Ma vie sans lui

Journal intime de la vie d'après

Je me souviens (3)

Je me souviens du jour où mon mari, sentant que quelque chose avait changé, m’a demandé si je l’aimais toujours et où je l’ai fait asseoir pour lui dire que non, depuis des années et qu’en plus, je t’avais rencontré.

Je me souviens du soulagement que j’ai ressenti en disant enfin la vérité, même si elle fracassait notre vie en mille morceaux. Et je me souviens t’avoir appelé tout de suite après pour te le dire, tu ne savais pas comment réagir et cette fois, c’est moi qui t’ai rassuré.

Je me souviens d’avoir été mise au pied du mur par cet homme (« lui ou moi ») et avoir été déstabilisée par cette soudaine autorité de la part de quelqu’un qui n’en avait jamais manifesté.

Et je me souviens avoir perdu pied et cru que je pourrais lui donner une seconde chance pour sauver mon mariage. Mais au bout de quelques heures, je me souviens que j’ai compris que ce n’était pas possible parce que tu étais celui que j’aime alors je lui ai dit que je le quittais.

Je me souviens de tout. Des larmes, des explications, des mots dégueulasses, des coups de fil à nos familles, à nos enfants, de leurs larmes et de l’incompréhension de (presque) tout le monde.

Je me souviens de m’être sentie minable, coupable, monstrueuse, mauvaise mère, seule. Mais malgré tout ça, forte, contre vents et marées, grâce à toi.

Je me souviens de toi, un peu en retrait par rapport au tsunami qui balayait ma vie, toi, qui m’aimais comme un soleil.

Je me souviens de la recherche d’un appartement, en pleine menace d’un nouveau confinement. Je me souviens de nos coups de fil libérés du secret, et de ton inquiétude pour moi. Moi, je me sentais invincible.

Je me souviens de la signature du bail, in extremis avant le confinement de l’automne, d’être partie de chez moi avec mes effets personnels et un peu de linge et de vaisselle, je me souviens du regard des voisins, aussi.

Et je me souviens de cette première nuit seule dans mon nouveau nid, tout petit, sans meubles à part le lit, de pouvoir te parler quand je le voulais, de la liberté que je ressentais malgré la situation confuse et tendue.

Je me souviens aussi des soirées solitaires à pleurer sur le passé démoli, sur la frustration de ne pouvoir te rejoindre à cause de ce foutu virus, je me souviens surtout des mots très durs de mes fils qui ne me pardonnaient pas la trahison, je me souviens. Je me souviens de la douleur, du doute mais il y avait surtout l’amour.

Je me souviens de nos retrouvailles après 2 mois de séparation, chez toi, je me souviens de leur goût très particulier, libéré du mensonge. C’était le jour où Samuel Paty a été assassiné.

Je me souviens de notre nouveau rythme de vie, des week-ends partagés en alternance, des TGV, de nos « je t’aime, bonne nuit » le soir avant de se coucher et puis je me souviens du jour où pour la première fois, tu m’as appelée « Chérie ». C’était la première fois que tu utilisais ce mot et la première fois qu’on me le disait.

Je me souviens des plans sur la comète, de tes premières démarches en vue d’une mutation pour venir me rejoindre. Je me souviens avoir eu peur, les choses allaient si vite. Mais tu étais sûr de toi, j’étais la bonne personne, pour le reste de ta vie. Et le présent nous montre que tu avais raison.

Je me souviens de mes larmes lorsque j’ai appris ma mutation à 75 km de chez moi, je me souviens que tu étais là, en visio quand j’ai ouvert le mail et Maps pour chercher où se trouvait ce fichu collège et tu ne savais pas quoi faire pour m’aider.

Je me souviens de nos premières vacances ensemble, en Bretagne. Je me souviens que je flippais un peu en disant que c’était l’épreuve de vérité, qu’on n’allait peut-être pas se supporter. Tu riais, je me souviens que tu riais tellement, tu ne pouvais pas t’être trompé.

Et je me souviens alors de notre trajet vers le bout de la terre, à écouter du blues et du rock en chantant à tue-tête dans la voiture, c’était la fête et quelle joie c’était d’être avec toi, tout le temps.

Je me souviens des proprios du gîte qui nous appelaient les jeunes mariés parce qu’on était collés l’un à l’autre tout le temps, on marchait main dans la main même sur les sentiers de randonnée.

Je me souviens des embruns salés, des balades dans le grand vent, du soir où tu m’as prêté ton grand sweat à capuche et ton chèche parce que j’étais congelée d’avoir pris l’air toute la journée. Tu m’appelais « la petite kurde » car j’étais emmitouflée comme une combattante de là-bas.

Je me souviens de nos siestes crapuleuses, de nos nuits compliquées parce que je bouge tout le temps et puis je ronfle et toi, en mode hypervigilant, ça t’empêchait de dormir.

Je me souviens de ce que nous apprenions l’un sur l’autre au quotidien, les goûts culinaires, les habitudes, le ménage, les courses, la vie. Je me souviens des tensions aussi, qui se dissolvaient dans les mots et les baisers.

Je me souviens du mot croisé de l’été de Libé qui était parti en vacances avec nous mais qui n’avançait pas vite, des parties de 421 à l’apéro que je gagnais tout le temps et qui te rendaient grognon.

Je me souviens des pauses photos sur les chemins, de tout ce que tu m’as appris à voir et à capturer. Je me souviens de la fatigue dans nos mollets et de la satisfaction de marcher ensemble sur les sentiers escarpés du GR34.

Je me souviens de ma rentrée dans ce village du bout du département, au bout du monde. Je me souviens entre autres de la première fois où j’ai passé le col et où j’ai dit « Waouh » en voyant ce qui m’attendait de l’autre côté de la montagne.

Je me souviens des textos qu’il fallait t’envoyer à mon départ et à mon arrivée parce que tu te faisais du souci, je me souviens t’avoir raconté la route en automne, avec le brouillard sur les sapins et en hiver, avec le verglas dans les virages. Et les vaches, et les chevaux, et les tracteurs.

Je me souviens de la fatigue de ce nouveau rythme de travail, augmenté par les longs trajets. Je me souviens avoir fait la route certains jours en pilote automatique, je me souviens avoir eu peur à cause des camions, je me souviens avoir été assommée de fatigue, je me souviens m’être assoupie au volant, une fois.

