Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

La solitude – suite

J'écrivais il y a quelques temps mon sentiment de solitude, même au milieu de l'avalanche de témoignages d'amitié que j'ai reçue à l'annonce du décès de mon amoureux.

Les semaines ont passé et ce qui devait arriver est arrivé : plus de messages, plus de textos ou de mails, plus de coups de fil, seuls mes proches continuent à prendre régulièrement des nouvelles, ainsi que quelques amis ici ou là. C'est ainsi que cela doit être, il y a forcément un moment où je vais devoir reprendre ma vie sans béquilles, redevenir quelqu'un de “normal” et non plus la pauvre femme qui a brutalement perdu son compagnon cet été.

Cela ne me gêne pas. Sans doute que j'ai besoin de ce retour à un regard plus neutre sur moi pour continuer à avancer et puis de toute façon, que je le veuille ou non, je suis bien obligée de rencontrer des gens qui ne sont pas au courant et qui n'ont pas besoin de savoir ce qui m'est arrivé.

Je me rends compte que je n'ai jamais vraiment vécu seule dans ma vie. La seule exception a été cette période où j'ai quitté mon mari mais je n'étais pas seule dans ma tête puisque mon amoureux était là, dans mon cœur et au téléphone tous les jours et dans mon lit tous les quinze jours. J'ai apprécié cette période, la liberté qu'elle m'apportait après 50 ans sans avoir jamais connu ça mais celle que je commence maintenant est d'une toute autre nature. Je suis désormais vraiment seule et il ne serait pas déconnant de penser que cette situation dure jusqu'à la fin de ma vie (oui, je sais ce que vous allez dire, tu as encore toute une vie devant toi, tu es encore jeune et gnagnagna...) Pour l'instant, je n'y pense pas trop parce que je ne sais pas trop que faire de cette affirmation. J'essaie d'apprivoiser le concept doucement, je ne suis pas certaine d'y arriver.

Mon amoureux prenait beaucoup de place dans ma vie, dans mes pensées, dans mon quotidien (je le dis avec gratitude, sans regret aucun), cet homme était un feu follet et passer une semaine sans lui était compliqué, déjà, j'avais l'impression de manquer d'air. Alors le reste de ma vie sans lui... ?

Je vais y arriver. Je le sais, je le sens. Je pleure encore un peu tous les jours, il me manque à en crever et il m'arrive encore de formuler à voix haute l'impossibilité d'accepter qu'il m'ait abandonnée comme ça mais je progresse, jour après jour. Le temps m'apprendra sûrement à dompter ce sentiment de solitude et à combler le trou que mon amoureux a laissé dans ma vie. Aussi fou que cela puisse paraitre, je suis confiante.

Toujours debout (round 2)

J'ai réussi à tenir aussi pendant ces vacances, passées, il est vrai, loin de chez moi et en compagnie de 8 autres personnes de ma famille, 24h/24h : ça aide à penser à autre chose qu'à son propre nombril ou en l'occurrence, qu'à son chagrin.

Il y a eu le voyage, la beauté de ce pays jusque là inconnu, le soleil et la chaleur, les montagnes, la mer (et les baignades), les sites antiques, les histoires mythologiques racontées à mes petites nièces par ma sœur (qui, si elle se lasse de son boulot, pourrait se reconvertir en guide touristique), les repas où l'on parle fort et les nuits à 6 dans une pièce.

Moi j'ai beaucoup suivi le mouvement, participant parfois activement, d'autres fois moins. Il y a aussi eu quelques moments difficiles où le chagrin, tapi en embuscade, m'a repris par surprise, me laissant loin derrière le groupe. Je ne voulais pas gâcher la fête alors j'ai essayé de pleurer en solitaire (mais peu d'occasion d'intimité dans ce contexte), j'ai un peu camouflé ma tristesse par moments et bon gré mal gré, j'ai tenu bon, dans cette communauté familiale bruyante et joyeuse, à mon rythme.

