allée consulter une psychologue. Je l'ai choisie un peu au hasard, parce qu'elle ne consulte que les jours où je suis libre et surtout, parce qu'elle avait un créneau là, tout de suite, le jour où j'ai cherché.

Cela a été intense : j'ai vidé mon sac dans une longue logorrhée tout en éclusant un paquet entier de mouchoirs (j'ai fini par prendre les miens, les siens étaient tout fins, ça n'allait pas le faire) et je pense que nous allons être amenées à nous revoir. Entre le traumatisme du décès dans mes bras de mon amoureux, le deuil “classique” d'un conjoint bien-aimé, les suites relationnelles avec sa famille, mes propres soucis avec mes enfants (dont l'un est toujours aux abonnés absents) et les montagnes russes émotionnelles qui sont les miennes depuis, il y a du boulot...

Je ne sais pas du tout ce que ça va donner mais comme je l'ai écrit dans un joli lapsus, il y a du grain à poudre.

Un petite citation de Joyce Carol Oates, que je lis toujours :

Car moi aussi, je m'efface. Sans personne pour me regarder, pour me nommer et m'aimer, je m'efface rapidement.