Je me souviens de ton arrivée les week-ends et les vacances, tu ne voulais plus que je me déplace parce que j’en faisais déjà assez dans la semaine. Je me souviens de la joie de te retrouver, à la gare, à l’arrêt de bus, de nos corps toujours avides l’un de l’autre, on faisait l’amour dès qu’on avait passé la porte.

Je me souviens aussi du vol de ma voiture, des galères avec les voitures de prêt des assurances, de l’hiver et ses dangers, je me souviens de ton inquiétude et de mon sourire qui se voulait rassurant mais en fait non, j’avais la trouille.

Je me souviens de ta rencontre avec mes parents, tu étais terrifié et tu voyais tout en noir. Je me souviens de notre premier Noël en famille, compliqué pour toi, tu n’avais plus l’habitude du bruit, de tout ce monde, des cadeaux.

Je me souviens de notre relation à distance qui n’était pas si difficile parce que nous avions commencé comme ça.

Je me souviens de ta première demande de mutation, qui a été rejetée, de notre déception mais au fond de moi, un imperceptible soulagement parce que c’était si tôt encore.

Je me souviens de ma décision de chercher un logement plus près du boulot, dans la campagne que j’avais appris à aimer, puisque tu ne pouvais pas me rejoindre tout de suite.

Je me souviens de mon déménagement et du soulagement que cela a représenté pour mon corps épuisé par les trajets. Je me souviens t’avoir emmené quelques semaines auparavant voir là où j’allais habiter et de ton coup de cœur pour le paysage de ma vallée, les vaches et les sapins.

Je me souviens des étoiles dans tes yeux quand je t’ai emmené dans le petit chemin derrière chez moi, tu es resté longtemps à contempler le paysage en disant que j’allais être bien, là. Et c’est là que ce qui reste de ton corps repose, à présent.

Je me souviens de ta première visite en week-end et de la fatigue que cela représentait désormais pour toi de venir jusque dans ce trou du cul du monde. Mais je me souviens aussi de nos premiers marchés ensemble, le samedi, de nos balades sur les chemins en partant de chez moi, je me souviens comme tu étais bien ici, dans ton élément.

Et évidemment, je me souviens comme si c’était hier du texto reçu un petit matin de novembre où tu m’annonçais ta mutation à Lyon, je me souviens de mes larmes de joie, j’étais prête, cette fois.

Je me souviens tes préparatifs pour me rejoindre, tu ne laissais rien au hasard, en grand anxieux que tu étais et ça me faisait rire. Je n’avais plus aucune inquiétude, j’étais pressée, je me souviens.

Je me souviens du jour de ton déménagement, c’était un mercredi de janvier, il faisait un froid polaire et il avait neigé, quelques jours plus tôt. Je me souviens avoir accueilli les déménageurs avec un café, ils ne portaient qu’une doudoune sans manche et ils ne s’attendaient pas à arriver à la montagne !

Je me souviens aussi de ton arrivée, le même soir, tard. Tu avais pourtant réservé un hôtel sur la route mais tu étais si pressé de me rejoindre. Je me souviens de cette première nuit et de mon départ au boulot le lendemain, tu avais pris ton café avec moi, ça nous faisait bizarre.

Je me souviens des petites routines qui se sont installées, de nos siestes les week-ends sur le canapé, de l’amour à l’heure du goûter et des apéros-jeux, je me souviens des plats cuisinés ensemble le dimanche et qui étaient suffisamment copieux pour nos gamelles du lundi.

Je me souviens de tes départs de bonne heure pour prendre le train de Lyon, des déboires avec la ligne SNCF, des retards, des annulations, des travaux sur la voie, des feuilles mortes sur les rails et des vaches dans le tunnel, je me souviens de toi consultant ton appli fébrilement chaque matin pour savoir quelle nouvelle mésaventure t’attendait.

Je me souviens des soirs où tu me demandais d’appeler mes parents pour solliciter l’asile géographique pour toi parce qu’il n’y avait plus de train pour rentrer.

Je me souviens de ton stress dans tes nouvelles fonctions, je me souviens que tu en étais malade et je me demandais parfois si tu avais bien fait de quitter ton boulot et le confort de ce que tu maîtrisais par amour pour moi. Je me souviens de ta réponse lorsque je formulais l’idée à voix haute, elle était ambiguë, parfois mais tu restais droit dans tes bottes.

Je me souviens de nos chamailleries, de nos engueulades, c’était toujours de ma faute, toi, tu étais parfait et tu savais où tu allais. Je me souviens que ça m’énervait mais je découvrais en fait ta sensibilité particulière et j’ai fini par la dompter à peu près.

Je me souviens de tes mots doux et de tes déclarations d’amour éternel, autant que de tes piques parfois cruelles. Je me souviens avoir fait pas mal de concessions mais n’avoir jamais lâché sur les valeurs qui sont les miennes. Je me souviens de réconciliations douces et drôles.

Je me souviens des vendredis soirs où tu animais ton émission sur le blues à la radio et où j’assurais la communication sur les réseaux sociaux. Je me souviens de tes dédicaces, je me souviens de la douceur et de la passion dans ta voix.

Je me souviens de la préparation de ces émissions, quand tu me faisais écouter 10 secondes d’un morceau et que tu me demandais mon avis. Je me souviens que c’était frustrant de ne pas en entendre plus mais tu étais comme ça, concis et pressé.

Je me souviens de nos dimanches à la maison, à bidouiller de photos pour le #sundaygimp. Je me souviens de ce que tu m’as transmis, de ton goût pour l’abstrait et les objets aux formes géométriques étranges.

Je me souviens que tu me regardais lire, parfois, du coin de l’œil. Moi, j’aimais te regarder dormir. Et manger aussi.

Je me souviens des projets que nous avons commencé à bâtir une émission de radio à deux voix, l’achat d’une maison dans notre montagne à vaches.

Je me souviens de nos étés à marcher dans des paysages désolés et déserts, loin de la foule.

Je me souviens de nos soirées devant des séries, à nous bagarrer à propos de la VO. Et je me souviens des après-midi à regarder du rugby, heureusement j’avais mes bouquins.

Je me souviens de la première (et dernière) fois que nous sommes allés voter ensemble, je me souviens du scandale que tu as tapé devant un conseiller municipal à propos de la plaque de rue qui n’orthographiait pas correctement le nom de Mitterrand (ils l’ont enlevée, depuis, je crois qu’ils la font refaire).

Je me souviens de tes jours de télétravail et d’avoir assisté de loin à tes entretiens avec tes stagiaires. Je me souviens avoir pensé à la chance qu’avaient ces jeunes gens de t’avoir comme tuteur, de la passion qui t’animait quand tu partageais ton métier, pourtant si difficile.

