from Il n'y aura pas de f(r)iction.
Tout le monde est mort.
Pour la faire découvrir à mon amoureux, je regarde à nouveau depuis quelques temps la série Six Feet Under, qui raconte la vie d'une famille d'entrepreneurs de pompes funèbres entre 2001 et 2005.
Je réfléchis beaucoup sur le deuil depuis que j'ai découvert cette œuvre télévisuelle. Ce n'est ni triste ni morbide, j'y pense souvent de façon rationnelle et paisible.
C’était en août 2008, nous passions maman et moi le week end dans le Haut Rhin, dans ma famille maternelle.
Sur le chemin nous étions allées rendre visite à Simone. Elle était depuis plusieurs jours alitée à l'hôpital. Je lui ai donné des baisers, je lui ai parlé un petit peu, elle gardait les yeux fermés et pressait ma main de temps en temps en poussant de petits soupirs. Elle sentait la pommade au calendula, je lui en apportais quand je venais lui rendre visite à la maison de retraite, et je lui en mettais sur la peau, j'étais contente que les infirmières pensent à lui en mettre sur les mains.
Avant de reprendre le volant, maman et moi avons fumé ensemble une cigarette sur le parking, et repris la route en silence, ce n'était pas une route très gaie.
Vers 20h, nous avons pris un petit verre de vendanges tardives chez un de mes oncles, qui a une cave excellente. Il est mort aussi maintenant, très jeune, d'un arrêt cardiaque, mais je le vois toujours en train de passer la tondeuse en slip dans son jardin mitoyen, gaulé comme un astre. Je crois que toutes les femmes de cette famille ont un jour soupiré devant mon tonton Jean Michel.
Mon grand-père maternel a fait tout à coup irruption par le jardin, il était tout essoufflé, il a mis un moment à retrouver l'usage de la parole, et il a fini par me dire “Ton père a appelé, mamie's gestorva”. J'ai soudain éclaté en sanglots parce que j'ai réalisé que ça y était, que plus jamais je ne reverrai ma grand-mère, et je me suis dis que je me souviendrai de cette phrase toute ma vie.
Il y a eu un grand silence, on n'entendait plus que les “pchuuuuu pchuuuu” de Papi Vador. Lui aussi il est mort, très affaibli part une infection pulmonaire. De lui je me souviens de la jolie voix, quand il chantait, de son accent, de son blaireau à raser, j'ai longtemps porté le classique de Gautier parce que ce parfum était celui du savon d'Yvan. Je mets toujours son chaper, sa casquette bleu roi quand il m'arrive quelque chose d'important, pour me porter chance.
Berthe, mon autre grand mère, est retournée dans la grande maison pour chercher du gâteau. C'est comme ça, quand quelqu'un meurt il faut manger. On a très bien mangé à l'enterrement de Berthe, mais je n'y étais pas. Mes cousins m'ont raconté, il y avait des tonnes de frites. Berthe aimait les frites. La nuit où elle est morte, elle a demandé des frites, mais elle n'a reçu que des petits beurres, faut pas déconner. Elle a mangé tout le paquet, elle a du faire un petit rototo, et elle aussi s'est endormie. Elle a prit des forces pour le voyage. Elle était drôle, rude, paysanne, elle a eut trop de petits enfants pour tous les aimer pareil, mais chacun d'entre nous avait son plat attitré, son biscuit décoré pour son anniversaire, ses gourmandises dans le Stuva. Une vraie mamie gâteau.
Ensuite mes deux autres tantes sont arrivées avec leurs hommes parce que tout le monde habitait alors le même village, ma cousine a même téléphoné du Portugal, mon oncle a ouvert une autre bouteille, on s'est tous serrés les uns contre les autres sur la terrasse, on a levé nos verres et quelqu'un a dit “Voilà, il y a une nouvelle étoile ce soir” et nous avons tous trinqué à ma grand mère.
C'était merveilleux d'être entourée ainsi dans ce qui aurait pu être le pire moment de ma vie si j'avais appris la nouvelle seule dans mon appartement à Strasbourg.
Les jours suivants se sont déroulés dans une ambiance un peu schizophrène. L'exécution de ses dernières volontés qui nous ont tous surpris, les mots que j'ai dis pendant les funérailles… J’ai lu une rédaction écrite en 5e, où nous devions parler d’une personne importante. J’avais choisi ma petite Simone. Tout ça était poignant. Elle m’a terriblement manqué pendant toutes ces heures où nous lui rendions hommage.
Nous avons été obligés, mon père et moi, de transporter les cendres de Simone dans leur urne en voiture, depuis l’Alsace où elle était décédée, jusqu’en Picardie, où elle souhaitait être mise en bière dans le caveau où se trouvait déjà mon grand-père.
Quand mon père est venu me chercher, j’ai noté que l’urne était posée sur le siège arrière de la voiture. J’ai dû hausser les sourcils, parce qu’il m’a répondu “C’est ma mère, quand même, je ne vais pas la mettre dans le coffre”. J'ai pouffé, c'est tellement lui.
Pendant tout le trajet, il s’exclamait souvent, comme au temps d’avant “Ca va maman, pas trop d’air ?” “On va bientôt s’arrêter pour faire pipi.” “Ha, on approche de Compiègne, tu te souviens quand on allait chercher des champignons avec papa ?”. Je ne disais rien, je l’écoutais faire son deuil. Il était presque serein. Le matin de la mise en bière mon père a pleuré devant la tombe de ses parents, puis l'après midi, il m'a réveillée de ma sieste, il m'a mise sur un vieux vélo et nous sommes partis sur les routes caillouteuses entre les champs de betterave pour aller regarder les trains passer. Encore un truc qu’il faisait avec sa mère, quand il était enfant dans l’Oise. Il était heureux d'être là avec moi, vivant.
J’ai compris que ce petit bout de femme maladif, abimée par les années et par la vie, était en réalité un pilier de notre famille, et qu’elle venait de disparaître, en nous laissant tous orphelins, et qu’on allait devoir grandir sans sa douceur et sans sa résilience.
Je me suis donc raccrochée au fait que j'aurais pu être l'héroïne temporaire de la série, que Nate ou David allaient venir vers moi pour me réconforter, que j'allais évoquer ma grand mère avec Ruth dans sa cuisine, ou croiser Claire et son appareil photo dans le salon mortuaire... bref, que ça n'était pas tout à fait réel, etc... Et très très étrangement ça m'a beaucoup aidée, je suis rentrée de ses funérailles très en paix. De même, pendant ces jours de deuil mes parents, mon frère et moi avons beaucoup parlé de la mort. C'était enrichissant, loin de tout tabou, assez vif aussi, certaines opinions ont choqué, mais au moins, le jour venu, nous pourrons dire “nous savons ce qu'il/elle veut.”
Sa présence physique me manque évidemment mais quelque part, je suis heureuse pour elle, qu'elle soit partie sans souffrir, comme elle le méritait, et qu'elle ait peut être retrouvé mon grand père quelque part. Je me dis que je suis chanceuse d'avoir profité d'elle aussi longtemps et aussi pleinement. Je n'ai plus de peine. Je la vois vivante, dans mes souvenirs, sur des photos, au détour d'un geste ou d'un sourire de papa, et de plus en plus dans mes propres traits. J'ai ses yeux, son prénom, sa morphologie, ses pommettes et même son implantation de cheveux.
Je sais comment je vais vieillir, elle m'a dégagé le chemin, je n'ai pas tellement peur.
J'espère juste qu'il sera long.