J'ai aussi rêvé de mon amoureux, pour la première fois depuis qu'il est mort. Un rêve d'une tristesse infinie, où il me quittait sans que je sache vraiment pourquoi, ni si c'était définitif (mais au fond de moi, je savais que ça l'était). Ce rêve assez court m'a éveillée en larmes et voulant le poursuivre dans l'espoir d'une réponse, j'ai fait aussitôt après un autre rêve professionnel où toutes les personnes que j'appréciais et sur qui je pouvais compter m'abandonnaient, elles aussi. Je compte explorer ce sentiment profond d'abandon dans les temps qui viennent car il n'est pas nouveau.

Je suis rentrée chez moi hier. J'aurais pû attendre aujourd'hui mais je crois que j'étais pressée de retrouver mon appartement, encore plein de mon amoureux et surtout, la première chose que j'ai faite, c'est d'aller revoir l'endroit où ses cendres sont dispersées parce que je crois que cela m'avait manqué. C'était beau comme un sous-bois dans la lumière du couchant, apaisant, rassurant. La photo est là

Je lui parle moins à voix haute, je pleure un peu moins aussi, je sens que le travail de deuil progresse doucement. Lundi, je reprends le boulot, celui qui m'avait aidé à tenir debout, au début. On va voir comment tout cela va se passer...

Tenir

Jusque là, on va être honnête, c'est le boulot qui m'a fait tenir. Parfois de manière un peu bancale (les larmes systématiques pendant les quart d'heure lecture avec les élèves, le manque de patience parfois quand les loustics devenaient un peu relous, moins de sourires et pour l'instant, pas de prise en charge de cas de harcèlement parce que je ne me sens pas en état émotionnel d’accueillir des choses trop difficiles) mais j'ai tenu bon : mes cours ont eu lieu, j'ai géré les merdes sur le réseau informatique quand il le fallait, j'ai assisté à toutes les p**** de réunions qui me concernaient, je me suis occupée seule du club journal où mon effectif a doublé cette année, je me suis même engagée dans 2 missions nouvelles liées à des projets ponctuels et à accompagner le voyage en Angleterre en février (yay!).

Je suis crevée (pas plus que les autres années à la même époque) mais les vacances d'automne qui débutent, là, elles sont un peu compliquées. Tenir sans le boulot ? J'ai commencé à pleurer sitôt le portail du collège refermé hier, trop plein d'émotions, de tensions à relâcher. Et puis après, il y avait la cérémonie de remise des diplômes du brevet à nos anciens élèves. D'ordinaire un moment de fête et de retrouvailles, où l'on mesure les changements qui se sont opérés déjà chez eux maintenant qu'ils sont au lycée ou en apprentissage, où l'on est contents de voir qu'ils vont bien et que leur vie continue, loin de nous désormais. Et là, c'est le drame. Je n'ai tenu que les 20 min de remise des diplômes et le temps de discuter du bout des lèvres avec 2 élèves qui étaient des piliers du CDI. J'en aurais bien vu d'autres mais c'était trop dur.

Ces élèves, mon amoureux les connaissait tous sans jamais les avoir vus, parce que je lui en parlais, qu'il s'y intéressait, qu'il avait vu leurs bouilles sur Pronote et hier soir, il m'aurait sûrement demandé ce qu'ils devenaient, si elles avaient l'air heureuses. Et avec sa mémoire d'éléphant, il m'aurait demandé si S. se plaisait dans son école de conducteurs routiers, si M. commençait un peu à s'ouvrir aux autres, si W. était toujours aussi désagréable.

J'ai tenu 20 min et je suis partie en douce au début du pot d'honneur. Mes collègues ont bien vu que je n'étais pas bien et elles m'ont fait signe d'y aller. Je n'étais pas arrivée au pied des marches du bâtiment que je pleurais déjà à gros bouillons. Dans ma voiture, il m'a fallu 5 min de sanglots avant de pouvoir démarrer et j'ai pleuré tout le trajet (20 km, je sais c'est dangereux mais j'ai fait gaffe). Et puis encore au moins 30 min en arrivant enfin chez moi. Je ne pouvais plus m'arrêter. Et j'ai compris pourquoi : parce que j'avais l'impression que je ne pourrais plus jamais être heureuse pour le reste de ma vie.

Je sais bien que c'est faux, qu'il y aura un moment où les choses vont basculer mais là, à cet instant, plus de lumière possible, le fond du fond du gouffre, la douleur morale à l'état pur, aucune issue possible. J'ai été à deux doigts d'envoyer un message à mes sœurs pour annuler le voyage que je dois faire en Grèce avec ma famille pendant ces vacances, de peur que cette tristesse infinie ne soit un boulet pour tout le monde.