Je me souviens de nos échanges à table à propos de nos boulots respectifs. Je me souviens de tes espoirs de retravailler un jour, bientôt, avec des jeunes.

Je me souviens de la joie, profonde, qui m'envahissait quand j'étais avec toi, à chaque moment, la joie qui s'était emparée de ma vie depuis que tu y étais entré, la joie que c'était de t'aimer et d'être aimée de toi. Je me souviens.

Je me souviens (2)

Je me souviens de mon premier mot « Désolée » (j’étais en retard), qui fut aussi ton dernier, un peu plus de 4 ans plus tard.

Je me souviens d’avoir posé mon sac à dos et de t’avoir tout de suite serré dans mes bras. Je me souviens de la chaleur de ton corps, déjà, de ton parfum, de t’avoir dit que tu sentais bon et tout de suite après, t’avoir embrassé.

Je me souviens du SDF assis sur le banc non loin de nous qui n’a pas eu conscience d’avoir assisté à la plus parfaite rencontre amoureuse de l’univers.

Je me souviens comme si c’était hier de ce premier baiser, de la douceur de ta barbe, d’avoir ri et continué encore et encore et encore, comme une morte de faim.

Je me souviens de nos langues, de nos corps qui se sont cherchés toute la journée, même à travers les masques qu’il fallait porter à l’intérieur.

Je me souviens de cette journée magnifique, du soleil, du ciel d’un bleu si pur qu’il faisait presque mal aux yeux. Et de tes yeux, justement, verts et remplis d’amour.

Je me souviens de tes mains baladeuses et des miennes qui ne valaient guère mieux.

Je me souviens de nos mots, entre deux baisers, de nos rires, de nos regards vissés l’un dans l’autre, comme incrédules de ce qui était en train de nous arriver.

Je me souviens que nous avons oublié de manger et de boire mais qu’à un moment, la chaleur nous a terrassés et qu’il a bien fallu sortir de notre bulle pour remplir nos corps.

Je me souviens de notre trajet en métro pour te raccompagner à la gare, collés l’un à l’autre, nous embrassant à travers les masques, cela faisait sourire les autres passagers.

Je me souviens aussi que nous sommes arrivés juste à temps pour ton train et que cela ne nous a pas laissé le temps d’être tristes de nous quitter.

Je me souviens encore de la sensation de tes baisers sur ma bouche qui a duré des heures après que tu sois parti, tu étais imprimé sur moi.

Et puis je me souviens de cette attente avant que nous puissions nous retrouver à Paris, à l’occasion d’une escapade. De cette impatience et de cette trouille aussi, à l’idée de nous retrouver tous les deux dans une chambre d’hôtel.

Je me souviens des textos coquins qui entretenaient la flamme, des siestes ensemble mais à distance qui nous laissaient le feu au corps et le ventre palpitant.

Je me souviens du film que tu t’étais fait, nous nous retrouvions Gare de Lyon, sous le panneau des arrivées et c’était comme dans un film romantique, le sacs qui tombaient et les baisers d’amour fou. Et c’est vraiment comme ça que ça s’est passé.

Je me souviens du trajet vers l’hôtel, tu tirais ma valise et nous arrêtions tous les 20 mètres pour nous embrasser.

Je me souviens de la chambre au 7e ciel, de la fenêtre ouverte, de nos corps l’un contre l’autre pour étancher notre faim, notre soif, de cet amour dévorant que nous avons fait pour la première fois, sans même nous déshabiller complètement.

Je me souviendrai toujours de ton regard, intensément vert ce jour-là et si plein d’amour, si plein d’amour.

Je me souviens que nous avons quitté la chambre pour aller dîner, tout de même, de tes doigts emmêlés dans les miens et de ta barbe qui sentait mon sexe. J’avais l’impression que tout le monde savait et je m’en moquais complètement.

Je me souviens de notre première nuit ensemble, dans la touffeur estivale, et de ce petit courant d’air frais qui se faufilait entre mes cuisses ou bien était-ce toi.

Je me souviens de la douche prise ensemble, des rires et des bulles de savon. Je me souviens du petit-déjeuner dans la cour à l’ombre, il faisait frais mais nous avions si chaud, l’un avec l’autre.

Je me souviens des balades dans les rues de Paris, de nos mains collées, nous faisions un détour s’il fallait qu’elles se séparent pour passer.

Je me souviens des photos prises place des Vosges, de mon étonnement en constatant tes choix de prises de vue, d’avoir appris à te connaître encore en te voyant photographier à ta manière des objets étranges, des détails insolites alors que je voyais toujours le tableau d’ensemble.

Et puis je me souviens de la Normandie, où tu m’as emmenée pour me faire une surprise. La plage de Houlgate en juillet, où je n’avais pas le sentiment d’être en vacances mais entre parenthèse. Le vent, la mer, le sel, le sable chaud.

Je me souviens que nous entrés dans l’eau en courant comme des gamins et que nous avons plongé sans savoir si elle était bonne ou pas, nous étions ensemble et c’était la vie en Cinémascope.

Je me souviens de nos baisers dans l’eau et soudain, ce bonheur si intense et parfait que la mer a fait son apparition dans mes yeux. Et tu t’es inquiété et je t’ai rassuré, c’était juste le bonheur, ce truc que j’avais oublié depuis si longtemps et toi aussi.

Je me souviens de notre longue conversation sur la serviette et du coup de soleil monstrueux qui a décoré ma cuisse pendant les 10 jours qui ont suivi.

Je me souviens des crêpes avant de reprendre la route et du trajet de nuit, fenêtre ouvertes sur l’autoroute, musique à fond. J’avais chaud et j’avais froid, j’étais hébétée de fatigue parce que l’amour, ce n’était pas reposant.

Je me souviens de notre arrivée chez toi, de la Maredsous à minuit passé et d’avoir grelotté sur tes draps, à cause du coup de chaleur. Je me souviens de ton lit, pas bien large, dans lequel nous avons vite sombré.

Je me souviens de la fenêtre ouverte et des chants des oiseaux au petit matin, et de toi au-dessus de moi, si doux, si tendre. Je me souviens de ton plaisir et du mien et tant pis pour les voisins.

Je me souviens de ces jours ensemble, comme si c’était hier. Et je me souviens aussi de nos adieux à la gare, plus compliqués que l'autre fois parce que nous ne savions pas quand nous pourrions nous revoir.

Je me souviens avoir regardé s’éloigner Paris, les larmes traçaient sur mes joues des traits parallèles comme ceux des rails. Je me souviens avoir pensé à la chance de connaître un pareil amour et à la malchance de ne pas savoir si cette histoire avait un avenir.

Je me souviens des semaines compliquées qui ont suivi, désormais adultère et enfermée dans un mensonge trop gros pour moi. Je me souviens m’être sentie mal mais pas coupable, est-on coupable d’aimer si parfaitement ?

Je me souviens des coups de fil, instants volés au quotidien pendant lesquels nous refaisions le monde pour ne pas sombrer dans l’incertitude.

Je me souviens du sexe par téléphone, je ne savais même pas qu’une telle chose était possible et pourtant je l’ai faite, c'était doux et naturel, on ne se posait pas la question.

Je me souviens de ma joie quand tu m’as annoncé que tu revenais à Lyon à la fin de l’été pour une journée et de mon embarras quand il a fallu inventer toute une histoire pour justifier de mon absence ce jour-là.

Je me souviens de nos retrouvailles à la gare, tu m’as regardée comme si j’étais la huitième merveille du monde en me disant « Putain, qu’est-ce que t’es belle », comme le personnage de la série « Baron Noir ».

Je me souviens de notre petit-déjeuner en terrasse et de nos regards qui se dévoraient à travers la table.

Je me souviens de notre visite à la maison où Jean Moulin avait été arrêté, de ta main dans la mienne qui se serrait quand le guide nous expliquait et nous montrait les lieux. C’est moi qui avais eu l’idée, parce que tu étais passionné par l'histoire de la Résistance.

Je me souviens aussi avoir réservé un hôtel pour l’après-midi, sans payer par carte pour ne pas laisser de traces et en donnant mon nom de naissance. J’avais l’impression d’être dans un film d'espionnage.

Je me souviens de nos corps qui se retrouvaient enfin et à quoi bon déjeuner alors que nous avions surtout faim l’un de l’autre.

Je me souviens que tu m’as demandé après l’amour si tu pouvais me prendre en photo, nue et que j’ai dit oui tout de suite, alors que je déteste mon corps et que je déteste me faire photographier. Je me souviens de ces photos que j’ai toujours et qui montrent une belle femme radieuse et sensuelle que je ne connaissais pas.

Et je me souviens de ce sentiment de fin lorsque je t’ai raccompagné à la gare, cette fois, nous ne savions pas ce que nous allions devenir. Je me souviens.

Je me souviens (1)

Je me souviens de nos premiers échanges, sur un réseau social libre et décentralisé. Je me souviens du seul mot “blues” inscrit dans ta bio, qui m'a fait lever un sourcil puis sourire, dans une sorte de divine surprise.

Je me souviens de nos bonjours, tu répondais toujours en privé, déjà le goût du secret mais je ne le savais pas.

Je me souviens du manque que j'éprouvais lorsque tu ne répondais pas rapidement à mes messages (je ne savais pas non plus que tu ne correspondais que d'un ordi, je ne savais rien de toi)

Je me souviens que je ne cherchais rien mais qu'à un moment donné, je me suis dit qu'il se passait quelque chose, là.

Je me souviens de ce sentiment de connivence, de cette convergence incroyable de points communs et je me souviens aussi que je freinais des quatre fers lorsque je me disais “serait-il possible que ?”.

Je me souviens de la première fois que j'ai entendu ta voix, à la radio. J'avais l'impression que découvrir quelqu'un d'autre.

Je me souviens de ton fou-rire en messagerie privée lorsque tu m'as demandé comment je t'imaginais physiquement et que j'ai répondu “Jeune, grand, mince et brun”.

Je me souviens que j'étais persuadée qu'il fallait cesser ce “marivaudage” entre nous parce que tu avais sans doute 20 ans de moins que moi et que ça allait être compliqué.

Puis je me souviens du message où nous avons commencé à parler de nous, de nos vies et du soulagement quand j'ai réalisé que tu n'avais que 2 ans de moins de moi !

Je me souviens de l'accélération de nos échanges, de l'urgence que nous y mettions soudain et de la joie qui m'étreignait quand tu me répondais. Je me souviens du sourire qui ne me quittait plus quand j'étais en ligne avec toi.

Je me souviendrai toute ma vie de cette émission de radio que tu enregistrée rien que pour moi et du moment précis, du lieu précis où lorsque je l'ai écoutée en replay, j'ai compris que j'étais amoureuse de toi. Je me souviens des larmes qui ont dévalé sur mes joues, bonheur, peur, incrédulité, bon sang, cela faisait si longtemps que je n'avais pas éprouvé ce qu'était l'amour...

Je me souviens du soir-même où je t'ai écrit “je crois que je t'aime et je ne sais pas que faire de ça”, tu m'as alors envoyé ton numéro de téléphone et nous avons enfin pu nous parler, on aurait deux collégiens qui s'abordent timidement.

Je me souviens de nos conversations tous les matins et tous les soirs, quand j'étais sur le chemin du boulot. Je me souviens de mon rire qui résonnait dans les rues, de la légèreté qui était la mienne et de tes mots d'amour qui devenaient ma drogue quotidienne.

Je me souviens de la première fois que tu m'as appelée “mon amour”.

Et puis je me souviens de nos projets de rencontre à Paris, “pour en avoir le cœur net”, de mon appréhension, de la culpabilité que je commençais à éprouver de mentir à mon mari, mes fils. Et de la déception mêlée de soulagement que j'ai éprouvée quand on nous annoncé le confinement et l'interdiction de se déplacer, qui mettait à terre notre rencontre pour une durée indéterminée.

Je me souviens de la difficulté que cela a été pour moi de me retrouver enfermée chez moi avec un homme que je n'aimais plus, alors que je t'aimais toi. Je me sentais prisonnière mais à distance, tu m'aidais à m'évader.

Je me souviens des combines pour m'échapper afin de te téléphoner, de l'opération “bergamote coronavirée”, des balades de nuit pour ne croiser personne au prétexte de marcher un peu, dans mon kilomètre autorisé.

Je me souviens t'avoir proposé une visio, j'en faisais toute la journée dans mon bureau du fond du couloir alors pourquoi pas. Je me souviens que nous l'avons faite la veille du jour où nous devions nous rencontrer pour de vrai à Paris, pour conjurer le sort.

Je me souviens du moment où ton visage est apparu, je me souviens de ton relatif silence en voyant le mien, tu m'as dit plus tard que j'étais tellement belle que ça t'avait coupé le souffle (n'importe quoi). Et je me souviens qu'on en a fait régulièrement ensuite, quand les conditions s'y prêtaient.