Et puis c'est passé. J'ai dormi. Et aujourd'hui, j'ai rencontré des gens (dont certains m'ont encore fait pleurer, avec leur gentillesse si sincère et leurs attentions) et j'ai marché, beaucoup, ce qui fait beaucoup de bien.

Si les autres n'existaient pas, si je n'avais pas d'amis, de collègues, de famille, de gens qui m'entourent (dans la vraie vie ou par écran interposé), je pense qu'il y a des semaines que je serais plus en vie. Alors merci. A tous, toutes. Vous êtes là, je vous sens, je vous sais là et c'est grâce à vous que je sortirai de ce deuil si difficile.

Faire le vide

Je reviens d'une deuxième expédition à la benne où sont récupérés les vêtements et chaussures pour du recyclage. La première fois, c'était il y a 15 jours et j'avais porté 2 sacs. Aujourd'hui, j'en avais 2 nouveaux mais une descente à la cave pour aller chercher des confitures (celles que nous avions faites ensemble fin juillet, une dizaine de jours avant sa mort) m'a fait sauter aux yeux qu'il restait là des vieilleries qui pouvaient prendre la même direction, donc 2 sacs de plus.

Je n'ai mis dedans que des choses qui ne sont pas “donnables” : tissus usés jusqu'à la corde, chaussures déglinguées ou trouées, bref, du chiffon. Le reste, la majorité, je le donnerai à Emmaüs pour que cela profite à d'autres (de toute façon, mon amoureux n'achetait qu'en recycleries, la boucle sera bouclée).

Depuis, je pleure à gros bouillons. Je pleure ce qu'il faut jeter, le vide qu'il laisse dans les armoires, dans la cave mais surtout dans ma vie, je le maudis, lui et son foutu mini-syndrôme de Diogène qui me demande un travail de titan pour trier tout ce qu'il conservait, je lui demande pardon de jeter ses affaires, je pleure de rage qu'il soit parti comme ça en me laissant tout ce sale boulot qui me déchire le cœur.

Et je n'en suis qu'à 6 sacs. Il m'en reste 10 fois plus à porter à Emmaüs. Je découpe en petits tronçons ces moments de déchirement total, pour me préserver mais je me demande si finalement, je ne devrais pas remplir ma voiture une fois pour toute et en finir.

En tout cas, il va falloir que je retourne acheter des mouchoirs. J'arrive au bout de tous les paquets entamés trouvés dans ses poches en triant ses affaires (plus d'une dizaine). Il va m'en falloir des neufs. L'ironie.

Celui qui n'aimait pas les fins

Mon amoureux, cet homme merveilleux, était – sans avoir été jamais diagnostiqué officiellement – neuroatypique. Une seule fois, un psychiatre avec lequel il était en contact dans le cadre de son boulot (qui consistait à prendre en charge des jeunes sous main de justice) lui avait dit, de manière très décontractée, qu'il présentait des signes d'un “petit Asperger” (sic).

Pour ma part, sans être une experte des TND mais ayant longtemps travaillé avec des gamins à haut potentiel intellectuel et toutes les joyeusetés qui vont souvent avec, j'en avais surtout conclu que mon amoureux avait un trouble de l'attention assez caractéristique.

Je ne vais pas tout vous raconter mais un point m'a particulièrement sauté aux yeux ce weekend, alors que je grimpais des centaines de marches d'escalier avec ma sœur, histoire de changer d'air.

Mon amoureux ne lisait plus de livres depuis belle lurette, pas plus qu'il ne regardait de films en entier s'ils duraient plus d'une heure et demie. C'était trop long pour lui, de se concentrer aussi longtemps sur une activité. Un autre détail, curieux, pour le grand amateur de musique qu'il était : il n'écoutait jamais un morceau jusqu'au bout. Lorsqu'il écumait les plateformes à la recherche de morceaux à partager dans son émission de radio, il n'écoutait souvent que le tout début et cela lui suffisait à décider si oui ou non, ce titre avait sa place dans le set qu'il constituait.