Je me souviens de nos longues conversations à voix basse, de tout ce que nous sommes dit, de la découverte de ton histoire et toi de la mienne, je me souviens de cet amour, de notre amour qui a grandi de jour en jour alors que la moitié de l'humanité était confinée.

Je me souviens de tes doutes, aussi, des jours où tu ne te sentais pas “à la hauteur”, où tu te demandais si je ne devrais pas plutôt retourner à ma vie parce que tu n'avais rien à m'offrir (quelle vaste blague, tu m'as offert bien plus que mon ex en plus de 30 ans).

Je me souviens de larmes, parfois mais aussi et surtout de messages enflammés qui nous consumaient de désir.

Je me souviens m'être inquiétée pour toi parce que cet amour prenait toute la place dans ta vie confinée et que je craignais que si quelque chose tournait mal, cela ne finisse par te démolir.

Je me souviens du mois de mai, radieux et plein de nuages en même temps, de nos hésitations sur la suite et de notre rupture, qui m'a laissée le cœur déchiré en deux, à tel point que je me suis dit tout de suite qu'il n'était pas possible de passer à côté d'un amour pareil, quel qu'en soit le prix. Je me souviens t'avoir immédiatement relancé et persuadé que cela ne pouvait pas s'arrêter comme ça.

Je me souviens qu'alors que je savais pas si l'histoire était finie ou non, tu m'as envoyé un message pour me dire que tu avais réservé un billet de train pour venir me voir, maintenant que le confinement se levait petit à petit et je me souviens de mon cœur qui a raté quelques battements.

Je me souviens de l'attente de notre première rencontre, j'étais conquise et conquérante, sûre désormais d'avoir fait le bon choix.

Et puis je me souviens de ta silhouette sur la place des Archives, de ton sourire quand tu m'as vue arriver. Je me souviens.

(à suivre)

Ci-gît l'amour

Serai-je capable un jour d'écrire sur ce journal sans pleurer toutes les larmes de mon corps ? Je le pense, oui, mais ce ne sera sans doute pas aujourd'hui. Je pleure moins souvent, ce sont souvent juste des larmes qui restent en bordure de paupière, juste un sanglot dans la voix que j'ai appris à maitriser, la plupart du temps. Parfois, si je suis seule ou alors cachée (comme dans l'obscurité d'une salle de concert, par exemple), les larmes dévalent en silence mes joues où elles sèchent seules, en restant inaperçues aux yeux des autres.

Il me semble qu'il y a longtemps que je n'ai pas parlé d'amour ici. Ou alors j'en parle tout le temps, je ne sais plus.

L'absence de mon amoureux est devenue une compagne familière. Je me fais à l'idée, il ne sera plus jamais là. J'ai passé un long moment ce week-end à nettoyer son ordinateur qui va être donné à quelqu'un, l'occasion d'une rétrospective globale sur sa vie, en mettant de côté les photos, les musiques qu'il aimait, des écrits perso que je découvre (il ne me les avait jamais fait lire). Je supprime également les comptes qu'il avait en ligne et qu'il n'utilisera plus. Je fais ça proprement, méthodiquement, comme il l'aurait fait aussi, soucieux de ne pas laisser plus de traces qu'il n'en faut. Me restent deux disques durs externes et un nombre incalculable de clés USB qui vont aller rejoindre la valise des souvenirs de lui que j'ai constituée. Un jour peut-être, je les formaterai, mais pas tout de suite.

J'ai commencé à refaire la déco du bureau, qui me le rappelait trop. J'ai épuré les affichages, mis de nouvelles choses, histoire de changer d'air. Seule la photo de nous deux est restée à sa place. C'est la seule photo où nous sommes côte à côte, heureux, alors que nous randonnions en Bretagne. La seule photo de nous deux.

Bien sûr, son corps me manque. Son odeur, sa douceur, ses baisers, ses caresses. Évidemment. Mais je crois que ce qui me manque le plus de lui, c'est son amour. Moi, je l'aime encore, de cet amour incroyable qu'on a pour les gens qui sont partis et qui ne cesse de m'étonner, jour après jour (comment une telle chose est-elle possible ? aimer après la mort, vraiment ? mais oui !) Cependant, cet amour est désormais à sens unique et ce qu'il me renvoyait, dans la relation extraordinaire qui était la nôtre, me manque terriblement. Je ne suis plus aimée de lui, et cela crée un vide immense qui m'aspire parfois toute entière. Le regard qu'il portait sur moi, la confiance en moi qu'il m'avait rendue, le sentiment d'être puissante, invincible, irrésistible car passionnément aimée, tout cela s'est effacé petit à petit avec le deuil. J'essaie de ne pas oublier ce sentiment que me procurait cet amour, cette sécurité, cette assurance et j'essaie aussi de me dire que je dois les garder, en mémoire de lui mais ce n'est pas encore évident.

Pour la première fois en plus de 40 ans, je dois exister sans l'amour d'un homme. Et bien sûr que je vais y arriver mais quel manque, quelle perte... Je crois que je ne pensais pas que ce serait cela qui serait le plus difficile.

Que viennent les beaux jours...

Je ne sais plus quoi écrire ici que je n'ai pas déjà répété mille fois. On ne peut pas dire que je vais mieux, mais je ne vais pas plus mal non plus. La vie continue, avec ses hauts et ses bas, ses promesses et ses incertitudes. Je suis toujours un peu perdue, avec cette impression presque constante de vivre à côté du monde (ce qui n'est pas plus mal en ce moment).

Après quelques mois, je comprends tellement mieux ce qu'écrivait Joan Didion dans “L'année de la pensée magique”... Effectivement, comme elle, je pense encore parfois que la mort de mon amoureux n'est pas arrivée, qu'il va revenir. Cela parait incroyable, dit comme ça, mais il y a tellement de petits moments où cette pensée me traverse ! Ce peuvent être des moments du quotidien ou bien encore des moments professionnels, peu importe, je secoue la tête en me disant intérieurement que ce n'est pas possible que ce soit arrivé.

Il y a bien sûr beaucoup d'autres moments où sa disparition est intégrée. J'ai l'impression de moins souvent lui parler à voix haute, je me sens moins seule quand je dîne à la cuisine ou quand je remets seule cette foutue housse de couette qui ne va jamais comme je voudrais.

Et puis il y a eu, la semaine dernière, le moment incroyable où j'ai reçu, après des mois de bagarre et de relances, son assurance-vie. Celle qu'il avait pris le soin de mettre à mon nom, dès les premières semaines de notre rencontre, il y a 5 ans. Cela a été comme un signe de lui, par-delà la mort, un cadeau d'une infinie générosité au moment-même où je commençais à regarder les petites annonces immobilières pour chercher un nouveau nid. Je suis très bien dans cet appartement mais chaque soir, au retour du boulot, chaque week-end, chaques vacances, la présence de ce fantôme se fait sentir, au point que je m'échappe dès que je dois passer plusieurs jours d'affilée chez moi, pour ne pas sombrer dans la déprime. Je ne parle pas de fantôme réel mais juste du souvenir de mon amoureux dans ces murs, du bonheur qui a été le nôtre ici, de la construction de notre vie ensemble, tout s'est joué là. Sans parler de la cuisine dans laquelle il est mort et dans laquelle je ne peux m'empêcher de scruter le sol et la mémoire de ce terrible matin d'août, chaque jour... Chaque. Jour.

J'ai donc l'impression d'aller un peu de l'avant, tout en n'étant toujours pas redevenue celle que j'étais (mais le redeviendrai-je jamais ? Il est à peu près certain que non), tout en cherchant encore l'issue de ce chagrin qui continue de me terrasser, de préférence aux moments où j'y pense le moins.

Les jours s'allongent. Les oiseaux recommencent à chanter, l'estragon a refait des pousses dans la jardinière sur le balcon. On va vers les beaux jours et je ne peux m'empêcher de penser que c'est aussi le cas pour moi, tout doucettement. J'ai survécu à l'hiver, au manque de lumière, au froid et à la neige, aux souvenirs sombres de mes amours perdues. Que vienne le printemps, je suis prête à l'accueillir, pas vaillante mais toujours là.

Une vie pour une vie

Depuis cette nuit, je suis grand-mère. Je n'arrive pas encore à réaliser, même si j'ai eu de longs mois pour m'y préparer. Et je repense, depuis la nouvelle arrivée sur mon téléphone accompagnée d'une jolie photo, à cette phrase d'une de mes amies de lycée qui avait perdu son grand-père un été où nous voyagions ensemble : “Une vie pour une vie”. Son grand-père était mort mais une petite cousine était née presque en même temps.

Mon amoureux est mort et ma petite-fille est née 6 mois plus tard. Une vie pour une vie.

C. ne remplacera évidemment pas mon amoureux, personne ne pourra le faire. Elle m'aidera peut-être en revanche à reconstruire le lien défait avec mon fils aîné, depuis mon départ et mon divorce, qu'il a eu du mal à encaisser. Comme pour le deuil, cela prendra du temps. Et puis je me sens si peu mère, depuis le début et encore moins depuis ma séparation d'avec mon ex-mari et la brouille avec mes fils, que je me demande si et quand je me sentirai (ne serait-ce qu'un peu) grand-mère.

Je ressens néanmoins un authentique bonheur et une certaine fierté à l'annonce de cette naissance. Cette petite fille est un nouveau maillon de la famille, une promesse d'avenir. Dans quelques années, elle serait sûrement tombée sous le charme de mon amoureux qui déclarait détester les enfants mais qui avait un véritable don pour les apprivoiser. Elle n'aura hélas pas la chance de le connaître mais elle aura bien d'autres choses à vivre. Que son existence soit longue et lumineuse.

Encore et toujours

J'ai enfin rêvé de mon amoureux, un rêve où je le voyais, et même un rêve dans lequel je le prenais dans mes bras. Cela fait maintenant presque 6 mois que j'attendais ce moment et ces deux rêves sont arrivés coup sur coup, à quelques jours d'intervalle, balayant les certitudes que je commençais à avoir sur le deuil. Tout recommencer, encore.

Enfin, pas tout, non. C'est un peu ce que m'a dit la psy que je suis finalement retournée voir pour parler de ces loopings émotionnels qui m'épuisent. Je ne recommence pas tout, je passe à de nouvelles phases, et je fais du lien avec mon amoureux, à travers ces rêves, ce qui est pour elle plutôt bon signe.

Les deux rêves de la semaine dernière avaient lieu dans des transports en commun et dans une foule. La vie serait un voyage ou un chemin dont mon amoureux serait descendu trop vite, trop tôt, mais je l'ai vu souriant, les deux fois. Il me regardait avec amour et malice, il n'a jamais prononcé un mot mais ce sourire valait tous les discours du monde. Comme dans les messages qu'il laissait sur mon répondeur, il est là, il me regarde et il m'aime, pour toujours.

Avoir enfin rêvé de lui, l'avoir revu quelques secondes dans mon cerveau endormi ne m'a finalement apporté aucune joie, ni aucun soulagement. Une petite frustration et un grand désarroi. Peut-être parce que je n'ai pas eu le temps de lui parler, de lui dire combien il me manque et combien je regrette de ne pas lui avoir dit une dernière fois que je l'aimais avant qu'il ne s'éteigne.

Mais comme l'a dit la psy, ce sont aussi des rêves qui laissent entendre ma volonté de le laisser partir. Pour l'instant, c'est peut-être trop tôt, je suis tiraillée entre ce désir et celui de le garder contre moi, le plus longtemps possible. Et c'est ça le deuil, aussi. Cet écartèlement entre le chagrin de la perte et le souhait de continuer à avancer. J'en suis toujours là, encore et toujours et il est possible que ça dure quelques mois encore.

Cette semaine, cela fera la moitié d'une année qu'il est mort. Très sincèrement, je souffre comme s'il était parti il y a quelques jours à peine. Il me manque comme s'il était parti il y a quelques jours à peine. Et je l'aime comme s'il était encore vivant. C'est le truc le plus fou qui me soit jamais arrivé. Parfois, quand j'y pense, mon cerveau a comme un bug interne, je me dis que je suis ravagée. Mais en fait, en l'écrivant, c'est évident : je l'aime comme s'il était encore vivant parce que son souvenir l'est, parce qu'il est en moi, dans mon cœur, dans ma peau, vivant comme jamais, vivant pour toujours.