Souvent, à l'heure de l'apéro, il me lançait des défis de blind-tests où il fallait reconnaitre un morceau dès les premières secondes. Et quand bien même je le reconnaissais et l'appréciais, je devais insister lourdement pour qu'on ait le droit d'en écouter un ou deux jusqu'au bout. Ceci était valable pour toute la musique qu'il écoutait, même ses titres préférés. Quelques dizaines de secondes avant la fin, hop, il arrêtait tout. Hyper frustrant pour moi...

Pour autant, mon amoureux avait une culture littéraire, cinématographique et musicale hors du commun car il lisait par contre beaucoup d'articles, de critiques, de synthèses et avec cela, on n'aurait jamais soupçonné ce secret des fins tronquées.

Mon amoureux n'aimait pas les fins. Cette phrase, en la prononçant à voix haute dimanche, m'a coupé le souffle. Il n'aimait pas les fins et la sienne a été si rapide qu'elle ne m'a laissé aucune chance de protester ou de réclamer qu'il aille jusqu’au bout de l'histoire. Il a tout coupé quelques secondes avant la fin (les 2 min qu'il a manqué aux pompiers pour avoir peut-être une chance de le sauver – bon sang, il a cessé de respirer, on entendait les sirènes qui approchaient, ils étaient dans la rue !)

Alors, comme me l'a justement fait remarquer ma sœur, bien sûr qu'il aurait certainement voulu écouter ce morceau-là jusqu'au bout, vivre cette histoire jusqu'au bout. Il ne s'était pas engagé avec moi à la légère, il savait ce qu'il faisait et m'avait dit plus d'une fois qu'il voulait qu'on vieillisse ensemble. Nous avions des projets, plein. Cela n'arrivera pas, cela n'arrivera plus jamais.

Mon amoureux n'aimait pas les fins et il a bâclé la sienne.

La dépression

J'ai reçu un mail promotionnel aujourd'hui qui me vantait les mérites d'un programme pour sortir de la fatigue mentale. Je cochais toutes les cases : difficultés à se concentrer, fatigue et perte de motivation, irritabilité et sautes d'humeur.

Évidemment, je sais bien à quoi tout cela est dû. On est dans un schéma classique de deuil, avec une phase bien basse où rien ne semble pouvoir me sortir du gouffre. J'ai arrêté l'anxiolytique, je dors relativement bien sans alors stoppons la chimie le plus possible. Je suis fatiguée le soir, mais c'est aussi la période automnale, son changement de luminosité, les presque 6 semaines de boulot dans les pattes aussi, qui n'ont pas été de tout repos malgré la bienveillance dont font preuve mes collègues.

Ceci dit, LA journée de petite victoire évoquée ici a été la seule, pour l'instant. Tous les autres jours, je pleure, je rumine, je cherche du sens à mon existence et surtout, je crève de l'absence de mon amoureux dont je me répète en boucle, tel un mantra, qu'il ne reviendra jamais, histoire de bien me faire entrer cette idée dans la tête.

Je ne vais pas bien. Alors j'ai franchi l'étape supplémentaire, celle dont je pensais peut-être que l'écriture allait m'affranchir : je suis allée consulter une psychologue. Je l'ai choisie un peu au hasard, parce qu'elle ne consulte que les jours où je suis libre et surtout, parce qu'elle avait un créneau là, tout de suite, le jour où j'ai cherché.

Cela a été intense : j'ai vidé mon sac dans une longue logorrhée tout en éclusant un paquet entier de mouchoirs (j'ai fini par prendre les miens, les siens étaient tout fins, ça n'allait pas le faire) et je pense que nous allons être amenées à nous revoir. Entre le traumatisme du décès dans mes bras de mon amoureux, le deuil “classique” d'un conjoint bien-aimé, les suites relationnelles avec sa famille, mes propres soucis avec mes enfants (dont l'un est toujours aux abonnés absents) et les montagnes russes émotionnelles qui sont les miennes depuis, il y a du boulot...

Je ne sais pas du tout ce que ça va donner mais comme je l'ai écrit dans un joli lapsus, il y a du grain à poudre.

Un petite citation de Joyce Carol Oates, que je lis toujours :

Car moi aussi, je m'efface. Sans personne pour me regarder, pour me nommer et m'aimer, je m'efface rapidement.

Lecture

Comme je l'ai déjà dit ici, la lecture n'a jamais été aussi compliquée pour moi que ces dernières semaines : difficultés de concentration qui me demandent de relire des passages entiers, divagations mentales qui m'entrainent tellement loin que je perds le fil, larmes soudaines et sans rapport avec le contenu du livre (ou alors juste un mot), bref, c'est compliqué.

J'ai néanmoins trouvé un livre dans lequel j'arrive à avancer et il se trouve que c'est un journal de deuil, celui de Joyce Carol Oates, dont l'époux est décédé subitement après une brève maladie. Le livre s'intitule “J'ai réussi à rester en vie”.

Il y a dans ce livre tellement de passages que j'aurais pu écrire, certains même qui ont été écrits ici, c'est pour moi confortant de voir que ce que je ressens, d'autres l'ont ressenti avant moi de la même manière et l'ont parfois exprimé de la même manière, pas toujours académique.

Alors je sais bien que je ne suis pas la première ni la dernière ni la seule, j'en ai bien conscience depuis que je raconte mon histoire ici ou là et que d'autres me racontent la leur en retour. Mais j'avais envie (ou besoin ?) de lire quelque chose là-dessus et ce livre m'aide à traverser ces jours flous où plus rien ne semble avoir de sens pour moi.

Je surligne des passages qui me parlent, qui résonnent en moi de manière singulière. Par exemple, quand elle va le voir à l'hôpital où il vient de décéder :

A présent, il s'est retiré dans un lieu où je ne peux plus plus le suivre. Simplement derrière ses yeux fermés.

Ou alors, plus tard, après les obsèques :

Il y a quelque chose de terrifiant à être seul, plus même qu'à se sentir seul. Et à présent, c'est ma vie. C'est ce que sera ma vie. Cette solitude, cette angoisse, cette peur de l'heure suivante, de la nuit qui vient et du matin qui suivra, [...] voilà ce que sera le reste de ma vie sans mon mari : incroyable, impossible à croire et pourtant – évidemment vrai.

Je partagerai sans doute d'autres passages, Joyce Carol Oates écrit tellement mieux que moi.

Et parfois, comme une petite victoire

Il y a les jours où je suis au fond du gouffre et où rien ne semble pouvoir me faire sortir de là et puis, depuis peu, il y a aussi des jours où je ne pleure (presque) plus. Des jours où le chagrin reste en surface. L’œil un peu humide, la voix pas très assurée mais tout en maitrise, voire même dans un début d'acceptation de la situation.

Cela m'a frappée tout à l'heure, où après m'être vraiment bottée les fesses pour sortir un peu de chez moi, je me suis retrouvée, tout naturellement, sur le petit chemin qui passe à côté de la forêt où j'ai dispersé les cendres de mon amoureux, il y a quelques semaines. Écouteurs dans les oreilles, j'ai lancé LA playlist, celle du jour J, celle qui m'a accompagnée depuis qu'il est mort et je suis partie tranquillement faire mon petit tour. J'ai vu l'arbre planté par ses stagiaires, je suis allée examiner son feuillage, son pied puis j'ai poussé dans le sous-bois, jusqu'à l'endroit où repose mon amoureux. Il y avait plein de petits champignons planqués sous les lierres, un peu de vent dans les sapins, et même quand la chanson est passée, celle de la dispersion des cendres, mon chagrin est resté en surface. Un sanglot a gonflé ma poitrine mais il est resté là, sagement, et j'ai continué ma promenade, en pensant que cet endroit était vraiment beau et apaisant et j'étais heureuse de savoir qu'il était là.

Plus loin, tout en continuant à marcher, j'ai repensé à toute cette histoire, la nôtre, si belle, si intense, et puis tout à coup, à celle qui me reste à vivre, sans lui. Parce qu'évidemment, pour l'instant, son absence me fait un mal de chien mais je vais bien finir par la dompter et mon histoire à moi, sans lui, reste encore à écrire.

Alors oui, quand le chagrin reste en surface, comme aujourd'hui, c'est une petite victoire.

Là où on s'aime, il ne fait jamais nuit

Notre première rencontre a eu lieu une chaude journée de juillet, au sortir du confinement. Je me souviens comme si c'était hier du moment où je l'ai aperçu, sur cette place où il m'attendait (j'étais en retard), de son regard, de son sourire, d'avoir posé mon sac à dos pour me jeter dans ses bras et de ses premiers mots : “On y est”.