[Message de service : je me rends compte que je me répète beaucoup, depuis le début. C'est parce que j'écris vraiment au feeling, en suivant les sujets qui me tracassent ou m'interrogent, quand ils viennent. Mais c'est aussi parce que je ne me relis jamais ou au mieux, la note précédente parce qu'elle s'affiche quand j'ouvre cette page. De même, je n'ai jamais consulté les statistiques de lecture et lorsqu'à la faveur d'un message, j'ai découvert que j'étais lue bien au-delà du petit cercle fédiversien que je pensais, cela a été un petit choc. Pour autant, cela ne changera rien à ma façon d'écrire, très intuitive et maladroite. J'écris surtout pour moi, pour coucher sur l'écran les pensées qui me traversent suite à ce deuil qui a bouleversé ma vie. Mais les échanges que j'ai pu avoir avec certaines et certains sur Mastodon m'ont aussi aidée dans ce cheminement. Alors merci à vous qui lisez, en silence ou pas et pardon pour les bégaiements...]

Et après... ?

C'est une question qui me traverse l'esprit souvent, depuis que mon amoureux est mort : où est-il, maintenant ?

Je l'ai déjà dit ici, j'ai été élevée dans la foi catholique et une famille pratiquante. Quand j'étais petite, je croyais dur comme fer au paradis ou tout du moins à une autre vie après la mort. En grandissant, ça s'est transformé un peu. J'ai connu quelques décès familiaux à l'adolescence et je pensais que les disparus étaient là, qu'ils pouvaient tout voir, tout entendre, même mes bêtises, même ce que je faisais dans l'intimité. Cela ne me faisait pas peur, cela ne me dérangeait pas, je ne me “cachais” pas d'eux, ils étaient là, c'était comme ça. De temps en temps, cette idée me revenait en tête, mes morts me voyaient grandir, devenir adulte, me mettre en couple, construire ma vie. Ils savaient tout.

Puis j'ai cessé de penser à tout ça, probablement parce que j'ai eu la chance de ne plus connaître de décès autour de moi pendant assez longtemps. Quand ma grand-mère paternelle est décédée, dernière de mes grands-parents et de sa génération, j'étais enceinte de mon premier enfant. J'ai eu de la peine qu'elle ne le connaisse pas mais je ne l'ai jamais imaginée autour de moi, comme je le faisais à l'adolescence, j'avais d'autres soucis et plus trop d'états d'âme sur les questions métaphysiques.

Il y a belle lurette que j'ai pris mes distances avec la religion en tant qu'institution, je ne vais plus à la messe, même pour Noël. Pour autant, je n'ai pas abandonné une certaine forme de foi, je pense. Je suis incapable de la caractériser : c'est probablement plus une forme de mysticisme qu'autre chose. Je maudis souvent les religions qui selon moi, privent l'Homme de son libre-arbitre mais, du fait de cette éducation que j'ai reçue, je garde le plus grand respect pour les gens qui croient et qui pratiquent leur foi, quelle qu'elle soit, de manière sincère. J'aime la paix des églises, les chants religieux m'émeuvent plus que de raison et je n'ai aucun mal à comprendre pourquoi certaines et certains choisissent de se retirer du monde pour prier.

Mon amoureux se fichait pas mal de tout ça. Quand il était petit, ses parents lui avaient donné le choix entre le catéchisme et le foot, il avait évidemment choisi le foot ! Mais sa maman lui avait offert (à quel moment, je ne le sais pas, je ne l'ai pas connue) un chapelet et je l'ai retrouvé dans ses affaires, récemment. Plié dans un petit sachet en organza, avec le “Je vous salue Marie” écrit de son écriture à lui, comme pour ne pas oublier.

Le jour de sa mort, j'ai été amenée à entrer en contact avec son père que je n'avais jamais vu ni entendu car ils étaient fâchés depuis plus de 10 ans. Et il a commencé à me parler des obsèques, à me demander ce qu'il convenait de faire. Il n'y avait pas 2 heures que son fils était mort et je n'avais aucune idée sur la question, encore hébétée par la violence de cette disparition brutale. En un sens, le fait qu'il y ait une autopsie m'a donné le temps de réfléchir et de faire valoir ce qui me semblait bien, à moi, à savoir ne pas enfermer l'urne contenant ses cendres dans un caveau à l'autre bout de la France (mon amoureux était un peu claustro...)

Quand j'ai reçu les messages de condoléances qui ont afflué les semaines suivantes, certaines personnes m'ont dit qu'elles l'avaient confié à “plus grand que nous”, qu'elles priaient pour lui, ou pour moi, que “là où il était”, il continuait à veiller sur moi. Cette petite phrase ne cesse de trotter dans ma tête, encore maintenant.

Là où il est. D'accord, mais où est-il ? J'ai eu une phase de quelques jours, juste après sa mort, où j'ai physiquement senti sa présence auprès de moi, sa main sur mon épaule quand je marchais. Puis j'ai eu une longue période où je me suis dit qu'il était dans ce petit bois où nous avons dispersé ses cendres, derrière chez moi. J'y suis allée régulièrement pour lui parler à voix haute, pour pleurer aussi, beaucoup. Et il y a eu les moments terribles où il n'était nulle part, parce qu'on m'avait menti toute ma vie. Quand on est mort, on n'est plus, point barre et ceux qui prétendent le contraire sont des naïfs, des peureux, des lâches qui essaient de embrouiller avec des superstitions à la con pour qu'on ait moins peur de notre propre mort. Aujourd'hui, presque 6 mois après son décès, je suis plus apaisée sur cette question. Certains jours, quand je suis en colère, je lui dis que je vais arrêter de lui parler parce que de toute façon, il n'est nulle part pour m'écouter. Mais la plupart du temps, je me dis qu'il est là, un peu à la manière des morts de mon enfance, il est partout où je suis, comme disait Victor Hugo.

Il est dans ces accords de guitare qui résonnent dans la voiture, il est dans la bouchée de dessert que je savoure en pensant à lui, il est dans le vent qui souffle dehors et qui caresse mon visage, il est là dans le hululement de la chouette qui sort toujours les jours où il me manque, il est là dans les larmes qui dévalent mes joues alors que j'écris ici, il est là dans le sourire de mes élèves, il est là dans mes choix et mes indécisions, il est là à sa façon.

Il n'est évidemment pas là comme j'aimerais qu'il soit, en chair et en os, en rires et en mots, en baiser et en caresses mais il est là, de l'autre côté de moi-même et peut-être qu'il sera là pour le reste de ma vie. Et peut-être que c'est ça, l'au-delà.

Un monde silencieux

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer plusieurs fois le sentiment de vide survenu après la disparition de mon amoureux. Il remplissait ma vie, de plein de façons différentes et son absence est en elle-même douloureuse.