Nous nous sommes serrés fort, puis très vite, nos bouches se sont trouvées et le clodo qui était assis sur le banc pas loin a été le seul témoin de ce baiser d'anthologie qui venait sceller un amour tout neuf et durable.

La journée s'est passée comme dans un rêve. Nous avons déambulé dans les rues, le long de la Saône, sur les pavés, nous arrêtant tous les 10m pour nous regarder, nous embrasser encore et encore. Je pense ne pas avoir lâché sa main des heures durant.

Nous sommes allés voir une expo de photos, nous avons grignoté un morceau, nous avons parlé encore et encore, nous avons exploré nos corps à travers nos vêtements, comme des ados timides qui flirtent cachés. Nous nous sommes regardés, embrassés tellement que le soir venu, j'avais encore la sensation de sa bouche sur la mienne, des heures après l'avoir quitté.

En le raccompagnant au train, je lui ai offert un livre et une carte, écrite le jour-même, au crayon à papier parce que je n'avais pas de stylo sur moi.

Je viens de la retrouver, en triant ses papiers personnels. Cette carte comporte un symbole rouge, probablement d'une langue disparue. Au-dessus est inscrit “Là où on s'aime, il ne fait jamais nuit” (proverbe africain).

Et au dos, j'ai écrit : “Et donc, en chacun d'entre nous, il ne fera plus nuit. Parce que je t'aime, que tu es venu illuminer ma vie, la réveiller, me réchauffer. Je t'aime, mon feu d'artifice, ma lumineuse évidence. Merci pour cette merveilleuse journée que je n'oublierai jamais. Et rendez-vous pour les prochaines que j'espère nombreuses

Il faut absolument que je repense à cette phrase, il ne fera plus jamais nuit, même en ces temps où j'ai l'impression que le jour n'existe plus.

Un puits sans fond

Le deuil est une sorte de monstre qui prend des formes parfois différentes mais aux effets toujours terrifiants. Parfois, c'est une chape de plomb qui s'abat sur moi et me cloue au sol. Parfois juste un voile de chagrin qui semble léger mais qui ne se déchire jamais, un brouillard qui floute tout et dont on a l'impression qu'on en sortira jamais.

Parfois, comme ces derniers jours, c'est un puits sans fond qui absorbe tout sur son passage et dont on sent qu'il sera impossible d'aller chercher ce qu'il a entrainé parce que c'est tombé si loin que c'est hors d'atteinte. Le puits sans fond des derniers jours a pris mon envie de lire (c'est bien la première fois que ça m'arrive depuis mes 5 ans), mon envie de dessiner, de broder, de faire des choses avec mes mains, mon goût pour la cuisine (je bricole, juste ce qu'il faut pour tenir debout ou alors je mange n'importe quoi parce que c'est là). Je n'ai même plus envie de partir en voyage avec ma famille aux prochaines vacances, rien que leurs messages de préparatifs me fait me sentir sur une autre planète. Je n'ai plus envie de sortir, ni de parler à personne, même aux gens que j'aime et qui sont tellement gentils avec moi. Plus envie de sourire. Plus envie de vivre, même.

Ce puits sans fond est un monstre terrifiant. Une de mes collègues a perdu son fils de 19 ans il y a 15 mois et elle est encore au fond de ce trou dont elle ne parvient pas à sortir. Je ne me risque à aucune comparaison, elle et moi sommes des personnalités vraiment différentes et elle a eu une vie absolument abominable avant ce drame absolu mais des fois, ça me fait peur.

J'ai passé la journée entière de samedi à pleurer mon amour perdu, la colère qu'il m'ait abandonnée, mon chagrin de devoir vivre seule et supporter l'absence, l'injustice de cet amour immense qui n'a eu le temps de s'épanouir*. C'est fatigant de pleurer, c'est épuisant.

Mais si j'arrive à reboucher le fond, peut-être qu'à force de pleurer, je vais le remplir, ce puits et finir par remonter à la surface ?

  • et tout ça parce que j'ai lavé et fait sécher ses caleçons avant de les porter au recyclage