C'est qu'il prenait de la place, cet homme ! Pas tant dans sa corpulence (je prends plus de place que lui) que dans sa façon de vivre, de parler, de bouger, de réfléchir. Il parlait fort (mais détestait que les autres le fassent, ça lui cassait les oreilles), vite, souvent. Sa pensée sautait du coq à l'âne sans cesse et ses paroles aussi, ce qui a souvent été cause de fous-rires parce que je ne suivais pas toujours... Nous nous retrouvions souvent bien loin du point de départ de notre conversation mais il se faisait toujours un point d'honneur de remonter à la source des bifurcations. Son débit de parole était toujours proportionnel à son enthousiasme, c'est-à-dire rapide et j'ai remarqué, lors de ses conversations téléphoniques avec des collègues ou stagiaires, qu'il laissait parfois peu de place à la parole de l'autre. Tout à coup, il s'en rendait compte et écoutait religieusement, avec une attention incroyable, comme si sa vie en dépendait. De temps en temps, il se mettait à chanter et à esquisser quelques pas chaloupés, lui qui avait horreur de danser. Et quand c'était trop calme à son goût, il se ruait sur moi pour me chatouiller pour j'en hurle de rire.

Bref, c'était un personnage intense, quoi qu'il ait toujours dit le contraire. Un homme plein de vie, de joie, d'humour et ... de bruit (je ne parle même pas de la musique, du blues entre autres, qui était le terreau de sa passion)

Autant vous dire que sans lui, je trouve la vie d'une fadeur inouïe, d'un calme inquiétant et d'un silence pesant. Depuis qu'il n'est plus là, je me remise à écouter la radio, ce que nous ne faisions plus (pas besoin, il me commentait les nouvelles mieux que personne et ses playlists étaient extraordinaires) et parfois, quand je mange, seule, à la cuisine, ce silence me trouble et m'ennuie. Alors je mets de la musique, je parle tout haut aussi (à lui, évidemment).

Il y a bien la télé de la vieille dame du dessus, les apéros joyeux chez les voisins d'à côté, les souffleuses à feuilles dans la rue, les mésanges qui pépient sur mon balcon dans la mangeoire à oiseaux mais ma vie est tout de même tombée dans un silence qui m'étouffe.

Comment te dire adieu

Je ne vais plus chez la psy, écrire ici me convient mieux et me semble plus utile, ainsi que les retours que je reçois parfois, via Mastodon. Le partage d'expériences, les commentaires des autres m'aident à avancer sur ce chemin interminable et vallonné qu'est le deuil.

Cette nuit, j'ai rêvé de mon amoureux. Une fois de plus, bien que le rêve soit très réaliste et très scénarisé, il était là mais je ne le voyais pas. Nous étions très amoureux et entourés par ma famille, à l'occasion d'une fête quelconque et nous attendions le moment béni où nous pourrions nous retrouver, rien que tous les deux, pour nous aimer, loin du regard des autres. C'était un rêve très doux, très tendre, plein d'amour et de complicité, de désir aussi.

En me réveillant, j'ai été frustrée qu'encore une fois, il ait été là sans que je le voie. Une simple présence mais pas d'image. Je rêve beaucoup, de tout le monde sur Terre mais lui, je ne vois jamais, en tout cas, pas depuis qu'il est mort. Cela m'agace profondément.

Et puis j'ai réfléchi sur le sens de tout ça, sur cette “présence” sans corps et tout à coup, entre deux tartines, m'est revenu le souvenir d'une série vue récemment, dans laquelle un personnage disait qu'il aurait donné tout ce qu'il avait pour revoir, ne serait-ce que quelques secondes son amour décédé 11 ans auparavant. J'avais ressenti exactement la même chose : je donnerais n'importe quoi pour revoir mon amoureux, au moins une fois. J'ai alors réfléchi, pourquoi ? La réponse est arrivée presque instantanément : pour pouvoir lui dire adieu, correctement et lui dire une dernière fois tout l'amour que j'ai pour lui et à quel point il va me manquer.

Ce matin d'août, j'étais là, avec lui, je l'ai accompagné jusqu'à son dernier souffle mais je n'ai pas prononcé ces mots, parce qu'à aucun moment je n'ai pensé qu'il allait mourir ! J'ai cru, avec l'optimisme et la candeur qui est la mienne que les pompiers allaient le réanimer, qu'il allait à nouveau respirer et qu'il s'en sortirait, que ce n'était pas si grave, que ce n'était qu'un malaise. Je n'ai même pas essayé de le “retenir”, de le frapper pour qu'il reste conscient. Je ne lui ai même pas dit “Ne meurs pas, je t'interdis de me laisser!”. J'étais tellement certaine qu'ils allaient le sauver que je m'étais habillée, j'avais pris ses papiers dans mon sac pour pouvoir l'accompagner, en hélicoptère s'il le fallait. Quand le médecin du SAMU m'a annoncé que c'était fini et qu'ils n'avaient pas réussi, j'ai eu un moment de totale sidération, quelques secondes pendant lesquelles ce qu'il venait de dire a frayé un chemin à travers mes neurones, a démoli mes certitudes et les barrières que je m'étais construites avant de m'exploser dans la tête. Mes pleurs sont devenus cris, je me suis effondrée mais il a fallu quelques secondes.

Après les prélèvements et le départ du SAMU, pendant que mon amoureux était allongé dans la cuisine, sous un drap, dans la chaleur de cette matinée, la gendarme m'a dit que je pouvais aller lui dire au revoir, si je voulais. Je n'attendais que ça, je n'avais pas encore osé demander, je n'étais pas sûre de ma réaction. Elle m'a accompagnée, a soulevé le drap sur le haut de son corps et nous a laissés, en fermant la porte. Je me suis assise par terre, à côté de lui. Je l'ai touché, je lui ai parlé à voix haute un petit moment, je lui ai dit que je l'aimais et je lui ai dit adieu avant de l'embrasser, sur la bouche. Il était encore chaud, je me souviens bien, je l'ai caressé, je me suis serrée contre lui.

Il y a eu plus tard deux temps de cérémonies funéraires, pendant lesquels je lui ai parlé et redit adieu. Alors pourquoi ce sentiment de ne pas avoir dit ce qu'il fallait ? Pourquoi ces adieux n'ont-t-ils pas suffi ? Parce que je ne croyais pas vraiment qu'il était mort, parce que j'étais dans la sidération ? Et aujourd'hui, 5 mois plus tard, suis-je plus à même de lui re-re-dire cet adieu, suis-je plus consciente de sa mort, l'ai-je définitivement bien intégrée ? Certains jours, je me pose honnêtement la question...